Souffrance psychique des sans-abri
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Souffrance psychique des sans-abri

Vivre ou survivre

  1. 224 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Souffrance psychique des sans-abri

Vivre ou survivre

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Citations

À propos de ce livre

Qui n'a jamais ressenti une gĂȘne devant un SDF allongĂ© sur le trottoir? Pourtant, chaque jour ce sont des histoires de vie et de survie qui se jouent dans la rue. Qui sont ceux qui en arrivent lĂ ? Quels sont leurs parcours?? Quels sont les facteurs de risque qui peuvent conduire Ă  l'exclusion? Comment soigner la souffrance psychique dans de telles situations? Alain Mercuel, mĂ©decin, psychiatre engagĂ© sur le terrain auprĂšs des SDF, nous emmĂšne Ă  la rencontre de ces « habitants de nulle part », prĂšs de ceux qu'on ne veut pas voir. Un tĂ©moignage salutaire pour changer le regard, comprendre les enjeux du soin psychique dans la rue et repenser un lien qu'on peut tisser mĂȘme avec les plus cassĂ©s, les plus exclus, les plus fragilisĂ©s par leurs troubles. Alain Mercuel est psychiatre, chef de service Ă  l'hĂŽpital Sainte-Anne Ă  Paris. Il dirige une unitĂ© d'accĂšs aux soins psychiatriques pour les plus exclus: le SMES (santĂ© mentale et exclusion sociale).

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2012
ISBN
9782738178039
Chapitre 1
Dans la rue : qui souffre ?
Des rencontres en itinérance
SDF et fou. Telle est la situation que l’on peut dĂ©signer par cet acronyme : « Sdouf ». Des comĂ©diens, aprĂšs une expĂ©rience de la rue, ont inventĂ© ce mot en fusionnant SDF avec ouf : « fou » en verlan. NĂ©ologisme Ă©loquent : en associant l’acronyme SDF (qui recouvre une grande diversitĂ© de situations) au mot « ouf », on constate que le verlan amortit l’impact nĂ©gatif du mot. « Fou » lui aussi recouvre une large gamme de souffrances, du simple stress face Ă  une situation de prĂ©caritĂ©, jusqu’à la maladie mentale dans la rue. VoilĂ  donc cette double peine – malade mental et exclu – qui ne facilite pas la rencontre, le soutien, les soins.
Paris. Un printemps comme un autre, le chant des oiseaux, celui de la libertĂ© qui nargue derriĂšre les barreaux d’une cellule. La tour Eiffel. Sur un banc, un homme se tient la tĂȘte dans les mains. On dirait qu’il psalmodie. Des larmes de dĂ©tresse ruissellent sur ses joues. La rencontre semble facile : un genou Ă  terre pour ĂȘtre Ă  sa hauteur, et le contact se fait : trĂšs vite, il nous confie que sa famille a Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©e quelque part en Afrique, dans un pays ravagĂ© par la misĂšre et les conflits armĂ©s. Un peu perdu dans le temps et l’espace, malgrĂ© l’incontournable repĂšre que reprĂ©sente ce gigantesque monument de fer, il ne se reconnaĂźt mĂȘme plus lui-mĂȘme. Autrefois jovial et dynamique, il entraĂźnait une Ă©quipe de foot dans son pays, mais, lĂ , il est Ă©puisĂ©, presque hagard, et s’il s’exprime de maniĂšre intelligible il a du mal Ă  demander de l’aide. De l’Afrique subsaharienne au quai de Javel en pirogue
 ou presque. À ses cĂŽtĂ©s, quelqu’un s’agite, les chaussures Ă©limĂ©es par une improbable randonnĂ©e, hirsute, il vocifĂšre avec un fort accent de l’Est, s’emporte, s’indigne. Il scrute le sommet de cette tour impressionnante, prĂȘt Ă  la haranguer. Comme s’il reprochait Ă  cette fusĂ©e d’acier abandonnĂ©e sur son pas de tir de ne jamais dĂ©coller vers le ciel. Brusquement, il se lĂšve et apostrophe avec vĂ©hĂ©mence un des gardiens de proximitĂ©, le tenant pour responsable du retard Ă  l’allumage sans doute.
Deux hommes, deux histoires, deux destins, deux SDF, pourtant Ă©trangers l’un Ă  l’autre. D’un cĂŽtĂ©, un Africain francophone, en Ă©tat de choc traumatique, en perte de repĂšres, de l’autre un EuropĂ©en de l’Est, dĂ©lirant, concentrĂ© sur la mise en orbite de la tour Eiffel. Un triste point commun les unit : celui d’une insupportable souffrance psychique. La comparaison s’arrĂȘte lĂ . EntrĂ©e en matiĂšre Ă©vidente pour des professionnels de la psychiatrie, certes, mais tous les aidants de la rue n’ont pas une formation psy. Certains sont sensibilisĂ©s ou informĂ©s par leur cursus professionnel ou plus prosaĂŻquement lors des Ă©changes au sein de structures d’aide aux SDF. Cela ne retire rien Ă  la qualitĂ© relationnelle que ces aidants peuvent mettre en place, mais les rencontres se construisent dans l’instant et certainement pas sur le mode de saisie informatique du « copier-coller » d’un modĂšle, d’un protocole ou d’une procĂ©dure de rencontre type. Rien ne peut se dupliquer, se copier, et encore moins se coller : la rencontre est unique et fonction de la rĂ©sonance avec celui – ou celle – rencontrĂ©. Comme lors des tĂ©nĂ©breux entretiens des sĂ©ances de speed-dating, il ne viendra Ă  l’idĂ©e de quiconque d’apprendre un discours par cƓur et de le rĂ©pĂ©ter inlassablement Ă  chaque nouvelle rencontre jusqu’à ce qu’il permette la crĂ©ation du lien tant espĂ©rĂ©.
Le concept du « connecting people » est-il si facile Ă  appliquer quand l’autre nous apparaĂźt d’un autre monde ? L’autre, un extraterrestre, un « E.T. », en errance

Des rencontres en
 « E.T. »(n)errance

Sans penser une seconde que les SDF sont des extraterrestres, on ne sait jamais, au premier contact, comment va s’opĂ©rer la rencontre. Quelle Ă©coute, quelle rĂ©ponse ? Incertitude parfois dĂ©stabilisante : les personnes que l’on est supposĂ© aider pouvant se montrer Ă©tonnĂ©es, voire effarĂ©es, la rencontre provoque parfois l’effet inverse de la construction du lien et s’avĂšre carrĂ©ment contre-productive. Rester « zen » et hypervigilant ? Oui, facile Ă  dire, car les SDF sont, comme tout ĂȘtre humain, particuliĂšrement imprĂ©visibles.
7 heures du matin, j’ai froid, je longe un square Ă  la recherche d’un couple installĂ© dans les buissons. Lui avait fini par venir une fois en consultation Ă  l’hĂŽpital ; elle n’y tenait pas. Lors de cette unique rencontre, il m’avait dit : « Si je ne reviens pas, venez me voir
 » Test de fidĂ©litĂ© ? Quelques jours aprĂšs une absence au rendez-vous fixĂ©, je me rends sur le lieu de vie qu’il m’avait indiquĂ©, malaisĂ© Ă  dĂ©nicher. AprĂšs quelques recherches, un bruit de bouteille dĂ©bouchĂ©e m’alerte sur leur prĂ©sence.
J’étais passĂ© Ă  quelques mĂštres d’une tente kaki au camouflage efficace : « Doc
 teur
 venez arr
 oser la ro
 sĂ©e
 elle est bonne celle-là
 non ! » Ils sont allongĂ©s lĂ -dessous, tapis mais tranquilles, hilares, car ils m’avaient dĂ©jĂ  repĂ©rĂ©. Au petit dĂ©jeuner : essentiellement du rosĂ©. Je prends soudain conscience que le « lapin » Ă©tait dĂ©libĂ©rĂ© : ce n’est pas pour lui qu’il m’a fait venir. Bien jouĂ©. Mon regard se tourne vers elle, insistant, questionnant : « Vous me prenez pour une extraterrestre, je le vois bien. » C’est par lĂ  que j’ai pu accrocher le premier fil avec cette personne souffrant de et dans son errance. Comme dans le film E.T. de Spielberg, dĂ©butant par un dĂ©collage de soucoupe volante qui oublie sur Terre un des voyageurs intergalactiques, elle me confiera trĂšs vite qu’elle est bel et bien oubliĂ©e par les siens. Et Ă  l’instar du personnage extraterrestre du film, pointant son doigt lumineux vers une Ă©toile en bredouillant : « TĂ©lĂ©phone
 maison », elle lĂšve son doigt tremblant vers une barre d’immeuble au-delĂ  du square. Est-ce sa famille qu’elle tente de m’indiquer ? Allions-nous tĂ©lĂ©phoner Ă  la maison ?
Comment susciter une amorce d’apaisement dans ce naufrage humain ? Avant toute chose : Ă©viter les piĂšges habituels et grossiers que tendent ces situations de rencontres furtives avec la grande prĂ©caritĂ©, la souffrance psychique ou la maladie mentale. Les premiers piĂšges se retrouvent dans les caricatures, les gĂ©nĂ©ralisations, les amalgames : « C’est un SDF. » C’est bien pratique. Pourtant, les prĂ©cautions oratoires sont prises pour Ă©viter la stigmatisation de ce public « sans domicile fixe » : les termes de chemineau, itinĂ©rant ou de nomade ne sont plus guĂšre employĂ©s, de mĂȘme que mendiant ou clochard, connotĂ©s « choix volontaire de type de vie ». Sont apparues progressivement des appellations d’origine non contrĂŽlĂ©e : sans rĂ©sidence stable, sans-logis, personne au domicile indĂ©terminĂ©, exclu, sans logement personnel
 D’autres dĂ©signations persistent dans la stigmatisation, certaines ne sont plus usitĂ©es comme indigent ou gens de rien, mais errant, dĂ©muni ou sans-abri courent toujours. Une dĂ©nomination trĂšs tendance : un « sans chez-soi ». Ce dernier vocable signifie qu’il ne s’agit pas simplement de dĂ©finir les personnes par la prĂ©sence ou non d’un abri, d’un hĂ©bergement, mais par leur impossibilitĂ© de mise en place d’un lieu de vie investi comme un « chez-soi ». La pluralitĂ© d’interprĂ©tations, fausses et le plus souvent rĂ©ductrices, par les quidams de ces phĂ©nomĂšnes d’exclusion crĂ©e chaque fois la nĂ©cessitĂ© d’inventer, de crĂ©er, un terme nouveau. Cette diversitĂ© ne peut se caractĂ©riser par une seule tournure et il serait plus opportun pour s’extraire des schĂ©mas dogmatiques de s’en tenir aux singularitĂ©s des ĂȘtres plutĂŽt qu’à une gĂ©nĂ©ralisation dangereusement rĂ©ductrice. Aucun « copier-coller » Ă  la rue, rĂ©pĂ©tons-le. Toute situation personnelle ne peut s’envisager qu’au cas par cas, et les solutions de sortie de rue ne se recherchent que de façon singuliĂšre. Pour reprendre l’analogie avec le film E.T., on pourrait dire que les rencontres en itinĂ©rance apparaissent donc comme des rencontres de troisiĂšme type au cours desquelles il est impossible de savoir a priori comment la communication, et plus gĂ©nĂ©ralement le lien, va pouvoir s’établir avec cet autre qui est des nĂŽtres. E.T., l’extraterrestre oubliĂ©, aurait pu dire : « À chacun son vaisseau spĂ©cial pour sortir de l’exclusion. » À nous tous de l’aider Ă  le construire. Le problĂšme est que parfois « tous » nous rend trop nombreux autour de la construction.
Une nĂ©buleuse d’intervenants
Poursuivons dans les mĂ©taphores spatiales. À cette nĂ©buleuse des publics concernĂ©s rĂ©pond une nĂ©buleuse d’intervenants : les acteurs sociaux tout d’abord, ceux qui ont pour mission d’aider les SDF Ă  sortir de la rue. RegroupĂ©s pour la plupart en dispositifs ou en services offrant de nombreuses prestations, in fine ces acteurs accompagnent les parcours de sortie de rue
 si tout se passe bien. Parmi les personnes trĂšs prĂ©caires ou exclues, certaines rĂ©ussissent Ă  aller dans les services d’accueil et d’orientation pour faire part de leurs besoins. Ces services tentent de rĂ©pondre en proposant un accĂšs aux droits ou aux soins, un accĂšs Ă  l’hĂ©bergement – que ce soit en urgence ou en vue de rĂ©insertion sociale – ou, pour les moins autonomes, ils procurent un hĂ©bergement visant Ă  stabiliser leur situation et Ă©viter qu’elle ne se dĂ©grade encore. Des accueils de jour offrent un lieu de « pause », de repos mais aussi d’échange, oĂč les personnes trouvent ou retrouvent des moments de convivialitĂ©, de restauration tant physique que psychique. Pour les demandeurs d’asile, les rĂ©fugiĂ©s politiques, les sans-papiers, les femmes enceintes ou les mĂšres isolĂ©es sans logement, les jeunes de 16 Ă  25 ans Ă  la rue, des dispositifs accueillent de façon spĂ©cifique et rĂ©pondent aux premiers besoins. Tous ces dispositifs et services sont financĂ©s par l’État ou par les villes, mais, hĂ©las, tout ne se passe pas si bien que cela
 Nombre de personnes ne peuvent se dĂ©placer, pour des raisons physiques, psychiques ou simplement par crainte. Pour les aider ont Ă©tĂ© mises en place des Ă©quipes mobiles qui se rendent auprĂšs d’elles. En journĂ©e et de nuit, ces Ă©quipes de « maraude » sillonnent les rues et les campagnes pour tenter d’entrer en contact avec ceux qui ne demandent rien (mais ont des besoins vitaux). De fait leurs actions en milieux urbains se concentrent dans les rues, les squares, les parcs et jardins, les porches, les halls, lĂ  oĂč les personnes ont trouvĂ© abri, de fortune ou pas. En zone rurale, ces maraudes se dĂ©roulent moins au hasard mais plutĂŽt sur signalement d’un promeneur, un cueilleur ou un chasseur.
À cĂŽtĂ© de ces dispositifs sociaux coexistent ceux de la psychiatrie, qui Ɠuvrent dans un autre domaine, complĂ©mentaire si l’on veut, celui de la santĂ© mentale, domaine d’action qui agit en amont des effets de prĂ©caritĂ© et d’exclusion en tentant de trouver et de minimiser les causes des souffrances psychiques et d’y apporter le soin adaptĂ©. Il est logique que ces dispositifs soient essentiellement reprĂ©sentĂ©s par des structures de service public, la psychiatrie privĂ©e restant encore trĂšs peu accessible au public en grande prĂ©caritĂ©. C’est ainsi qu’infirmiers, psychiatres, psychologues offrent des consultations gratuites dans les centres mĂ©dico-psychologiques (CMP) rĂ©pandus sur le territoire national. Les CMP sont pourvus Ă©galement d’assistants sociaux qui viennent en aide Ă  ce public pour lui permettre d’accĂ©der Ă  ses droits et/ou de l’y maintenir. LĂ  encore, tous ces dispositifs seraient parfaits s’ils drainaient l’ensemble du public. Or certains n’accĂšdent aux soins psychiatriques que par le biais des services d’urgence, Ă  l’occasion d’un moment de crise : recrudescence d’un dĂ©lire, ivresse les mettant en danger, mais aussi lors d’aggravation d’une maladie chronique non psychiatrique (diabĂšte, hypertension artĂ©rielle
). D’autres n’y accĂšdent pas du tout. C’est pour favoriser l’accĂšs aux soins psychiatriques de ces personnes qui souffrent de troubles psychiques et qui sont en grande prĂ©caritĂ© que des Ă©quipes mobiles expertes spĂ©cialisĂ©es en psychiatrie et prĂ©caritĂ© ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es sur l’ensemble du territoire.
À ces nombreuses catĂ©gories d’acteurs se joignent les pairs aidants. Un pair aidant est un des membres du personnel d’une structure sociale, mĂ©dico-sociale ou sanitaire ayant traversĂ© une situation ou une maladie. À partir de son expĂ©rience et de la maniĂšre dont il a pu se rĂ©tablir – s’en sortir –, il est possible qu’il puisse aider ceux qui traversent Ă  leur tour la mĂȘme expĂ©rience ou la mĂȘme maladie (mentale). Par la mise en Ă©vidence de son propre rĂ©tablissement, il favorisera l’identification des actions aidantes et de celles freinant sinon la guĂ©rison tout au moins le mieux-ĂȘtre. Le pair aidant contribue Ă©galement Ă  responsabiliser la personne aidĂ©e dans la rĂ©appropriation de son devenir et il participe Ă  la dĂ©stigmatisation de la maladie concernĂ©e. Ainsi, un pair aidant dans le domaine de la souffrance psychique et de la prĂ©caritĂ© serait idĂ©alement une personne sortie de la rue avec succĂšs ou en voie d’en ĂȘtre sortie et ayant souffert de trouble psychique actuellement rĂ©solu, traitĂ© ou Ă©quilibrĂ©.
Tous ces acteurs « aidants », par leurs nombreux mouvements d’allers et retours avec ceux qu’ils tentent d’aider, forment une vraie noria qui pourrait s’avĂ©rer d’une efficacitĂ© remarquable, mais nous allons voir qu’elle peut gĂ©nĂ©rer des effets pervers.
Des chiffres variables et des lettres imprécises
Il ne s’agit pas de dĂ©velopper ici toutes les dĂ©finitions des termes prĂ©caritĂ© ou grande prĂ©caritĂ©, exclusion ou grande exclusion, pauvretĂ© ou grande pauvreté  ces termes restant liĂ©s Ă  des variables Ă©conomiques et contextuelles.
Si l’on se limite d’abord Ă  l’aspect psychologique et physiologique, en dehors de toute pathologie, l’ĂȘtre humain est, dĂšs sa naissance, ontologiquement prĂ©caire puisque totalement dĂ©pendant d’autrui. De la maniĂšre qu’il aura de se faire « entendre » et de celle dont l’environnement rĂ©pondra Ă  ses besoins naĂźtront ou non des souffrances originelles. C’est bien lĂ  le fondement du lien social : une vulnĂ©rabilitĂ© et une prĂ©caritĂ© organisatrices. Un « double lien social » ? Compter sur l’autre pour compter sur soi. Des allers et retours entre soi et les autres, dans un mouvement perpĂ©tuel pour garder l’équilibre. Comme le fait de marcher, qui n’est qu’une tentative incessante de ne pas ĂȘtre en dĂ©sĂ©quilibre, l’intĂ©gration sociale ne va pas de soi. Tout est fait pour que l’on trĂ©buche. Certains se relĂšvent, d’autres pas.
Combien de SDF en France ?
À cette question prĂ©cise, rĂ©ponse impossible. DĂ©nombrer prĂ©cisĂ©ment les personnes sans domicile fixe n’est pas rĂ©alisable, du fait mĂȘme qu’elles circulent ou errent, migrent, alternent hĂ©bergement et rue, ou mĂȘme se cachent comme les sans-papiers ou d’autres, qui tentent d’échapper aux soins, aux autres, Ă  eux-mĂȘmes
 Les chiffres tournent autour de 300 000 personnes sur le territoire et reprĂ©sentent une estimation par recoupement des donnĂ©es de l’Insee (Institut national de la statistique et des Ă©tudes Ă©conomiques) en 2011 qui en dĂ©nombre 250 000 et celles des associations majeures qui portent aide et assistance aux SDF. Si ce chiffre semble avoir triplĂ© en une dizaine d’annĂ©es, il est notable que la proportion de personnes en souffrance psychique au sein de cette population est restĂ©e stable au cours de ces annĂ©es : contrairement aux idĂ©es reçues, en valeur relative, il n’y a pas plus de souffrance psychique Ă  la rue. Mais plus nombreuses sont les personnes qui, dĂ©laissĂ©es, oubliĂ©es, exclues, chutent lourdement et finissent « sur le carreau ».
Une fois « sur le carreau »
Mais de quelle souffrance psychique parle-t-on ? De celle des malades mentaux oubliĂ©s de la psychiatrie publique, de ceux qui n’ont pu profiter d’actions de prĂ©vention, de ceux qui hier encore semblaient Ă  l’abri de tout ? Alors envisager des donnĂ©es scientifiques pourrait paraĂźtre vain. Pourtant

Au dĂ©but des annĂ©es 1990, les professionnels de la psychiatrie travaillant sur les populations Ă  la rue Ă©valuaient qu’une personne sur trois prĂ©sentait un trouble psychiatrique. Cependant en interrogeant les institutions, certaines rapportaient des pourcentages plus faibles, du fait mĂȘme qu’une des conditions d’admission dans leur structure Ă©tait justement de ne pas prĂ©senter de troubles psychiatriques. Pour d’autres Ă©tablissements, cette proportion s’avĂ©rait plus Ă©levĂ©e car ils accueillaient sans condition tout public, ou bien avaient tissĂ© des liens avec des structures psychiatriques drainant ainsi bon nombre de personnes prĂ©sentant des troubles psychiques. À la fin des annĂ©es 1990, bien que plusieurs enquĂȘtes Ă©pidĂ©miologiques aient Ă©tĂ© menĂ©es auprĂšs de populations ciblĂ©es (personnes bĂ©nĂ©ficiant des minima sociaux, personnes rencontrĂ©es en maraudes
), aucune n’a suffisamment Ă©largi l’étude pour offrir une vision d’ensemble de la souffrance psychique en situation de grande prĂ©caritĂ©. Selon les sites d’observation, les circonstances des rencontres, la diversitĂ© des circuits empruntĂ©s, le drainage de tel ou tel type de population exclue, le repĂ©rage de la maladie mentale variait de 2 Ă  90 %. Plus d’une dĂ©cennie plus tard, il devenait incontournable de refaire le point sur ces chiffres de la souffrance psychique et de son Ă©volution, et urgent de porter un repĂ©rage clinique en tentant de clarifier – et non de classifier – ces troubles afin d’expĂ©rimenter des innovations dans le chaos thĂ©rapeutique proposĂ©.
« SaMentA » : une étude de terrain
Samenta n’est pas une sorciĂšre bien-aimĂ©e et bien connue ni un hĂ©ros travesti de sketchs tĂ©lĂ©visĂ©s, mais l’acronyme d’une enquĂȘte sur la santĂ© mentale et les addictions chez les Franciliens sans logement personnel. SaMentA : « Sa » pour santĂ©, « Ment » pour mentale et « A » pour addictions. De fĂ©vrier Ă  avril 2009, 840 personnes ont participĂ© Ă  cette enquĂȘte. Un Ă©tat des lieux des troubles psychiatriques et des addictions a pu ĂȘtre Ă©tabli afin d’adapter la prise en charge thĂ©rapeutique et surtout de concevoir des solutions d’hĂ©bergement et/ou de logements adaptĂ©s aux particularitĂ©s de ces personnes. Les financeurs qui ont permis de rĂ©aliser cette enquĂȘte Ă©taient issus d’origines trĂšs diverses : la DGS (Direction gĂ©nĂ©rale de la santĂ©), la rĂ©gion Île-de-France, l’INPES (Institut de prĂ©vention et d’éducation pour la santĂ©), la PrĂ©fecture de Paris, la Mairie de Paris, l’InVS (Institut de veille sanitaire), l’ONPES (Observatoire national de la pauvretĂ© et de l’exclusion sociale), le haut-commissaire Ă  la jeunesse, le haut-commissaire aux solidaritĂ©s actives contre la pauvreté  et, de façon indirecte, le centre hospitalier Sainte-Anne Ă  Paris en dĂ©lĂ©guant du temps mĂ©dical. Ainsi, l’observatoire du Samu social de Paris, l’Inserm (Institut national de la santĂ© et de la recherche mĂ©dicale), le centre hospitalier Sainte-Anne et d’aut...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Préface
  5. Introduction
  6. Chapitre 1 - Dans la rue : qui souffre ?
  7. Chapitre 2 - Dans la rue : pourquoi ?
  8. Chapitre 3 - Dans la rue : comment ?
  9. Chapitre 4 - La souffrance réactionnelle
  10. Chapitre 5 - Des comportements et des personnes à risque
  11. Chapitre 6 - Les Ă©tats psychotiques
  12. Chapitre 7 - PĂȘle-mĂȘle, corps et esprits malades
  13. Chapitre 8 - À qui la faute ?
  14. Chapitre 9 - Attendre ou intervenir ?
  15. Chapitre 10 - Tout ce que vous avez toujours voulu faire sans oser
  16. Chapitre 11 - Soigner ?
  17. Chapitre 12 - Sortir de la rue pour ne plus souffrir
  18. Conclusion
  19. Pour en savoir plus

  20. Remerciements