Qu’est-ce qu’un bon professeur ? Chacun d’entre nous garde le souvenir ému d’un maître ou d’un professeur, qui l’a accompagné, encouragé, fait grandir et finalement aidé à se construire. Le 19 novembre 1957, peu après avoir reçu le prix Nobel de littérature, Albert Camus écrivait à Louis Germain, son ancien instituteur : « Quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. » Il faut repartir de ces souvenirs d’enfance pour se demander ce qu’est un bon professeur aujourd’hui.
Le bon professeur est donc celui qui sait faire progresser ses élèves, ce qui peut d’ailleurs être mesuré par des évaluations régulières. Néanmoins, dans cet effort, l’Éducation nationale est confrontée à une difficulté de taille : la dimension du système éducatif. En effet, comment utiliser d’une manière optimale les compétences de chacun dans un ministère qui compte 855 000 professeurs ? Jusqu’ici, l’Éducation nationale a peiné à mettre en place une politique de ressources humaines qui valorise les qualités et les talents individuels de chaque professeur et les articule aux besoins des élèves. La norme qui prévaut est plutôt la gestion administrative de masse, fondée sur l’ancienneté. En dépit de quelques postes à profil, ce que l’on appelle le « mouvement » des professeurs repose sur l’addition de points obtenus par le nombre d’années d’enseignement, le nombre d’années dans un établissement ainsi que le grade ; paramètres auxquels s’ajoutent quelques autres variables comme l’âge ou la situation familiale.
Ce que nous enseigne l’expérience
Le professeur a longtemps été une figure majeure de la République triomphante. Il incarnait l’autorité du savoir et était unanimement respecté. Pour nombre de jeunes gens talentueux issus de milieux modestes, comme pour leurs familles, les métiers d’instituteur et de professeur représentaient une voie de promotion et d’ascension sociale. La littérature des XIXe et XXe siècles regorge de récits qui mettent l’instituteur à l’honneur. Il suffit par exemple de songer au récit que Marcel Pagnol fait de son enfance dans La Gloire de mon père, qui met en scène son propre père, instituteur à Marseille au début du XXe siècle.
Aujourd’hui, l’image du professeur s’est brouillée. Les salaires de début de carrière et les conditions de travail, avec souvent un premier poste en zone d’éducation prioritaire, font que ce métier a cessé d’être attractif pour les jeunes diplômés. En outre, les professeurs n’ont plus la reconnaissance sociale dont ils jouissaient jadis.
Cette situation a une double conséquence : un malaise des enseignants qui se retrouvent souvent confrontés à des situations pour lesquelles ils n’ont reçu aucune préparation, d’une part, et une crise des vocations, d’autre part. Aujourd’hui, l’Éducation nationale peine à attirer les jeunes diplômés, alors qu’elle cherche à recruter un nombre croissant de professeurs. Dès lors le recrutement se révèle difficile.
Ainsi, en 2015, dans les académies de Versailles et de Créteil, plus de 60 % des candidats au concours de professeur des écoles ont été admis65. En outre, tous les postes aux concours de professeur des écoles n’ont pas été pourvus (10 839 sur 11 122), tout particulièrement dans l’académie de Créteil où le ministère a été obligé d’organiser un concours exceptionnel qui a recruté, notamment, des aspirants professeurs des écoles qui avaient échoué aux concours des autres départements. Le recrutement, qui se fait par le biais de concours académiques dans le 1er degré, conduit donc à réserver, pour l’une des académies qui concentrent le plus d’élèves en difficulté, les professeurs les moins bien armés pédagogiquement.
En 2015, l’Éducation nationale proposait 7 200 postes aux différents CAPES – concours qui permet d’enseigner dans le secondaire –, mais seulement 6 154 postes ont été pourvus faute de candidats ayant le niveau minimal requis. La démographie du CAPES de mathématiques s’est ainsi particulièrement détériorée : sur les 1 440 postes ouverts, seuls 1 098 candidats ont été déclarés admis. On note une baisse de 5,1 % des admissibles dans cette discipline alors que le nombre de postes offerts était en hausse de 15,8 %. La situation n’est pas meilleure en anglais, avec 1,2 candidat admissible par poste ouvert.
Après la réussite au concours, les jeunes professeurs sont envoyés dans les écoles et les établissements les plus difficiles. Ce système d’affectation, qui répartit les professeurs en fonction de critères essentiellement comptables et démographiques, est doublement inadapté, voire contre-productif.
Il l’est d’abord pour les enseignants eux-mêmes puisqu’il tend à confronter les jeunes professeurs inexpérimentés à des situations complexes. Le mérite, l’engagement et l’implication de ces jeunes enseignants qui exercent au sein de l’éducation prioritaire ne sont pas valorisés, puisque les barèmes d’avancement privilégient l’ancienneté au détriment des compétences ou des spécificités du poste d’affectation. La conséquence première en est que, souvent, les jeunes professeurs n’auront de cesse de vouloir partir, avec un effet négatif sur la stabilité des équipes, ce qui constitue pourtant une condition essentielle de la réussite des élèves.
Ce dispositif comporte également des conséquences néfastes pour les élèves puisque les mécanismes d’affectation ne cherchent aucunement à favoriser l’adéquation entre les difficultés spécifiques d’un territoire, d’un établissement et des élèves, d’une part, et le profil, les compétences des professeurs, d’autre part. En d’autres termes, le « mouvement » ne cherche pas à apporter une valeur ajoutée dans la réponse aux besoins des élèves et n’a donc pas de conséquence sur leur réussite.
Autre caractéristique du système éducatif français, l’isolement des professeurs et une faible culture du travail en équipe66. Les textes sont pourtant très clairs : l’article L. 912-1 du Code de l’éducation reconnaît l’équipe pédagogique en soulignant « les enseignants travaillent au sein d’équipes pédagogiques ». D’autres instances collectives existent dans les écoles et les établissements, qu’il s’agisse du conseil des maîtres, du conseil d’école ou du conseil pédagogique dans les établissements du second degré. Au cours des dernières années, l’introduction du socle commun, le développement de l’accompagnement personnalisé ou encore l’importance croissante de l’interdisciplinarité ont d’ailleurs renforcé la nécessité du travail en équipe.
Aujourd’hui encore, la définition hebdomadaire du temps de service des enseignants est trop rigide pour couvrir la réalité des missions des enseignants, qui ne se limitent pas au temps d’enseignement en classe. Cette définition ne correspond plus à la réalité des besoins des élèves qui évoluent tout au long de l’année (temps de l’orientation, de l’aide individuelle, temps de l’évaluation de l’élève, et de rencontre avec les parents).
La question salariale constitue également l’une des raisons du manque d’attractivité du métier de professeur. Un professeur est payé selon un traitement indiciaire et des primes limitées. Jusqu’ici, l’avancement de sa carrière se faisait surtout à l’ancienneté avec une pondération au mérite, matérialisée par le « grand choix » et le « choix », procédures accélérées pour évoluer à un échelon supérieur. La rémunération des professeurs français est juste dans la moyenne des pays de l’OCDE. L’écart avec l’Allemagne est conséquent, surtout en début de carrière, alors que les rémunérations en fin de carrière opèrent en France un rattrapage. Ainsi, un professeur des écoles français gagne 2 000 euros brut par mois, hors indemnités en début de carrière et 3 400 euros brut par mois, toujours hors indemnités, en fin de carrière.
La réforme engagée au printemps 2016 par l’Éducation nationale tente de rattraper ce retard salarial mais les augmentations sont universelles et ne cherchent pas à valoriser l’implication et les résultats individuels des professeurs. Les services rendus à l’institution sont récompensés après coup, après vingt-huit ans de carrière… De plus, le seul avancement au mérite qui existait jusque-là a été supprimé : la durée des échelons est la même pour tous.
Enfin, au-delà de la question salariale, les carrières des professeurs restent très linéaires. En effet, en dehors du passage de la « classe normale » au statut « hors classe », de l’accession au corps des agrégés ou du changement d’affectation, les possibilités d’évolution demeurent très limitées, et les mesures annoncées en mai 2016 ne changent pas fondamentalement cet état de fait. Les prises de responsabilités au sein de l’école ou de l’établissement restent très réduites et les détachements et mobilités fonctionnelles le sont tout autant.
L’étanchéité entre le primaire et le secondaire est à peu près entière, alors que la loi de refondation de l’école de 2012 prône un renforcement de l’articulation entre école et collège. Dans le secondaire, l’étanchéité entre les corps conduit ceux qui ont choisi d’exercer des fonctions de direction à rompre définitivement avec l’enseignement, tout comme ceux qui rejoignent les corps d’inspection.
Finalement, contrairement aux autres corps de l’administration, il n’existe pas pour les professeurs de trajectoire type qui permettrait d’accéder à l’emploi immédiatement supérieur, impliquant de nouvelles responsabilités et donc une évolution de son parcours professionnel vers un tout autre métier. Les perspectives d’évolution offertes aux enseignants sont donc à la fois ténues et extrêmement balisées.