Ăa sâest passĂ© un dimanche, comme dans la chanson, bien aprĂšs le Big Bang1. Les particules Ă©lĂ©mentaires chĂšres Ă Houellebecq sâassociĂšrent en atomes. Ainsi naquirent lâhydrogĂšne, lâoxygĂšne, le carbone, lâazote et bien dâautres encore. Au calendrier, nous en Ă©tions Ă â 4,5 milliards dâannĂ©es, le Big Bang ayant eu lieu, disent les observateurs prĂ©sents, Ă â 13,7 milliards dâannĂ©es. La planĂšte Terre sâaffirmait, Ă©jectant un morceau trop rĂȘveur qui allait devenir la Lune et le Soleil irradiait lâensemble.
Les atomes dans leur fringale associative se mirent Ă se combiner en molĂ©cules et peu Ă peu un laboratoire chimique sâorganisa dans lâeau (H2O) au contact dâune atmosphĂšre sans oxygĂšne avec de lâazote, de lâammoniaque (NH3), du sulfure dâhydrogĂšne (H2S) et quelques autres gaz. Avoir une « gueule dâatmosphĂšre » Ă lâĂ©poque nâĂ©tait pas apprĂ©ciĂ©, car irrespirable pour les bronches de lâArletty Ă venir. Beaucoup de molĂ©cules complexes associant carbone, hydrogĂšne, oxygĂšne et azote se formĂšrent ainsi dans cette « soupe primitive » qui baignait la planĂšte. On trouvait des acides aminĂ©s annonçant les protĂ©ines, des acides nuclĂ©iques prĂ©curseurs dâADN, des acides gras prĂ©façant les huiles et des sucres qui, plus tard, feraient les dĂ©lices de nos papilles, ces filles de pape logĂ©es dans un palais bordĂ© dâivoire.
Mais le miracle, car câen est un, fut lâapparition des pyrroles constituĂ©s de carbone, dâhydrogĂšne, dâoxygĂšne et dâazote, qui, en se regroupant par quatre, formĂšrent les noyaux tĂ©trapyrroles. AttachĂ©s en forme de pince de crabe, ils avaient la propriĂ©tĂ© dâemprisonner, de chĂ©later, soit un atome de magnĂ©sium formant la chlorophylle, soit un atome de fer donnant la structure de base du sang.
Ainsi, tout Ă©tait lĂ , dans ce puzzle quâil fallait assembler pour que la vie sâexprime. Câest ce qui se passa, on ne sait pas trop encore comment, mais ça se passa ! Probablement vers â 3,6 milliards dâannĂ©es.
Le premier miracle de la vie ne fut pas le sexe, pardon Michel Houellebecq, on sâen passa trĂšs bien pendant au moins 2 milliards dâannĂ©es. Ce fut lâoxygĂšne. LâoxygĂšne est peu soluble dans lâeau, du moins sa dissolution est lente, dâoĂč la nĂ©cessitĂ© de transporteurs. LâoxygĂšne prisonnier de lâeau (H2O) qui fut libĂ©rĂ© dans lâatmosphĂšre par la chlorophylle Ă©clairĂ©e par le soleil. OxygĂšne qui plus tard fut vĂ©hiculĂ© dans les animaux par le sang. Tout cela grĂące Ă la configuration tĂ©trapyrrolique de ces pigments qui donneraient aussi le sang bleu des mollusques et des nobles quand ils chĂ©latent une molĂ©cule de cuivre. Cet oxygĂšne libĂ©rĂ© allait peu Ă peu former un trio (O3) : lâozone, bouclier molĂ©culaire protĂ©geant la vie naissante des radiations destructrices.
Câest donc bien la photosynthĂšse, propriĂ©tĂ© autotrophique des vĂ©gĂ©taux qui ouvre la voie Ă la vie sur Terre. Sans chlorophylle, lâanimal viendra, prĂ©dateur hĂ©tĂ©rotrophe du vĂ©gĂ©tal, jusquâĂ lâhomme qui pour retrouver son origine devra se rĂ©injecter des chloroplastes et redevenir autotrophe comme nous le suggĂšre Michel Houellebecq dans La PossibilitĂ© dâune Ăźle⊠Mais câest une autre histoire, pas aussi naturelle que celle des microalgues.
Peut-ĂȘtre que vous ne croyez pas aux miracles, pourtant si vous voulez tout savoir sur les microalgues, il va falloir y croire. En effet, sans un microscope, elles sont invisibles, mais se sont rĂ©vĂ©lĂ©es Ă nous au cours des siĂšcles par des miracles soigneusement dĂ©crits et rĂ©pertoriĂ©s dans les religions comme des signaux divins.
Dans la Bible, on voit apparaĂźtre mille ans avant JĂ©sus-Christ des miracles colorĂ©s dans lâeau : « Toutes les eaux du fleuve se changĂšrent en sang. Les poissons du fleuve crevĂšrent ; et le fleuve sâempuantit, et les Ăgyptiens ne purent plus boire lâeau du fleuve. »
On sait maintenant, grĂące au microscope, quâil sâagit de la prolifĂ©ration dâune microalgue de la famille des dinophycĂ©es (Noctiluca scintillans) qui probablement provoqua cette marĂ©e rouge. Elle est au clair de lune capable de bioluminescence. Câest lâATP qui donne lâĂ©nergie de cette luminescence : manifestation diabolique car elle est le produit de la rĂ©action de lâenzyme lucifĂ©rase sur la lucifĂ©rine. Jules Verne connaissait bien ce phĂ©nomĂšne quâil cite dans 20 000 Lieues sous les mers.
« Le Nautilus flottait au milieu dâune couche phosphorescente, qui dans cette obscuritĂ© devenait Ă©blouissante. Elle Ă©tait produite par des myriades dâanimalcules lumineux, dont lâĂ©tincellement sâaccroissait en glissant sur la coque mĂ©tallique de lâappareil. »
Quant Ă la mer Rouge, lâune des plus salĂ©es (42 g/l de sel), elle prĂ©sente de temps Ă autre cette couleur Ă cause de deux cyanobactĂ©ries (ex. microalgues bleu-vert) : Trichodesmium erythraeum et Oscillatoria erythraea riches en phycoĂ©rythrine, un pigment rouge caractĂ©ristique de ces espĂšces. Câest ce mĂȘme pigment rouge des algues rouges (les rhodophycĂ©es) qui est le responsable du miracle des « christs sanglants ». Dans certaines Ă©glises, bretonnes de prĂ©fĂ©rence, les christs en croix se mettent Ă sanguinoler Ă certaines saisons Ă cause du dĂ©veloppement sporadique dâune microalgue (Porphyridium cruentum). Lâhistoire (naturelle) veut que ce soient les fidĂšles qui, en se signant, ensemencent rĂ©guliĂšrement les bĂ©nitiers2, contribuant Ă la culture de cette espĂšce qui vit surtout sur les installations portuaires et le littoral marin. Elle voyage trĂšs bien sur la coque des navires dâun continent Ă lâautre.
Si les christs des Ă©glises peuvent saigner, le sang peut aussi pleuvoir Ă certaines saisons plus au sud. Le miracle des « pluies sanglantes » est dĂ» au dĂ©veloppement massif et rapide dâHaematococcus pluvialis quand une forte luminositĂ© suit une pluie abondante. Cette chlorophycĂ©e pour protĂ©ger son chloroplaste sensible Ă lâexcĂšs de lumiĂšre fabrique un carotĂ©noĂŻde rouge, lâastaxanthine, qui lui donne la couleur du sang, dâoĂč son nom qui Ă©voque lâhĂ©moglobine.
La neige elle-mĂȘme nâest pas Ă lâabri des miracles. Câest le Chlamydomonas nivalis qui se cache dans les « neiges sanglantes » accumulant lui aussi un carotĂ©noĂŻde rouge, lunettes de soleil de son chloroplaste Ă©bloui par la lumiĂšre. Aristote parlait dĂ©jĂ du phĂ©nomĂšne au IIIe siĂšcle avant JĂ©sus-Christ aux pĂ©ripatĂ©ticiens du LycĂ©e dâAthĂšnes.
Bien quâil ne sâagisse pas dâune microalgue mais dâune levure, la Rhodotorula glutinis, on peut aussi Ă©voquer le « miracle des hosties sanglantes ». Sur les hosties mal conservĂ©es dans lâhumiditĂ© et au jour, prolifĂšre cette levure qui elle aussi contient un carotĂ©noĂŻde rouge sang.
Un dĂ©tour par la mer Morte, sursalĂ©e, mais pas morte, grĂące Ă Dunaliella salina, une petite chlorophycĂ©e, rose Ă cause du bĂȘtacarotĂšne quâelle concentre dans sa cellule quâune microcrevette dĂ©diĂ©e Ă la dĂ©esse ArtĂ©mis, lâartĂ©mia, dĂ©vore allĂšgrement en en gardant la couleur rose. Couleur rose qui Ă son tour passera dans les ailes dâun oiseau planctonivore. Le mĂąle pourra exhiber ses ailes roses pour sĂ©duire3 la femelle en lui dĂ©clarant sa flamme en rose. Qui eĂ»t pu croire quâune microalgue pourrait ĂȘtre Ă la base de la sĂ©duction ? Mais au fait pourquoi madame flamant rose (Phoenicopterus roseus) est-elle moins rose que monsieur ? Parce quâelle va cacher son carotĂ©noĂŻde dans le jaune dâĆuf qui, grĂące Ă ses propriĂ©tĂ©s antioxydantes, protĂ©gera le dĂ©veloppement du poussin.
Ce Phoenicopterus est connu des anciens sous le nom de PhĆnix qui va construire son nid en Ăgypte tous les sept ans, Ă©tale ses ailes au soleil et sâenflamme. Le lendemain matin, il renaĂźt de ses cendres. Câest ce vieux mythe qui est aujourdâhui mis Ă profit par les IsraĂ©liens qui cultivent Dunaliella salina dans des grandes lagunes amĂ©nagĂ©es pour vendre du bĂȘtacarotĂšne. La famille Dunal devrait toucher une redevance car câest le botaniste camarguais Dunal qui lui donna son nom Ă la fin du XIXe siĂšcle.
Au Ier siĂšcle, Pline lâAncien parle dans ses histoires naturelles de flos salis ou fleurs de sel, couleur de rouille Ă cause du carotĂšne de Dunaliella agglutinĂ©e par le glycĂ©rol quâelle produit. Flos salis Ă©tait une base des parfums de la Rome antique.
De nos jours, on ne parle plus de miracles mais de marĂ©es : marĂ©es vertes, jaunes, orange, roses, rouges et mĂȘme blanches. PĂ©riodiquement, des marĂ©es blanches de plusieurs hectares sont dĂ©celĂ©es par des satellites. Il sâagit dâune diatomĂ©e au joli nom dâEmiliana huxleyi. Cette Emiliana sâentoure dâune coque joliment ouvragĂ©e de carbonate de calcium qui peu Ă peu sâalourdit et la prĂ©cipite au fond des ocĂ©ans, engendrant les couches sĂ©dimentaires sur lesquelles nous marcherons plus tard.
Mais on ne va pas « en faire une montagne ». Et pourtant ! Les alpinistes piĂ©tinent les sĂ©diments calcaires ou siliceux plissĂ©s au cours des temps gĂ©ologiques. Nâest-il pas miraculeux de piĂ©tiner des microalgues fossiles au sommet du Mont-Blanc ou de lâEverest ?
Certaines de ces marĂ©es en couleur sont dangereuses pour lâHomo sapiens amateur dâhuĂźtres, de moules, de coquilles saint-jacques et autres mollusques planctivores au sang bleu Ă cause de certaines microalgues qui produisent des toxines. Toxines qui provoquent des diarrhĂ©es ou des paralysies pouvant mĂȘme entraĂźner la mort mais sont inoffensives pour les mollusques qui sâen rĂ©galent et ne distinguent pas la navicule bleue (Haslea ostrearia), qui donne sa couleur verte et son bon goĂ»t Ă lâhuĂźtre de claire, de la Dinophysis acuminata (gastro-entĂ©rite) ou lâAlexandrium minutum (paralytique). Ces prĂ©sences inopportunes entraĂźnent le retrait des coquillages de la vente Ă certaines pĂ©riodes Ă risque.
La coquille dâhuĂźtre fut le premier bulletin de vote des AthĂ©niens qui dĂ©cidaient ainsi de lâexclusion des Ă©trangers. Câest lâorigine de lâostracisme.
Gomara, le secrĂ©taire de CortĂšs, conquistador espagnol, a Ă©crit que les AztĂšques « rĂ©coltent une sorte de boue bleu-vert qui stagne sur les eaux du lac du Mexique. Puis, ils la font sĂ©cher pour en faire des stocks de galettes quâils consomment ». La galette sâappelle le tecuitlall. Câest la spiruline. Elle Ă©tait aussi rĂ©coltĂ©e au Kanem au nord-est du Tchad par les Kanembous.
En Australie, les aborigĂšnes, bien avant la colonisation, rĂ©coltaient des efflorescences brunes flottant sur les lacs, les faisaient sĂ©cher au soleil et sâen servaient comme combustible pour faire la cuisine. CâĂ©taient des colonies de Botryococcus braunii (une microalgue chlorophycĂ©e) remontĂ©es en surface grĂące Ă lâĂ©mission de bulles dâhydrocarbures voisins de ceux du gazole.
Câest ainsi que les microalgues se manifestĂšrent Ă nous bien avant lâinvention du microscope et la classification linnĂ©enne4 qui les dote dâune famille, dâun nom (genre), dâun prĂ©nom (espĂšce) dâorigine grĂ©co-latine qui souvent intĂšgre totalement ou partiellement leur histoire naturelle, leurs lĂ©gendes et leurs miracles, familles Ă©voquant souvent la couleur.
Ainsi le Botryo de Botryococcus, qui vient de bouquet en grec, donne une idĂ©e de la structure de la colonie, la chlamyde de Chlamydomonas Ă©voque bien un bijou grĂ©co-romain qui servait Ă attacher la toge et rappelle la forme du chloroplaste. Le porphyre de Porphyridium Ă©voque bien la couleur et le Cruentum vient de la croix. LâHaematococcus pluvialis parle de lui-mĂȘme (pluie dâhĂ©moglobine), Chlorella le vert, Spirulina la cellule spiralĂ©e, Euglena (petit Ćil, qui est le stigma rouge, premiĂšre esquisse de la rĂ©tine), Dinophysis avec deux fouets, le Trichodesmium avec ses poils5.
Que serions-nous sans poils ? Ce nâest pas le plus mince cadeau Ă©volutif des microalgues ! Nous sommes aussi redevables de notre vision (la rĂ©tine) Ă lâeuglĂšne.
Nâest-ce pas miraculeux ? Surtout quand on ne croit pas aux miracles !