Diasporas et Nations
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Diasporas et Nations

  1. 256 pages
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À propos de ce livre

Pourquoi les diasporas, tenues en suspicion par les États nations contemporains, sont-elles devenues l'objet d'un vĂ©ritable culte? Pourquoi le modĂšle de la diaspora s'Ă©tend-il Ă  tous les peuples dispersĂ©s? Comment en est-il venu Ă  dĂ©signer toutes les revendications identitaires, des cultures rĂ©gionales aux pratiques religieuses, des modes de vie aux mobilitĂ©s sociales? Ce livre prend la mesure du phĂ©nomĂšne dans toutes ses dimensions sociales et politiques. Chantal Bordes-Benayoun, sociologue, est directrice de recherche au Centre d'anthropologie de Toulouse (CNRS-École des hautes Ă©tudes en sciences sociales). Dominique Schnapper, sociologue, est directrice d'Ă©tudes au Centre de recherche historique de l'École des hautes Ă©tudes en sciences sociales.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2006
ISBN
9782738188953
Seconde partie
L’homme de la diaspora dans les « siĂšcles dĂ©mocratiques »
Chapitre 3
Le rétrécissement du monde
L’État nation se dĂ©finissait par le projet de faire coĂŻncider organisation politique, pratiques Ă©conomiques et rĂ©fĂ©rences identitaires (appelĂ©es aussi parfois « nationalitaires ») dans un territoire unique, clairement dĂ©fini par des frontiĂšres gĂ©ographiques et politiques stables. L’adhĂ©sion Ă  la nation, au temps des nationalismes, n’avait jamais Ă©liminĂ© les autres identifications, mais aujourd’hui, dans un monde vĂ©cu que les hommes ont rendu plus petit, le nombre des populations qui dĂ©finissent leur identitĂ© collective par des rĂ©fĂ©rences infranationales ou supranationales a augmentĂ©. Les phĂ©nomĂšnes transnationaux, qui n’étaient pas inconnus au temps des nationalismes, se multiplient. Les Ă©changes de biens et de services, la diffusion des techniques, la circulation des flux financiers et des informations se dĂ©ploient Ă  l’échelle mondiale et s’intensifient. La sociologie des rĂ©seaux, qui englobe volontiers les diasporas, montre la mobilisation des ressources dans un espace Ă©largi, transcendant les frontiĂšres Ă©tatiques nationales. La dissociation croissante entre les rĂ©fĂ©rences identitaires, les pratiques Ă©conomiques et l’organisation politique est sans doute devenue l’une des caractĂ©ristiques du monde moderne.
Il ne faut toutefois pas surestimer cette Ă©volution. La situation actuelle ne se rĂ©sume pas Ă  l’histoire d’un affaiblissement continu de l’État nation. DiffĂ©rentes instances, du local au transnational, coexistent ou s’opposent, mais les sociĂ©tĂ©s nationales n’ont pas disparu pour autant. Il faut d’abord s’interroger sur la naissance d’une sociĂ©tĂ© transnationale avant d’analyser les relations rĂ©ciproques qui s’établissent entre les États des sociĂ©tĂ©s historiques nationales qui n’ont pas perdu toute signification, la sociĂ©tĂ© transnationale qui semble Ă©merger et les identitĂ©s infranationales ou « ethniques » qui se renouvellent. Étant donnĂ© la multiplication des rĂ©fĂ©rences, les diasporas qui se dĂ©finissent par leur transnationalitĂ© gardent-elles leur originalitĂ© ? Éclairent-elles d’un jour nouveau les transformations en cours ? Et correspondent-elles, comme certains se plaisent Ă  l’annoncer, Ă  un « modĂšle » cosmopolite en construction ? Les analyses portant sur les diasporas au temps de l’État nation triomphant et des nationalismes sont-elles devenues obsolĂštes ?
La naissance d’une sociĂ©tĂ© transnationale ?
Institutions et protestations transnationales
Nombre d’auteurs insistent justement sur le dĂ©veloppement d’une sociĂ©tĂ© transnationale. En tĂ©moignent le nombre des institutions internationales organisĂ©es par des traitĂ©s entre les États, tels l’ONU, l’Unesco, le BIT, le FMI ou la Banque mondiale ; le nombre et l’activitĂ© des organisations non gouvernementales (ONG) ; l’efficacitĂ© d’associations internationales comme Amnesty International ou Greenpeace qui ont Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©ment crĂ©Ă©es pour critiquer et orienter l’action politique des États. Le nombre des membres qui participent Ă  ces organisations et des populations qu’elles prennent directement en charge n’a cessĂ© d’augmenter. Les camps de rĂ©fugiĂ©s, les bureaucraties qui les traitent, les mouvements de secours et les associations philanthropiques constituent une institution permanente de l’ordre transnational1.
À cĂŽtĂ© des reprĂ©sentants de 175 États, 1 000 ONG Ă©taient prĂ©sentes en 1992 Ă  la confĂ©rence de Rio sur l’environnement, 1 500 en 1994 Ă  la confĂ©rence du Caire sur la dĂ©mographie mondiale, 2 000 en 1995 Ă  la confĂ©rence de Copenhague sur le dĂ©veloppement social. À la confĂ©rence de Rio, un forum global des ONG rĂ©unissant plus de 2 000 personnes doublait la confĂ©rence officielle. En 1995, 30 000 femmes ont participĂ© au forum des ONG qui se tenait en marge de la confĂ©rence de PĂ©kin sur les femmes2. Dans l’ex-Yougoslavie, au cours des annĂ©es 1990, 23 ONG diffĂ©rentes Ă©taient responsables, Ă  des titres divers, de plusieurs millions de personnes. Le nombre des ONG a Ă©tĂ© multipliĂ© par dix depuis 1960. Amnesty International est prĂ©sente dans 62 pays, la FĂ©dĂ©ration internationale des droits de l’homme compte 114 implantations nationales. Les sommes collectĂ©es sont Ă  la hauteur de leurs ambitions : les dons privĂ©s aux ONG s’élĂšvent annuellement Ă  4,575 milliards d’euros au Royaume-Uni. MĂȘme en France, oĂč la fiscalitĂ© est moins favorable aux dons, MĂ©decins sans frontiĂšres, le ComitĂ© français pour l’Unicef, Handicap International, Action contre la faim et l’Association des volontaires du progrĂšs ont ensemble un budget dĂ©passant 32 millions d’euros3. Ces associations bĂ©nĂ©ficient d’un grand prestige dans la mesure oĂč la majoritĂ© de la population les juge plus « morales » que les États4. Cette rĂ©putation leur permet d’agir en faisant appel Ă  l’opinion publique et en multipliant les interventions mĂ©diatiques. Par ses campagnes, Greenpeace a pu faire reculer des entreprises multinationales plus efficacement que les États nationaux. La campagne menĂ©e contre Shell en 1995 en est l’exemple le plus spectaculaire. L’entreprise avait dĂ©cidĂ© d’envoyer par le fond une plate-forme pĂ©troliĂšre inexploitable (Brent Spar) situĂ©e dans la mer du Nord. Des experts renommĂ©s mandatĂ©s par le gouvernement britannique garantissaient l’innocuitĂ© de la dĂ©marche, approuvĂ©e par le Premier ministre de l’époque, John Major. Devant l’ampleur et l’efficacitĂ© de la campagne mĂ©diatique de Greenpeace, Shell dut renoncer. Lorsque de nouveaux rapports d’experts, concluant dans le mĂȘme sens, furent publiĂ©s trois mois plus tard, le responsable de Greenpeace-UK envoya une lettre d’excuses au P-DG de Shell. Mais l’ONG avait fait la preuve de son efficacitĂ©. Il est vrai qu’un nombre croissant de problĂšmes ne peut ĂȘtre traitĂ© de maniĂšre exclusivement nationale : les droits de l’homme, l’environnement, les transports, la dĂ©mographie, les migrations, le dĂ©veloppement Ă©conomique sont de plus en plus confiĂ©s aux organisations internationales et aux ONG5. L’ONU, dĂ©pourvue des moyens d’action Ă  la hauteur de ses ambitions, s’appuie volontiers sur elles pour contourner l’obstacle que constituent souvent les États nationaux. La proclamation d’une JournĂ©e internationale des migrants et la signature de la Convention sur les droits des travailleurs migrants, entrĂ©e en vigueur en 2003 et rĂ©pondant Ă  la revendication de nombreuses associations humanitaires, reconnaissent symboliquement le fait migratoire comme un phĂ©nomĂšne mondial dont la gestion ne relĂšve plus des seuls États ou d’accords binationaux.
Ce n’est pas dire pour autant que les ONG mĂšnent le monde et que le pouvoir des États a disparu. Sur la politique de la Russie, de la CorĂ©e du Nord, de Cuba ou de la Chine, sur celle de la majoritĂ© des pays arabes et islamiques, les plus grandes ONG n’ont pratiquement aucune influence. Les protestations des dĂ©fenseurs des droits de l’homme n’ont pas eu d’effet sur la politique de la Russie en TchĂ©tchĂ©nie. La dĂ©fense des dissidents chinois n’a pas Ă©tĂ© plus efficace. Les succĂšs, telle la libĂ©ration d’un prisonnier politique, sont symboliques – ce qui n’enlĂšve rien Ă  leur valeur –, ils ne modifient gĂ©nĂ©ralement pas les conditions de la libertĂ© politique dans les pays concernĂ©s. Ils ne sont d’ailleurs pas obtenus dans les pays les plus puissants ni les plus tyranniques. MĂȘme dans les pays dĂ©mocratiques oĂč les droits de l’homme sont respectĂ©s, l’action des ONG consiste surtout Ă  alerter l’opinion et Ă  susciter une Ă©motion transnationale en Ă©voquant des cas individuels ; elle reste ponctuelle. Les ONG compliquent le jeu diplomatique, en rappelant le cynisme qui prĂ©side souvent aux relations entre États, mais elles ne modifient pas substantiellement leur politique6. Il reste que les symboles et le rappel des grandes valeurs dĂ©mocratiques, la capacitĂ© Ă  mobiliser les Ă©motions suscitent une sorte d’opinion publique transnationale. Mais comment Ă©valuer son pouvoir ? Les grands succĂšs dont les ONG sont crĂ©ditĂ©es, la campagne sur la dette des pays les plus pauvres, la convention d’Ottawa sur les mines antipersonnelles, le traitĂ© sur la Cour pĂ©nale internationale (CPI) auraient-ils Ă©tĂ© remportĂ©s si les campagnes mĂ©diatiques des ONG n’avaient pas Ă©tĂ© relayĂ©es par la volontĂ© et les dĂ©cisions des États ? Dans le monde de la communication, d’ailleurs, on peut savoir qu’il existe une dictature ou que des injustices et des massacres ont lieu sans que cela conduise nĂ©cessairement les gouvernants Ă  agir.
Les rĂ©sultats de l’action menĂ©e pour Ă©tablir une justice internationale restent Ă©galement modestes. Le Tribunal pĂ©nal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), et le Tribunal pĂ©nal international pour le Rwanda (TPIR) ne peuvent pas ne pas apparaĂźtre comme essentiellement politiques. Le « Statut Ă©tablissant la Cour pĂ©nale internationale » adoptĂ© par la confĂ©rence diplomatique des Nations unies rĂ©unie Ă  Rome en 1998 n’a Ă©tĂ© ratifiĂ© que par 92 pays ; ni les États-Unis ni l’Union indienne ni la Chine ni le Japon ni la Russie, soit les pays les plus importants du point de vue dĂ©mographique, ne l’ont fait. Or, la Cour n’a compĂ©tence que sur les ressortissants des États qui ont ratifiĂ© le traitĂ©, sauf en ce qui concerne les affaires qui lui seraient dĂ©fĂ©rĂ©es par le Conseil de sĂ©curitĂ© de l’ONU. La justice internationale, pour l’instant, n’a pas rĂ©ussi Ă  dĂ©passer sa contradiction fondamentale : comment peut-on exercer la justice sans qu’il y ait une autoritĂ© qui formule les rĂšgles de droit positif, qui les impose et sanctionne leur violation ?
Il est vrai que sur certains sujets, une sorte d’opinion publique mondiale commence Ă  exister. Les manifestations pacifiques de la GĂ©orgie, puis de l’Ukraine, du Kirghizstan pour imposer Ă  leurs dirigeants de reconnaĂźtre les rĂ©sultats des Ă©lections, bĂ©nĂ©ficiant de l’aide et des conseils de certaines ONG amĂ©ricaines, ont suscitĂ© la sympathie de tous les dĂ©mocrates. Les Libanais ou les Moldaves, par leurs manifestations massives en faveur de l’indĂ©pendance nationale et des pratiques dĂ©mocratiques, ont utilisĂ© les mĂȘmes moyens pour obtenir la fin de la prĂ©sence syrienne et russe. Mais quel rĂŽle effectif joue cette esquisse d’opinion publique mondiale ?
Ce sont sans doute les mouvements de protestation mondiaux qui semblent le mieux illustrer la naissance d’une sociĂ©tĂ© transnationale. Les militants de l’altermondialisme contestent l’ordre Ă©conomique mondial, ils protestent contre l’action des institutions internationales par lesquelles les États s’efforcent de rĂ©guler les Ă©changes Ă©conomiques, ils en dĂ©nient la lĂ©gitimitĂ©. Leurs initiatives dĂ©passent le cadre des frontiĂšres nationales dans tous les pays d’Europe et d’AmĂ©rique. Ils diffusent mondialement l’idĂ©ologie de l’« antimondialisation » ou de l’« altermondialisation », c’est-Ă -dire l’hostilitĂ© au capitalisme « sauvage », ils s’attaquent Ă  la « pensĂ©e unique », c’est-Ă -dire au libĂ©ralisme Ă©conomique7. GrĂące aux moyens de communication modernes, tĂ©lĂ©phones portables et surtout Internet, la diffusion des dĂ©bats et l’organisation des manifestations Ă  travers le monde dĂ©mocratique sont immĂ©diates. C’est ainsi que des militants venus de tous les pays du monde europĂ©en et amĂ©ricain ont pris conscience de leur force au contre-sommet de Seattle en 1999 qui a fait Ă©chouer les nĂ©gociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ils se sont retrouvĂ©s ensuite Ă  Washington en mars 2000, Ă  Prague en septembre 2000, Ă  QuĂ©bec en avril 2001 (contre la zone de libre-Ă©change des AmĂ©riques), Ă  Nice, Ă  GĂȘnes (contre la rĂ©union du G8 en juillet 2001) et Ă  Barcelone. Ils ont compliquĂ© les rĂ©unions des responsables Ă©conomiques nationaux et internationaux. Ils prĂ©tendaient que la lĂ©gitimitĂ© des États nationaux Ă©tait affaiblie et que devait s’imposer dĂ©sormais la lĂ©gitimitĂ© d’une « sociĂ©tĂ© civile mondiale » en voie de constitution. Ces arguments sont diffusĂ©s par de nombreuses associations, reliĂ©es l’une Ă  l’autre de maniĂšre permanente par Internet. Le Third World Network, par exemple, crĂ©Ă© en 1984, est un rĂ©seau de plus de cent ONG, qui produit analyses et recherches sur la mondialisation – contre ses formes prĂ©sentes, pour en prĂŽner une autre – et possĂšde quatre magazines dans le monde. Global Trade Watch, International Forum on Globalization sont les plus fameuses ou les plus actives de ces associations, mais leur nombre ne cesse d’augmenter. Le site du Forum mondial des alternatives, qui les met en relations continues, a rĂ©pertoriĂ©, en 2003, 1 476 organisations.
Le succĂšs mĂ©diatique des manifestations « alter » n’est pas douteux. Les militants maĂźtrisent avec brio les outils de la communication moderne. MĂȘme Ă  Davos, les principaux responsables Ă©conomiques du monde ont repris certains thĂšmes – la nĂ©cessitĂ© de tenir compte du « social » ou de l’environnement – de la culture antimondialiste dont les militants se dĂ©finissent dĂ©sormais en militants de l’altermondialisme, c’est-Ă -dire d’une autre mondialisation. Des ministres ont assistĂ© Ă  leurs rassemblements, certains soulignent qu’ils posent de « bonnes questions » mĂȘme s’ils ne donnent pas les « bonnes rĂ©ponses ». Des chefs de gouvernement leur font Ă©cho dans leurs discours. On a volontiers Ă©voquĂ© la naissance d’une sociĂ©tĂ© civile transnationale incarnĂ©e par ces nouveaux militants. Mais s’agit-il vraiment d’une sociĂ©tĂ© civile et politique qui aurait pris conscience de sa puissance ?
La nouveautĂ© du militantisme altermondialiste ne doit pas ĂȘtre surestimĂ©e. Des manifestations avaient dĂ©jĂ  eu lieu dans tout le monde dĂ©mocratique, par exemple en Europe contre le gĂ©nĂ©ral Ridgway dans les annĂ©es 1950 ou contre la guerre du Vietnam dans le monde entier au cours des annĂ©es 1960. La cĂ©lĂ©bration du 1er Mai a Ă©tĂ© pendant plus d’un siĂšcle une manifestation nationale qui se dĂ©roulait le mĂȘme jour dans les diffĂ©rents pays et affirmait ainsi sa dimension internationale. Aujourd’hui, ce sont plutĂŽt les militants qui se dĂ©placent d’un pays Ă  l’autre. Mais les manifestations restent diffĂ©rentes les unes des autres. Les dĂ©filĂ©s de 2004 contre la guerre en Irak se sont dĂ©roulĂ©s dans chaque pays selon sa tradition, mĂȘme si la prĂ©sence de reprĂ©sentants Ă©trangers dans les cortĂšges symbolisait le caractĂšre international de la protestation. Les manifestants, s’ils avaient souvent un lien particulier avec l’étranger, restaient marquĂ©s, dans le style de leurs protestations, par leur appartenance nationale, comme en tĂ©moigne la variĂ©tĂ© des dĂ©filĂ©s se dĂ©roulant, par exemple, les uns au son des batucadas au BrĂ©sil, les autres derriĂšre le drapeau arc-en-ciel des pacifistes italiens ou encore selon la tradition des syndicats en France8. D’ailleurs leurs revendications portent Ă©galement sur le local. L’un des grands mots d’ordre des manifestants Ă©tait « penser global, agir local » et le « globalocal » sert volontiers de mot de ralliement. Les mĂȘmes manifestent Ă  Millau – le local par excellence – et Ă  Seattle – lieu de rĂ©union de l’Organisation mondiale du commerce, symbole mĂȘme d’un enjeu mondial.
L’action et les revendications politiques dans l’espace public transnational semblent avoir Ă©tĂ© favorables Ă  l’organisation des diasporas. Elles doivent souvent leur crĂ©dibilitĂ© et leur audience publique non seulement Ă  leurs actions locales, mais aussi Ă  la place qui leur est accordĂ©e au sein des organismes internationaux et des mĂ©dias. Les organisations humanitaires et les associations internationales de dĂ©fense des droits de l’homme ont en effet rendu possible l’expression politique de peuples persĂ©cutĂ©s, dont la voix ne pouvait guĂšre se faire entendre auparavant. En cela elles les ont aidĂ©s Ă  se constituer et se penser comme des diasporas. La revendication des « peuples autochtones » s’est progressivement internationalisĂ©e et a Ă©tĂ© placĂ©e au centre du Forum social des AmĂ©riques en 2004. Cette reconnaissance a permis au mouvement de s’organiser et de se penser au-delĂ  de ses territoires traditionnels, en prenant conscience de la force que reprĂ©senterait l’alliance de tous les peuples ayant connu le mĂȘme destin. Elle a directement inspirĂ© le mouvement autochtone qui est apparu en Guyane9. C’est aussi Ă  l’initiative d’organisations humanitaires telles que MĂ©decins du monde et la Licra, qu’un mouvement europĂ©en de dĂ©fense des Roms s’est organisĂ©, l’association Gypsy diaspora romano drom. Ces derniers tendent Ă  s’organiser comme un peuple transnational et se dĂ©signent comme diaspora, bien souvent par comparaison avec les Juifs. Ils invoquent la similitude de destin des deux peuples, le combat pour la mĂ©moire du gĂ©nocide ou leur proximitĂ© culturelle (notamment en matiĂšre musicale). Tous les rassemblements altermondialistes et tiers-mondistes sont Ă©galement l’occasion de donner Ă  entendre des revendications, qui acquiĂšrent plus de visibilitĂ© et de poids sur la scĂšne politique internationale : il en est ainsi des peuples palestinien et kurde, ou de la diaspora « noire », dont la dĂ©fense s’est organisĂ©e autour de la mĂ©moire de l’esclavage et du combat pour la reconnaissance de la culpabilitĂ© occidentale.
Diaspora...

Table des matiĂšres

  1. Page de titre
  2. Copyright
  3. Table
  4. Introduction
  5. PremiÚre partie. Le temps du soupçon
  6. Seconde partie. L'homme de la diaspora dans les « siÚcles démocratiques »
  7. Conclusion
  8. Notes
  9. Ouvrages cités
  10. Remerciements
  11. QuatriĂšme de couverture