Annemarie Schwarzenbach
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Annemarie Schwarzenbach

La lutte avec l'Ange

  1. 86 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Annemarie Schwarzenbach

La lutte avec l'Ange

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À propos de ce livre

Femme de lettres suisse, reporter humaniste, photographe, Annemarie Schwarzenbach (1908-1942) appartient à une riche famille industrielle. Amie des enfants de Thomas Mann, qu'elle soutenait dans leur lutte contre le nazisme, puis de la romancière américaine Carson McCullers, qui lui dédie Reflets dans un œil d'or, elle a parcouru le monde à la recherche d'elle-même, ce dont rendent compte ses œuvres, notamment Refuge des cimes et La mort en Perse. Elle avait une aptitude personnelle à la souffrance qui a fourni un contrepoint aux douleurs universelles d'une époque marquée par la Grande Dépression, le fanatisme et le totalitarisme — forces destructrices qui agissent toujours aujourd'hui et contre lesquelles elle nous met en garde dans ses écrits.Cet essai est une invitation à découvrir l'actualité de ses propos et à mesurer combien sa vie et son œuvre prennent tout leur sens en lien avec celles de ses plus inspirants contemporains. C'est tout à la foisune arti ste et un état du monde que Jacques Beaudry dévoile ici dans un face à face où le tutoiement ramène Annemarie Schwarzenbach parmi les vivants.

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Informations

Année
2015
ISBN
9782895784623
1.
Voir clair
Que cherchais-tu à voir, Annemarie Schwarzenbach? Quelle était ta façon de regarder? Considérons tes photographies. À quelle sorte d’attention nous invitent-elles donc? Les images que tu as prises nous disent qu’à l’humain se joignent, sur cette terre, l’inhumain et le surhumain. Pour découvrir cette vérité, tu as procédé comme Cendrars, pour qui la chose à faire quand on s’intéresse à la vie est de s’en rapprocher: «Voir. Voir de près. Se pencher sur. Toucher du doigt.»
La dizaine d’années qui vont de la Grande Dépression à la seconde guerre mondiale ont inter­pellé en toi, Annemarie, quelque chose de profond: ta propre désolation. Tu t’es mise à la recherche de ce qui devait être fait pour éviter le désastre complet. Tu espérais trouver la solution en t’exposant à des mondes étrangers qui allaient sans doute t’aider à voir les choses avec du recul, «telles qu’elles sont, sans tromperie ni imposture, sans erreur ni confusion».
En photoreportage pour Life, un illustré qui prenait son essor en Amérique au moment où le ministère de la Propagande mettait à mal en Allemagne l’esprit démocratique du photojournalisme moderne créé pourtant par des Allemands, Gisèle Freund documentait, au cœur des années 1930, la misère des démunis dans les villes sombres et appauvries du nord de l’Angleterre. Tes propres photographies venaient quant à elles mesurer, dans les mêmes années, les conséquences de la dépression aux États-Unis, comme l’avait fait déjà le brillant travail de Dorothea Lange, cette photographe américaine d’origine allemande que sa nature rebelle faisait rêver de départ pour l’Orient, mais qui d’abord sortit simplement dans la rue à la découverte d’individus frappés par la crise et souvent vaincus.
L’ampleur planétaire des dégâts provoqués par le krach de Wall Street (dont une des conséquences sera de faire plonger l’Allemagne dans une misère qui favorisera l’arrivée au pouvoir de Hitler) laissait croire que les grosses affaires étaient un succédané de la guerre et que la dictature de l’argent sévissait partout sur terre. Tu as trouvé, Annemarie, dans la périphérie massacrée d’une New York surhumaine, des citoyens à qui la constitution américaine accordait en théorie le droit à «la vie, la liberté et l’aspiration au bonheur», pourtant forcés de vivre, de respirer et de travailler dans des conditions inhumaines. Quelle réalité recouvrait le nom des villes noircies de fumées d’usine? La laideur — désespérante.
En t’éloignant de New York, tu as continué à consigner et à documenter les conditions humiliantes et les situations dégradantes provoquées par la crise. Partout la laideur témoignait d’un terrible appauvrissement non seulement des conditions matérielles, mais aussi de l’esprit qu’une exploitation éhontée a abruti. Tapi dans son coin et tout à fait désœuvré, on ne tarde pas à perdre toute fierté, au point de se résigner à voir son destin réduit à une vie de chien. Ce que ton ami Klaus Mann avait tout de suite vu dans le totalitarisme, tu le retrouvais sous le capitalisme, qui t’apparaissait comme une force porteuse, elle aussi, d’un terrifiant pouvoir d’enlaidissement. Tes photoreportages sur l’Amérique en crise visaient à faire comprendre que, devant le bourbier de la dépression, il était de la responsabilité de chacun de tout tenter, dans la mesure de ses capacités, pour que l’âme retrouve sa dignité et l’humanité, la beauté.
Tu as toujours cherché à voir, Annemarie, ailleurs comme ici, ce qui constitue une menace pour la vie; tes reportages américains sur les démunis attestent la réalité du rabaissement de celle-ci par la faim qui vous démolit, tel que l’entendait l’auteur du Déclin de l’Occident. Pour Oswald Spengler, la faim, au sens le plus large, impliquait l’impossibilité d’amener ses forces à se développer, l’étroitesse de l’espace où l’on s’entasse et l’obscurité dont on est prisonnier: «La faim éveille cette sorte d’angoisse haïssable, vulgaire, entièrement amétaphysique, sous laquelle se brise de façon soudaine le monde formel supérieur d’une culture et commence la pure lutte pour l’existence de la bête humaine.» Tu avais constaté, Annemarie, qu’à l’autre bout du monde, la faim avait la même conséquence: les fumeurs d’opium croisés en Perse t’ont semblé être en général des affamés engourdis par la fumée, qui restaient sur leur tapis comme des bêtes que fait grogner la présence d’étrangers.
En posant le pied sur le sol américain, tu as compris aussitôt qu’il n’existait manifestement pas ici d’intérêts autres que commerciaux. Contemporain de la Psychanalyse de l’Amérique de Hermann de Keyserling (pour qui un développement extrême et quasi exclusif des facultés assurant la réussite dans le domaine technique allait pousser les États-Unis vers la barbarie) et éclairé par ta lecture d’un roman de Sinclair Lewis, Impossible ici (où étaient dénoncées les causes organisationnelles et les dispositions mentales qui exposaient au danger fasciste même les États-Unis), ton propre regard sur l’Amérique des années 1930 t’a laissé pressentir qu’une civilisation dont l’histoire est celle d’une gigantesque exploitation, et où la notion de liberté peut à tout moment se dégrader en droit du mieux armé ou du plus fortuné, se trouvait apparemment condamnée à dégénérer. En Europe aussi, on sentait l’inanité d’une liberté qui n’existe que sur papier, spécialement quand on était victime de la police du Reich qui ne s’embarrassait pas de constitution, mais ne connaissait que le règlement pour l’application duquel elle avait une matraque en sa possession.
La socialiste Rosa Luxemburg considérait qu’il était suicidaire d’attendre un effondrement automatique du capitalisme, car il ne pourrait se produire, s’il se produit un jour, «qu’une fois toute la surface de la terre conquise et dévorée». Il y avait, sous la domination de la puissance financière des Ford et des Krupp, dans le chaos américain comme dans l’étau hitlérien, quelque chose qui affaiblissait le cœur humain jusqu’à l’abjection, quand ce n’était pas jusqu’au suicide. C’est avec l’espoir de contrer cet anéantissement que Dos Passos, en route pour l’Orient, rêvait qu’un vent d’Asie débarrasse les cités d’Occident de la «tyrannie des Choses» qui étaient, à ses yeux, les dieux qui finiraient par broyer l’humanité le jour où l’évangile selon Ford aura partout triomphé. Cette victoire totale, confirmée par Dos Passos dans son roman La grosse galette, où Ford est bien le «maître de tout», Aldous Huxley l’avait pour sa part anticipée en désignant l’époque du totalitarisme supranational décrite dans Le meilleur des mondes comme «l’ère de Notre Ford», temps béni de la surconsommation, dont le complément est le temps de la totale destruction que toi, Annemarie, et tes amis antifascistes auriez sans doute trouvé pertinent de baptiser «l’âge des Krupp», ces magnats allemands de l’industrie de guerre qui soutinrent fermement Hitler dans sa folie totalitaire.
Aucune législation ne barre la route à la conquête de fortunes sans bornes par les puissances économiques privées, parce que ce sont elles qui légifèrent en vérité et elles se servent, pour ce faire, de l’instrument qu’elles se sont créé: une démocratie où le pouvoir est en fait à celui qui paie. Fille d’un industriel fortuné et témoin révolté de la montée du nazisme, tu étais bien placée pour comprendre, Annemarie, que la volupté de l’accroissement illimité se rap­porte aussi bien à l’argent qu’aux hommes, qu’elle est une caractéristique commune aux spéculations du millionnaire et aux discours des politiciens tel Hitler qui, dans toutes ses menaces, ses défis, ses exigences, employait toujours, pour s’enorgueillir des chiffres croissants de la population de son Reich, le mot «million». Entre les mains de qui sommes-nous? voilà la question.
2.
La destruction
Tu avais pu lire, Annemarie, sous la plume de Spengler, qu’une civilisation qui n’a plus de direction vivante, mais rien qu’une extension sans limite, ne représente plus un devenir, mais une chose devenue qui relève de la «symbolique de la mort». Keyserling, de son côté, avait affirmé qu’une vie surrationalisée, surmécanisée et surstandardisée exige une quantité compensatoire de sang versé; en Europe, avait-il rappelé, c’est une ère de progrès continu qui avait produit la première guerre mondiale, un événement incroyablement irrationnel et barbare, du jamais vu.
Pour l’auteur du Déclin de l’Occident, la «ville mondiale», telles New York ou Berlin, apparaissait au terme de l’évolution de chaque grande culture pour s’emparer entièrement de l’être humain, en faire «sa propriété, sa créature, son instrument». Tu as appelé ça la tyrannie de la grande ville, une «tyrannie compacte», disais-tu, cruelle et absolue, qui vous oblige à vous plier mécaniquement au piège des lois, des règles, des habitudes et des conventions de son pouvoir anonyme, et vous fait voir le temps passé à vivre en troupeau et à subir, résignés, les problèmes de l’heure et ses nécessités, comme une «interminable captivité». Dans Metropolis, qu’il réalisa en 1927, le cinéaste Fritz Lang fit d’ailleurs de la cité hérissée de tours et de cheminées le symbole de l’aliénation concentrationnaire qui vous dépouille de votre humanité.
Aux yeux de l’Europe de l’époque, c’était Berlin qui symbolisait la ville des temps modernes. La capitale, avec «ses machines, ses usines, ses tours anonymes et ses flots de trains et d’autos, faisait figure de monstre mangeur d’hommes». Son grouillement cosmopolite, son ballet inimaginable de chômeurs et de spéculateurs, ses avant-garde déstabilisantes, sa fébrilité laborieuse et sa criante lubricité faisaient du Berlin des années 1920 quelque chose de névrosé; pas étonnant que deux semaines après ton arrivée dans cette ville, tu aies piqué, pour la première fois de ta vie, une crise de nerfs et failli, Annemarie, d’un mauvais coup de volant, te tuer bêtement.
Cette hystérie citadine, au cœur d’une Allemagne encore sonnée par la perte de la Grande Guerre et désormais hantée par une horde de mutilés, avait été précédée par une crise sociale et politique aux allures de bataille de rues meurtrière, sorte de substitut de la guerre perdue devenu un élément ordinaire de la vie dans la capitale où des Allemands s’en prenaient à ce moment à des Allemands, et dont un épisode marquant fut la répression à Berlin de l’agitation des socialistes antimilitaristes, une réaction sanglante, ordonnée par un poli...

Table des matières

  1. Couverutre
  2. Même Auteur
  3. Dépôt Légal
  4. Dédicace
  5. Introduction
  6. 1. Voir clair
  7. 2. La destruction
  8. 3. La fuite
  9. 4. Le fantôme du monde
  10. 5. L’anonymat
  11. 6. L’ange
  12. 7. Le mal du pays
  13. 8. La magie
  14. 9. L’espoir sans nom
  15. 10. La roue
  16. Conclusion
  17. Sources
  18. Index des personnes et des personnages