Voir l'autisme autrement
eBook - ePub

Voir l'autisme autrement

  1. 304 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Voir l'autisme autrement

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

L'autisme est une souffrance lourde pour les enfants qui en sont atteints comme pour leurs parents et leurs proches. Nombreux sont ceux qui s'efforcent de comprendre et d'aider. Cependant, il n'existe pas de panacĂ©e. Psychanalyste et linguiste, Laurent Danon-Boileau propose une approche de l'autisme appuyĂ©e sur une longue pratique; elle prend en compte Ă  la fois ce qui relĂšve de difficultĂ©s de langage et ce qui est liĂ© Ă  des troubles plus profonds. Comment en effet redonner Ă  l'enfant le sens de l'Ă©change s'il ne peut trouver plaisir Ă  s'exprimer et s'il ne peut maĂźtriser l'outil qu'est la parole? Pour autant, une simple «rĂ©Ă©ducation» ne peut suffire: c'est le dĂ©sir et le goĂ»t de communiquer auxquels il doit pouvoir accĂ©der. Le travail psychanalytique conserve donc tout son sens, Ă  condition toutefois d'ĂȘtre associĂ© Ă  celui de multiples autres intervenants. Et si on cessait les luttes de clans pour se concentrer vraiment sur les enfants et sur la pratique? Tel est le message de cet ouvrage tout sauf doctrinaire. Laurent Danon-Boileau est thĂ©rapeute au centre Alfred-Binet, professeur de linguistique Ă  l'universitĂ© Paris-V et chercheur au Laboratoire d'Ă©tudes sur l'acquisition et la pathologie du langage de l'enfant (CNRS). Il a notamment publiĂ© Des enfants sans langage et La parole est un jeu d'enfant fragile.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  Voir l'autisme autrement par Laurent Danon-Boileau en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Psychologie et Troubles du spectre autistique. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2012
ISBN
9782738178053
Chapitre 1
Des enfants au bain
Lorsqu’on travaille avec un enfant autiste, la difficultĂ© la plus grande est de parvenir Ă  mesurer les variations qui affectent son comportement. En effet, sauf dans des cas extrĂȘmement graves, un enfant n’est pas autiste de maniĂšre continue. Dans certaines situations favorables, il parvient Ă  faire des choses qui sont censĂ©es ĂȘtre rĂ©servĂ©es Ă  ceux qui vont bien. Tant d’un point de vue scientifique que dans une perspective de soin, il importe donc de dĂ©terminer les caractĂ©ristiques de telles situations favorables. Il convient Ă©galement de prĂ©ciser si ce qu’il accomplit dans ces moments-lĂ  est en tout point comparable Ă  ce que ferait un enfant allant bien. C’est souvent pour repĂ©rer et Ă©tablir des conditions dans lesquelles apparaissent des comportements Ă©voluĂ©s que la vidĂ©o est prĂ©cieuse. L’analyse de vidĂ©os montrant des interactions avec des enfants autistes m’a convaincu que les choses ne sont pas toujours aussi claires que les nosographies voudraient le faire croire.
Dans ce chapitre, j’aimerais montrer, Ă  partir d’analyse de vidĂ©os, que les difficultĂ©s de l’enfant autiste dans le domaine de l’interaction et du jeu symbolique ne sont pas toujours simples Ă  caractĂ©riser. Un grand nombre d’indices montrent en effet que s’il est en difficultĂ© pour des raisons instrumentales, son appĂ©tence Ă  la communication n’en est pas moins avĂ©rĂ©e, tout comme son dĂ©sir de jouer. Les documents sur lesquels je vais Ă©tayer ces considĂ©rations proviennent essentiellement de films familiaux qui m’ont Ă©tĂ© confiĂ©s par des familles qui ont enregistrĂ© leur enfant trĂšs jeune, avant tout diagnostic, ce dernier n’ayant Ă©tĂ© posĂ© que lorsqu’il avait 3 ans. Il s’agit de scĂšnes de la vie familiale dont les protagonistes sont le petit et ses parents. Pour l’essentiel, l’apport de ces observations concerne deux domaines.
Le premier est celui du repĂ©rage des signes d’appels trĂšs prĂ©coces que l’on peut observer chez le nourrisson avant tout diagnostic explicite d’autisme. Les considĂ©rations qui interviennent concernent son tonus et sa posture, ainsi que sa coordination motrice, avant toute perspective de communication explicite avec autrui dans le cadre d’une interaction. À cet Ă©gard, les observations confortent l’idĂ©e que les premiĂšres Ă©mergences du trouble dont souffre l’enfant ne se marquent pas dans la sphĂšre de l’interaction, mais dans celle du comportement sensori-moteur (du cĂŽtĂ© du tonus, de la posture et du mouvement, comme des sensations Ă©prouvĂ©es face au monde). C’est Ă  mon sens un argument plaidant en faveur de l’idĂ©e que l’essence du trouble autistique ne relĂšve pas d’emblĂ©e du registre de la communication. Le second domaine est celui de cette derniĂšre et du jeu symbolique. Il part de l’observation d’enfants un peu plus ĂągĂ©s. On y surprend l’enfant en train de faire des choses dont on le disait incapable, ce qui mĂ©rite Ă  nouveau rĂ©flexion.
Une observation
Avec mon Ă©quipe de recherche1, nous avons entrepris une Ă©tude systĂ©matique des bains apparaissant dans les films familiaux d’enfants autistes dont nous disposions. Il semble que certains indices trĂšs prĂ©coces puissent y ĂȘtre dĂ©celĂ©s. Du cĂŽtĂ© des enfants, ils manifestent un trouble de l’association et de la coordination. On voit ainsi apparaĂźtre dans cette sphĂšre ce qui sera plus tard leur difficultĂ© majeure. Toutefois, lorsqu’on se penche sur les interactions filmĂ©es, il apparaĂźt que les manifestations de tous les participants se trouvent affectĂ©es par ces difficultĂ©s.
Il n’y a pas que l’enfant qui est en souffrance. Sa mĂšre l’est Ă©galement. Et mĂȘme si elle n’est pas en mesure de formuler ce qui se passe, elle s’adresse diffĂ©remment Ă  cet enfant-lĂ . On la sent mal Ă  l’aise, sans qu’elle puisse dire d’oĂč cela provient. Avant de le savoir, elle sent intuitivement que quelque chose ne va pas, et cela transparaĂźt dans la maniĂšre qu’elle a de s’adresser Ă  lui. Pour apprĂ©hender les signes cliniques ressortissant Ă  la relation mĂšre-enfant, il convient donc d’ĂȘtre attentif aux particularitĂ©s de celui-ci en interaction avec elle, mais Ă©galement Ă  la maniĂšre dont elle s’adresse Ă  lui. Cela ne veut Ă©videmment pas dire que la mĂšre soit responsable en quoi que ce soit du trouble de l’enfant. Cela veut dire qu’elle y est instinctivement sensible, avant mĂȘme que les mĂ©decins puissent lui dire ce qu’il en est. Elle rĂ©agit au manque de « responsivitĂ© » de l’enfant et tente d’y remĂ©dier.
Ce phĂ©nomĂšne assez rĂ©gulier a d’ailleurs donnĂ© lieu Ă  une mĂ©prise particuliĂšrement douloureuse. Face Ă  leur enfant autiste, bien souvent, les parents s’adaptent spontanĂ©ment. Or le comportement particulier qui en rĂ©sulte a Ă©tĂ© stigmatisĂ© par certains observateurs comme une cause des difficultĂ©s de l’enfant. En imputant l’origine de l’autisme aux particularitĂ©s du comportement des parents, ces observateurs n’ont pas vu qu’il s’agissait des effets de l’adaptation des parents aux difficultĂ©s de leur enfant, Ă  leurs efforts pour le ramener vers l’échange. La consĂ©quence du cĂŽtĂ© des parents a Ă©tĂ© prise Ă  tort pour une cause. Du cĂŽtĂ© de l’enfant, diffĂ©rentes observations ont montrĂ© qu’en dehors mĂȘme de toute interaction, sa motricitĂ© spontanĂ©e quand il est trĂšs jeune et est par la suite diagnostiquĂ© comme autiste prĂ©sente un certain nombre de particularitĂ©s. Certaines ont trait Ă  la maniĂšre dont il parvient Ă  se retourner pour se placer sur le ventre lorsqu’il est allongĂ© sur le dos, d’autres Ă  la maniĂšre dont il marche Ă  quatre pattes, d’autres enfin Ă  la façon dont il fait ses premiers pas. Il s’agit lĂ  de signes qui intĂ©ressent ses gestes et ses mouvements hors de toute relation Ă  autrui. Cependant, chaque fois, ils sont la consĂ©quence d’un manque de coordination.
D’autres signes ont Ă©galement Ă©tĂ© relevĂ©s, cette fois dans l’échange et l’interaction avec l’adulte. Ils se marquent Ă©galement au niveau de la posture et du tonus, mais cette fois en cours d’interaction. Il peut s’agir par exemple de la façon dont l’enfant de 8 mois, contrairement Ă  ce qui devrait se passer, se montre incapable d’anticiper que sa mĂšre va le prendre dans ses bras. Typiquement, par exemple, les enfants qui seront ultĂ©rieurement diagnostiquĂ©s comme autistes ne comprennent pas que leur mĂšre leur tend les bras pour les porter et ils ne leur tendent pas les leurs en retour. La maniĂšre dont l’enfant s’élance vers sa mĂšre indique comment il anticipe et « se reprĂ©sente » la suite de l’échange de postures et de gestes. Ici, les particularitĂ©s du comportement de l’enfant ne sont plus Ă  considĂ©rer en elles-mĂȘmes, mais comme indices de la qualitĂ© de son interaction avec sa mĂšre, de ses capacitĂ©s d’anticipation, de reprĂ©sentation et d’adaptation Ă  l’autre.
Toutefois, certaines caractĂ©ristiques du trouble communicationnel de l’enfant sont Ă©galement repĂ©rables sur l’autre pĂŽle de la dyade, dans l’attitude de la mĂšre. En observant cette derniĂšre, redisons-le, il ne s’agit pas de revenir Ă  l’idĂ©e stupide selon laquelle son comportement serait la cause des difficultĂ©s de l’enfant. Il s’agit seulement de prendre son attitude, sa mimique et son discours comme des dĂ©tecteurs particuliĂšrement sensibles des dysfonctionnements propres Ă  la relation que l’enfant Ă©tablit avec elle. Il s’agit, si l’on veut, d’objectiver les indices qui marquent du cĂŽtĂ© de la mĂšre qu’elle a l’intuition que quelque chose ne va pas. Elle n’en est pas consciente, mais cela se trahit et se traduit dĂ©jĂ  Ă  son insu.
Dans nos recherches sur le bain des enfants, l’observation a portĂ© d’abord sur le discours d’accompagnement que la mĂšre tient, sur la maniĂšre dont elle parle et dont elle formule ce qui se passe. Puis, nous nous sommes tournĂ©s vers les signes relatifs Ă  l’enfant, en nous centrant plus spĂ©cifiquement sur sa posture et son regard. S’agissant du langage adressĂ©, nous avons constatĂ© des diffĂ©rences remarquables entre le discours qu’une mĂšre tient Ă  un enfant qui va bien et celui qu’elle tient Ă  un autre qui va Ă©voluer vers l’autisme. Bien entendu, a priori, une mĂšre ne parle pas nĂ©cessairement de la mĂȘme façon Ă  tous ses enfants dans la mĂȘme situation. Toutefois, dans le cas observĂ©, il nous a semblĂ© que les variations dĂ©passaient le simple effet du hasard.
Nous disposions de deux filmages de bains. À deux ans d’intervalle, la mĂȘme mĂšre donnait le bain Ă  l’une, puis Ă  l’autre de ses filles, ĂągĂ©es toutes les deux de 6 mois. La premiĂšre a par la suite prĂ©sentĂ© des traits autistiques, mais pas la seconde. Nous avons observĂ© le comportement de la mĂšre, ses commentaires et la maniĂšre dont son discours accompagnait les mouvements de chacune. Nous avons constatĂ© que le langage adressĂ© dans les deux cas Ă©tait diffĂ©rent Ă  la fois dans son lexique et dans son intonation. Lorsqu’elle s’adresse Ă  l’enfant qui deviendra autiste, ses commentaires sont rares. Ils se bornent Ă  dĂ©crire ce que fait l’enfant. L’intonation est faiblement modulĂ©e. Au contraire, lorsqu’elle s’adresse Ă  l’autre enfant (celui qui ne prĂ©sentera pas de symptĂŽmes), les commentaires sont plus nourris et le contenu du propos exprime souvent ce que la mĂšre imagine que l’enfant peut ressentir. Dans le second cas, tout se passe comme si elle avait plus de facilitĂ©s Ă  s’identifier Ă  sa fille et Ă  mettre en mots les sentiments qu’elle lui prĂȘte. Quant Ă  l’intonation, elle devient moins monotone. Ainsi, face Ă  l’enfant en difficultĂ©, le discours de la mĂšre semble se faire l’écho d’un malaise dont elle-mĂȘme ne s’est pas encore rendu compte. Comme si elle sentait que quelque chose n’allait pas et que cela se traduisait dans sa maniĂšre de parler Ă  l’enfant, mais qu’elle n’avait pas clairement conscience d’un trouble dans l’interaction. Et ce trouble, tel qu’il ressort de la comparaison du bain donnĂ© Ă  chacune des deux fillettes, semble provenir d’une difficultĂ© Ă  identifier ce que l’enfant autiste peut ressentir, faute de pouvoir saisir la valeur des signes qu’elle Ă©met.
Nous ne savons pas Ă  partir de quel Ăąge le discours adressĂ© Ă  l’enfant en risque d’autisme se diffĂ©rencie de celui qui est adressĂ© Ă  l’enfant banal. On pourrait penser que la datation de la diffĂ©rence permettrait de savoir Ă  partir de quel Ăąge il serait raisonnable de rechercher des signes de prĂ©disposition Ă  l’autisme, l’intuition de la mĂšre servant alors de rĂ©vĂ©lateur, mĂȘme Ă  son insu. Une chose en tout cas semble claire : Ă  6 mois, le discours de la mĂšre manifeste des diffĂ©rences palpables. Toutefois, quand elle parle Ă  la petite fille qui deviendra autiste, il reste pleinement adaptĂ©. Au risque de me rĂ©pĂ©ter, donc, la mĂšre n’est pas en cause. Elle sait trouver la bonne distance et le bon langage pour entrer en interaction avec sa fille. Dans la parole qu’elle lui adresse, elle lui dĂ©crit ce qui se passe et ce qu’elle est en train de faire. Or, lorsqu’on travaille avec des enfants autistes plus ĂągĂ©s en cherchant Ă  dĂ©velopper leurs capacitĂ©s d’échange et de communication, c’est ce mĂȘme type de langage descriptif que l’on emploie. Pour que l’enfant parvienne Ă  saisir Ă  quoi renvoient les mots, dans un premier temps, il faut se contenter de gloser ce qui se passe. Avec l’enfant autiste, la mise en mots des Ă©motions est certes nĂ©cessaire, mais elle doit se faire de maniĂšre dĂ©licate et progressive. Faute de quoi, elle risque de donner lieu chez lui Ă  de nouvelles incomprĂ©hensions.
On pourrait Ă©videmment penser que toutes les diffĂ©rences ici relevĂ©es dans le comportement de la mĂšre face Ă  chacune des deux sƓurs lors de leur bain Ă  6 mois sont aussi alĂ©atoires que subjectives. Cependant, l’éprouvĂ© direct de personnes non prĂ©venues face Ă  un enfant de 6 mois qui manifeste des difficultĂ©s de communication montre qu’il n’en est rien. C’est du moins ce qu’une expĂ©rience imprĂ©vue me donne Ă  penser. Il m’est en effet arrivĂ© Ă  diffĂ©rentes reprises de montrer Ă  des collĂšgues successivement l’une, puis l’autre scĂšne de bain sans leur dire quelle Ă©tait celle des deux sƓurs qui Ă©tait en difficultĂ©. Chaque fois, avant qu’ils sachent de quel enfant il s’agissait, j’ai pu constater une diffĂ©rence manifeste dans la maniĂšre dont chacune des deux situations Ă©tait accueillie. Le bain de l’enfant en difficultĂ© suscite rĂ©guliĂšrement de la part du public un regard attentif, mais retenu et silencieux. En revanche, le bain de sa sƓur provoque immĂ©diatement un sentiment de plaisir et un attendrissement qui se marque par des mimiques et des murmures de participation. Comme si les collĂšgues oubliaient dans le second cas qu’ils Ă©taient spectateurs d’un film et qu’ils rĂ©agissaient comme ils l’auraient fait en prĂ©sence directe d’un enfant au bain, se laissant alors porter par l’heureux Ă©change d’affect et le mouvement d’accordage. L’éprouvĂ© direct de personnes non prĂ©venues manifeste donc une diffĂ©rence entre les deux situations. C’est spĂ©cifiquement ce ressenti immĂ©diat qui est au fondement de ce que la psychanalyse dĂ©signe par contre-transfert. Il constitue une rĂ©ponse subjective, intuitive, mais fiable Ă  des caractĂ©ristiques inhĂ©rentes au sujet avec lequel l’observateur participant est en relation. Il ne reprĂ©sente pas, comme on serait tentĂ© de le croire, un ensemble de rĂ©actions alĂ©atoires qui dĂ©pendent de l’humeur.
Si on se penche sur le comportement de l’enfant, l’observation du bain rĂ©vĂšle Ă©galement des diffĂ©rences entre les deux sƓurs. Elles se marquent dans la maniĂšre dont chacune rĂ©agit quand la mĂšre la berce dans l’eau. Lorsqu’elle berce chacune d’entre elles, tout en la maintenant sous la nuque et les fesses, elle l’écarte d’elle, puis la ramĂšne prĂšs de son visage. Or, pendant tout le mouvement, l’enfant qui va bien garde les yeux rivĂ©s dans ceux de sa mĂšre. En revanche, ce n’est pas le cas de celui qui deviendra autiste. Son accrochage au regard de la mĂšre est instable : elle regarde sa mĂšre dans les yeux quand celle-ci la « ramĂšne » face Ă  son visage, mais elle dĂ©croche de son regard et laisse ses yeux se porter au plafond quand le mouvement de bercement l’écarte d’elle. En d’autres termes, elle ne semble pas chercher Ă  faire pivoter ses yeux pour rester en contact lorsque la mĂšre l’écarte de son visage. Il n’y a chez elle aucun mouvement compensatoire des dĂ©placements imprimĂ©s Ă  sa tĂȘte et Ă  son corps par le bercement. Quand son corps bouge, il entraĂźne la tĂȘte. Comme le regard reste fixe, quand la tĂȘte bouge avec le corps, la cible visuelle change. Les yeux balaient le plafond au rythme du balancement. Chez la petite qui va bien, c’est tout le contraire : tout au long du bercement, quand sa mĂšre l’écarte d’elle, elle parvient Ă  compenser le dĂ©placement du regard imprimĂ© par le mouvement que subit sa tĂȘte en basculant son regard vers le haut pour rester agrippĂ© aux yeux de sa mĂšre.
Les mouvements du regard ne sont pas la seule diffĂ©rence entre les deux sƓurs. Au cours du bain, le tonus et la posture gĂ©nĂ©rale des deux enfants diffĂšrent Ă©galement. La sƓur qui va bien est physiquement dĂ©tendue et souple. Celle qui deviendra autiste se tient les mains serrĂ©es sur la poitrine, se raidit, ferme les poings, se met les mains dans la bouche ou encore garde les jambes et les pieds en extension, comme tĂ©tanisĂ©e.
Pour comprendre ces diffĂ©rences, il faut d’abord tenter de se figurer ce que reprĂ©sente un bain pour un enfant. Pour tous, c’est source physique et psychique de plaisir, mais aussi d’inquiĂ©tude. L’enfant qui est dans son bain n’est plus au contact de l’air. Le contact de l’eau sur la peau n’est pas celui que lui offre son milieu naturel. Par ailleurs, dans le bain, il ne dispose plus non plus des appuis qui sont les siens sur la terre ferme. Il en rĂ©sulte une inquiĂ©tude. Face Ă  cela, il lui faut s’accrocher Ă  quelque chose. L’enfant banal s’accroche au regard de sa mĂšre, tandis que l’enfant autiste s’accroche Ă  lui-mĂȘme, en recourant Ă  son tonus, Ă  sa posture ou Ă  ses mouvements.
Pourquoi l’enfant autiste ne peut-il s’agripper au regard de sa mĂšre ? Pourquoi ne bascule-t-il pas les yeux pour maintenir le contact Ɠil Ă  Ɠil lorsque la mĂšre l’écarte de son visage ? Notre hypothĂšse consiste Ă  penser que pour s’agripper au regard de sa mĂšre, quand la tĂȘte bouge, il lui faut calculer le mouvement compensatoire Ă  imprimer Ă  ses yeux Ă  partir de la sensation de dĂ©placement Ă©prouvĂ©e. C’est cette conversion modale (de la sensation du mouvement imprimĂ© Ă  son corps en production de mouvement oculaire) qui se trouve en dĂ©faut chez l’enfant qui deviendra autiste. Du coup, il ne peut plus maintenir son regard dans celui de sa mĂšre.
Il s’agit lĂ  d’un effet prĂ©coce de la dissociation modale (ou dĂ©mantĂšlement) qui constitue le trouble majeur de l’enfant autiste. Ce dĂ©mantĂšlement fait obstacle Ă  la conversion. Le ressenti du mouvement impulsĂ© par le bercement de la mĂšre ne peut plus servir au calcul du mouvement oculaire qui permettrait Ă  l’enfant de garder les yeux fixĂ©s dans ceux de sa mĂšre. C’est pourquoi le lĂącher intermittent du regard de l’enfant prĂ©disposĂ© Ă  l’autisme peut ĂȘtre envisagĂ© comme un signe prĂ©coce de dĂ©mantĂšlement.
L’observation qui prĂ©cĂšde appuie l’hypothĂšse du dĂ©mantĂšlement. Elle conduit Ă©galement Ă  une rĂ©Ă©valuation de la valeur du signe plus tardif que constitue le dĂ©tournement du regard. Curieusement, le visionnage de films familiaux des enfants autistes montre que, avant 2 ans, le dĂ©tournement du regard ne s’observe pas de maniĂšre rĂ©guliĂšre. Auparavant, les enfants qui deviendront autistes ont parfois du mal Ă  conserver un contact Ɠil Ă  Ɠil avec autrui, mais ils ne prĂ©sentent pas Ă  proprement parler de fuite du regard. Comment expliquer la soudaine Ă©mergence de ce symptĂŽme ? L’une des hypothĂšses possibles consiste Ă  poser que ce dĂ©tournement est un signe non pas primaire, mais secondaire, un signe « rĂ©actionnel ». On en vient alors Ă  l’interprĂ©ter comme une mesure de « sauvegarde ». ConfrontĂ© dans l’échange Ă  certaines exigences d’accordage trop lourdes pour lui, l’enfant autiste cherche Ă  construire une interaction « restreinte » et simplifiĂ©e en Ă©cartant une partie des donnĂ©es, celles que fournit la perception visuelle du visage et du regard d’autrui. En regardant ailleurs, il met ces donnĂ©es de cĂŽtĂ©. Sur ces bases restreintes, il peut alors continuer Ă  satisfaire les exigences de cohĂ©rence de l’interaction.
Dans la communication avec autrui, tout sujet doit fabriquer des signes qui articulent des modalitĂ©s de natures trĂšs diffĂ©rentes : la parole (phonĂšmes et intonation), la mimique (regard, sourire), le geste de la main et de la tĂȘte. En outre, le produit de cette articulation complexe de modalitĂ©s hĂ©tĂ©rogĂšnes doit constamment ĂȘtre inflĂ©chi en fonction des signes Ă©mis par l’autre. Ces signes de l’interlocuteur traduisent sa comprĂ©hension et son adhĂ©sion aux propositions que le locuteur formule. À chaque instant, le locuteur doit moduler les signes qu’il s’apprĂȘte Ă  adresser pour tenir compte de ce que rĂ©vĂšlent les indices produits par celui qui l’écoute. C’est cette double exigence de cohĂ©rence que l’enfant autiste ne parvient pas Ă  satisfaire. Pour maintenir malgrĂ© tout la communication, il dĂ©tourne alors le regard. En procĂ©dant ainsi, il s’affranchit de ce qu’autrui lui adresse visuellement pour structurer et rythmer ce qu’il produit lui-mĂȘme. En ne le regardant plus, il se simplifie donc la tĂąche : il n’a plus Ă  inflĂ©chir ses productions en fonction des rĂ©actions de son vis-Ă -vis. Ayant dĂ©jĂ  du mal Ă  articuler les diffĂ©rentes modalitĂ©s des signes qu’il doit produire (modalitĂ© vocale, mimique, direction du regard), il se dĂ©gage d’un accordage qui le contraindrait Ă  moduler cette totalitĂ© complexe en fonction des signes qu’on lui envoie.
Ce que l’on observe chez l’enfant autiste au bain semble donc la marque d’une dissociation modale qui le contraindra ultĂ©rieurement Ă  dĂ©tourner le regard pour prĂ©server sa communication avec autrui en la simplifiant. Le dĂ©tournement du regard est une mesure de sauvegarde. À 6 mois, la dissociation touche l’articulation entre les informations posturales (liĂ©es au dĂ©placement induit par le bercement de la mĂšre) et le mouvement oculaire (qu’il conviendrait de produire pour maintenir le contact Ɠil Ă  Ɠil en corrigeant l’écart causĂ© par le mouvement de bercement). Or, Ă  cet Ăąge, le dĂ©tournement du regard n’est pas encore systĂ©matique : la diversitĂ© des modalitĂ©s Ă  agencer dans la communication est encore assez restreinte pour que la production d’un signe tenant compte du regard reste possible. C’est quand la communication se complexifie et qu’il faut articuler le verbal (phonĂšmes, intonation) au non-verbal (mimique, gestes, posture) que les capacitĂ©s de liaison de l’enfant se trouvent dĂ©passĂ©es et que la fuite du regard devient alors un ultime recours destinĂ© Ă  le libĂ©rer de la soumission aux ponctuations rythmiques que son interlocuteur impose Ă  l’échange.
Les paradoxes de la communication spontanĂ©e de l’enfant autiste
J’aimerais en venir Ă  prĂ©sent Ă  certains aspects paradoxaux de la communication spontanĂ©e des enfants autistes. Ils soulignent Ă  mon sens leur sensibilitĂ© Ă  la prĂ©sence de l’autre et leur appĂ©tence Ă  l’échange, mais aussi les contraintes instrumentales qu’ils subissent et les empĂȘchent de se conformer aux rĂšgles de la communication.
Le pointage solitaire
On a souvent fait valoir que le pointage est un acte de communication décisif chez le jeune enfant. Il apparaßt pour demander quelque chose (pointage dit « proto...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Préface
  5. Chapitre 1 - Des enfants au bain
  6. Chapitre 2 - Logique cognitive, logique psychanalytique : une approche plurielle
  7. Chapitre 3 - Jésus ou à quoi sert la psychanalyse ?
  8. Chapitre 4 - Pierre et la naissance du jeu symbolique
  9. Chapitre 5 - François ou la succession des perspectives psychanalytiques au cours de la séance
  10. Chapitre 6 - Jean et le réverbÚre
  11. Chapitre 7 - Armand et le complexe d’Humpty Dumpty
  12. Chapitre 8 - L’enfant dĂ©mantelĂ©
  13. Chapitre 9 - Comment ĂȘtre un pĂšre « suffisamment bon » ?
  14. Chapitre 10 - L’émergence de la symbolisation secondaire chez l’enfant autiste
  15. Chapitre 11 - Le langage dans la cure de l’enfant autiste
  16. Chapitre 12 - RĂȘve et rĂ©alitĂ© dans le jeu et le langage poĂ©tique de l’enfant autiste
  17. Épilogue
  18. Bibliographie
  19. Remerciements
  20. Du mĂȘme auteur chez Odile Jacob