Un pays qui voudrait rester libre
eBook - ePub

Un pays qui voudrait rester libre

Chronique d'une accoutumance sécuritaire (2015-2020)

  1. French
  2. ePUB (adapté aux mobiles)
  3. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Un pays qui voudrait rester libre

Chronique d'une accoutumance sécuritaire (2015-2020)

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Les Français croient-ils encore à leurs libertés?? L'État de droit nous fait-il encore rêver?? Avons-nous encore la force de désirer autre chose que notre sécurité?? Au cours des années 2015 à 2020, les conditions de notre libertése sont réduites par vagues: urgence sécuritaire, urgence sanitaire, maintien de l'ordre public. Réflexe de protection face au traumatisme du terrorisme islamiste, sacrifices nécessaires pour endiguer le Covid-19, normalisation des atteintes aux droits de la presse, accoutumance à un traitement répressif des manifestants… Alors que nos gouvernements successifs développent une addiction sécuritaire, l'esprit de résistance s'endort. Avec une plume acérée, François Saint-Pierre nous livre un document essentiel pour capter, derrière les coups de bélier sécuritaires qui ont ponctué ces années, une lame de fond préoccupante: la passion française pour la liberté s'est érodée. De cette chronique, sachons tirer des clés pour raviver la flamme. François Saint-Pierre est avocat. Sa pratique de la défense pénale nourrit sa réflexion de citoyen sur notre modèle démocratique et judiciaire depuis de nombreuses années. Il a publié aux éditions Odile Jacob Avocat de la défense (2009), Au nom du peuple français (2013) et Le Droit contre les démons de la politique (2019).

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Un pays qui voudrait rester libre par François Saint-Pierre en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Politique et relations internationales et Liberté politique. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

CHAPITRE 1

Révolte des gilets jaunes :
la contestation face à l’ordre


Notre récit commence à Paris, le 9 janvier 2020, aux abords de la gare Saint-Lazare, où je passais de retour d’un rendez-vous professionnel dans le quartier. La nuit était déjà tombée. Sous une pluie froide, une foule dense et ordonnée défilait, dans un brouhaha de chansons et de slogans diffusés à fond par des sonos montées sur des camionnettes. Les rues adjacentes étaient bloquées par des rangées serrées de CRS ou de gendarmes, casqués, armés de boucliers, de matraques et de sortes de fusils à canon court. La grande manifestation de la CGT battait son plein, dans une démonstration de force populaire impressionnante. Son but : obtenir l’abandon de la réforme des retraites que le gouvernement voulait alors mener à terme dans les meilleurs délais. En cette journée d’hiver, personne n’était capable de prévoir si les grèves, qui duraient depuis plusieurs semaines, se prolongeraient encore, ou bien si le gouvernement finirait par céder ; il n’en donnait guère l’impression. Pourtant, ce n’était pas seulement sa politique de réforme sociale qui était en jeu ce soir-là, mais aussi la crédibilité du syndicat, qui cherchait depuis longtemps à reprendre l’initiative.
Depuis plus d’un an, depuis novembre 2018, les gilets jaunes s’étaient révoltés. Tous les samedis, à Paris, à Lyon, à Marseille, à Toulon, à Nice, à Bordeaux, à Toulouse et dans d’autres villes, ils se retrouvaient pour manifester, en dehors de toute organisation, en communiquant sur Facebook. On se souvient de leur refrain préféré : « On est là, on est là, même si Macron le veut pas, nous on est là ! », qui rappelait le « Ah ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne ! » que chantaient les sans-culottes pendant la Révolution française. Les racines de cette colère étaient vraiment profondes pour nourrir un tel mouvement populaire durant des mois, qui s’essoufflait parfois puis repartait, par vagues, de semaine en semaine, mais sans structure, sans direction, de manière spontanée et pour tout dire anarchique. Ceux qui apparurent comme leaders ou porte-parole du mouvement furent très vite contestés et désavoués. D’autres tentèrent de se présenter aux élections européennes de juin 2019, tandis que la plupart renoncèrent. Une liste de candidats au nom des gilets jaunes se forma néanmoins, mais elle subit un cuisant échec. Ce mouvement défiait toute logique, tout pronostic.

Aux origines du mouvement des gilets jaunes

Comme se déclencha-t-il ? En lisant assidûment la presse et en observant les réseaux sociaux, en les écoutant, on devinait que, derrière des causes immédiates de mécontentement, un vif sentiment d’injustice les animait tous, eux qui jusqu’alors s’étaient conformés aux lois, à l’ordre social, mais qui d’un coup s’étaient levés, endossant le gilet jaune qu’ils avaient dans leur voiture en signe de ralliement, pour aller se réunir autour des ronds-points de banlieue et bloquer la circulation. La hausse continue du prix du diesel conjuguée à la limitation de la vitesse sur les routes à 80 km/heure, annoncée à l’été 2018 par le Premier ministre Édouard Philippe1, avait provoqué un ras-le-bol généralisé parmi un grand nombre de Français résidant en périphérie des villes, pour lesquels la voiture est nécessaire pour aller travailler tous les jours, et la perte de leur permis de conduire une catastrophe, tant pour eux que pour leur famille, alors que leurs salaires ne suffisaient toujours pas à boucler les fins de mois, sans perspectives d’augmentation. Un point de rupture avait été atteint. L’une des figures du mouvement, à laquelle un journaliste demandait quelles étaient ses revendications, avait répondu d’un mot : le « pouvoir d’achat ». Ce qui pouvait paraître un peu court, mais en disait long sur la situation. Toute une population travailleuse se sentit solidaire du mouvement, dans les premiers temps, fière d’aller manifester les samedis, ensemble, en famille et avec des amis.
En réalité, ce terme de pouvoir d’achat ne signifiait pas seulement le coût de la vie quotidienne, les difficultés de fin de mois, mais aussi cette capacité économique, cette puissance sociale dont disposent les riches, les bourgeois, qui leur permet d’exercer des métiers de haut niveau, bien payés, et qui permet à leurs enfants de mener de belles études, les laissant libres ensuite de choisir à leur tour leur vie future, leur destinée, que tout semble séparer de celle des autres, non seulement l’économie mais aussi la culture, les attitudes, comme dans un monde de classes cadenassées, de castes. Seuls certains parviendraient à s’échapper, en trompant ce déterminisme, comme l’ont raconté, chacun à leur manière, Didier Éribon, dans Retour à Reims, et Elena Ferrante, en Italie, dans L’Amie prodigieuse. Ce sentiment cruel d’injustice sociale se nourrit sur des générations successives, dans un temps long, d’une époque à l’autre, au point de mener à la révolte tous ceux pour lesquels les grands principes républicains de liberté et d’égalité finissent par sonner si faux qu’ils n’y croient plus. En échange, ce que redécouvrirent alors les gilets jaunes, dirent-ils, ce fut la fraternité, lors de leurs veillées sur les ronds-points où ils prirent l’habitude de se réunir pour manifester et pique-niquer, les samedis. Hélas, la situation dégénéra rapidement.

Des scènes de violence inacceptables

Les incidents se multiplièrent. Sur des vidéos, on vit des scènes de violence inadmissibles, disons-le nettement, commises par des gilets jaunes, hurlant des insultes racistes à une conductrice qui refusait de revêtir un gilet, contraignant une autre à retirer son foulard. On vit une banderole au slogan antisémite pendue sur un pont d’autoroute, visant le président de la République, Emmanuel Macron, couvert de propos homophobes. Son épouse fut elle aussi copieusement insultée, de même que Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, menacée et promise « au bûcher »… Des gilets jaunes se mirent en chasse de sans-papiers, de migrants cachés dans des camions, et les livrèrent à des douaniers qui s’en offusquèrent. De nombreux radars furent détruits sur les routes, et plusieurs journalistes agressés lors de manifestations, accusés de désinformation ; un écrivain connu qui passait par là l’un de ces samedis échappa de peu aux coups2. Bien sûr, tous les gilets jaunes ne se livrèrent pas à ces exactions ; nombreux en furent gênés, voire dégoûtés, mais bien peu s’en désolidarisèrent publiquement. Les figures du mouvement, elles, ne les condamnèrent pas.
Hannah Arendt, la philosophe du totalitarisme du XXe siècle, avait employé un mot dur et dédaigneux à l’encontre de tels mouvements de foule, violents et destructeurs : la « populace », qu’elle distinguait du peuple. En assistant aux débordements qui se produisirent alors, on ne pouvait qu’y songer avec amertume. Le samedi 1er décembre 2018, des milliers de gilets jaunes avaient envahi les Champs-Élysées, lorsque des « black blocks » s’y mêlèrent pour vandaliser les vitrines des magasins et les véhicules garés là, puis dégradèrent l’Arc de triomphe, place de l’Étoile, affrontant les forces de l’ordre qui se révélèrent incapables de les contenir. La panique était totale. Des groupes de gilets jaunes pénétrèrent par effraction dans les immeubles et les hôtels particuliers du quartier, vociférant et allumant des incendies, chassant le bourgeois, animés par une furie collective effrayante, qui me laissa rêveur3. Ce devait être cette haine-là qui avait, en 1792, agité les sans-culottes, lorsqu’ils s’en allèrent forcer les portes des prisons de Paris pour y trucider les aristocrates détenus qui y attendaient leur procès : ce fut ce à quoi ressembla ce que Michelet, le grand historien de la Révolution française, appela les « massacres de septembre ».
La situation s’aggrava encore lorsque, le samedi 5 janvier 2019, un homme, à l’avant de centaines de gilets jaunes qui tentaient de traverser la Seine sur une passerelle en direction de l’Assemblée nationale, fit à lui seul reculer les gendarmes qui en barraient le passage en les boxant avec un cran sidérant et la technique de l’ancien champion catégorie lourds-légers qu’il était. La vidéo de la scène fit la une des médias et des réseaux sociaux. Il devint un héros du mouvement. Recherché, il prit la fuite, puis se rendit. Mais lors de son procès, devant le tribunal correctionnel, ni lui ni ses avocats ne tentèrent de revendiquer son geste, de le légitimer par une motivation politique ou sociale. Il présenta au contraire ses plates excuses et fut condamné à une peine modérée4.

Le maintien de l’ordre en question

Du côté des forces de l’ordre, ces incidents furent vécus comme des humiliations. Dès les premiers samedis, le commandement dut réviser ses méthodes. De telles scènes de violence et de vandalisme ne devaient plus se reproduire. Cependant, les gilets jaunes ne déclaraient pas leurs manifestations en préfecture (comme cela est obligatoire), ce qui rendait difficile leur contrôle, d’autant plus que les casseurs qui s’y joignaient en bandes attaquaient les policiers avec une audace inouïe. Désormais, il faudrait répliquer. De nouvelles consignes furent données : « Allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter, ça fera réfléchir les suivants5 ! » En mars, un nouveau préfet de police fut nommé à Paris, M. Lallement, qui reçut pour mission de gérer fermement les événements. Mais ses méthodes furent vivement contestées. Un usage disproportionné d’armes dangereuses par les forces de l’ordre lui fut reproché, et pour cause : à la fin de l’année 2019, on dénombrait vingt-quatre manifestants éborgnés, blessés par des tirs de LBD, un fusil court lanceur de balles de défense, dans des conditions non réglementaires, à faible distance ; cinq autres manifestants avaient dû être amputés d’une main, blessés en ramassant des grenades lacrymogènes explosives tombées à terre.
Une fin d’après-midi, alors qu’il inspectait ses troupes sur la voie publique, le préfet, à l’allure martiale, répondit à une femme vêtue d’un gilet jaune qui essayait poliment de lui expliquer sa sympathie pour le mouvement : « Nous ne sommes pas dans le même camp, madame », sur un ton de mépris tel que l’on comprit qu’il considérait désormais la population comme une ennemie. D’ailleurs, dans un entretien au journal Le Monde, lui-même se compara… au général Galliffet, le massacreur des insurgés lors de la répression de la Commune de Paris, au printemps 1871 ; un trait d’humour de sa part, sans doute, mais de bien mauvais goût6. L’image de la police dans l’opinion publique se dégrada considérablement, et pas seulement parmi les contestataires.
Si l’on comprenait la fatigue des policiers, leur lassitude à la longue, rien ne justifiait les tabassages sans retenue auxquels ils continuèrent de se livrer, par exemple en marge de la manifestation de la CGT de janvier 2020, pourtant bien encadrée, que l’on vit sur de nombreuses vidéos. Même les pompiers de Paris, eux aussi en grève, se firent durement matraquer dans la rue ! Ces policiers, qui avaient été acclamés par les Parisiens au lendemain des attentats terroristes de 2015, moins de cinq ans auparavant, se voyaient maintenant insultés par les passants. « Suicidez-vous ! » leur criaient méchamment des gilets jaunes, qui les devinaient à bout, psychologiquement vulnérables – sachant pertinemment que de nombreux policiers se suicident chaque année, sans doute en raison des conditions morales et matérielles de leur profession7. C’est dire à quel point les relations de la population avec les forces de l’ordre s’étaient abîmées.

Des gardes à vue préventives ?

Cette défiance atteignit aussi la Justice, dans une moindre mesure, car même si les tribunaux qui jugèrent les gilets jaunes poursuivis pour violences ou dégradations prononcèrent des peines modérées dans l’ensemble8, de nombreux manifestants avaient été arrêtés par la police dès les samedis matin, aux abords des lieux de rendez-vous, au seul motif de leur intention de participer à une manifestation non déclarée ou de commettre des violences ; placés en garde à vue, ils n’avaient été relâchés que le dimanche soir, sans charges finalement retenues à leur encontre. On parla de « gardes à vue préventives », alors que la loi conditionne l’arrestation d’une personne à des critères objectifs laissant supposer qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, et son maintien en garde à vue aux nécessités de l’enquête ; le procureur de la République de Paris s’en défendit, affirmant au contraire que, dans de tels contextes, le Code de procédure pénale autorise la retenue de ces personnes jusqu’à ce que les troubles aient pris fin, le dimanche soir, afin qu’elles ne rejoignent pas les manifestations toujours en cours, où des violences étaient encore commises9.
La question était sérieuse : ces personnes avaient-elles fait l’objet de privations abusives de liberté ? La justice n’eut guère l’occasion de se prononcer sur la légalité de ce procédé, puisqu’elles furent libérées en fin de garde à vue, sans même comparaître devant un tribunal, face auquel leurs avocats auraient eu la faculté de protester. Le malaise s’amplifia, car de nombreux passants avaient aussi fait l’objet de contrôles aux abords des manifestations par des policiers qui avaient scanné leurs cartes d’identité, ce qu’aucun règlement n’autorise. Un soupçon de fichage généralisé des manifestants par la police se propagea, et, pire encore, par l’AP-HP, l’administration des hôpitaux de Paris, qui aurait illégalement tenu un registre des gilets jaunes blessés10… La sûreté de ces personnes était en cause, c’est-à-dire leur protection contre l’arbitraire de l’État, qui est une garantie constitutionnelle fondamentale. Avions-nous d’ores et déjà basculé dans un régime autoritaire, comme le gouvernement s’en voyait accusé par les avocats des gilets jaunes, de plus en plus virulents, et au Parlement par les députés de La France insoumise ?

Une réaction décevante du gouvernement

En réponse, le président de la République et ses ministres déçurent, c’est le moins que l’on puisse dire. Emmanuel Macron se voulut rassurant en affirma...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. INTRODUCTION - La tentation liberticide : l'ère des va-t-en-guerre
  5. CHAPITRE 1 - Révolte des gilets jaunes : la contestation face à l'ordre
  6. CHAPITRE 2 - Pandémie du coronavirus : le poids de l'état d'urgence sanitaire
  7. CHAPITRE 3 - Face au terrorisme islamiste, l'emprise des procédures sécuritaires
  8. CHAPITRE 4 - Libertés d'expression et d'opinion : toujours plus vives, toujours plus menacées
  9. CHAPITRE 5 - Droit de la presse : la grande loi de 1881 en danger de dislocation
  10. CONCLUSION - L'amour des libertés contre l'accoutumance sécuritaire
  11. Notes
  12. Sommaire
  13. Du même auteur chez Odile Jacob