La tristesse constitue l’élément primordial de la dépression. Elle n’est pas toujours observable parce que labile ou même masquée à certains moments par une activité en apparence normale ou une certaine agitation motrice. Le jeune déprimé est malheureux, triste, mais comme on l’a déjà dit, il lui est souvent impossible, notamment avant l’âge de 6 ans, de mettre des mots sur sa tristesse.
Comment distinguer la tristesse normale de la tristesse dépressive
La tristesse est une émotion normale en présence d’un événement ou d’une situation déplaisante, frustrante ou menaçante (absence de courte durée des parents, dispute avec un ami, impression d’être rejeté...). Elle disparaît dès que la cause n’existe plus.
La tristesse pathologique existe sans motif reconnu ou bien la cause invoquée n’en est pas vraiment le facteur déclenchant. Si la cause disparaît, l’amélioration de l’humeur ne suit pas : la tristesse dépressive est indépendante, autonome, figée. Elle n’oscille pas en fonction des stimulations de l’environnement. On peut parfaitement observer une certaine gaieté de surface, mais on la retrouve toujours en toile de fond.
Les signes qui permettent d’identifier la tristesse dépressive
Chez l’enfant, vous pouvez déduire la tristesse dépressive d’une expression faciale triste de façon permanente : mimique pauvre, sourire rare ou absent, regard inexpressif. C’est souvent l’incapacité à éprouver du plaisir qui traduit la tristesse : l’enfant n’a de goût à rien, rien ne l’intéresse, tout l’ennuie.
L’adolescent peut reconnaître facilement son incapacité à éprouver du plaisir. Mais il y a peu d’adolescents déprimés qui cherchent à se confier aux parents de manière spontanée : « je ne vais pas les inquiéter », « à quoi bon dire ce que je ressens si personne ne peut m’aider ? ».
Conseils aux parents
Aidez-le à créer un symbole de sa tristesse
Afin de faciliter l’expression de ce qu’il ressent et de ne pas renforcer le sentiment qu’il est en proie à des forces invisibles ou étranges, encouragez-le à tracer son expérience de tristesse sur du papier. Donnez-lui des feutres et dites-lui, par exemple : « Tente d’imaginer comment tu vois la tristesse. A-t-elle une forme définie ? Quelle est sa taille ? Est-elle invisible ? A-t-elle des couleurs ? »
Ce symbole peut faciliter l’expression des sentiments associés à la tristesse (sensation d’enfermement, sentiment d’exclusion, sentiment d’incapacité à être comme les autres...) et d’apprécier sa modification au cours du temps.
Albert, 8 ans, représente un carré : « C’est comme un carré qui m’enferme, qui m’empêche de rire, il n’y a rien... c’est vide. »
Patricia, 10 ans, écrit un point d’interrogation : « Je ne sais pas comment dessiner ce que je ressens, car ça change tout le temps. Parfois c’est comme un nuage ou de la vapeur qui m’entoure, d’autres fois, c’est comme si c’était quelque chose de plat... »
Arthur, 12 ans : « Je dessinerais ma tristesse comme quelque chose de très moche, gris, sans forme... »
Cécilia, 10 ans, ne trouve pas tout de suite : « C’est un peu vide, on se demande pourquoi les autres sont gais et pas nous. On se demande pourquoi ça tombe sur nous. Il y a plein d’enfants... Mon dessin serait un puits sombre et étroit. »
Christophe, 13 ans, insiste sur la dimension sociale de sa tristesse : « Je ferais un groupe de personnes d’un côté et de l’autre une personne seule. »
Pour l’enfant, la représentation de la tristesse d’une manière concrète permet de mieux évaluer l’évolution et les fluctuations de son humeur : « le carré qui m’enferme est plus petit, je le vois plus loin, il me laisse tranquille... », ou bien : « la tristesse a changé de couleur, elle est moins grise, elle est presque jaune ».
Renforcez sa représentation du futur
La représentation que l’enfant se fait du futur détermine ses capacités d’imagination, de création, d’initiative. Si celles-ci sont imprégnées de tristesse, l’enfant aura une forte tendance à anticiper l’avenir d’une manière pessimiste. L’aider à prendre conscience que l’on peut imaginer, anticiper, vouloir, désirer des événements positifs renforcera l’idée qu’on est acteur et pas uniquement observateur dans les événements de la vie.
Posez-vous les questions suivantes après avoir discuté avec lui :
• Quelle est sa manière de créer ses idées à propos du futur ?
• Voit-il le futur comme une ligne continue qui reproduira le présent ?
• Imagine-t-il son avenir comme une montagne de choses négatives ?
• Anticipe-t-il le futur comme une période où pas la moindre chose agréable risque d’arriver ?
Évitez de convaincre l’enfant que sa vision est fausse ou pas exacte : laissez-le aller jusqu’au bout de sa pensée sans la critiquer. L’enfant sentira que ses pensées tristes et pessimistes sont le fruit de sa production mentale et que celle-ci produit aussi des rêves, des envies... Ainsi, les idées tristes auront une chance d’être dédramatisées par l’enfant lui-même, à condition de lui permettre d’exprimer ses sentiments. Votre rôle ne consiste pas à le contredire mais à renforcer une vision équilibrée du futur — événements positifs, événements négatifs, ennui... — en montrant à votre enfant que tout est possible, mais pas forcément tout noir !
Élaborez ensemble un programme d’activités
Le principe consiste à augmenter les événements agréables en diminuant les événements considérés comme désagréables par l’enfant. L’inactivité, la fatigue, la perte de plaisir dans le quotidien favorisent chez l’enfant le sentiment d’incapacité à poursuivre ses activités habituelles : « il est découragé », entend-on couramment. Plusieurs cliniciens ont constaté que la planification d’activités (d’une manière modérée) renforce des sentiments positifs qui diminuent la tristesse. Afin d’accroître le niveau d’activité de l’enfant, vous pouvez planifier quelques activités qu’il aime : louer une cassette vidéo, faire un gâteau, lire avec lui une bande dessinée, regarder des photos des vacances...
Cette planification d’activités permet d’annuler l’idée qu’il faut attendre d’être de bonne humeur pour faire quelque chose. D’ailleurs, elle est souvent confirmée dans le quotidien : « Je n’avais pas envie d’y aller, mais on s’est bien amusé. Je ne regrette pas d’avoir accepté l’invitation. » Par ailleurs, le programme d’activités évite le processus de décision qui est souvent tourmenté et rempli de doutes chez l’enfant à risque dépressif ou déprimé.
J’ai moi-même testé la faisabilité et l’efficacité de la planification d’activités dans le traitement d’un enfant de 12 ans présentant un état dépressif sévère. Les premières séances ont permis de motiver l’enfant au traitement. À travers les encouragements et les explications concernant le lien entre l’humeur et les activités adoptées, il a pu augmenter significativement le nombre d’activités interpersonnelles (accepter une invitation, aller voir un spectacle en invitant un ami...). Le traitement détaillé a été publié dans le journal scientifique Psychologie médicale en 19831. Voici, en résumé, son engagement dans un programme d’activités.
François a 12 ans quand il est hospitalisé pour dépression sévère, d’abord dans un service de pédiatrie, puis en pédopsychiatrie. Il était très irritable, ne voulant pas discuter au moment de son arrivée en pédopsychiatrie. Il réclamait sans cesse le retour au domicile. Quelques jours après son hospitalisation il a été mis sous médicaments anti-dépresseurs. Il a accepté de discuter avec moi et nous avons cherché ensemble ce qui le rendait triste et irritable dans son quotidien : la peur d’être rejeté par les autres, la peur d’échouer et les moments d’angoisse et de profond désespoir l’avaient mis dans un état d’épuisement où il « avait perdu toute son énergie et sa tête », disait-il. Il a commencé son engagement dans des activités réalisées à l’hôpital avec les éducateurs spécialisés, il était censé évaluer le degré de plaisir que l’activité lui procurait. Au départ, aucune activité lui était agréable (lire une bande dessinée, participer à un pique-nique, prendre un cours...). Son état s’améliorait sans que le goût et le plaisir reviennent. Il est rentré chez lui et nous avons convenu de poursuivre la psychothérapie une fois par semaine. Il devait noter dans un cahier les activités principales (scolaires et extrascolaires) et devait s’interroger sur le degré de plaisir ressenti lors de l’activité. Nous avons constaté que les activités peu agréables étaient celles des contraintes scolaires. Les activités relationnelles et les loisirs étaient peu fréquents à cause de l’éloignement de l’enfant (il habitait à plusieurs kilomètres de la ville et de son école). Il a été convenu avec les parents qu’une organisation familale s’imposait afin de faciliter les échanges relationnels. Lorsque l’enfant a eu un niveau d’activités normal, nous avons remarqué que François avait des moments de profond désespoir indépendamment du plaisir lié aux activités. C’était un des objectifs thérapeutiques : lui faire constater qu’il était inutile d’attendre que la bonne humeur revienne en ne faisant rien. Il a décidé donc d’éviter l’isolement car en fait il se sentait en général de bonne humeur après une journée « active ». Le noyau dur de son épisode dépressif a pu donc être abordé séparément : le sentiment de ne pas être à la hauteur au niveau intellectuel et d’être destiné à faire des études médiocres. Aujourd’hui il est un brillant avocat, mais il a encore peur de mal faire. Malgré tout, lorsqu’il m’envoie une carte postale il n’oublie pas de décrire l’activité sportive qu’il fait : il n’attend plus la bonne humeur et la sérénité totale pour s’engager plus activement dans sa vie personnelle.