Les Blessés psychiques de la Grande Guerre
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Les Blessés psychiques de la Grande Guerre

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Les Blessés psychiques de la Grande Guerre

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À propos de ce livre

Au lendemain de l'armistice du 11 novembre 1918, toute la France honora ses morts et glorifia ses héros. Mais, si les blessés physiques furent reconnus, soignés et pensionnés, qu'en fut-il de ceux qui en avaient été « quittes pour la peur»? Qu'en fut-il de ceux qui s'étaient trouvés ensevelis sous leur abri écrasé par les obus ennemis, qui avaient assisté horrifiés au spectacle de leurs camarades déchiquetés par les shrapnells, qui attendaient de monter à l'assaut alors que, derrière le parapet de la tranchée, ils voyaient ceux qui les devançaient s'écrouler un à un sous les tirs des mitrailleuses allemandes? De ceux-là, les blessures demeurèrent négligées, voire niées. Une fois la paix revenue, chacun s'en retourna à ses occupations et à ses plaisirs, infligeant à ces blessés invisibles ce deuxième trauma qu'est l'indifférence. Ce livre leur rend justice et montre à travers la grande richesse des tableaux cliniques comment l'approche des psychiatres a évolué, faisant progressivement primer l'hypothèse du choc émotionnel sur celle de la commotion physique. Comment, peu à peu, s'est imposé le concept de «névrose traumatique de guerre» qui rendait compte de la durée des symptômes et ouvrait à des méthodes thérapeutiques plus humaines. Louis Crocq est psychiatre des armées et professeur de psychologie à l'université Paris-V. Il a créé les cellules d'urgence médico-psychologique au lendemain de l'attentat de la station du RER Saint-Michel en 1995. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Les Traumatismes psychiques de guerre.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2014
ISBN
9782738169068

CHAPITRE 1

La guerre comme agression psychique


La guerre moderne agresse les hommes physiquement mais aussi psychiquement. Nous allons tenter ici d’inventorier quels sont ces facteurs d’agressions, des plus simples (l’environnement) aux plus complexes (craindre pour sa propre vie, assister à la souffrance ou à la mort de ses camarades). Nous verrons aussi comment les états-majors, la nation et les intéressés eux-mêmes ont nié cette souffrance et ces troubles, et les ont tenus pour illégitimes.

Les intempéries : canicule, froid, pluie et boue

La guerre a débuté, pour les fantassins et les cavaliers, par des marches ou des chevauchées épuisantes dans la canicule du mois d’août 1914. Revêtus de leurs vareuses et de leurs capotes de laine, portant la couverture et la toile de tente roulées en bandoulière, les fantassins, d’abord véhiculés par voie ferrée en wagons à bestiaux (40 hommes ou 8 chevaux), ont dû chercher le contact avec l’ennemi à la frontière belge au terme de marches épuisantes de 40 kilomètres par étape, sac au dos, portant en plus leur fusil Lebel, les cartouchières garnies, les musettes et les bidons. Les lettres adressées à leur famille ou les souvenirs rédigés au repos font état d’une chaleur caniculaire, de routes empoussiérées, de la sueur qui dégouline sur les visages et ruisselle dans les chemises et les caleçons, des lèvres sèches et de la soif qui étreint les gorges alors que les bidons sont vides depuis longtemps.
En outre, il y a l’odeur de sueur, prégnante, environnant les hommes pendant les haltes et les bivouacs où il n’est pas possible de se laver ni de se changer. Ensuite, la retraite accélérée quoique sans désordre jusqu’à la Marne, par des marches plus longues, plus épuisantes et sans repos (800 kilomètres pour certaines unités), va se dérouler dans la chaleur des premiers jours de septembre, toujours aussi difficile à supporter. Et elle sera suivie, dès le 6 septembre, par une contre-attaque de sept jours qui va refouler l’ennemi jusqu’à la Somme (nouvelle marche en pleine chaleur, en sens inverse cette fois) et conduire à la victoire.
Les cavaliers montés, hussards et cuirassiers, ne sont pas mieux lotis. Envoyés en éclaireurs pour chercher le contact avec l’ennemi, ils doivent parcourir de grandes distances en pleine chaleur sur leurs chevaux fourbus et parfois déferrés. Le soleil tape sur les cuirasses brillantes que les hommes doivent retirer pour ne pas cuire dessous. Le 6 août, sur ordre de Joffre, le 3e corps (général Sordet), comportant 230 000 hommes et 80 000 chevaux, se met en route depuis Givet en direction de Dinant, avec mission de renseigner l’état-major français sur l’avance allemande. 10 000 cavaliers pénètrent en Belgique et parcourent 200 kilomètres sous une chaleur torride. Leurs chevaux sont fourbus et il faut remplacer 15 000 fers. Hommes et bêtes sont épuisés et affamés.
On va retrouver ce contexte caniculaire, lors des étés 1915, 1916, 1917 et 1918 : soleil de plomb, wagons à bestiaux, marches de relève le long des routes et des chemins poussiéreux, équipements lourds, sueur qui dégouline et colle aux vêtements et sous-vêtements, manque d’eau pour se désaltérer et insuffisance des postes d’eau pour la toilette dans les bivouacs en arrière des lignes.
Dans son édition d’août 17, le journal des tranchées Le Crapouillot1 relate :
Il faut avoir fait, ce mois de juillet, des relèves, les 250 cartouches et 2 jours de vivres sur le dos, le couvre-pieds et le manteau roulés en sautoir, le fusil à la bretelle pour savoir vraiment ce que c’est qu’avoir chaud : d’un seul coup la chemise se trempe, la culotte colle aux cuisses, les chaussettes deviennent moites, les yeux s’ouvrent plus grands, les bouches tirent les langues, les gouttes de sueur vous chatouillent la face […] elles glissent le long des joues, se perdent dans les encolures débraillées, roulent vivement le long du nez […] faisant une excursion inopinée dans les narines, les yeux, les oreilles. On ne pense plus et on est triste parce qu’on sent mauvais.
L’hiver, c’est le froid qui étreint les hommes. Dans la journée, immobiles à leur poste de guet dans la tranchée, ils grelottent dans leur capote dont ils ont relevé le col, et ils battent la semelle pour faire circuler le sang dans leurs pieds gelés. Heureux ceux que leur prévoyance a munis d’une ceinture de flanelle, d’un passe-montagne et de gants de laine. Le soir, on fournit aux hommes qui sont de garde au « petit poste » (trou à 10 mètres en avant de la première ligne, relié à la tranchée par un boyau étroit) un gilet sans manches en peau de mouton qu’ils enfilent par-dessus leur capote. Leurs camarades restés dans la tranchée cherchent le sommeil en s’accroupissant tout habillés au sol contre la paroi, ou en se blottissant dans la « cagna », petite case creusée dans la paroi, parfois recouverte de rondins. Au réveil, les capotes sont recouvertes de givre, et il n’est pas rare que le givre ait pris aussi dans les sourcils et les moustaches. En arrière des tranchées, entre deux relèves, les soldats ne sont guère mieux protégés contre les morsures du froid. Heureux si on leur a alloué une grange au toit effondré, ou une encoignure de murs d’une ferme en ruine, et s’ils ont pu récupérer un peu de bois (volets, portes, poutres) pour entretenir un feu où ils peuvent faire réchauffer leur gamelle ou leur quart de café. Eux aussi vont chercher le sommeil, enroulés dans leur couverture et chaussures aux pieds, sur le sol ou sur une litière de paille infestée de vermine.
En toutes saisons, mais surtout à l’automne et à l’hiver, la pluie s’abat sur les colonnes en marche pour gagner le front ou assurer la relève. Il peut s’agir d’une averse brutale et drue, qui a vite fait de tremper les capotes et les genoux des pantalons, de se glisser à l’intérieur des cols des vareuses et de plaquer aux corps les chemises imbibées. Dans les tranchées, elle ruisselle le long des parapets et des parois et elle stagne sur le fond en mares profondes et en canaux qui noient les caillebotis (quand il y en a) et s’élèvent jusqu’au niveau des genoux, quand ce n’est des hanches, parce que le sol imbibé ne peut plus absorber le trop-plein d’eau. Au repos, on entend les rafales de pluie cingler les toiles de tente dont le sol est envahi par des ruisseaux et des mares. Il peut s’agir aussi d’un crachin insidieux et obstiné qui va perdurer des jours et des semaines, imbibant peu à peu vêtements et sous-vêtements, contenu des sacs et des musettes et s’infiltrer dans les chaussures, trempant les chaussettes et glaçant les pieds.
Le sergent Ambroise Harel dans ses Mémoires d’un poilu breton (1921) mentionne cette petite pluie fine et froide, et la « neige fine » qui tombe sur sa tranchée éboulée en plein mois d’août 1917 dans le secteur de Craonne, tandis qu’il doit se tenir debout immobile à guetter l’ennemi. La tranchée vient d’être pilonnée par des obus perforants :
Notre ouvrage fut bientôt bouleversé. Chacun se tint tapi dans son petit coin. J’étais accroupi près d’un pare-éclats ; plusieurs trombes de terre me tombèrent sur la tête et l’une d’elles me recouvrit entièrement. J’entendis un cri à ma gauche, j’y courus : la tranchée était comblée de terre, deux de mes poilus étaient ensevelis, l’un d’eux avait un bras dehors. Avec le concours de quelques copains, nous les dégageâmes et les ramenèrent à la vie ; ni l’un ni l’autre n’étaient blessés ; près d’eux, il y avait des tués […]. Je repris ma place primitive ; il faisait bien froid, une neige fine tombait et me glaçait (oui, même au 16 août), mes pieds étaient insensibilisés.
La conséquence inévitable de la pluie va être la boue, qui recouvre le paysage d’une chape épaisse et visqueuse, fait s’effondrer les parois des tranchées et leurs clayonnages, transforme leur sol en cloaque et, s’épanchant sur les banquettes de repos, dans les sacs et les musettes, trempant son linge et ses papiers, rend intenable la vie quotidienne du poilu, jour et nuit. Progresser dans ces fonds fangeux, pour assurer les relèves ou gagner le terrain de repos en arrière, est une gageure : on glisse, on dérape, on tombe ou on fait tomber son camarade qui jure, et on englue dans la chute fusil, sac, musette et gourde. La boue collante reste sous les semelles, se plaque sur les mains, s’infiltre dans les manches, rend les mouvements lents et maladroits, et reprend sa progression dès qu’on a réussi à s’en dégager et se nettoyer un peu ; ce qui fait que l’on renonce.
Voici une brève lettre du soldat Gaston B., Auvergnat âgé de 31 ans, du 21e bataillon de chasseurs à pied, adressée à sa mère le 6 septembre 19162 :
Ma chère mère. Je t’envoie ces quelques lignes des tranchées où nous sommes depuis dimanche soir. De la boue jusqu’à la ceinture, bombardement continuel, toutes les tranchées s’effondrent et c’est intenable, nous montons ce soir en première ligne mais je ne sais pas comment cela va se passer, c’est épouvantable. Nous avons déjà des tués et des blessés et nous avons encore deux jours à y rester. Je donnerais cher pour être loin d’ici…
Maurice Genevois, dans Les Éparges (1923), relate comment ses camarades ont extrait un soldat de sa gangue de boue, après qu’il y eut été enseveli par l’explosion d’un obus. C’est pour ce rescapé un véritable retour des enfers, avec la récupération de son nom et de son identité, donnant droit à un supplément de vie :
Avec les pelles-pioches portatives, avec les mains, avec les genoux, on déblaie […] les poitrines halètent, douloureuses, les paupières brûlent, tout le corps se mouille de sueur […] des crampes brutales nous étreignent les bras, des épaules jusqu’au bout des doigts […]. On les entend gémir, là-dessous ; la terre lourde se soulève à peine ; une main émerge, la forme d’une main terreuse dont les doigts tâtonnent et s’agrippent. On tire, le bras vient, peu à peu, la terre se soulève davantage. Encore […] Ah ! C’est un quelconque parmi les nôtres, une motte boueuse affalée sur la boue, et qui montre les yeux d’un homme dans un visage masqué de boue. On lui demande : Qui es-tu ? Ledran, dit-il…

Quand le feu tue (août 14)

En août 1914, lorsque l’armée française entre en guerre, la doctrine de l’état-major est fondée sur l’attaque à outrance. On pense qu’en lançant des bataillons de fantassins déterminés et enthousiastes baïonnette au canon, avançant au pas de course, à l’assaut des rangs ennemis, ils seront écrasés par notre fougue. Le colonel de Grandmaison, théoricien de la doctrine, précise même que le fantassin peut impunément parcourir quarante pas avant que l’ennemi ne puisse ajuster son tir.
Les premiers affrontements ont lieu le 22 août près de Charleroi. Le 3e corps (général Sauret) et le 10e (général Defforges) sont lancés imprudemment, sans préparation d’artillerie et malgré les avertissements du général Lanrezac, contre quatre corps d’armée de Saxons. Ils ne parviennent pas à passer la Sambre et sont repoussés avec de lourdes pertes, dont beaucoup d’officiers, particulièrement dans les régiments de Rouen, où sert Roland Dorgelès. Les Allemands, revêtus d’uniformes gris se confondant avec le paysage et solidement retranchés derrière des positions – murets, talus et tranchées – où ils sont invisibles, attendent l’attaque de pied ferme et ajustent tranquillement leur tir de mousquèterie et leurs rafales de mitrailleuse sur les rangs français qui s’élancent dans des charges aussi archaïques que celle des cuirassiers de Reichshoffen quarante-quatre ans plus tôt, et dont les képis et les pantalons rouges constituent des cibles faciles.
Les mitrailleuses allemandes fauchent les fantassins français avant même qu’ils aient parcouru vingt pas. Plus à l’ouest, les régiments bretons du 11e corps se font eux aussi décimer par les mitrailleuses allemandes. Plus au sud, le corps colonial (3e division) du général Raffanel est décimé par les tirs des Allemands dissimulés dans la forêt ; ses pertes se montent à 10 000 hommes, et on retrouvera parmi les cadavres les corps du général Raffanel, du général Rondony et du lieutenant Psichari, les armes à la main.
C’est une hécatombe dans les rangs des fantassins. Les troupes françaises perdront 130 000 hommes dans les seules journées des 20, 21 et 22 août. Le 22 août, les zouaves algériens laissent plus de 1 000 hommes sur le terrain. Les Bretons ont payé un lourd tribut, et le général qui commande la division de Rennes est surnommé « Sème-la-mort ».
Dans son livre consacré à la peur aux armées3, le médecin-major Albert Brousseau relate cette bataille du 22 août, dont il fut témoin :
Le 22 août 1914, nous vîmes notre première bataille. Les régiments, en ordre de manœuvre, drapeaux déployés, chargeaient. L’ennemi, bien retranché, était à peu près invisible ; les mitrailleuses fauchaient sans risque, et jusqu’à quatre et cinq fois, les compagnies, serrant le rang, repartaient à l’assaut inutile. Telle est la force de la discipline. Chaque régiment y laissa de mille à quinze cents hommes.
Pendant les mois de septembre et d’octobre 1914, les mitrailleuses et les fusils allemands vont continuer à causer des pertes importantes dans les rangs français. Nombreux sont les hommes qui tombent le corps criblé de balles ; et beaucoup d’officiers et de sous-officiers, tenant par leur exemple à insuffler du courage à leurs hommes, prennent des risques et reçoivent plusieurs blessu...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. Chapitre 1 - La guerre comme agression psychique
  6. Chapitre 2 - Les tableaux cliniques
  7. Chapitre 3 - Les traitements
  8. Chapitre 4 - Le devenir des blessés psychiques après la guerre
  9. Conclusion
  10. Notes
  11. Références bibliographiques
  12. Remerciements
  13. Table
  14. Du même auteur chez Odile Jacob