Beauvoir Jean
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Beauvoir Jean

Le récit du vétéran

  1. 232 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Beauvoir Jean

Le récit du vétéran

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À propos de ce livre

Beauvoir Jean est un nom connu des gangs de rue de MontrĂ©al. Il en est aujourd'hui un vĂ©tĂ©ran. Dans le langage du milieu, on appelle ainsi celui qui, aprĂšs un parcours ponctuĂ© de dĂ©lits, de luttes fratricides et de prison, peut choisir de se retirer de l'action sans pour autant rejeter son passĂ©, en condamner les hĂ©ritiers ou s'Ă©loigner d'eux. HaĂŻtien d'origine, Beauvoir Jean a Ă©tĂ© chef des Master B (1984-1987) puis de la Compagnie B (1988-1991). Travailleur de rue Ă  MontrĂ©al-Nord depuis 2007, il raconte ici les bandes haĂŻtiennes, leur condition, leurs entreprises et leurs amours, les clans et leurs conflits, leurs amitiĂ©s et leurs dĂ©mĂȘlĂ©s avec la justice.Au retour d'un voyage Ă  Port-au-Prince, Pierre Tremblay a accompagnĂ© Beauvoir Jean dans son quartier, partageant ses souvenirs, l'Ă©coutant dĂ©crire son monde, rencontrant sa famille, ses rivaux, ses compagnons de rue. Le rĂ©cit qui en rĂ©sulte est un tĂ©moignage saisissant de vĂ©ritĂ© brute en mĂȘme temps qu'une riche enquĂȘte sociologique.

Foire aux questions

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Informations

Année
2012
ISBN
9782895782940

Chapitre 1

Kakas !
J’ai eu quatre mamans, mais la plus tannante, la plus bavarde, la plus menteuse, celle qui m’a causĂ© le plus de tracas, et qui continue de le faire, a Ă©tĂ© la mĂšre de mes trois premiers enfants, Vanessa, Kevin et Jasmine.
Je suis la seule de ses mĂšres d’enfants que les vĂ©tĂ©rans de MontrĂ©al-Nord et de Pie-IX appellent Madame Beauvois. Eh oui ! Ça enrage Myriam. Mais ce n’est que justice. J’ai grandi avec eux. Pipo, le frĂšre de Maxime, a Ă©pousĂ© une de mes cousines, et je parle crĂ©ole comme les HaĂŻtiens et mĂȘme mieux que Martin, le propriĂ©taire d’Argent Comptant sur le boulevard Pie-IX. Les vĂ©tĂ©rans de MontrĂ©al-Nord ont longtemps Ă©tĂ© aux petits soins avec moi. AprĂšs la naissance de Vanessa, les gars de Master B me vĂ©nĂ©raient. Je connais tous les gars du Nord, on est comme un gros troupeau. Pendant que j’étais enceinte et aprĂšs mon accouchement, ils m’achetaient les couches, faisaient l’épicerie, je ne manquais de rien, j’étais leur reine. Qui a pris cent dollars de ses allocations pour les envoyer Ă  sa mĂšre Sylphida pour les funĂ©railles de Paulinda ? Elle nous appelait tout le temps et ne se rendait pas compte qu’on ne pouvait pas payer ses appels. Et qui Ă©tait la tante prĂ©fĂ©rĂ©e des trois enfants d’Eltha et de Botex ? Eh oui, c’était moi, toujours moi. Et pour de bonnes raisons : je refusais que papi Botex, le pĂšre de Beauvois, les dresse Ă  coups de claques et de bĂątons de hockey. À chacune de ses colĂšres, DaphnĂ©, Andy et Shadgi se prĂ©cipitaient dans mes bras, et je criais « non, non, papi ! ». À force de lui rĂ©pĂ©ter qu’il ne vivait plus Ă  Fabias, il a fini par s’assagir. Botex m’avait Ă  la bonne. Quand Beauvois a Ă©tĂ© emprisonnĂ© la premiĂšre fois, je suis allĂ©e le voir pour lui demander qu’il paie sa caution. Sa famille me disait que j’étais folle. Je leur ai dit que je m’en foutais. Je suis allĂ©e voir Botex dans le salon. Je me suis plantĂ©e devant lui. On Ă©tait tous les deux debout. J’ai approchĂ© mon visage tout contre le sien : « Papi, j’ai besoin de mon mari, Vanessa a besoin de son pĂšre. Paie pas la caution pour lui mais pour nous, et fais-le demain matin, ça urge. » Lorsque j’ai accouchĂ© de Kevin, ma mĂšre et Botex m’ont entourĂ©e. Ils ne voulaient pas que Beauvois soit dans la chambre. Il se rongeait les ongles dans le corridor. Quand je criais, il avait la tĂȘte penchĂ©e par en avant et pleurait. Lorsque je m’apaisais, il la relevait. J’avais connu Beauvois Ă  quinze ans, juste avant qu’il ne parte pour le New Jersey. Quand j’ai accouchĂ© de Vanessa, j’avais Ă  peine dix-neuf ans. Beauvois Ă©tait en prison, ma mĂšre m’a convaincue de lui donner mon nom et pas le sien. Beauvois Ă©tait chef de gang et les policiers avaient si bien parlĂ© Ă  mes parents qu’ils pensaient qu’il Ă©tait le diable en personne. Dix mois aprĂšs, j’ai accouchĂ© de Kevin. Je leur ai donnĂ© Ă  tous les deux mon nom. Le petit s’appelle Kevin Desprez, pas Kevin Jean ou Kevin Jean-Desprez. J’en suis bien fiĂšre. Beauvois m’a appelĂ©e l’autre soir pour me raconter les sottises de Kevin et de son ami Dave. J’étais contente qu’il me tĂ©lĂ©phone. Si Myriam est lĂ  il ne veut pas me parler et si j’appelle quand elle est avec lui il ne me rĂ©pondra pas. Mais Myriam habitait sur le boulevard Lacordaire Ă  ce moment-lĂ  alors je me suis pointĂ©e Ă  l’appartement de Beauvois rue Maurice-Duplessis. Il Ă©tait en train de donner son bain Ă  Ludovic. Il me dit : « Ah Chantale ! Ça ne va pas bien, pas bien du tout. » Je vois bien qu’il pleure mĂȘme s’il a le dos tournĂ©. Il m’a dit que si on allait Ă  la cour tous les deux, ce serait peut-ĂȘtre plus facile d’obtenir du juge qu’il soit libĂ©rĂ© sous caution. On s’y est rendus, Ă  la cour, en mĂ©tro. On a rencontrĂ© Éric Montpetit, l’avocat de Kevin. Beauvois voulait que ce soit Serge Lamontagne mais il dĂ©fendait dĂ©jĂ  Dave, son complice. Montpetit a saluĂ© Beauvois en l’appelant Monsieur Desprez. On s’est assis et il a notĂ© nos coordonnĂ©es et nos adresses. Quand il a Ă©crit sur sa feuille, nom de famille Jean, prĂ©nom Beauvoir, il s’est arrĂȘtĂ©, a levĂ© les yeux, le visage tout rouge : « Mais, mais, Monsieur, vous ĂȘtes une lĂ©gende ! » Pendant l’audience de cautionnement le procureur de la couronne, un grand maigre, l’air prĂ©tentieux, qui s’appelait Me Dosteller, et qui voulait sans doute que sa femme l’appelle MaĂźtre dans leur chambre Ă  coucher, s’est permis de dire au juge : « Étiez-vous au courant que Monsieur Beauvoir Jean a une cause en suspens ? » Je n’ai pas pu me retenir. J’ai bondi de ma chaise : « Ben voyons Monsieur le Procureur, de quoi parlez-vous ? Beauvois est travailleur de rue au CafĂ© Jeunesse ! Renseignez-vous comme du monde, je ne crois pas du tout que Beauvois a une cause pendante. Comment voulez-vous avoir un emploi de travailleur de rue si vous avez des causes avec la justice ? Vous ĂȘtes avocat de la couronne, vous ĂȘtes supposĂ© le savoir ! » Il se rĂ©fĂ©rait Ă  la cause de Crazy oĂč Beauvois avait Ă©tĂ© citĂ© Ă  comparaĂźtre comme victime. Je lui ai dit : « Cette cause n’a pas rapport. C’est quoi votre problĂšme ? Vous ne savez plus quoi inventer ! » Je ne l’ai pas envoyĂ© chier, j’ai trĂšs bien parlĂ© et suis pas mal fiĂšre de moi. Mais j’étais dĂ©couragĂ©e. C’est une chose de visiter Beauvois en prison, et une autre de vous y rendre pour votre enfant, toutes vos entrailles sont retournĂ©es et vous ne pouvez pas vous empĂȘcher de brailler quand vous le voyez de l’autre cĂŽtĂ© de la vitre. On s’était tant dĂ©menĂ©s, moi et Beauvois, pour que Kevin reprenne ses Ă©tudes et obtienne un diplĂŽme d’études professionnelles. Les choses se replaçaient. Kevin avait acceptĂ© de se faire couper les dreads et on l’avait accompagnĂ© au salon Tam Tam. Les gars du coin riaient de voir ses deux parents en pĂąmoison devant leur ticul. Ah qu’il est beau, mon Kevin ! La journĂ©e oĂč Kevin comparaissait pour son cautionnement, Crazy comparaissait pour son agression contre Beauvois. Le timing n’était pas bon. Les gardiens de la cour ont isolĂ© Crazy dans une cellule pour qu’il ne soit pas avec Kevin. J’avais peur que Kevin ne soit attaquĂ© Ă  son tour par les autres frĂšres de Crazy ou les membres de sa clique. Je recevais des textos affolĂ©s des dĂ©tenus de la prison de RiviĂšre-des-Prairies : il faut que Kevin change de cellule ! Ou d’étage ! Les dĂ©tenus sont les premiers Ă  connaĂźtre les ragots de la rue. Kevin Ă©tait habituĂ© aux menaces. Lorsqu’il avait fini de faire son temps Ă  Cartier[1], des Bleus l’avaient attaquĂ© comme des sauvages. Kevin a du courage mais il ne sait pas se battre comme son pĂšre. On l’a trouvĂ© ensanglantĂ© sur le trottoir Ă  cĂŽtĂ© d’un abribus. Il a dĂ» passer un mois Ă  l’hĂŽpital pour se refaire. Quand Beauvois a appris la nouvelle, il s’est habillĂ© en rouge de la tĂȘte au pied, est allĂ© chercher un fusil tronçonnĂ© et s’est prĂ©sentĂ© chez Manno en dĂ©fonçant la porte de son logement : trouve-moi ceux qui ont fait ça !
Ma blonde attitrĂ©e avant mon dĂ©part pour New Jersey City n’était pas Chantale mais Nancy.
Lorsque la mĂšre de Chantale l’a convaincue que Vanessa ne devait pas habiter chez Eltha mais ĂȘtre placĂ©e dans une famille d’accueil, ses relations avec Botex se sont drĂŽlement refroidies.
J’ai ratĂ© la naissance de Kevin. Je n’en suis pas fier. Mais la vĂ©ritĂ© toute plate est que je n’étais pas accoudĂ© sur une chaise Ă  la sortie de sa chambre. C’était Malcolm qu’on y trouvait. Botex n’était pas lĂ . Il n’avait assistĂ© Ă  l’accouchement d’aucune de ses femmes avec enfants. Cela ne se faisait pas. Chantale m’a placĂ© dans son hĂŽpital parce qu’elle aurait aimĂ© que j’y sois. Je m’étais prĂ©sentĂ© avec Malcolm Ă  l’hĂŽpital. On manquait d’argent et on avait pris l’autobus plutĂŽt qu’un taxi. Un seul proche Ă©tait autorisĂ© Ă  s’asseoir prĂšs du lit de la salle d’accouchement. On demanda Ă  Chantale de choisir entre sa mĂšre et moi. Elle a choisi sa mĂšre et j’ai dit fuck off.
Kevin a subi une commotion cĂ©rĂ©brale et a passĂ© trois jours Ă  l’hĂŽpital, pas un mois. Quant Ă  Manno, il Ă©tait en prison Ă  ce moment-lĂ . J’aurais difficilement pu lui demander quoi que ce soit et encore moins dĂ©foncer sa porte.
J’ai souffert pour lui Ă  dix-huit ans, avant mĂȘme la naissance de Vanessa. Pourquoi le taire ? J’en ai mangĂ© toute une Ă  cause de Beauvois et il le sait. Plamondon, Kenny et Bozo m’avaient kidnappĂ©e pour que je danse pour eux. À ce moment-lĂ  je ne les connaissais pas. Ils m’ont enfermĂ©e dans un appartement. Quand Beauvois et ses amis m’ont retrouvĂ©e j’étais mauve du visage, deux beaux black eyes, et bleue sur tout le corps. Kenny m’avait frappĂ©e Ă  coups de poing, il me prenait la tĂȘte et la tapait sur la table, mais j’avais et j’ai toujours un ostie de caractĂšre, j’ai jamais versĂ© une larme et je lui criais : « Tue-moi, tabarnak ! Jette-moi dans un container, mais t’auras rien de moi. T’entends ? Jamais, jamais rien ! » Ils ne savaient mĂȘme pas que je parlais crĂ©ole aussi bien qu’eux. J’entendais Plamondon dire Ă  Kenny : « ArrĂȘte ! Laisse-la tranquille ! Beauvois va te tuer ! » Et puis, ils dĂ©cidĂšrent de me dĂ©mĂ©nager parce qu’ils savaient que tous les gars de B Ă©taient Ă  ma recherche. Beauvois m’a racontĂ© par la suite qu’il soupçonnait Kenny parce que, lorsqu’il les avait rencontrĂ©s, lui et Malcolm, dans un bar, il leur avait demandĂ© s’ils avaient des nouvelles de moi. Mais aprĂšs coup, Malcolm a fait la remarque que Kenny ne me connaissait pas et qu’il Ă©tait curieux qu’il s’informe Ă  mon sujet. On Ă©tait tous les quatre dans la voiture, Bozo conduisait, et j’étais coincĂ©e en arriĂšre entre Kenny et Plamondon. Au feu rouge, Plamondon ouvre la portiĂšre : « DĂ©cĂąlisse Chantale ! » et il saute, par-dessus moi, sur Kenny pour l’immobiliser. Je me glisse sous lui et je sors de la voiture en courant comme une vraie folle. J’entendais Kenny rager dans la voiture et, comme le feu Ă©tait devenu vert, ça klaxonnait pour que Bozo avance son bazou. J’avais atterri devant le cĂ©gep Rosemont. Comme Nadine, une de mes amies, habitait tout prĂšs, j’ai titubĂ© jusqu’à son appartement, les poumons me brĂ»laient. Quand Beauvois est venu me chercher, il m’a prise dans ses bras, tout son corps tremblait et c’est Ă  ce moment-lĂ  que je me suis laissĂ©e aller Ă  sangloter Ă  n’en plus finir, cela me faisait du bien, j’avais mal partout, mais j’étais tellement soulagĂ©e. FiĂšre aussi d’avoir tenu le coup. Le lendemain matin Kenny m’a retrouvĂ©e chez Beauvois au 2020, boulevard Henri-Bourassa. Beauvois Ă©tait sorti faire des courses et Malcolm prĂ©parait des Ɠufs pour le petit-dĂ©jeuner. Tout Ă  coup Kenny, Bozo et Plamondon dĂ©foncent la porte. Plamondon pointe Malcolm avec un fusil et Bozo lui tient un couteau sous la gorge. Kenny est venu Ă  moi, m’a agrippĂ©e par les cheveux et m’a dĂ©foncĂ© la tĂȘte Ă  coups de poing. Les larmes coulaient des yeux de Malcolm, et je lui criais : « Bouge pas Malcolm ! Bouge surtout pas ! » Kenny voulait que Beauvois sache qu’il n’avait peur de personne. Tous les Rouges se sont mis Ă  traquer Kenny, et pas rien que les Rouges. Maxime et Pipo, des BĂ©langer, Ă©taient enragĂ©s contre lu...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Crédits
  4. Chapitre 1
  5. Chapitre 2
  6. Chapitre 3
  7. Chapitre 4
  8. Chapitre 5
  9. Chapitre 6
  10. Chapitre 7
  11. Chapitre 8
  12. Chapitre 9
  13. La fabrication du récit