Lâentreprise a besoin de prendre, comme le ciment, ou comme un arbre quâon plante. Et ce nâest pas affaire de terrain, ni de diplĂŽmes, ni de marchĂ©s, mais de sagesse et de volontĂ©. On le mesure tout particuliĂšrement dans les situations de changement, oĂč les repreneurs cĂšdent volontiers Ă la tentation des ruptures et des refontes, avec de grands dĂ©gĂąts Ă la clĂ©. Ă lâinverse, les vertus de la continuitĂ©, le sens des solidaritĂ©s humaines qui animent lâentreprise procurent en gĂ©nĂ©ral de belles rĂ©ussites dans la durĂ©e. Son expĂ©rience de redresseur dâentreprises a inspirĂ© Ă Alain Fribourg lâidĂ©e que beaucoup dĂ©pendent des qualitĂ©s du patron, de son humilitĂ© et mĂȘme de son incompĂ©tence revendiquĂ©e, qui lâoblige Ă prendre appui sur ses Ă©quipes plutĂŽt que de prĂ©tendre les conduire magistralement. Les meilleurs patrons, observe-t-il, sont souvent les plus discrets au quotidien, mais assument continuitĂ©s et anticipations. « Il nây a pas de mĂ©tiers pourris, il nây a que des patrons blets », disait avec justesse Jean-Marie Descarpentries1.
Laissons la parole Ă Alain Fribourg :
« Jâai passĂ© beaucoup de temps Ă redresser des entreprises en difficultĂ© et, finalement, jâen ai fait mon mĂ©tier en intĂ©grant un cabinet spĂ©cialisĂ©, Dirigeants & Investisseurs, dans lequel jâai passĂ© treize ans. On mâa toujours expliquĂ© que les difficultĂ©s de lâentreprise venaient dâĂ©lĂ©ments exogĂšnes (la crise Ă©conomique, la concurrence souvent dĂ©loyale, les dĂ©localisations dans des pays Ă bas taux de main-dâĆuvre, la politique dâachats des donneurs dâordre, les charges sociales, la lĂ©gislation du travail, les impĂŽts, etc.).
« Il est curieux de constater que lorsquâune entreprise est performante, le patron sâen attribue le mĂ©rite alors que, lorsquâelle ne va pas bien, il nâest que lâinnocente victime dâun environnement hostile. LâexpĂ©rience mâa appris que, dans la plupart des cas, les Ă©lĂ©ments exogĂšnes nâavaient Ă©tĂ© que les accĂ©lĂ©rateurs ou les rĂ©vĂ©lateurs dâune crise inĂ©vitable du fait dâĂ©lĂ©ments endogĂšnes. Dans le meilleur des cas, le patron nâa pas vu la menace et nâa pas su adapter son entreprise Ă un environnement en changement. Dans le pire des cas, il a Ă©tĂ© Ă lâorigine de la crise en modifiant, volontairement ou non, un des Ă©lĂ©ments fondamentaux de la performance de lâentreprise. En fait, il est rare quâune entreprise soit performante dans la durĂ©e sans un bon patron. Il est Ă©galement rare quâelle soit non performante avec un excellent patron. »
LâĂ©chec nâest pas une fatalitĂ©
« Lâautomobiliste, qui, un beau matin dâhiver sur une route de campagne, dĂ©rape sur une plaque de verglas expliquera Ă tout le monde que la cause de son accident est le verglas. Il oubliera de dire que beaucoup de voitures sont passĂ©es lĂ avant et aprĂšs la sienne sans se retrouver dans le fossĂ©. Certes, il y avait du verglas, mais dâautres ont su lâanticiper et adapter leur conduite. Peut-ĂȘtre simplement ont-ils eu de la chance ! Le bon patron est celui qui est capable de comprendre les Ă©volutions de son environnement, des attentes de ses clients, de la situation concurrentielle, et qui, au lieu de nây voir que des menaces, cherche les opportunitĂ©s quâil peut en tirer. Il ne lui est pas interdit dâavoir de la chance.
« Jâai Ă©tĂ© pendant trois ans chef dâentreprise en VendĂ©e, dirigeant la filiale dâun grand groupe. Cela mâa permis de cĂŽtoyer le patronat local qui a bĂąti toute une sĂ©rie de success stories, gĂ©nĂ©ralement dans la plus grande discrĂ©tion, et mâa confortĂ© dans lâidĂ©e quâil nây a pas de fatalitĂ© de lâĂ©chec pour celui qui anticipe les Ă©volutions, qui accepte de se remettre en cause, qui est capable de sâadapter et dâadapter son entreprise aux modifications des marchĂ©s.
« Comment expliquer autrement le succĂšs de Fleury Michon qui, grĂące Ă Yves Gonnord et Ă Roger Colin, a survĂ©cu Ă tous ses concurrents historiques, disparus les uns aprĂšs les autres ? Cette entreprise a su faire Ă©voluer son mĂ©tier de charcutier traditionnel basĂ© au dĂ©part sur lâabattage et la dĂ©coupe en allant vers le jambon libre-service, les plats cuisinĂ©s et le surimi. Fleury Michon est restĂ©e une entreprise familiale qui rĂ©alise un chiffre dâaffaires annuel de plus de 500 millions dâeuros, pour lâessentiel en GMS (grandes et moyennes surfaces), et emploie plus de 3 500 personnes dont lâessentiel en France.
« Tout le monde vous dira quâil est difficile de rĂ©ussir dans la fabrication de meubles et quasiment impossible de gagner de lâargent en les fabriquant en France. Gautier, pourtant, sous lâimpulsion de Dominique Soulard, emploie 1 000 personnes, et 97 % de sa production sont rĂ©alisĂ©s dans ses usines françaises, ce qui ne lâempĂȘche pas de vendre en France Ă la grande distribution et dâexporter des meubles âmade in Franceâ au Moyen-Orient, en Russie et en Inde. Cette entreprise a fait lâobjet dâun LBO2 qui a failli la faire mourir. Elle nâa survĂ©cu que grĂące Ă la rĂ©sistance de son patron contre des actionnaires prĂ©dateurs. On se rappelle la grĂšve du personnel de Gautier en 1999 sâopposant au limogeage de Dominique Soulard par les actionnaires de lâĂ©poque. Un nouveau LBO a permis Ă la famille Soulard de reprendre lâentreprise.
« Lorsque jâĂ©tais chef dâentreprise en VendĂ©e, il y a vingt-cinq ans, tout le monde sây plaignait de lâisolement de ce dĂ©partement et en particulier de lâabsence dâautoroutes. Eh bien, cela nâa pas empĂȘchĂ© deux entrepreneurs, Henri Joyau et JoĂ«l Gravelleau, de dĂ©velopper avec un grand succĂšs des entreprises de transport routier spĂ©cialisĂ©es dans la messagerie⊠Je pourrais citer beaucoup dâautres exemples, en VendĂ©e ou dans dâautres rĂ©gions, de succĂšs extraordinaires dâentreprises dans des secteurs considĂ©rĂ©s comme sinistrĂ©s, voire condamnĂ©s, grĂące Ă de lâinnovation, Ă de la crĂ©ativitĂ© et Ă lâaptitude Ă profiter de niches. Ces rĂ©ussites sont le fait de patrons visionnaires aptes Ă crĂ©er et Ă motiver des Ă©quipes, et Ă percevoir les modifications de la demande et de la concurrence. »
Ce que lâhomme construit, lâhomme peut le dĂ©truire
« Mon expĂ©rience de redressement dâentreprises mâa sans doute plus appris sur ce qui conduit Ă lâĂ©chec que sur ce qui permet de garantir le succĂšs. Lâune des mĂ©thodes qui fonctionne le mieux pour mettre son entreprise en difficultĂ© est pour un patron, gĂ©nĂ©ralement rĂ©cemment nommĂ©, dâen changer le business model avant dâavoir compris les conditions de son succĂšs. Je suis intervenu, Ă la demande dâinvestisseurs financiers, dans beaucoup dâentreprises ayant fait lâobjet dâun LBO et qui, deux ou trois ans aprĂšs, se trouvaient ĂȘtre en grande difficultĂ©. Or, gĂ©nĂ©ralement, ne font lâobjet de LBO, aprĂšs de longues et coĂ»teuses Ă©valuations, que des entreprises performantes. Le business plan sur lequel est basĂ©e lâacquisition est parfois optimiste Ă la marge, mais trĂšs rarement fondamentalement erronĂ©. Par ailleurs, sauf si lâentreprise est trĂšs technologique ou sensible Ă des effets de mode, il est rare que ses fondamentaux, en termes de marchĂ© et de concurrence, soient bouleversĂ©s en deux ou trois ans. Cela nâempĂȘche pas des entreprises, qui au moment de leur acquisition avaient une excellente profitabilitĂ©, de perdre de lâargent deux ou trois ans aprĂšs.
« Un nouveau patron qui prend les commandes dâune entreprise performante doit faire preuve de beaucoup dâhumilitĂ©. Son premier travail doit consister Ă comprendre quels sont les ressorts de la performance de son entreprise, quels sont ses points forts, ses avantages concurrentiels qui expliquent sa performance et, bien sĂ»r, qui sont les personnes clĂ©s qui ont bĂąti le succĂšs et qui le maintiennent. Il est clair que le prĂ©cepte selon lequel âon ne change pas une Ă©quipe qui gagneâ peut conduire Ă la longue Ă un immobilisme dangereux dans un monde qui change. Mais modifier les fondamentaux dâune entreprise avant dâavoir compris ce qui fait son succĂšs peut lui ĂȘtre fatal. Or la tentation est grande pour un patron de dĂ©montrer sa supĂ©rioritĂ© par rapport Ă son prĂ©dĂ©cesseur, de vouloir la rupture, le changement des habitudes, dâimprimer sa marque. Le LBO peut Ă©galement induire des problĂšmes liĂ©s Ă lâimportance de la dette dâacquisition que lâentreprise va devoir supporter et rembourser. Cela peut conduire les actionnaires Ă encourager le manager Ă faire surperformer une entreprise dĂ©jĂ performante au risque de la mettre en pĂ©ril. Cela Ă©tant, câest au patron de savoir privilĂ©gier lâintĂ©rĂȘt de son entreprise dans la durĂ©e de prĂ©fĂ©rence Ă tout autre intĂ©rĂȘt. Jâai ainsi vu un patron mettre son entreprise en grande difficultĂ© en Ă©largissant son domaine dâactivitĂ© au point de commencer Ă concurrencer ses donneurs dâordre, qui en ont tirĂ© les consĂ©quences quâon imagine. Un autre, cherchant Ă rajeunir sa clientĂšle, avait dĂ©sespĂ©rĂ© sa clientĂšle traditionnelle qui Ă©tait la base du succĂšs de lâentreprise, sans dâailleurs rĂ©ussir Ă en capter une plus jeune. Moins un patron est expĂ©rimentĂ©, plus il a tendance Ă succomber aux modes.
« La dĂ©localisation mal maĂźtrisĂ©e ou mal comprise a ainsi fait des ravages au cours des derniĂšres annĂ©es, avant quâon ne sâaperçoive que câĂ©tait loin dâĂȘtre une solution Ă tous les problĂšmes. En dĂ©localisant une production dans un pays Ă bas taux de main-dâĆuvre, on nâĂ©conomise dans la plupart du temps que sur le coĂ»t de la main-dâĆuvre directe. Il faut donc bien vĂ©rifier que cet Ă©lĂ©ment est fondamental pour la compĂ©titivitĂ© du produit, Ă tel point que les frais induits (encadrement, frais de logistique, frais financiers) seront facilement absorbĂ©s et que lâallongement des dĂ©lais de transport ne va pas entraĂźner une dĂ©gradation du service au client. Jâai ainsi connu un grand groupe dâĂ©lectronique grand public dĂ©localisant successivement dans des pays toujours moins chers la production de ses tĂ©lĂ©viseurs alors que la main-dâĆuvre directe reprĂ©sentait moins de 20 % de leur prix de revient et que le problĂšme de compĂ©titivitĂ© provenait dâune conception trop coĂ»teuse en composants quâaucune dĂ©localisation ne pouvait rĂ©gler. On ne faisait que dĂ©localiser son incompĂ©tence. Jâai Ă©galement connu une entreprise de mode qui, du fait de la dĂ©localisation, Ă©tait incapable dâassurer des rĂ©assorts rapides sur les modĂšles de sa collection qui se vendaient le mieux. La marge thĂ©orique sur ces produits dĂ©localisĂ©s Ă©tait importante, mais restait thĂ©orique puisque les dĂ©lais de livraison faisaient rater les ventes. Cette entreprise a Ă©tĂ© sauvĂ©e en rapatriant la production chez des sous-traitants en Alsace et dans le Choletais.
« Il est tentant pour le nouveau patron, qui veut prendre le pouvoir, de modifier le mode dâorganisation de lâentreprise. Cela va lui permettre de mettre sur la touche les gĂȘneurs (qui peut-ĂȘtre lui auraient Ă©vitĂ© de commettre des erreurs) et de promouvoir les hommes de son Ă©quipe, souvent nouveaux dans lâentreprise. La mode, en lâoccurrence, est lâorganisation matricielle, en vogue dans les grands groupes, sans dâailleurs avoir dĂ©montrĂ© son efficacitĂ©. Dans une PME, cela conduit souvent Ă supprimer lâautonomie et la responsabilisation des patrons opĂ©rationnels, au profit dâune structure de fonctionnels centraux. Ce qui Ă©tait dĂ©centralisĂ© cesse de lâĂȘtre et plus personne nâest responsable de quoi que ce soit, chacun pouvant attribuer Ă lâautre la responsabilitĂ© de la non-performance. Jâai ainsi vu un patron de PME supprimer une organisation par pays qui fonctionnait, de maniĂšre Ă supprimer les âbarons locauxâ, pour la remplacer par une organisation matricielle avec des fonctions centrales (production, marketing, commerce, RH, etc.). Le sauvetage de lâentreprise est passĂ© par le rĂ©tablissement de lâorganisation prĂ©cĂ©dente. Je pourrais Ă©galement parler de la tentation du nouveau patron de remplacer, toutes affaires cessantes, le systĂšme dâinformation, en privilĂ©giant de prĂ©fĂ©rence un logiciel sophistiquĂ©, souvent complĂštement inadaptĂ© aux besoins, au risque de mettre en cause les fonctions vitales de lâentreprise. »
Ce que le patron ne sait pas, ses collaborateurs le savent
« Alors, comment faire quand un patron, voulant exister, a pris des dĂ©cisions qui modifient les bases du succĂšs de lâentreprise au risque de la mettre en pĂ©ril ? Le risque est grand pour le nouveau venu, qui ne connaĂźt pas lâentreprise, de prĂ©coniser des changements qui aggraveront encore la situation. Câest pourquoi il doit faire preuve des qualitĂ©s qui manquaient au patron : lâhumilitĂ©, lâĂ©coute et le bon sens. La mĂ©thode est simple. Elle consiste Ă dialoguer avec les salariĂ©s pour comprendre pourquoi lâentreprise Ă©tait performante deux ou trois ans avant, et ce qui a changĂ©. Ces entretiens individuels ne doivent pas se limiter aux cadres dirigeants. Dans une PME, il est souvent utile de rencontrer une vingtaine de personnes Ă tous les niveaux de la hiĂ©rarchie.
« Les questions sont simples :
â Quâest-ce qui ne va pas ?
â Que faudrait-il faire pour que ça aille mieux ?
â Qui sont les personnes clĂ©s ?
« Bien sĂ»r, il faut Ă©galement analyser les chiffres, les comptes de rĂ©sultats, la trĂ©sorerie, mais câest des entretiens avec les membres du personnel que ressortent les Ă©lĂ©ments fondamentaux du plan de redressement de lâentreprise, basĂ©s sur la comprĂ©hension de sa performance passĂ©e. Il est alors trĂšs frustrant pour le chef dâentreprise de constater quâune personne, certes spĂ©cialisĂ©e dans le redressement, mais Ă©trangĂšre Ă lâentreprise, Ă son mĂ©tier et Ă son marchĂ©, peut, en quelques jours, en parlant Ă ses collaborateurs, comprendre lâorigine des difficultĂ©s et bĂątir un plan de redressement. La plupart du temps, il sâagit au sens informatique du terme dâun reset. Lorsquâun ordinateur se met soudainement Ă ne plus fonctionner correctement, il suffit trĂšs souvent de le remettre dans la configuration oĂč il se trouvait quand il fonctionnait pour quâil retrouve ses performances. Cela est assez simple Ă faire puisque les systĂšmes dâexploitation sont dotĂ©s de programmes de restauration qui permettent de remettre les ordinateurs dans la configuration antĂ©rieure et de supprimer tout ce qui a pu perturber leur fonctionnement.
« Dans lâentreprise, les virus sont plus compliquĂ©s Ă Ă©liminer. Il nâexiste pas de logiciel standard de restauration, mais le principe reste le mĂȘme. Il sâagit, en faisant du sur-mesure, de remettre lâentreprise dans ses conditions de performance.
« Il faut revenir aux fondamentaux, au business model qui fonctionne, au mode dâorganisation adaptĂ© en ne se prĂ©occupant que de lâessentiel. Cela Ă©tant, les dĂ©gĂąts induits par les erreurs de management peuvent ĂȘtre importants. Il faut souvent restaurer la confiance des clients. Il faut aussi reconstruire une Ă©quipe dont les meilleurs Ă©lĂ©ments ont quittĂ© lâentreprise, soit parce quâils voyaient venir le dĂ©sastre, soit parce quâils sâopposaient Ă lâorientation du patron et se sont fait licencier. Ă ce stade, mĂȘme si lâon a Ă©tabli le plan de redressement de lâentreprise, encore faut-il dĂ©montrer quâon peut le financer dans des conditions Ă©conomiques acceptables. »
Le poisson pourrit-il toujours par la tĂȘte ?
« Il est sans doute sĂ©vĂšre et parfois injuste de considĂ©rer que le patron est le seul responsable des difficultĂ©s de son entreprise, mais lâexpĂ©rience dĂ©montre que le poisson pourrit souvent par la tĂȘte. Il est impossible de redresser une entreprise si les causes de ses difficultĂ©s sont exogĂšnes. Comment modifier les Ă©lĂ©ments du marchĂ©, de la concurrence, de lâenvironnement Ă©conomique ? Autant crĂ©er une nouvelle entreprise, sur de nouvelles bases, si on en a les moyens. Le fait que beaucoup dâentreprises soient redressables dĂ©montre bien que leurs problĂšmes sont internes et que le patron nâa pas su les dĂ©tecter et les rĂ©soudre.
« La rĂ©ussite dans des domaines difficiles, on lâa vu, exige des patrons exceptionnels ayant une vraie capacitĂ© de vision et dâanticipation. Mais trĂšs souvent, les qualitĂ©s requises sont plus limitĂ©es car les problĂšmes sont moins complexes et il suffit au patron de modifier, par touches successives, les fondamentaux de son entreprise pour lâadapter Ă des modifications de lâenvironnement. Le moins quâon puisse lui demander est de ne pas ĂȘtre Ă lâorigine des problĂšmes par des dĂ©cisions inadaptĂ©es et nocives.
« Il arrive souvent Ă un apprenti pilote de ne plus rien comprendre au comportement de son avion. Il est alors conduit Ă tenter de corriger des erreurs, et il sâaperçoit que, souvent, il les aggrave. Son instructeur va lui expliquer que lâavion est fait pour voler et quâen cessant dâagir un instant, en lĂąchant le manche et le palonnier, il va comprendre quelle erreur il a commise dans le rĂ©glage de lâavion : humilitĂ©, humour et bon sens sont de bonnes ressources. La plupart des entreprises sont faites pour fonctionner, et le rĂŽle des patrons consiste, en toute humilitĂ©, Ă maintenir et Ă renouveler les conditions de leurs performances en sâappuyant sur la compĂ©tence de leurs Ă©quipes. Les meilleurs chefs dâentreprise sont souvent les plus humbles et les plus discrets. »
La vertu de lâincompĂ©tence ?
« En forme de conclusion, et sans vouloir faire de mon parcours personnel un modĂšle Ă suivre, je me demande si lâincompĂ©tence bien gĂ©rĂ©e ne met pas Ă lâabri de lâarrogance criminelle de chefs dâentreprise rĂ©putĂ©s ou autoproclamĂ©s compĂ©tents. Jâai passĂ© ma vie professionnelle Ă gĂ©rer mon incompĂ©tence (je crois, avec talent).
« Tout commence par un Ă©chec au concours dâentrĂ©e Ă HEC qui me conduit Ă Sciences Po et Ă un DESS de droit public, devant normalement mâamener Ă lâENA â mais lâENA ne veut pas de moi. Cela ne mâempĂȘche pas dâĂȘtre professeur Ă lâEN⊠de Ouagadougou, comme appelĂ© du contingent.
« Au retour de mon service, peu militaire, je souhaite revenir Ă ce que jâaurais pu faire en sortant dâHEC, si jây avais Ă©tĂ© admis, et je rentre Ă lâaudit interne du groupe Thomson. Je passe deux ans Ă contrĂŽler des comptabilitĂ©s, alors que je ne connais rien Ă la comptabilitĂ© et que je suis incapable de passer une Ă©criture comptable. Jâai ainsi dĂ©couvert quâil Ă©tait plus facile de contrĂŽler que de faire, et quâil nâĂ©tait pas nĂ©cessaire de savoir faire pour savoir contrĂŽler.
« Lâaudit me conduit vers le contrĂŽle de gestion, oĂč mon incompĂ©tence est moins flagrante, le bon sens et le sens du business pouvant compenser lâabsence de technique. Je deviens ainsi contrĂŽleur de gestion dâune division industrielle du groupe Thomson. Le dĂ©cĂšs de mon patron et le sens du risque de celui qui reprenait ses activitĂ©s me font alors pulvĂ©riser mon seuil de compĂ©tence.
« Je deviens, Ă 35 ans, le patron dâune entreprise industrielle, LâUnitĂ© hermĂ©tique, qui fabrique des compresseurs de rĂ©frigĂ©ration, de climatisation et de froid commercial, et emploie 2 000 personnes dans trois usines. NâĂ©tant pas ingĂ©nieur, Ă une Ă©poque, malheureusement pas entiĂšrement rĂ©...