Un New Deal pour l'Europe
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Un New Deal pour l'Europe

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Un New Deal pour l'Europe

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À propos de ce livre

Ce livre pose une question brûlante: la construction européenne constitue-t-elle encore un but qui puisse être partagé par les États et légitimé par leurs citoyens? Dans cet essai d'économie politique, Michel Aglietta et Thomas Brand ne se contentent pas d'analyser les ressorts monétaires de la crise actuelle. S'ils montrent que l'euro est une monnaie étrangère et incomplète, ils vont bien au-delà en mettant au jour les facteurs de divergence qui ont entraîné les déséquilibres commerciaux et industriels de la zone euro. Dénonçant au passage nombre d'idées reçues– sur le rôle des dettes publiques dans la crise ou sur la compétitivité–, ils dressent un réquisitoire sévère des politiques menées depuis 2010, qui ont trop souvent pris les symptômes pour les causes. Surtout, ils font des propositions liant étroitement la réforme de la gouvernance européenne à un véritable projet de croissance. Car une conviction forte les anime: il ne suffit pas de redéfinir le mandat de la Banque centrale européenne ou de mettre en place l'union bancaire – mesures ô combien nécessaires–pour redonner confiance aux citoyens désabusés. Il faut aussi partager les politiques industrielles et mettre en œuvre des projets régionaux communs. C'est seulement en construisant ce New Deal que l'on redonnera sa chance à l'Europe. Michel Aglietta est professeur émérite à l'université Paris-X-Nanterre, conseiller scientifique au Cepii et à Groupama-AM. Thomas Brand est chargé de mission au département économie-finances du Centre d'analyse stratégique.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2013
ISBN
9782738177117
Chapitre 1
Les antécédents de l’euro

C’est une banalité de remarquer que les questions monétaires en Europe s’organisent autour de l’Allemagne. Il en est ainsi depuis plus de quarante ans, depuis que le système de Bretton Woods a commencé à agoniser avec la dévaluation de la livre sterling en novembre 1967. Les pressions spéculatives contre le dollar ont suivi très vite et ont forcé les banques centrales du G10 à abandonner la régulation du marché de l’or au prix de 34 dollars l’once. En même temps, l’onde de choc des événements de Mai 68 en France a provoqué le besoin d’une dévaluation du franc français et d’une réévaluation du Deutsche Mark en 1969, lesquelles entraînèrent les premières perturbations de la politique agricole commune qui était fondée sur un prix unique des céréales dans les six pays fondateurs du Marché commun. Dès cette époque, l’idée d’une coopération monétaire européenne acquit une expression officielle avec le mémorandum de Raymond Barre, alors commissaire européen.
Le projet d’union monétaire hanta donc le monde des « autorités monétaires » pendant trente ans avant sa réalisation en 1999. En vérité il y eut deux tentatives. L’une prit le nom de plan Werner en 1970, du nom du Premier ministre luxembourgeois de l’époque. Elle avorta sans avoir jamais été mise en œuvre. L’autre fut amorcée par le plan Delors en 1989. Elle aboutit à la décision solennelle du Conseil européen, le 9 décembre 1991, de préparer une union monétaire. Entre les deux, les années 1970 furent celles du chaos monétaire : la grande inflation mondiale attisée par les deux chocs pétroliers, la baisse vertigineuse du dollar et l’explosion du prix de l’or, la dislocation des taux de change entre les pays européens et la menace sérieuse d’un recul de l’intégration commerciale.
Un changement d’attitude politique remarquable se produisit alors en Allemagne. Très préoccupé par la détérioration de la situation monétaire internationale et par le coup d’arrêt à l’intégration économique européenne, le chancelier de la République fédérale d’Allemagne Helmut Schmidt se convainquit qu’il fallait découpler les monnaies européennes du dollar et créer une zone de stabilité des changes entre les monnaies européennes. Il reçut l’appui du président français Valéry Giscard d’Estaing qui partageait les mêmes inquiétudes. Le système monétaire européen (SME) naquit en 1978 à l’initiative du fameux couple franco-allemand.
Pour comprendre pourquoi et comment on est passé d’un système de stabilité des changes à une monnaie commune qui rencontre d’énormes difficultés de gouvernance, processus qui n’avait aucune inéluctabilité économique causale, il faut d’abord saisir l’économie politique des rapports européens. Celle-ci est entièrement dominée par la place, à nulle autre pareille, que tient la monnaie dans la fondation même de l’ordre politique allemand. La monnaie est constitutive de l’ordo-libéralisme qui s’est institué dans la Loi fondamentale allemande de 1948, donc de la légitimation populaire du pouvoir souverain. La monnaie est antérieure philosophiquement et chronologiquement à la République fédérale, donc au gouvernement. Cette antériorité est inverse de celle de tout autre pays. On retrouve ce pivot inébranlable dans l’acte fondateur de l’unité allemande en 1991. C’est le Deutsche Mark qui a décidé Helmut Kohl de choisir l’unification politique immédiate au lieu du processus de rapprochement progressif des deux États allemands qui avait les faveurs de tous les leaders politiques occidentaux et de Gorbatchev. La Loi fondamentale s’est appliquée à la grande Allemagne sans qu’absolument rien soit changé aux institutions. Tout ce qu’avait été la RDA, un État puissant, a été littéralement et instantanément volatilisé.
Après avoir compris ce qu’est l’ordo-libéralisme, on pourra poser théoriquement le problème de l’union monétaire à la lumière des théories des zones monétaires optimales, identifier quelles sont les théories pertinentes et celles qui ne le sont pas et saisir ainsi les différences entre le plan Werner et le plan Delors.
Racines et principes de l’ordo-libéralisme
Les racines de l’ordo-libéralisme
L’Allemagne, unifiée une première fois par Bismarck en 1871 dans l’Empire wilhelminien, est une nation très récente à l’aune de la nation française qui s’est formée depuis l’élection d’Hugues Capet en 987. Pendant de nombreux siècles l’Allemagne a été un territoire morcelé en de nombreux « États », faibles et s’épuisant en escarmouches guerrières continuelles sous couvert du Saint Empire romain germanique, incapable d’organiser et de coordonner les pouvoirs publics dans la multitude des principautés, seigneuries et villes libres qu’il englobait. Sur cet ensemble ravagé par les épidémies de peste depuis 1348, la Réforme luthérienne sema les germes d’une guerre civile rampante, déguisée en guerre de religion après l’abdication de Charles Quint en 1556 qui scinda le Saint Empire entre une branche espagnole et une branche autrichienne des Habsbourg. La querelle entre catholiques et protestants pour la succession de l’empereur en 1619 déclencha l’abominable guerre de Trente Ans que l’Espagne et la France cherchèrent à attiser pour leurs intérêts propres jusqu’à la paix de Westphalie en 1648. Ce traité décida du destin politique de l’Allemagne pour plus de deux siècles en ossifiant la coexistence d’une mosaïque de petits États épuisés, trop faibles pour engager une unification par la négociation ou par l’absorption. Plus fondamentalement il inscrivit la prépondérance des communautés et des régions au plus profond des comportements individuels.
L’historien Johannes Willms (2005) rend compte admirablement de ce qu’il appelle la « maladie allemande » et qui éclaire les valeurs que porte le peuple allemand jusqu’à nos jours. Car il s’agit de l’unité d’un peuple par une culture, plutôt que d’une nation homogénéisée par la volonté générale résultant d’un processus électif, telle que la souveraineté démocratique est sortie de la nation française.
La fragmentation issue du traité de Westphalie a sédimenté une multitude de « villes libres » de petite taille, fermées aux courants d’échange et régies par des droits coutumiers immuables. L’organisation économique dans ces villes, qui n’aspiraient qu’à l’état stationnaire, était celle des corporations. C’est dans ces villes autosuffisantes que s’est imposée la prépondérance de la petite bourgeoisie, nourrissant une haine viscérale de ce qui pouvait perturber l’ordre existant : les « étrangers » de toute nature et surtout les Juifs. Dans ces villes, le contrôle social ne faisait aucune différence entre la sphère privée et le domaine public. Toutes les menaces pour l’ordre social étaient tournées vers l’extérieur. En même temps, le corporatisme avait élevé au paroxysme les valeurs efficaces dans l’artisanat : la compétence professionnelle, la discipline du travail, le sens de la hiérarchie. Ces valeurs n’ont pas disparu avec l’industrialisation poursuivie à marche forcée par Bismarck, bien que les corporations et l’autarcie des petites villes aient été détruites. Une loi de 1894 créa le système de la gouvernance partenariale, toujours en vigueur aujourd’hui, pour organiser les relations entre le capital, le travail et l’État. Les conseils d’administration des entreprises sont surplombés par des conseils de surveillance où siègent les parties prenantes de l’entreprise au niveau local. Les buts des entreprises ne sont pas de maximiser la valeur actionnariale, mais de transmettre des entreprises profitables entre les générations. C’est pourquoi la prudence financière est de mise. Des entreprises, qui ont bien plus de cent ans d’existence et qui sont des leaders mondiaux dans leurs niches de production de machines, autofinancent leurs investissements. Corrélativement, leurs familles propriétaires continuent à vivre discrètement dans les petites villes où ces entreprises ont été fondées.
On retrouve donc intégralement les valeurs du corporatisme dans le Mittelstand, la nébuleuse des PME qui est le socle de la compétitivité de l’industrie manufacturière allemande. Seule en Europe l’Allemagne est capable de faire localement de l’apprentissage le vecteur du capital humain spécifique, directement adapté aux besoins des PME. Seule elle a établi des liens locaux étroits entre les groupements de PME et les établissements éducatifs sous l’égide des collectivités locales pour former les qualifications ajustées à une innovation incrémentale continue.
La formation professionnelle est organisée dans 344 professions au niveau local et enrôle près de 50 % des élèves de lycée dans une formation duale, dont les stages d’apprentissage sont une composante importante. Les écoles sont fournies par les gouvernements locaux et la responsabilité de l’enseignement est assumée conjointement par les unions syndicales et les fédérations patronales. C’est ainsi que se reproduit l’élite ouvrière et artisanale qui forme le travail hyperqualifié de l’industrie allemande.
Lorsque le capitalisme se développa à grande allure dans le dernier tiers du XIXe siècle, que la concurrence et le libéralisme se répandirent avec l’unification du marché, la petite bourgeoisie ne fut plus hermétiquement protégée, comme elle l’avait été dans les siècles antérieurs, par les barrières économiques du particularisme local. Les valeurs petites-bourgeoises se muèrent en culture de classe moyenne, représentée politiquement par un puissant parti politique, le Zentrum, puis dans la république fédérale par la CDU. Cette classe moyenne porte une idéologie de la normalité sociale qui est toujours fondée sur des intérêts communautaires. Ses valeurs dans la sphère économique sont toujours le zèle dans le travail et le goût de l’épargne, corrélativement le dégoût de la consommation ostentatoire. Elle nourrit également une conception conservatrice de la répartition des rôles sociaux entre les genres, créant une forte pression morale pour cantonner les femmes avec enfants dans les terres familiales. Aucune politique familiale n’encourage le travail des femmes mariées. Outre l’ostracisme social, la pénurie aiguë de crèches est un obstacle rédhibitoire.
Cette classe moyenne s’est gonflée de catégories professionnelles liées aux transformations de la division du travail et au vieillissement de la population : employés, fonctionnaires subalternes, retraités et rentiers. La classe moyenne inspire entièrement la politique économique et sociale, de sorte qu’une menace supposée contre ses intérêts est perçue comme une menace contre la stabilité de la société entière.
La classe moyenne porte aussi d’autres traits culturels hérités et transformés du particularisme de la bourgeoisie dans les villes fermées. Après l’échec de la Première Guerre mondiale, ces traits culturels enracinés ont été exploités par les partis conservateurs, au premier chef par le parti nazi. Ce sont le nationalisme, l’antisémitisme et le populisme. Hitler a su exalter l’État national fondé sur la « communauté du peuple » excluant tout ce qui était étranger, tout en faisant alliance avec les intérêts du capitalisme industriel. La classe moyenne dans sa quasi-totalité accorda inconditionnellement son appui au parti hitlérien, plongeant l’Allemagne dans le délire collectif qui allait mener à l’effondrement total du pays.
L’ordo-libéralisme est né dans cette période des années 1930 comme un mouvement intellectuel, l’école de Fribourg-en-Brisgau. Nourri des valeurs culturelles enracinées dans le communautarisme, ce courant de pensée voulait produire sur ce socle un système politique de l’après-nazisme pour faire barrage au retour des dérives totalitaires. Il visait à établir un ordre juridico-politique capable de concilier les valeurs communautaires des classes moyennes allemandes et le libéralisme économique, supposé mettre une barrière à la capture de ces valeurs par le totalitarisme politique. Les grandes figures de ce mouvement intellectuel furent l’économiste Walter Eucken, le juriste Hans Grosmann Doerth et le sociologue Wilhelm Röpke. Après l’effondrement du Reich nazi, l’école s’est transformée en communauté épistémique pour intervenir sur l’opinion publique allemande et pour infléchir le questionnement des Alliés sur le futur de l’Allemagne. Ses protagonistes furent aidés par le début de la guerre froide en 1947-1948 qui incita les dirigeants américains à reconstituer une puissance allemande. Comme le rappellent Fabrice Pesin et Christophe Strassel (2006), l’adoption politique des principes ordo-libéraux a été l’œuvre de Ludwig Erhard qui les fit accepter par le parti chrétien-démocrate. La longue carrière d’homme d’État de Erhard, d’abord ministre des Finances du gouvernement Adenauer, puis chancelier lui-même, fit de l’idéologie ordo-libérale la doctrine immuable de la politique économique allemande.
Les principes de l’ordo-libéralisme
L’ordo-libéralisme établit un lien indissoluble entre les institutions politiques et l’organisation économique. Il est tout autant étranger à l’économie mixte keynésienne, qui prône l’action souveraine de l’État sur la régulation économique, qu’à l’ultralibéralisme thatchéro-reaganien, qui clame la toute-puissance du marché et le retrait de l’État sur les fonctions régaliennes.
Dans ordo-libéralisme il y a avant tout « ordre », qui codifie dans des règles de droit les aspirations morales de la classe moyenne allemande. Ces normes juridiques, qui furent instituées dans la Loi fondamentale de 1948, sont au-dessus de la souveraineté politique. Elles s’imposent à tout changement de majorité. Elles ne pourraient être changées que par une transformation de la société dans ses valeurs morales les plus incorporées. Il s’ensuit que la notion d’État de droit en Allemagne a un sens beaucoup plus fort que dans les autres pays. Comme le constate à juste titre Marie-France Garaud (2010), le garant ultime de la loi n’est pas le Bundestag, c’est la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. En France le suffrage universel crée le droit, en Allemagne il découle du droit. Il est impossible de concevoir deux vues plus opposées de ce qu’est la souveraineté de la nation.
L’ordre juridique fait barrage à tout pouvoir arbitraire, qu’il vienne de la capture de l’État par une majorité politique ou par des groupements d’agents privés, monopoles, cartels, lobbies. Mais l’État n’est nullement minimal vis-à-vis de l’économie. L’ordo-libéralisme a un point de vue pessimiste sur l’autorégulation du marché. Il rejette le postulat selon lequel la concurrence parfaite est un état naturel vers lequel l’économie tend si elle n’est pas entravée par des « restrictions légales ». Au contraire, la règle juridique doit guider à la fois les interactions entre l’État et le marché pour empêcher les distorsions provoquées par des interventions discrétionnaires et les forces endogènes du marché, dont le jeu spontané conduirait inéluctablement à constituer des pouvoirs dominants. Il s’ensuit que l’État ne doit intervenir dans les mécanismes de marché que pour éviter les distorsions dans le système des prix. Mais il doit inscrire son action dans le cadre institutionnel du marché par ses politiques économiques. Pour que cette action ne risque pas de dériver vers un pouvoir arbitraire, elle doit être confiée à des autorités indépendantes.
L’ordo-libéralisme institue donc une véritable constitution économique dont la clé de voûte est la monnaie. Comme l’a dit dans une boutade Jacques Delors en 1992 : « Tous les Allemands ne croient pas en Dieu, mais tous croient en la Bundesbank. » La monnaie est le ciment de la nation parce qu’elle établit le lien de confiance le plus général. Elle préserve les intérêts des épargnants, la conservation des patrimoines et l’autonomie des États régionaux, eux-mêmes responsables des politiques de soutien aux PME. Il s’ensuit que la stabilité de la monnaie n’est pas un objectif au même titre que dans les politiques monétaires anglo-saxonnes, où les objectifs de plein-emploi et de stabilité des prix sont les arguments d’un arbitrage selon une fonction de préférence collective qui découle du débat démocratique. En Allemagne, c’est un impératif catégorique de la Loi fondamentale. La stabilité de la monnaie est constitutive de l’ordre social au-delà du politique. On verra dans le chapitre suivant les énormes problèmes qu’une telle conception de la politique monétaire peut poser lorsqu’elle est projetée sur l’espace de l’union monétaire européenne.
Pour obtenir la stabilité des prix et des revenus, la Bundesbank s’appuyait sur les organisations des partenaires sociaux. En effet, l’économie allemande a été définie par les théoriciens ordo-libéraux comme étant une « économie sociale de marché ». Un contresens serait d’y voir une économie de marché au sens anglo-saxon du marché de concurrence parfaite, mâtinée de considérations de justice sociale par des politiques redistributives. Celles-ci n’ont qu’une importance secondaire en Allemagne et sont de la responsabilité des États régionaux. L’économie sociale de marché est le produit de l’ordre juridique défini ci-dessus. Cet ordre garantit que tous les acteurs économiques sont dans l’incapacité d’établir des positions de pouvoir les uns sur les autres. Mais ils forment des organisations intermédiaires pour exprimer et défendre leurs intérêts légitimes. Sont légitimes les intérêts économiques qui ne menacent pas la stabilité des prix et qui respectent les règles de concurrence. La formation des salaires doit être négociée par les organisations des salariés et des employeurs dans le cadre institutionnel approprié des secteurs et des États fédérés. La négociation collective, lorsqu’elle concerne les secteurs privés, doit être protégée de toute interférence étatique. Loin d’être considérée comme un obstacle au libre marché, elle fait partie des processus concurrentiels. Les relations entre les managers des entreprises et les travailleurs qualifiés sont établies dans un cadre de négociation qui n’élude pas les conflits et qui est conçu pour conclure des compromis, tout en facilitant la mobilité.
La Bundesbank fait partie du cadre institutionnel du marché. Elle est donc en extériorité par rapport aux mécanismes de marché. Elle annonce le contexte dans lequel doit se dérouler la négociation des revenus et des prix en énonçant la norme de l’évolution du niveau général des prix pour la période de validité des contrats collectifs négociés. Cette norme est fondée sur l’estimation que la Bundesbank fait des capacités de production de l’économie et de leur évolution, donc de la croissance potentielle. Elle assortit son annonce d’une mise en garde selon laquelle tout débordement de la demande agrégée sur le potentiel d’offre créerait des pressions inflationnistes qui seraient combatt...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Sommaire
  5. Remerciements
  6. Introduction - La quadrature européenne
  7. Chapitre 1 - Les antécédents de l’euro
  8. Chapitre 2 - L’instauration de l’euro et ses effets
  9. Chapitre 3 - L’impact de la crise financière sur la zone euro (2007-2010)
  10. Chapitre 4 - Une succession d’erreurs politiques et économiques depuis 2010
  11. Chapitre 5 - Quelle union politique pour la zone euro ?
  12. Chapitre 6 - Quelle croissance pour l’Europe ?
  13. Conclusion - Plaidoyer pour le courage politique
  14. Bibliographie
  15. Index
  16. Ouvrages de Michel Aglietta