Des rencontres en itinérance
SDF et fou. Telle est la situation que lâon peut dĂ©signer par cet acronyme : « Sdouf ». Des comĂ©diens, aprĂšs une expĂ©rience de la rue, ont inventĂ© ce mot en fusionnant SDF avec ouf : « fou » en verlan. NĂ©ologisme Ă©loquent : en associant lâacronyme SDF (qui recouvre une grande diversitĂ© de situations) au mot « ouf », on constate que le verlan amortit lâimpact nĂ©gatif du mot. « Fou » lui aussi recouvre une large gamme de souffrances, du simple stress face Ă une situation de prĂ©caritĂ©, jusquâĂ la maladie mentale dans la rue. VoilĂ donc cette double peine â malade mental et exclu â qui ne facilite pas la rencontre, le soutien, les soins.
Paris. Un printemps comme un autre, le chant des oiseaux, celui de la libertĂ© qui nargue derriĂšre les barreaux dâune cellule. La tour Eiffel. Sur un banc, un homme se tient la tĂȘte dans les mains. On dirait quâil psalmodie. Des larmes de dĂ©tresse ruissellent sur ses joues. La rencontre semble facile : un genou Ă terre pour ĂȘtre Ă sa hauteur, et le contact se fait : trĂšs vite, il nous confie que sa famille a Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©e quelque part en Afrique, dans un pays ravagĂ© par la misĂšre et les conflits armĂ©s. Un peu perdu dans le temps et lâespace, malgrĂ© lâincontournable repĂšre que reprĂ©sente ce gigantesque monument de fer, il ne se reconnaĂźt mĂȘme plus lui-mĂȘme. Autrefois jovial et dynamique, il entraĂźnait une Ă©quipe de foot dans son pays, mais, lĂ , il est Ă©puisĂ©, presque hagard, et sâil sâexprime de maniĂšre intelligible il a du mal Ă demander de lâaide. De lâAfrique subsaharienne au quai de Javel en pirogue⊠ou presque. Ă ses cĂŽtĂ©s, quelquâun sâagite, les chaussures Ă©limĂ©es par une improbable randonnĂ©e, hirsute, il vocifĂšre avec un fort accent de lâEst, sâemporte, sâindigne. Il scrute le sommet de cette tour impressionnante, prĂȘt Ă la haranguer. Comme sâil reprochait Ă cette fusĂ©e dâacier abandonnĂ©e sur son pas de tir de ne jamais dĂ©coller vers le ciel. Brusquement, il se lĂšve et apostrophe avec vĂ©hĂ©mence un des gardiens de proximitĂ©, le tenant pour responsable du retard Ă lâallumage sans doute.
Deux hommes, deux histoires, deux destins, deux SDF, pourtant Ă©trangers lâun Ă lâautre. Dâun cĂŽtĂ©, un Africain francophone, en Ă©tat de choc traumatique, en perte de repĂšres, de lâautre un EuropĂ©en de lâEst, dĂ©lirant, concentrĂ© sur la mise en orbite de la tour Eiffel. Un triste point commun les unit : celui dâune insupportable souffrance psychique. La comparaison sâarrĂȘte lĂ . EntrĂ©e en matiĂšre Ă©vidente pour des professionnels de la psychiatrie, certes, mais tous les aidants de la rue nâont pas une formation psy. Certains sont sensibilisĂ©s ou informĂ©s par leur cursus professionnel ou plus prosaĂŻquement lors des Ă©changes au sein de structures dâaide aux SDF. Cela ne retire rien Ă la qualitĂ© relationnelle que ces aidants peuvent mettre en place, mais les rencontres se construisent dans lâinstant et certainement pas sur le mode de saisie informatique du « copier-coller » dâun modĂšle, dâun protocole ou dâune procĂ©dure de rencontre type. Rien ne peut se dupliquer, se copier, et encore moins se coller : la rencontre est unique et fonction de la rĂ©sonance avec celui â ou celle â rencontrĂ©. Comme lors des tĂ©nĂ©breux entretiens des sĂ©ances de speed-dating, il ne viendra Ă lâidĂ©e de quiconque dâapprendre un discours par cĆur et de le rĂ©pĂ©ter inlassablement Ă chaque nouvelle rencontre jusquâĂ ce quâil permette la crĂ©ation du lien tant espĂ©rĂ©.
Le concept du « connecting people » est-il si facile Ă appliquer quand lâautre nous apparaĂźt dâun autre monde ? Lâautre, un extraterrestre, un « E.T. », en erranceâŠ
Des rencontres en⊠« E.T. »(n)erranceâŠ
Sans penser une seconde que les SDF sont des extraterrestres, on ne sait jamais, au premier contact, comment va sâopĂ©rer la rencontre. Quelle Ă©coute, quelle rĂ©ponse ? Incertitude parfois dĂ©stabilisante : les personnes que lâon est supposĂ© aider pouvant se montrer Ă©tonnĂ©es, voire effarĂ©es, la rencontre provoque parfois lâeffet inverse de la construction du lien et sâavĂšre carrĂ©ment contre-productive. Rester « zen » et hypervigilant ? Oui, facile Ă dire, car les SDF sont, comme tout ĂȘtre humain, particuliĂšrement imprĂ©visibles.
7 heures du matin, jâai froid, je longe un square Ă la recherche dâun couple installĂ© dans les buissons. Lui avait fini par venir une fois en consultation Ă lâhĂŽpital ; elle nây tenait pas. Lors de cette unique rencontre, il mâavait dit : « Si je ne reviens pas, venez me voir⊠» Test de fidĂ©litĂ© ? Quelques jours aprĂšs une absence au rendez-vous fixĂ©, je me rends sur le lieu de vie quâil mâavait indiquĂ©, malaisĂ© Ă dĂ©nicher. AprĂšs quelques recherches, un bruit de bouteille dĂ©bouchĂ©e mâalerte sur leur prĂ©sence.
JâĂ©tais passĂ© Ă quelques mĂštres dâune tente kaki au camouflage efficace : « Doc⊠teur⊠venez arr⊠oser la ro⊠sĂ©e⊠elle est bonne celle-là ⊠non ! » Ils sont allongĂ©s lĂ -dessous, tapis mais tranquilles, hilares, car ils mâavaient dĂ©jĂ repĂ©rĂ©. Au petit dĂ©jeuner : essentiellement du rosĂ©. Je prends soudain conscience que le « lapin » Ă©tait dĂ©libĂ©rĂ© : ce nâest pas pour lui quâil mâa fait venir. Bien jouĂ©. Mon regard se tourne vers elle, insistant, questionnant : « Vous me prenez pour une extraterrestre, je le vois bien. » Câest par lĂ que jâai pu accrocher le premier fil avec cette personne souffrant de et dans son errance. Comme dans le film E.T. de Spielberg, dĂ©butant par un dĂ©collage de soucoupe volante qui oublie sur Terre un des voyageurs intergalactiques, elle me confiera trĂšs vite quâelle est bel et bien oubliĂ©e par les siens. Et Ă lâinstar du personnage extraterrestre du film, pointant son doigt lumineux vers une Ă©toile en bredouillant : « TĂ©lĂ©phone⊠maison », elle lĂšve son doigt tremblant vers une barre dâimmeuble au-delĂ du square. Est-ce sa famille quâelle tente de mâindiquer ? Allions-nous tĂ©lĂ©phoner Ă la maison ?
Comment susciter une amorce dâapaisement dans ce naufrage humain ? Avant toute chose : Ă©viter les piĂšges habituels et grossiers que tendent ces situations de rencontres furtives avec la grande prĂ©caritĂ©, la souffrance psychique ou la maladie mentale. Les premiers piĂšges se retrouvent dans les caricatures, les gĂ©nĂ©ralisations, les amalgames : « Câest un SDF. » Câest bien pratique. Pourtant, les prĂ©cautions oratoires sont prises pour Ă©viter la stigmatisation de ce public « sans domicile fixe » : les termes de chemineau, itinĂ©rant ou de nomade ne sont plus guĂšre employĂ©s, de mĂȘme que mendiant ou clochard, connotĂ©s « choix volontaire de type de vie ». Sont apparues progressivement des appellations dâorigine non contrĂŽlĂ©e : sans rĂ©sidence stable, sans-logis, personne au domicile indĂ©terminĂ©, exclu, sans logement personnel⊠Dâautres dĂ©signations persistent dans la stigmatisation, certaines ne sont plus usitĂ©es comme indigent ou gens de rien, mais errant, dĂ©muni ou sans-abri courent toujours. Une dĂ©nomination trĂšs tendance : un « sans chez-soi ». Ce dernier vocable signifie quâil ne sâagit pas simplement de dĂ©finir les personnes par la prĂ©sence ou non dâun abri, dâun hĂ©bergement, mais par leur impossibilitĂ© de mise en place dâun lieu de vie investi comme un « chez-soi ». La pluralitĂ© dâinterprĂ©tations, fausses et le plus souvent rĂ©ductrices, par les quidams de ces phĂ©nomĂšnes dâexclusion crĂ©e chaque fois la nĂ©cessitĂ© dâinventer, de crĂ©er, un terme nouveau. Cette diversitĂ© ne peut se caractĂ©riser par une seule tournure et il serait plus opportun pour sâextraire des schĂ©mas dogmatiques de sâen tenir aux singularitĂ©s des ĂȘtres plutĂŽt quâĂ une gĂ©nĂ©ralisation dangereusement rĂ©ductrice. Aucun « copier-coller » Ă la rue, rĂ©pĂ©tons-le. Toute situation personnelle ne peut sâenvisager quâau cas par cas, et les solutions de sortie de rue ne se recherchent que de façon singuliĂšre. Pour reprendre lâanalogie avec le film E.T., on pourrait dire que les rencontres en itinĂ©rance apparaissent donc comme des rencontres de troisiĂšme type au cours desquelles il est impossible de savoir a priori comment la communication, et plus gĂ©nĂ©ralement le lien, va pouvoir sâĂ©tablir avec cet autre qui est des nĂŽtres. E.T., lâextraterrestre oubliĂ©, aurait pu dire : « Ă chacun son vaisseau spĂ©cial pour sortir de lâexclusion. » Ă nous tous de lâaider Ă le construire. Le problĂšme est que parfois « tous » nous rend trop nombreux autour de la construction.
Une nĂ©buleuse dâintervenants
Poursuivons dans les mĂ©taphores spatiales. Ă cette nĂ©buleuse des publics concernĂ©s rĂ©pond une nĂ©buleuse dâintervenants : les acteurs sociaux tout dâabord, ceux qui ont pour mission dâaider les SDF Ă sortir de la rue. RegroupĂ©s pour la plupart en dispositifs ou en services offrant de nombreuses prestations, in fine ces acteurs accompagnent les parcours de sortie de rue⊠si tout se passe bien. Parmi les personnes trĂšs prĂ©caires ou exclues, certaines rĂ©ussissent Ă aller dans les services dâaccueil et dâorientation pour faire part de leurs besoins. Ces services tentent de rĂ©pondre en proposant un accĂšs aux droits ou aux soins, un accĂšs Ă lâhĂ©bergement â que ce soit en urgence ou en vue de rĂ©insertion sociale â ou, pour les moins autonomes, ils procurent un hĂ©bergement visant Ă stabiliser leur situation et Ă©viter quâelle ne se dĂ©grade encore. Des accueils de jour offrent un lieu de « pause », de repos mais aussi dâĂ©change, oĂč les personnes trouvent ou retrouvent des moments de convivialitĂ©, de restauration tant physique que psychique. Pour les demandeurs dâasile, les rĂ©fugiĂ©s politiques, les sans-papiers, les femmes enceintes ou les mĂšres isolĂ©es sans logement, les jeunes de 16 Ă 25 ans Ă la rue, des dispositifs accueillent de façon spĂ©cifique et rĂ©pondent aux premiers besoins. Tous ces dispositifs et services sont financĂ©s par lâĂtat ou par les villes, mais, hĂ©las, tout ne se passe pas si bien que cela⊠Nombre de personnes ne peuvent se dĂ©placer, pour des raisons physiques, psychiques ou simplement par crainte. Pour les aider ont Ă©tĂ© mises en place des Ă©quipes mobiles qui se rendent auprĂšs dâelles. En journĂ©e et de nuit, ces Ă©quipes de « maraude » sillonnent les rues et les campagnes pour tenter dâentrer en contact avec ceux qui ne demandent rien (mais ont des besoins vitaux). De fait leurs actions en milieux urbains se concentrent dans les rues, les squares, les parcs et jardins, les porches, les halls, lĂ oĂč les personnes ont trouvĂ© abri, de fortune ou pas. En zone rurale, ces maraudes se dĂ©roulent moins au hasard mais plutĂŽt sur signalement dâun promeneur, un cueilleur ou un chasseur.
Ă cĂŽtĂ© de ces dispositifs sociaux coexistent ceux de la psychiatrie, qui Ćuvrent dans un autre domaine, complĂ©mentaire si lâon veut, celui de la santĂ© mentale, domaine dâaction qui agit en amont des effets de prĂ©caritĂ© et dâexclusion en tentant de trouver et de minimiser les causes des souffrances psychiques et dây apporter le soin adaptĂ©. Il est logique que ces dispositifs soient essentiellement reprĂ©sentĂ©s par des structures de service public, la psychiatrie privĂ©e restant encore trĂšs peu accessible au public en grande prĂ©caritĂ©. Câest ainsi quâinfirmiers, psychiatres, psychologues offrent des consultations gratuites dans les centres mĂ©dico-psychologiques (CMP) rĂ©pandus sur le territoire national. Les CMP sont pourvus Ă©galement dâassistants sociaux qui viennent en aide Ă ce public pour lui permettre dâaccĂ©der Ă ses droits et/ou de lây maintenir. LĂ encore, tous ces dispositifs seraient parfaits sâils drainaient lâensemble du public. Or certains nâaccĂšdent aux soins psychiatriques que par le biais des services dâurgence, Ă lâoccasion dâun moment de crise : recrudescence dâun dĂ©lire, ivresse les mettant en danger, mais aussi lors dâaggravation dâune maladie chronique non psychiatrique (diabĂšte, hypertension artĂ©rielleâŠ). Dâautres nây accĂšdent pas du tout. Câest pour favoriser lâaccĂšs aux soins psychiatriques de ces personnes qui souffrent de troubles psychiques et qui sont en grande prĂ©caritĂ© que des Ă©quipes mobiles expertes spĂ©cialisĂ©es en psychiatrie et prĂ©caritĂ© ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es sur lâensemble du territoire.
Ă ces nombreuses catĂ©gories dâacteurs se joignent les pairs aidants. Un pair aidant est un des membres du personnel dâune structure sociale, mĂ©dico-sociale ou sanitaire ayant traversĂ© une situation ou une maladie. Ă partir de son expĂ©rience et de la maniĂšre dont il a pu se rĂ©tablir â sâen sortir â, il est possible quâil puisse aider ceux qui traversent Ă leur tour la mĂȘme expĂ©rience ou la mĂȘme maladie (mentale). Par la mise en Ă©vidence de son propre rĂ©tablissement, il favorisera lâidentification des actions aidantes et de celles freinant sinon la guĂ©rison tout au moins le mieux-ĂȘtre. Le pair aidant contribue Ă©galement Ă responsabiliser la personne aidĂ©e dans la rĂ©appropriation de son devenir et il participe Ă la dĂ©stigmatisation de la maladie concernĂ©e. Ainsi, un pair aidant dans le domaine de la souffrance psychique et de la prĂ©caritĂ© serait idĂ©alement une personne sortie de la rue avec succĂšs ou en voie dâen ĂȘtre sortie et ayant souffert de trouble psychique actuellement rĂ©solu, traitĂ© ou Ă©quilibrĂ©.
Tous ces acteurs « aidants », par leurs nombreux mouvements dâallers et retours avec ceux quâils tentent dâaider, forment une vraie noria qui pourrait sâavĂ©rer dâune efficacitĂ© remarquable, mais nous allons voir quâelle peut gĂ©nĂ©rer des effets pervers.
Des chiffres variables et des lettres imprécises
Il ne sâagit pas de dĂ©velopper ici toutes les dĂ©finitions des termes prĂ©caritĂ© ou grande prĂ©caritĂ©, exclusion ou grande exclusion, pauvretĂ© ou grande pauvreté⊠ces termes restant liĂ©s Ă des variables Ă©conomiques et contextuelles.
Si lâon se limite dâabord Ă lâaspect psychologique et physiologique, en dehors de toute pathologie, lâĂȘtre humain est, dĂšs sa naissance, ontologiquement prĂ©caire puisque totalement dĂ©pendant dâautrui. De la maniĂšre quâil aura de se faire « entendre » et de celle dont lâenvironnement rĂ©pondra Ă ses besoins naĂźtront ou non des souffrances originelles. Câest bien lĂ le fondement du lien social : une vulnĂ©rabilitĂ© et une prĂ©caritĂ© organisatrices. Un « double lien social » ? Compter sur lâautre pour compter sur soi. Des allers et retours entre soi et les autres, dans un mouvement perpĂ©tuel pour garder lâĂ©quilibre. Comme le fait de marcher, qui nâest quâune tentative incessante de ne pas ĂȘtre en dĂ©sĂ©quilibre, lâintĂ©gration sociale ne va pas de soi. Tout est fait pour que lâon trĂ©buche. Certains se relĂšvent, dâautres pas.
Combien de SDF en France ?
Ă cette question prĂ©cise, rĂ©ponse impossible. DĂ©nombrer prĂ©cisĂ©ment les personnes sans domicile fixe nâest pas rĂ©alisable, du fait mĂȘme quâelles circulent ou errent, migrent, alternent hĂ©bergement et rue, ou mĂȘme se cachent comme les sans-papiers ou dâautres, qui tentent dâĂ©chapper aux soins, aux autres, Ă eux-mĂȘmes⊠Les chiffres tournent autour de 300 000 personnes sur le territoire et reprĂ©sentent une estimation par recoupement des donnĂ©es de lâInsee (Institut national de la statistique et des Ă©tudes Ă©conomiques) en 2011 qui en dĂ©nombre 250 000 et celles des associations majeures qui portent aide et assistance aux SDF. Si ce chiffre semble avoir triplĂ© en une dizaine dâannĂ©es, il est notable que la proportion de personnes en souffrance psychique au sein de cette population est restĂ©e stable au cours de ces annĂ©es : contrairement aux idĂ©es reçues, en valeur relative, il nây a pas plus de souffrance psychique Ă la rue. Mais plus nombreuses sont les personnes qui, dĂ©laissĂ©es, oubliĂ©es, exclues, chutent lourdement et finissent « sur le carreau ».
Une fois « sur le carreau »
Mais de quelle souffrance psychique parle-t-on ? De celle des malades mentaux oubliĂ©s de la psychiatrie publique, de ceux qui nâont pu profiter dâactions de prĂ©vention, de ceux qui hier encore semblaient Ă lâabri de tout ? Alors envisager des donnĂ©es scientifiques pourrait paraĂźtre vain. PourtantâŠ
Au dĂ©but des annĂ©es 1990, les professionnels de la psychiatrie travaillant sur les populations Ă la rue Ă©valuaient quâune personne sur trois prĂ©sentait un trouble psychiatrique. Cependant en interrogeant les institutions, certaines rapportaient des pourcentages plus faibles, du fait mĂȘme quâune des conditions dâadmission dans leur structure Ă©tait justement de ne pas prĂ©senter de troubles psychiatriques. Pour dâautres Ă©tablissements, cette proportion sâavĂ©rait plus Ă©levĂ©e car ils accueillaient sans condition tout public, ou bien avaient tissĂ© des liens avec des structures psychiatriques drainant ainsi bon nombre de personnes prĂ©sentant des troubles psychiques. Ă la fin des annĂ©es 1990, bien que plusieurs enquĂȘtes Ă©pidĂ©miologiques aient Ă©tĂ© menĂ©es auprĂšs de populations ciblĂ©es (personnes bĂ©nĂ©ficiant des minima sociaux, personnes rencontrĂ©es en maraudesâŠ), aucune nâa suffisamment Ă©largi lâĂ©tude pour offrir une vision dâensemble de la souffrance psychique en situation de grande prĂ©caritĂ©. Selon les sites dâobservation, les circonstances des rencontres, la diversitĂ© des circuits empruntĂ©s, le drainage de tel ou tel type de population exclue, le repĂ©rage de la maladie mentale variait de 2 Ă 90 %. Plus dâune dĂ©cennie plus tard, il devenait incontournable de refaire le point sur ces chiffres de la souffrance psychique et de son Ă©volution, et urgent de porter un repĂ©rage clinique en tentant de clarifier â et non de classifier â ces troubles afin dâexpĂ©rimenter des innovations dans le chaos thĂ©rapeutique proposĂ©.
« SaMentA » : une étude de terrain
Samenta nâest pas une sorciĂšre bien-aimĂ©e et bien connue ni un hĂ©ros travesti de sketchs tĂ©lĂ©visĂ©s, mais lâacronyme dâune enquĂȘte sur la santĂ© mentale et les addictions chez les Franciliens sans logement personnel. SaMentA : « Sa » pour santĂ©, « Ment » pour mentale et « A » pour addictions. De fĂ©vrier Ă avril 2009, 840 personnes ont participĂ© Ă cette enquĂȘte. Un Ă©tat des lieux des troubles psychiatriques et des addictions a pu ĂȘtre Ă©tabli afin dâadapter la prise en charge thĂ©rapeutique et surtout de concevoir des solutions dâhĂ©bergement et/ou de logements adaptĂ©s aux particularitĂ©s de ces personnes. Les financeurs qui ont permis de rĂ©aliser cette enquĂȘte Ă©taient issus dâorigines trĂšs diverses : la DGS (Direction gĂ©nĂ©rale de la santĂ©), la rĂ©gion Ăle-de-France, lâINPES (Institut de prĂ©vention et dâĂ©ducation pour la santĂ©), la PrĂ©fecture de Paris, la Mairie de Paris, lâInVS (Institut de veille sanitaire), lâONPES (Observatoire national de la pauvretĂ© et de lâexclusion sociale), le haut-commissaire Ă la jeunesse, le haut-commissaire aux solidaritĂ©s actives contre la pauvreté⊠et, de façon indirecte, le centre hospitalier Sainte-Anne Ă Paris en dĂ©lĂ©guant du temps mĂ©dical. Ainsi, lâobservatoire du Samu social de Paris, lâInserm (Institut national de la santĂ© et de la recherche mĂ©dicale), le centre hospitalier Sainte-Anne et dâaut...