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- 128 pages
- French
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eBook - ePub
Hemingway. Risquer sa vie
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Ă propos de ce livre
Soixante ans aprĂšs la disparition d'Ernest Hemingway, le temps est venu de dĂ©passer les clichĂ©s associĂ©s au virilisme d'une oeuvre hantĂ©e par la mort, cĂŽtoyĂ©e dans les tranchĂ©es de la PremiĂšre Guerre mondiale. L'auteur de "L'Adieu aux armes" se donna pour tĂąche de tĂ©moigner de la situation del 'homme jetĂ© dans un monde qui le dĂ©passe mais auquel il lui revient de donner sens. C'est ce personnage paradoxal, cet individualiste engagĂ©, ce violent romantique, ce moraliste sans message, ce romancier promĂ©thĂ©en qui affirmait que l'homme peut ĂȘtre dĂ©truit mais pas vaincu, et dont tous les personnages, comme lui-mĂȘme, sont des ĂȘtres-pour-la-mort, que ce livre se propose de mettre au jour.
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Sujet
PhilosophySous-sujet
Philosophy History & TheoryII
SâENGAGER POUR LA CAUSE
NUL HOMME NâEST UNE ĂLE
En novembre 1933, Ernest Hemingway et sa seconde Ă©pouse embarquent Ă Marseille pour un voyage en mer de dix-sept jours jusquâau port kĂ©nyan de Mombasa, via le canal de Suez. GrĂące Ă lâaide financiĂšre de la famille Pfeiffer, le couple a rĂ©servĂ© un luxueux safari de prĂšs de trois mois dans la rĂ©gion du lac Manyara.
Quâallait faire lâadmirateur des fiers toreros ibĂ©riques en Afrique orientale britannique sinon tuer du gibier « pour le sport », comme ces Anglais Ă©voquĂ©s avec une pointe de mĂ©pris dans Mort dans lâaprĂšs-midi ? Son guide nâĂ©tait dâailleurs autre que Philip Percival, lĂ©gendaire « chasseur blanc » de la vallĂ©e du Grand Rift, qui comptait parmi ses clients la fine fleur de la gentry britannique â mais aussi lâancien PrĂ©sident amĂ©ricain Teddy Roosevelt, dont le rĂ©cit du safari de 1909 avait fascinĂ© le jeune Ernest63. Au reste, on ne compte plus les photographies typiquement « coloniales » du trentenaire moustachu tout sourire devant un lion, un buffle ou un rhinocĂ©ros fraĂźchement abattus.
De la dĂ©couverte du continent noir, naĂźtra Les Vertes Collines dâAfrique (1933), un livre quâHemingway a voulu « absolument sincĂšre », Ă©crit « pour voir si lâaspect dâun pays et un exemple de lâactivitĂ© dâun mois pouvaient, sâils sont prĂ©sentĂ©s sincĂšrement, rivaliser avec une Ćuvre dâimagination »64. Comme dans Mort dans lâaprĂšs-midi, qui nâĂ©tait pas un roman non plus, lâauteur nây succombe jamais au lyrisme ou au pittoresque, il ne se dĂ©partit pas de ce mode de narration sec et saccadĂ© quâil a mis au point, qui, comme lâa Ă©crit Sartre, « fait sortir chaque phrase du nĂ©ant par une sorte de spasme respiratoire »65.
Le plus clair du rĂ©cit sâarticule autour dâun dĂ©fi de chasse lancĂ© par Hemingway Ă un Autrichien de passage, consistant Ă savoir qui abattra le premier koudou. La traque de cette insaisissable antilope devient vite obsessionnelle et rĂ©vĂšle quelques cĂŽtĂ©s sombres de la personnalitĂ© de lâĂ©crivain comme lâĂ©gotisme, la jalousie ou les accĂšs de violence, que seul le whisky vient apaiser.
Une Ă©dition contemporaine des Vertes Collines dâAfrique, augmentĂ©e du Safari Journal tenu par Pauline Pfeiffer66, conforte le lecteur dans lâimpression que le plaisir de chasseur dâHemingway est gĂąchĂ© par le fait que les trophĂ©es de son rival semblent toujours surpasser les siens. Comme si, Ă nouveau, sa virilitĂ© Ă©tait en jeu⊠Des scĂšnes « risiblement adolescentes », selon lâexpression du professeur de littĂ©rature amĂ©ricaine Boris Vejdovsky, qui ne sont pas sans rappeler les passages de Paris est une fĂȘte oĂč Hemingway rapporte que Scott Fitzgerald, « incertain dâavoir un Ă©quipement masculin suffisant, fait avec lui le tour des musĂ©es pour sâassurer que ses mensurations correspondent bien Ă la norme »67.
Hemingway dĂ©plore le sentiment de jalousie et dâamertume qui est venu ternir ce qui devait ĂȘtre un pur moment de plaisir au milieu de la savane africaine, mais il lâassume, comparant mĂȘme la nature compĂ©titive de la chasse Ă celle de la crĂ©ation littĂ©raire.
Au moins, le nĂ©vrosĂ© est-il encore conscient de son Ă©tat et capable dâun minimum de recul, voire dâironie dans ses bons jours. Ainsi, au dĂ©but du livre, dans la prĂ©sentation des protagonistes, en regard de « M. H emingway », on peut lire : « Un vantard ». Allusion, Ă nâen pas douter, Ă lâAutobiographie dâAlice Toklas. Lors dâune causerie littĂ©raire au coin du feu de camp avec son compagnon de chasse â oĂč, pour le coup, le romancier peut briller sans partage â Hemingway ajustera sans les nommer Sherwood Anderson et Gertrude Stein, affirmant quâĂ un certain Ăąge « les hommes Ă©crivains deviennent autant de SĂ©nateurs BĂ©renger [pour qui fut inventĂ©e lâexpression âPĂšre la Pudeurâ] et les femmes Ă©crivains deviennent des Jeanne dâArc sans les batailles » : « ils deviennent des meneurs » et « sâils nâont pas de disciples, ils les inventent »68.
Lors de cette mĂȘme conversation, lâauteur du Soleil se lĂšve aussi soutient quâil nây a pas de grands Ă©crivains amĂ©ricains contemporains car dĂšs quâils connaissent un succĂšs, soit ils augmentent leur train de vie et se condamnent Ă publier nâimporte quoi pour lâentretenir, soit ils se mettent sous la coupe des critiques et perdent confiance lorsque les recensions deviennent moins bonnes. Pour sa part, Hemingway feint dâĂȘtre sorti du marigot. Un homme heureux ? Sauf lorsquâil pense « aux autres gens », rĂ©pond-il. Il reconnaĂźt quâil lui arrive de le faire mais prĂ©cise quâil ne fait « rien pour eux ». Enfin, « peut-ĂȘtre un peu », rectifie-t-ilâŠ69
Ă trente-cinq ans, Hemingway Ă©prouve moins le besoin de prouver sa valeur que sa force de caractĂšre, son indĂ©pendance. « Je ne me souciais pas particuliĂšrement de ce qui allait arriver », Ă©crit-il en se remĂ©morant la fin de sa pĂ©riode parisienne. « Je ne prenais plus ma vie au sĂ©rieux, la vie de nâimporte qui dâautre, oui, mais pas la mienne. Ils dĂ©siraient tous quelque chose que je ne dĂ©sirais pas et que jâobtiendrais sans le dĂ©sirer, si je travaillais. »70
MalgrĂ© ce dĂ©tachement apparent et le dĂ©dain conçu pour ces confrĂšres qui guettent la critique le cĆur battant, on le sent pourtant lui aussi toujours sous la dĂ©pendance des autres, de leur regard et de leur jugement. Se faire traiter de fanfaron Ă la face du monde par Gertrude Stein ou simplement arriver second Ă un concours de chasse oiseux au milieu de nulle part lui est insupportable. Lâhyper-susceptibilitĂ© reflĂšte souvent une insĂ©curitĂ© psychologique, un manque de confiance ou dâestime de soi, singuliĂšrement chez les personnalitĂ©s narcissiques qui sâidentifient Ă leur image. InnĂ©e ou acquise â on ne reviendra pas sur lâincident de Fossalta di Piave â cette idiosyncrasie provoquera systĂ©matiquement chez Hemingway des rĂ©actions Ă la hauteur de lâatteinte ressentie Ă son identitĂ©. Un comportement mal perçu car mal compris, chez la plupart des mĂ©morialistes.
Dans son Ă©tude consacrĂ©e Ă lâhĂ©roĂŻsme dans lâĆuvre dâHemingway, Leo Gurko, ci-devant professeur de littĂ©rature anglaise Ă New York, dĂ©plore ainsi que, dans Les Vertes Collines dâAfrique, lâĂ©crivain sâappesantisse si longuement sur la traque dâun koudou quâil a blessĂ© suite Ă un tir ratĂ©. La bĂȘte fuit le chasseur et, au crĂ©puscule, ce dernier doit regagner le campement sans avoir pu abrĂ©ger ses souffrances. Hemingway parvient Ă rendre sa frustration et son malheur trĂšs vifs, mais « sans rĂ©ussir Ă nous les faire pleinement partager, Ă nous convaincre que lâoccasion en vaut la peine », proclame Gurko. « Son Ă©motion est trop grande pour lâexpĂ©rience qui la suscite et semble plus appropriĂ©e au contexte humain quâĂ celui dâun animal. »71
Cette attitude est pourtant consubstantielle Ă toute sa « philosophie de la vie ». Comme il lâa expliquĂ© dans Mort dans lâaprĂšs-midi, « lorsquâun homme est encore en rĂ©bellion contre la mort, il a du plaisir Ă assumer lui-mĂȘme un des attributs divins, celui de la donner »72. Mais encore faut-il y mettre les formes ! Lâhomme-dieu foudroie ou se fourvoie. De mĂȘme quâun matador digne de ce nom ne fait pas souffrir gratuitement le taureau â pour ne pas ĂȘtre « lynchĂ© par les spectateurs indignĂ©s »73 â, un chasseur en quĂȘte dâabsolu se doit dâabattre dâun coup, dâun seul, lâanimal expiatoire sur lequel il a jetĂ© son dĂ©volu, ou Ă dĂ©faut, de rĂ©parer sa faute sans dĂ©lai ni repos.
Nonobstant sa rĂ©putation sanguinaire, Ernest Hemingway a par ailleurs toujours tĂ©moignĂ© dâun respect quasi religieux pour la vie sauvage. Si certains passages des Vertes Collines dâAfrique peuvent choquer des lecteurs contemporains alors que tant dâespĂšces sont en voie de disparition â lors de son second safari, dans la mĂȘme rĂ©gion, vingt ans plus tard, Hemingway jurera que lâĂ©poque oĂč il chassait les animaux pour leur trophĂ©e Ă©tait « rĂ©volue depuis longtemps »74 â lâouvrage nâen est pas moins une ode Ă lâAfrique et Ă la beautĂ© dâune nature dĂ©jĂ menacĂ©e Ă lâĂ©poque par les incursions de lâhomme.
« Un continent vieillit vite quand nous y arrivons. Les indigĂšnes vivent en harmonie avec lui », Ă©crit-il en 1935, sur un ton Ă©tonnamment actuel. « Un pays a Ă©tĂ© fait pour ĂȘtre tel que nous lâavons trouvĂ©. Nous sommes les envahisseurs et, aprĂšs notre mort, nous pourrons lâavoir ruinĂ©, mais il sera toujours lĂ et nous ne savons pas quels seront les prochains changements. Je suppose quâils finiront tous comme la Mongolie »75. Câest en partie pour cette raison quâHemingway avait dĂ©cidĂ© de se dĂ©tourner de son pays. « Nos ancĂȘtres sont allĂ©s en AmĂ©rique parce que câĂ©tait lâendroit oĂč aller alors. Ăâavait Ă©tĂ© un bon pays et nous en avions fait un foutu gĂąchis et jâirais maintenant ailleurs comme nous avions toujours eu le droit dâaller ailleurs et comme nous lâavions toujours fait. »76
En 1936, Hemingway situera lâaction de deux de ses meilleures nouvelles dans ces immensitĂ©s africaines quâil aimait tant.
Dans la premiĂšre, LâHeure triomphale de Francis Macomber, un couple dĂ©suni dâAmĂ©ricains participe Ă un safari sou...
Table des matiĂšres
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- DĂ©dicace
- INTRODUCTION
- I. SâENGAGER POUR LE SPORT
- II. SâENGAGER POUR LA CAUSE
- III. SâENGAGER POUR LâHISTOIRE
- IV. SâENGAGER VERS LA MORT
- CONCLUSION
- REPĂRES BIBLIOGRAPHIQUES
- Du mĂȘme auteur
- Table des matiĂšres
- Titres parus dans la mĂȘme collection
- Collection