Les Droits de la vie
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Les Droits de la vie

  1. 208 pages
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Les Droits de la vie

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À propos de ce livre

La procréation médicalement assistée, le diagnostic prénatal, la transplantation d'organes, les examens génétiques: autant de progrès spectaculaires qui ont marqué la recherche scientifique et médicale de ces dernières années. Ces nouvelles techniques nous placent dans des situations inédites qui supposent des responsabilités et des choix nouveaux. Doit-on tout faire parce que c'est possible? Qui doit décider et sur quels critères? L'individu ou la société? Le médecin ou le politique? C'est à une réflexion stimulante et incisive sur l'avenir de la médecine que nous invite cet ouvrage. Fort de son expérience originale de généticien, analysant les "affaires" qui ont défrayé la chronique, impliqué aussi dans le débat parlementaire, Jean-François Mattei nous propose d'aborder le fond du débat bioéthique. Il faut, selon lui, redéfinir les principes sur lesquels doit reposer notre société et poser inlassablement la question de nos valeurs et de nos références communes: quel homme et quelle société voulons-nous pour demain? L'ampleur des problèmes liés à la médecine nouvelle implique donc un sursaut du politique, à qui il appartient de statuer dans l'intérêt de tous. Le professeur Jean-François Mattei nous invite à une réflexion sur l'avenir de la médecine, sur la question bioéthique, sur nos valeurs et nos références communes: quel homme et quelle société voulons-nous pour demain?

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1996
ISBN
9782738162465

CHAPITRE III

La médecine dans la tourmente


Le Prométhée, définitivement déchaîné, réclame une éthique.
Hans JONAS,
Le Principe de responsabilité.
Je me souviens de ma toute première garde d’externe des hôpitaux. Il y avait encore des salles communes et je fus appelé vers trois heures du matin – c’est toujours au milieu de la nuit que se passe ce genre de choses – pour constater un décès. Quand j’arrivai dans la salle l’infirmière m’indiqua le numéro du lit sans autre commentaire. L’homme semblait dormir sous le faisceau de ma lampe et l’idée s’insinua dans mon esprit que s’il n’était pas réellement mort je serais responsable de l’enterrement d’un malade encore vivant ! Envahi par l’angoisse et des images terrifiantes mes doigts saisirent son poignet. Il me sembla percevoir comme une faible pulsation, mais n’était-ce pas la mienne ? Je posai mon oreille bien à plat sur sa poitrine et cette fois je crus entendre, par moments, le bruit d’un battement. Me relevant paniqué, je découvris les yeux brillants de plusieurs malades qui, assis sur leur lit, me fixaient dans la nuit. Je décidai d’appeler l’interne à mon secours au risque d’encourir ses foudres pour l’avoir réveillé sans raison. Mais tout valait mieux que d’enterrer un mort vivant ! J’eus de la chance, il sembla comprendre la chose et me conseilla simplement de placer un miroir devant la bouche et le nez avec pour seul commentaire : « S’il y a de la buée, c’est qu’il respire encore, donc qu’il n’est pas mort ! » Cette histoire me revient en mémoire chaque fois que je suis amené à parler de la mort. La définition de la mort dépendrait-elle de quelques perles de buée ?

LES VIVANTS ET LES MORTS
LA TRANSPLANTATION D’ORGANES

Tous les jours, les services d’urgence reçoivent des accidentés, morts sur la route ou au chantier. Les victimes sont parfois jeunes, souvent en bonne santé. Tous les jours aussi, l’heure de la mort se rapproche pour des malades condamnés par la défaillance d’un organe vital, cœur épuisé, poumons sclérosés, foie ou reins hors d’état de fonctionner. Comment ne pas penser que les premiers pourraient aider les seconds ? La mort des uns pourrait ainsi permettre la survie des autres. Il s’agit là d’un raisonnement reposant sur l’idée naturelle de la solidarité entre les hommes. La logique de cette pensée serait bien difficile à nier et nul ne peut prétendre qu’elle ne soit fondée.
Il a fallu beaucoup d’audace pour franchir le fossé qui séparait l’idée de la pratique. Les critiques n’ont pas manqué lorsque, au début des années cinquante, la première greffe de rein a été réalisée. L’opération ayant échoué, beaucoup ont dénoncé la folie aventurière des médecins et l’utilisation d’un cobaye humain. Aujourd’hui, des centaines de greffes rénales réussissent chaque année en France et sauvent autant de vies. Plusieurs années après, les mêmes critiques ont ressurgi lors de la première greffe cardiaque réalisée en Afrique du Sud. La greffe du rein, peu à peu entrée dans les mœurs, pouvait s’admettre à la rigueur, mais le cœur ! En plus de sa fonction circulatoire indispensable, le cœur n’est-il pas le dépositaire de toute la symbolique qui s’attache à l’émotion ? Il semblait impensable de greffer un organe pareil. Peut-on greffer des sentiments ?
On transplante aujourd’hui des dizaines de cœurs chaque année, qui permettent de véritables résurrections. Les derniers opposants se rassemblent maintenant pour protester contre l’hypothétique greffe du cerveau, assez peu vraisemblable en l’état de nos connaissances. Les limites du combat sont repoussées, mais la transplantation d’organes fait bien partie de notre quotidien. Il ne faudrait pas pour autant la banaliser, car elle soulève une série de questions qui dépassent, et de loin, les seules préoccupations du médecin pour devenir l’enjeu d’un débat politique de société.

Théorie et pratique

Après la réception d’un accidenté, la possibilité d’un prélèvement d’organes est rapidement évoquée. S’il faut prendre le temps nécessaire pour s’assurer de la réalité de la mort, il faut aussi agir vite pour éviter la détérioration des organes. C’est pourquoi on installe une assistance respiratoire, cardiaque et circulatoire. Le mort respire à nouveau, son cœur bat, sa circulation reprend. Le mort est-il bien mort ? Pour côtoyer la mort très souvent, les médecins savent la reconnaître, constater un décès. Mais qu’est-ce que la mort ? Le législateur, confronté à cette difficulté en 1976 lors de la discussion de la loi Caillavet sur les transplantations d’organes, avait chargé le Conseil d’État de la difficile mission de donner une définition recevable. Vingt ans après, le décret n’avait toujours pas été publié. Preuve que les conseillers d’État n’ont pas sur le sujet plus de lumière ou d’autorité que les médecins ou les politiques.
En admettant que le mort soit mort, aurait-il consenti de son vivant au prélèvement de ses organes ? J’ai toujours été frappé du décalage entre la pensée et l’acte. Très peu de personnes portent sur elles un document signifiant leur accord pour un prélèvement d’organes en cas de décès. En revanche, quand la question est posée aux vivants, nombreux sont ceux qui répondent favorablement. Cette discordance provient sans doute de ce que très peu d’entre nous acceptent de penser à leur propre mort au point de la matérialiser par un document écrit. La charge de la preuve a donc été renversée : tous ceux qui n’auraient pas sur eux un document stipulant leur opposition à tout prélèvement pratiqué sur leur corps sont aujourd’hui présumés consentants. Ce retournement n’a pas manqué de susciter de vives discussions, voire de franches oppositions. Certains y voient la reconnaissance de la priorité des besoins collectifs sur la volonté de l’individu. Il est vrai que la mesure a été prise pour répondre au besoin d’organes. S’agissant de sauver des vies humaines, je ne trouve pas, pour ma part, que cette critique soit fondée pour peu que toute personne soit assurée du respect de sa volonté en cas de refus.
Malgré le principe du consentement éclairé, les transplantations restent trop rares : « Alors que le nombre de transplantations s’était stabilisé en 1994 et 1995, tous les chirurgiens notent un début 1996 catastrophique. Principaux responsables de cette situation : les familles qui, deux fois sur trois, refusent les prélèvements d’organes. Or si la loi reste fondée sur le principe de consentement présumé, les équipes médicales ne passent pas outre au veto des proches. Aucune modification des textes n’étant prévue, la pénurie risque de durer. » (Libération, 30 avril 1996.)
De fait, il est pratiquement impossible de prélever sur un mort qui n’aurait pas fait connaître son refus alors que sa famille pleure dans le couloir, juste derrière la porte. Comment annoncer aux proches la disparition d’un être cher et, dans le même temps, l’informer du prélèvement ? L’irrationnel l’emporte, les arguments s’égarent, la famille refuse, demande à voir une dernière fois le mort et découvre, stupéfaite, qu’il respire encore au bout des tuyaux. Les médecins n’abandonnaient-ils pas la lutte dans le seul but de pouvoir prélever les organes ? Le soupçon s’insinue, les proches réitèrent leur refus. Faut-il transgresser leur volonté sous prétexte que le prélèvement est autorisé par la loi ? Quel médecin prendrait sur lui d’aggraver la peine d’une famille endeuillée en profanant le cadavre qu’elle souhaite protéger ? Devant l’opposition et la douleur, le médecin s’incline, s’incline mais pense aux malades qui continuent de se battre en attendant la greffe qui pourrait les sauver, en espérant que demain il sera encore temps.

La solidarité et le respect

Le nombre de malades qui peuvent être sauvés augmente, celui des greffons disponibles diminue. Le devoir de solidarité veut que l’on passe outre au refus de la famille ; le respect de la personne humaine demande que l’on renonce. Que doit faire un médecin pris entre les égards dus aux morts et le souci des vivants qu’il faut soigner ? J’ai reçu plusieurs témoignages de parents qui avaient perdu un enfant. Ils avaient refusé de donner l’autorisation de prélever. On ne pense jamais aux autres quand on souffre. Avec le recul, ils venaient presque reprocher à l’équipe médicale de ne pas les avoir convaincus, ils regrettaient de n’avoir pas donné leur consentement. Depuis, ils avaient réfléchi, mais il était trop tard. J’ai retenu la leçon : tout médecin doit s’efforcer d’apprivoiser les impulsions premières, en trouvant les mots justes, en prenant le temps d’expliquer, en argumentant. Hélas ! que la conviction serait plus facilement emportée si la médecine ne trahissait pas parfois la confiance des hommes.
En 1992, une plainte contre X pour viol et violation de sépulture est déposée à Amiens par les parents d’un jeune garçon décédé sur le corps duquel certains prélèvements d’organes ont été effectués en plus de ceux auxquels la famille a consenti. « Outre le cœur, le foie et les reins, ils comprenaient aussi l’aorte descendante, avec les gros troncs supérieurs de la crosse, l’artère iliaque et fémorale droite, les deux veines saphènes internes et la veine fémorale droite. On apprend également que l’on a placé, après le prélèvement des cornées, des globes oculaires sur le cadavre et que toutes les incisions ont été refermées en deux plans “avec fil métallique au niveau du thorax”. La lecture de ce document a profondément ému et révolté les parents de Christophe. D’autant qu’ils adhèrent totalement aux principes sous-tendant la pratique des greffes d’organes et que, lors de l’inhumation civile de leur fils, ils avaient publiquement milité en faveur du don d’organes. » (Le Monde, 18 mai 1992.)
Lorsque les premières « affaires » ont commencé d’apparaître, l’opinion publique a pris conscience que la générosité du don était parfois trahie. Même au temps des technologies modernes, il est des limites qu’il ne faut pas transgresser, le respect des morts notamment. La famille entend se recueillir devant le corps du défunt. Qui s’assurera que la dépouille est encore présentable ? Si les médecins sont d’abord là pour soigner les vivants, certains n’ont pas résisté à la tentation de multiplier les prélèvements, de prendre à la fois le cœur et les poumons, le foie et les reins, les os et les globes oculaires. C’est sans doute une des raisons qui expliquent le petit nombre de dons d’organes. Aujourd’hui, en Europe, quarante mille personnes en danger de mort attendent d’être transplantées et la moitié des non-prélèvements résulte d’un refus.

Le trafic d’organes

Quelles que soient les explications avancées et les responsabilités des uns et des autres, les faits sont là. Il y a beaucoup plus de demandes que d’offres et j’utilise ces termes à dessein, car un véritable marché noir est en train de s’instaurer. Le choix des mots peut paraître choquant. On réserve d’ordinaire les termes d’offre, de demande ou de pénurie pour les biens de consommation et les services mais, depuis que les organes humains sont utilisés à des fins thérapeutiques et répondent à des besoins, ils ont acquis la valeur d’un produit.
Comment ne pas comprendre qu’un malade condamné à mourir s’il n’est pas greffé soit prêt à tout et, s’il ne peut acquérir l’organe dont il a besoin, cherche au moins à monnayer une meilleure place sur la liste d’attente ? À l’inverse, comment juger celui qui a des bouches à nourrir et rien d’autre à offrir qu’une partie de lui-même ? Certains se vendent en pièces détachées, éventuellement échangent un de leurs organes contre un travail. À Toulouse, une femme a ainsi fait paraître une petite annonce : « “Dame, quarante-neuf ans, très bonne présentation, excellente santé mais dans le besoin, offre un rein à personne susceptible de lui procurer un travail durable déclaré.” Une jeune femme toulousaine, d’origine espagnole, a adressé moyennant deux cent trente francs cette petite annonce à la rubrique emploi de La Dépêche du Midi. » (Impact Médecin, 26 octobre 1993.) Quelques mois plus tard, la même offre est faite par un électromécanicien au chômage : « Mis au désespoir par deux ans et demi de chômage et de vaines démarches, un électromécanicien de Metz, Mohamed Ammar, propose d’offrir un rein au chef d’entreprise qui lui procurera un emploi. » (AFP, 20 janvier 1994.)
Officiellement, le commerce d’organes est interdit, mais les lois sont d’autant plus impuissantes à faire respecter certains principes essentiels que la misère est grande et la demande forte. L’existence de trafics d’organes est aujourd’hui bien attestée. En Chine, certains prisonniers sont exécutés en vue d’alimenter un commerce lucratif : « Des accusations récemment formulées par l’organisation américaine de défense des droits de l’homme Human Rights Watch à propos d’organes prélevés sur des prisonniers exécutés en Chine à des fins de transplantation (pratique qui semble avoir atteint le “volume” de deux mille à trois mille cas par an) sont parmi les plus graves jamais enregistrées concernant certaines méthodes du régime de Pékin. » (Le Monde, 3 septembre 1994.) En dehors de la Chine, ce sont les pays d’Amérique latine qui sont le plus souvent accusés par les organisations humanitaires ou les journalistes : « En Colombie, il a été retrouvé les restes de quarante personnes dans l’amphithéâtre de la faculté de médecine de Barranquilla. Selon le rapporteur, les gardiens assommaient à coups de batte de base-ball les mendiants sur lesquels étaient pris les organes les plus rentables pour être vendus au marché noir. Les autres exemples cités ne sont pas moins horribles. » (Le Monde, 16 septembre 1993.) En Argentine, la mafia des organes passe au crible les bidonvilles. Le trafic d’organes prospère dans les quartiers pauvres où l’on n’hésite pas à enlever des enfants pour leur prélever un rein, vendu quarante-cinq mille dollars à des patients en attente de greffe. Et les donneurs volontaires sont aussi légion. « Oscar a la peau noire et le sourire triste. Il rêvait de jouer au football comme Maradona. Le destin en a décidé autrement […]. À onze ans, Oscar s’est fait enlever dans une rue malodorante de la cité misérable où il vit, dans la banlieue sud du grand Buenos Aires. On l’a interné dans une clinique qu’il est incapable aujourd’hui d’identifier, on lui a enlevé un rein, et on l’a ramené à la maison un mois plus tard, avec quatre cents dollars en poche et une cicatrice […]. Estelle, la maman d’Oscar, se refuse à porter plainte ou à dévoiler son identité. Elle a peur que ses cinq fils connaissent le même sort. » (Libération, 12 décembre 1991.)
Depuis quelques années, le trafic s’est étendu aux tissus humains qui sont utilisés en thérapeutique, soit pour des greffes, soit comme matière première. À partir de modestes prélèvements de peau, on sait, après culture in vitro, produire des surfaces étendues de tissus cutanés dans le but de greffer les brûlés. On sait aussi transformer les os, les artères, les veines, les ligaments, les méninges, les valves cardiaques. Comment vérifier ce que deviennent les déchets opératoires après exérèse au cours d’interventions chirurgicales ou si les modalités de prélèvements de tissus sur les personnes décédées ne sont pas contrôlées ? Jusqu’à une date récente, les tissus étaient fréquemment prélevés et conservés dans des congélateurs installés dans les services hospitaliers. Les laboratoires industriels venaient s’approvisionner, selon leurs besoins, à la sortie des blocs chirurgicaux. « Une douzaine de cliniques et une vingtaine de praticiens seraient impliqués. Le scandale n’est pas uniquement financier. Ces manœuvres frauduleuses ont mis la santé des malades en danger. En effet, les tissus humains utilisés (veines, tendons, os, cornées…) n’auraient pas subi les tests de dépistage des hépatites ou du SIDA et quelque cent cinquante malades qui ont reçu ces greffes depuis un an devraient passer des examens médicaux complémentaires. L’affaire ne se limite pas à la région niçoise. En réalité, le ministère de la Santé avait d’abord été alerté sur un trafic à Nîmes. D’autres régions de France pourraient être concernées. » (Le Figaro, 7 novembre 1994.)
Je ne cherche pas la larme facile. Je veux simplement souligner que l’homme, en accordant un prix à chacun de ses organes, pourrait devenir son propre fonds de commerce. Paradoxe étonnant : cherchant à s’affranchir grâce au progrès médical, l’homme redeviendrait esclave ! Il vendrait en fonction de l’offre telle ou telle partie de son corps. Sa valeur marchande totale serait égale à la somme des valeurs ajoutées de chacune de ses pièces détachées. Les plus riches pourraient acheter les organes dont ils ont besoin auprès des plus pauvres contraints de se vendre pour subsister. Le trafic d’organes ne se fait-il pas des pays pauvres vers les pays riches ?

Des personnes et des biens

Toute société pénétrée de l’intangibilité des droits de l’homme se doit de refuser les pratiques mercantilistes qui confèrent au corps humain une valeur patrimoniale. Cela dit, le critère de répartition des organes reste encore à préciser. Le tirage au sort peut paraître la règle la plus équitable puisqu’elle donne à chacun des chances égales d’obtenir l’organe dont il a besoin, mais la mesure n’est pas médicalement acceptable, car l’état de deux malades n’est jamais parfaitement identique. Elle est d’ailleurs socialement inacceptable. Faut-il se fonder sur des critères purement médicaux et dresser des listes d’attente en fonction de l’urgence du besoin ? C’est la règle qui est le plus souvent suivie, mais elle est difficile à appliquer en raison de la nature et du nombre des paramètres médicaux impliqués : l’urgence, mais aussi l’évolution de la maladie initiale, l’adéquation du greffon au malade, etc. En outre, la date d’enregistrement de la demande pourrait être prise en compte et conduire à des aberrations. N’a-t-on pas vu aux États-Unis des fœtus, pour lesquels le diagnostic de malformation cardiaque avait été porté pendant la grossesse par échographie, passer sur la liste d’attente avant les nouveau-nés pour lesquels le diagnostic n’avait été fait qu’à la naissance ? Reste le triage des malades. Dans un but d’efficacité, on donnerait la priorité aux patients dont l’état de santé laisse a priori augurer les chances de survie les plus élevées. Par souci de rentabilité, on grefferait les jeunes plutôt que les vieux, les greffons servant plus longtemps. Certains pays ont déjà clairement refusé le principe des greffes après un certain âge ou lorsque l’état du patient a at...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Du même auteur
  4. Copyright
  5. Dédicace
  6. Introduction
  7. Chapitre I - L’enfant à tout prix
  8. Chapitre II - Le défi génétique
  9. Chapitre III - La médecine dans la tourmente
  10. Chapitre IV - Le politique au pied du mur
  11. Conclusion
  12. Table