Souffrir ou aimer
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Souffrir ou aimer

Transformer l'émotion

  1. 256 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Souffrir ou aimer

Transformer l'émotion

Détails du livre
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Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Tous, nous voudrions cesser de souffrir, mais seul l'amour véritable détient le pouvoir de nous guérir. Trop souvent nos émotions mal comprises, nos blessures d'enfance et nos réactions égotiques nous condamnent à répéter relations insatis-faisantes et comportements destructeurs. Christophe Massin, inspiré par l'enseignement du maître indien Swami Prajnanpad, montre comment l'émotion, lorsqu'elle est transformée par un travail d'acceptation, offre justement la voie royale qui peut nous pacifier et nous permettre d'accéder à l'amour de soi et de l'autre. Ce cheminement intérieur qui unit psychothérapie et spiritualité, il l'illustre à travers le parcours d'un homme et d'une femme engagés dans cette aventure libératrice. « Ce livre nous convie à un amour libre et joyeux. » Alexandre Jollien Christophe Massin est psychiatre, familier de la spiritualité indienne. Il a notamment publié Le Bébé et l'Amour (1996) et Réussir sans se détruire. Des solutions au stress du travail (2006).Souffrir ou aimer a reçu le Prix Psychologies Fnac 2014.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2013
ISBN
9782738176325

Première partie

MOI SEULEMENT

CHAPITRE 1

L’origine de la souffrance

« Soyez d’abord convaincu que toutes vos souffrances viennent de vos attirances et de vos répulsions(1). »
Pourquoi m’apparaît-il nécessaire de distinguer souffrance et émotion ? D’abord, parce que ces deux réalités ne se recouvrent pas, l’émotion comportant un éventail de ressentis positifs. Mais même les émotions dites négatives (tristesse, colère, peur) ne se confondent pas avec la souffrance. Grâce à un travail intérieur, on expérimente la possibilité d’éprouver ces trois émotions sans souffrir.
Des définitions plus précises se révèlent indispensables en pratique, pour bien distinguer les étapes de la transformation depuis le début. Tout événement ayant un certain impact sur nous engendre un ressenti dont la coloration varie du plus sombre au plus lumineux, du plus désagréable au plus heureux. Le désagréable s’étale du gris clair au noir, avec toutes les nuances intermédiaires : de l’ennui, du mal-être à la souffrance insupportable. Étant sensibles, à moins de nous anesthésier, nous ne pouvons éviter de ressentir ce qui nous affecte physiquement et psychiquement. Notre réaction comporte un mélange de sensations et d’émotions que nous qualifions de bonnes ou mauvaises, d’agréables ou désagréables. C’est la pensée qui fonctionne en catégorisant ces paires d’opposés, bien/mal, beau/laid, agréable/désagréable, gentil/méchant, etc. La catégorisation repose sur une paire plus fondamentale, biologiquement ancrée en nous, le couple plaisir/douleur-souffrance.
L’étymologie de « souffrir » indique que nous subissons une situation qui s’impose sans notre consentement et qui pèse sur nous. Cette situation peut aussi bien être extérieure – je me sens rejeté par une personne que j’aime – qu’intérieure – j’ai des accès d’angoisse incontrôlables, alors qu’il ne se passe rien de spécial dans mon existence. Je définirai la souffrance comme ce mélange complexe d’émotions, de sensations et de pensées, dans le registre du désagréable, et déclenché par une situation que nous subissons. Plus intense qu’une réaction, elle dure aussi davantage, épuisant notre énergie. Elle nous mine et atteint notre élan vital.
L’émotion ne dispose pas non plus d’une définition scientifique consensuelle, même si son importance dans la vie psychique, comme moteur dans l’adaptation aux modifications de l’environnement, est reconnue depuis Darwin. Je me baserai sur ce que chacun peut constater par lui-même empiriquement. L’émotion correspond à une variation de notre ressenti intérieur plus éphémère déclenchée par un événement qui se détache de la routine. Elle s’accompagne de modifications physiologiques plus ou moins perceptibles et tend à modifier notre comportement en nous poussant à réagir.

Émotions primaires et secondaires

On peut distinguer une gamme très variée de climats émotionnels, mais la pratique thérapeutique m’a conduit à m’appuyer sur la distinction entre deux grandes catégories d’émotions :
– Les émotions primaires ou fondamentales présentes dès la naissance, avant toute mentalisation. Leurs caractéristiques sont reconnaissables par tous, au-delà des différences culturelles, et nous savons même les percevoir chez certains animaux. Ce sont la peur, la tristesse, la colère, la joie, le dégoût, la surprise. Elles ont chacune leur tonalité particulière, incluant un ressenti spécifique et un schéma de réaction.
– Les émotions secondaires qui apparaissent dans le cadre des relations avec autrui et où la pensée intervient sous la forme d’un jugement ou d’une comparaison. Ce sont la honte, la peur du jugement d’autrui et du rejet, le dégoût de soi. Dans cette catégorie, j’inclus également des sentiments tels que la culpabilité, l’envie, l’humiliation, la jalousie, la haine qui présentent des caractéristiques communes avec les émotions secondaires : la relation avec autrui, la pensée et le jugement y jouent un rôle central.
Selon ces définitions, l’émotion douloureuse, composante simple et temporaire, ne se confond donc pas avec la souffrance, plus complexe et durable. Nous verrons qu’il est possible de vivre la colère sans souffrir, la tristesse sans souffrir et la peur sans souffrir. Toute émotion s’accompagne de sensations physiques plus ou moins intenses. Ces dernières ne constituent donc pas l’élément qui crée la différence.
C’est un fonctionnement particulier de la pensée qui provoque le basculement dans la souffrance. Les personnes qui entreprennent un travail avec moi peinent à distinguer souffrance et émotion. Pourtant, le passage d’un état de souffrance à des émotions déterminées constitue une étape fondamentale. Si quelqu’un recherche une aide, c’est que, au minimum, il se trouve confronté à une difficulté qu’il ne parvient pas à surmonter. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ressente consciemment la souffrance qui l’habite dans toute son ampleur. Habituellement des défenses se sont mises en place pour l’atténuer ou l’occulter complètement, avec des mécanismes de compensation et d’évitement.

Souffrance sourde ou lancinante

Recevant pour la première fois Adam, je suis intrigué. Voilà un homme d’une belle prestance physique, au visage intelligent, éclairé par des yeux verts et un sourire charmeur, chez qui rien ne trahit une souffrance. Je lui demande ce qui l’amène à me rencontrer. Il rougit un peu et cherche ses mots : « Je ne suis pas satisfait de ma vie. » Peu à peu son expression devient plus fluide, il me parle d’une psychanalyse qui a duré plusieurs années et qui lui a beaucoup apporté pour mieux se comprendre et faciliter ses rapports avec les femmes. Maintenant, il a l’impression de stagner depuis un an et de tourner en rond dans le même discours. De quoi se trouve-t-il insatisfait ? « De ma vie amoureuse et de mon travail. J’ai une relation avec une femme depuis deux ans mais je ne vis pas avec elle, je n’en suis pas amoureux alors qu’elle est très attachée à moi et voudrait un enfant. Moi, j’ai déjà une fille de 12 ans – j’ai divorcé il y a neuf ans – et je ne suis pas sûr de vouloir un autre enfant et encore moins de m’engager davantage avec cette femme. Sinon, je travaille dans l’informatique et je m’y ennuie de plus en plus, j’ai l’impression de m’étioler. De toute façon, c’est même plus que ça, je me demande quel sens a ma vie, ce que je fais sur Terre, si j’ai quelque chose à y faire… J’ai besoin d’un autre horizon, je ne sais pas trop comment dire. Je trouve que je ne ressens pas grand-chose et, par moments, j’ai l’impression d’être sec, à côté de la vie, à regarder les autres. »
On ne peut pas dire qu’Adam souffre d’une manière évidente. Chez lui, la souffrance se manifeste a minima, à travers cette insatisfaction, comme un inconfort qui ne le laisse pas tranquille – un abcès profond, bien enkysté. Il dort la nuit et n’est pas taraudé par l’angoisse ni par des sentiments dépressifs. L’inconfort suffit pour l’inciter à chercher et à bouger. En même temps, son pouvoir de séduction sur les femmes, une certaine réussite socioprofessionnelle, le rassurent et lui renvoient une image plutôt flatteuse de lui-même. Du fait de ces points d’appui importants, son besoin d’aide va se révéler marqué par l’ambivalence au fil des séances suivantes.
Il s’interroge, il ne va pas si mal, est-il vraiment nécessaire de se relancer dans une thérapie ? De toute façon il ne croit pas au grand amour. Peut-être que rien n’a de sens. Durant toute cette première phase, la souffrance, pas plus que les émotions, n’affleure ouvertement. Il soulève beaucoup de questionnements sur un plan assez général, fait part de ses doutes. Quelles expériences personnelles le conduisent à se poser ces questions sur la vie amoureuse ? Il évoque des séquences du passé, comme des tiroirs qu’il a l’habitude d’ouvrir, étant rompu à ce genre d’exercice après ses années d’analyse : un premier amour à 19 ans où la jeune fille l’avait quitté au bout d’un an, ce dont il avait beaucoup souffert… la médiocre relation de couple de ses parents qui n’offrait pas un exemple très encourageant… Il fait ces liens sans émotion particulière ni sans en être véritablement éclairé, alors que les connexions semblent pertinentes. En l’écoutant, je perçois une souffrance sourde, qui transpire à travers tous ses doutes. Rien n’est pleinement heureux dans sa vie, il se dit qu’il pourrait et même devrait l’être, son existence assez libre ne le confrontant pas à des épreuves ni à des soucis importants. En y regardant de plus près, il se le reproche sans le reconnaître explicitement.
Avec Ève, je découvre un tout autre tableau initial, la souffrance se montrant d’emblée.
Quand elle entre dans mon bureau, je la sens très émue, intimidée, comme si elle s’attendait à ce que je la rabroue. C’est une femme qui doit avoir la quarantaine. Ses vêtements dissimulent sa féminité plus qu’ils ne la mettent en valeur. Elle a un visage agréable, sympathique mais son regard triste et un sourire qui s’excuse lui donnent une expression plutôt douloureuse. Quand je m’enquiers de sa motivation, elle me dit qu’elle suit une démarche spirituelle depuis longtemps, d’abord la prière chrétienne, puis qu’elle a fait beaucoup de yoga, lu de nombreux ouvrages de spiritualité et participé à différents stages de développement personnel. Manifestement, c’est une femme intelligente et sensible, mais qui semble manquer grandement de confiance en elle, ce qu’elle annonce comme l’une des choses dont elle souffre : « J’ai beaucoup de freins. » Qui l’empêchent de réaliser quoi ? « J’ai 39 ans et ma relation avec les hommes, ça ne va pas. Je voudrais avoir un enfant avant qu’il soit trop tard. » Elle semble au bord des larmes. Son dernier compagnon qui l’a quittée récemment n’en voulait pas et vient pourtant d’en avoir un avec une autre femme. Elle pleure pendant un moment. « Ce n’est pas la première fois, déjà à 20 ans j’ai été enceinte et j’ai dû avorter parce que mon ami de l’époque refusait complètement cette grossesse, et ça s’est répété à 32 ans avec un autre homme. » Elle travaille, dans le milieu de l’édition, sous la responsabilité d’une femme un peu plus âgée qui se montre très exigeante avec elle. Elle aime ce qu’elle fait mais vit mal les remarques de sa supérieure, d’autant plus qu’elle déborde déjà largement son temps de travail. Un mot arrive très vite dans sa bouche – échec – et ce mot cristallise autour de lui un ensemble complexe douloureux. Il suffit qu’elle le prononce pour que les larmes commencent à couler. Elle se désigne comme la fautive de cet échec. Pourtant, ce qu’elle me rapporte de sa vie témoigne d’une expérience humaine riche. Elle a accompli des choses professionnellement, voyagé, et su s’entourer de solides amitiés. Malgré sa timidité elle s’ouvre assez rapidement et ne doute pas que je puisse l’aider. Elle attend même beaucoup de cette démarche et de mon aide.
Chez Ève, la souffrance se montre dès le premier entretien, à fleur de peau. La plaie est ouverte et tout, dans la forme, diffère de ce qu’exprime Adam. Au-delà de ce contraste, nous retrouvons les caractéristiques communes de la souffrance : son contour est flou, elle a des racines qui s’enfoncent profondément, reliant souvent plusieurs situations. Le vécu émotionnel est constitué d’une sorte de magma à tonalité sombre dont Ève ne mesure pas l’exacte amplitude. La tristesse prend le devant de la scène, en relation avec un sentiment de rejet par son ex-ami et son désir frustré de maternité, suivie de près par l’angoisse, la peur d’échouer complètement dans sa vie. On peut également déceler de la honte, du ressentiment, de la jalousie.
Pour Adam, c’est une grisaille qui ternit sa vie, sans plus, où il devient plus difficile de distinguer les nuances émotionnelles. Il n’est certes pas joyeux et le terme qui me semblerait le plus approprié, au-delà de l’ennui qu’il nomme lui-même, c’est le mécontentement, forme mineure de la colère. Un mécontentement contre quoi, contre qui ? La vie ? les femmes ? lui-même ? Son attitude laisse aussi transparaître de la méfiance, qui appartient à la famille de la peur, et certains de ses propos suggèrent un vrai fond de culpabilité. Dans son corps, il ne sent rien de spécial, peut-être quelques tensions musculaires, alors qu’Ève souffre de manifestations corporelles bien tangibles, une boule dans la gorge, une oppression dans la poitrine.

Le refus de l’émotion cause
la souffrance

Une tonalité négative infiltre le discours de ces deux personnes. Cette tonalité signe la présence de la souffrance, à la fois à travers le plan verbal et aussi non verbal, distillant une musique reconnaissable, même sans les paroles – la musique de la négativité.
Cette manière négative d’aborder et de penser la réalité, Swami Prajnanpad l’appelait mind que ses élèves français traduisaient par le substantif « le mental ». Il en donnait cette définition lapidaire : « Le mental ne peut ni voir ni accepter ce qui est. Il rejette ce qui est et s’efforce de mettre autre chose à la place(2). » Autrement dit, dès que la réalité nous confronte à une situation qui ne correspond pas à notre attente, nous nous crispons et rejetons ce qui arrive – c’est le refus ; d’autre part, nous nous cramponnons mentalement à ce qui, selon nous, aurait dû se produire – c’est « l’autre chose » produit par notre imaginaire. Si je découvre que quelqu’un qui avait accepté d’effectuer une tâche urgente pour moi ne l’a pas accomplie, je peux identifier ce double mouvement en moi : d’un côté, le refus – je ne peux pas admettre qu’il n’ait rien fait – de l’autre, la création de ma pensée – je répète à l’envi qu’il aurait dû le faire, que c’est incroyable, que moi, quand on me demande quelque chose d’urgent je le fais ou je préviens, etc. La conjonction de ces deux aspects, refus et crispation sur ce qui aurait dû se produire selon mon idée, produit la tension négative de l’émotion. La perception du fait réel s’impose sans relâche à mon esprit et je la chasse chaque fois en réaffirmant ce qui aurait dû être.
Dans le langage courant, la négativité dépeint une attitude où la personne ne relève que ce qui va mal et tend à détruire ou minimiser les aspects positifs. Elle critique et se plaint, et n’envisage rien de bon pour le futur. J’utilise ce terme de négativité en m’appuyant sur l’aspect essentiel établi par Swami Prajnanpad. Quand le Bouddha affirme que la souffrance prend son origine dans le désir, Swami Prajnanpad montre, sous un angle complémentaire, que la souffrance naît de la négation de ce qui est. Selon cette perspective, toute souffrance dérive du refus initial d’un aspect de la réalité, qu’il soit intérieur à la personne ou extérieur. Elle est produite par ce fonctionnement négatif de la pensée, le mental. « Le mental reçoit des coups et se sent blessé parce qu’il s’attend à ce que le monde extérieur se conforme à son désir. Tant qu’il n’est pas convaincu que tout ce qui est à l’extérieur est différent [de ce qu’il veut], le mental recevra des coups à chaque instant(3). »
Dans la souffrance, on refuse non seulement la situation mais aussi l’état émotionnel pénible qu’elle déclenche. Ce point essentiel marque la différence avec l’émotion simple. On se débat à la fois contre l’extérieur et contre soi-même. On voudrait ne pas ressentir ce qu’on ressent. Le refus initial de la situation demeure rarement seul et entraîne avec lui le refus de l’émotion qui surgit, puis une cascade d’autres refus. Si je ne trouve pas les clés de la voiture au moment de partir au bureau alors que mon timing est juste, je commence par refuser de ne pas en disposer immédiatement, puis je réalise que je prends du retard, cela me stresse et je le refuse aussi ; je m’énerve contre ma femme que je ne trouve pas assez coopérante dans ma recherche et qui peut-être les a rangées je ne sais où – je refuse son attitude. Je la refuse plus encore, quand triomphante et excédée, elle me montre qu’elles me narguaient quasiment sous mon nez. Je suis vexé et je ne veux pas l’admettre. Je pars précipitamment et dévale l’escalier, manquant de renverser la voisine. Encore un ou deux grains de sable et malheur à qui se trouvera sur mon passage : dans cet état je n’admets pas de rencontrer le moindre obstacle. Quant au vécu intérieur, il ne brille pas par sa sérénité, je suis tendu, exaspéré, prêt à exploser, et je déteste être ainsi. Souffrance peut sembler un bien grand mot, mais en quelques minutes, pour un incident mineur, j’ai basculé dans un état très désagréable qui, pour un regard extérieur (celui de l’épouse !) ne se justifie pas. Autrement dit, je pourrais en faire l’économie.
Un témoin neutre s’exclamerait : « Ne te mets pas dans un état pareil ! » Cette simple remarque relève bien le fait que ce n’est pas l’événement (la perte des clés) mais la manière dont je le prends qui engendre ce maelström : je n’admets pas mon émotion de contrariété et tout dérape à partir de là. Pourquoi et comment vais-je donc m’infliger un tel traitement ? Je me focalise uniquement sur l’extérieur : j’ai besoin de mes clés et je ne veux rien savoir d’autre. Si elles me trahissent en ne se montrant pas immédiatement, scandale, la vie me met des bâtons dans les roues, juste au mauvais moment. Je commence à me sentir victime d’une malchance, voire à incriminer quelqu’un.
Quand l’existence se montre contraire à mon but du moment, puisque celui-ci me semble légitime, elle se trompe. Pour reprendre Héraclite(4), dans mon monde, mes clés s’offrent à mes yeux dès que j’en ai besoin, je ne suis pas en retard même si je pars à la dernière minute, ma femme est aidante et compréhensive, la voie s’ouvre devant moi quand je suis pressé, etc. En clair, comme la vie m’impose injustement une situation qui me perturbe, il es...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. Préface
  5. Introduction
  6. Première partie. Moi seulement
  7. Deuxième partie. Moi et l’autre ; l’autre et moi
  8. Troisième partie. L’autre seulement
  9. Conclusion
  10. Épilogue
  11. Remerciements
  12. Table des matières
  13. Du même auteur
  14. 4e de couverture