Le Libre Arbitre et la science du cerveau
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Le Libre Arbitre et la science du cerveau

  1. 272 pages
  2. French
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Le Libre Arbitre et la science du cerveau

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À propos de ce livre

Qu'est-ce qui, en nous, prend vraiment nos décisions? Pouvons-nous nous estimer libres alors que nous ne maßtrisons pas complÚtement ce qui se produit dans les tréfonds de notre esprit? Si le libre arbitre n'est qu'une illusion, sommes-nous vraiment responsables de nos actes? Grùce aux apports des neurosciences et de la psychologie de pointe, un auteur phare éclaire d'un jour nouveau un débat philosophique qui a aussi des implications morales et juridiques pour chacun de nous. Michael S. Gazzaniga est directeur du SAGE Center for the Study of the Mind, à l'Université de Californie, à Santa Barbara et président de l'Institut de neuroscience cognitive. Il a notamment publié Le Cerveau social.

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2013
ISBN
9782738176851

CHAPITRE 1

Notre façon d’ĂȘtre

Il y a ce doute troublant sur notre vie de tous les jours : nous nous sentons tous des acteurs conscients et cohĂ©rents, avec nos objectifs propres et libres de faire des choix sur presque tout, et dans le mĂȘme temps nous rĂ©alisons que nous sommes des machines, biologiques peut-ĂȘtre, mais quand mĂȘme des machines, soumises comme les autres aux mĂȘmes lois physiques de l’Univers. Ces deux types de machines sont-ils complĂštement dĂ©terminĂ©s, comme Einstein, qui ne croyait pas au libre arbitre, le disait, ou sommes-nous libres de choisir Ă  notre grĂ© ?
Richard Dawkins illustre le point de vue de la science des LumiĂšres qui veut que nous soyons tous des machines aux lois dĂ©terminĂ©es, et il en souligne immĂ©diatement une consĂ©quence. Pourquoi punissons-nous les personnes qui se mettent Ă  agresser les autres ? Pourquoi ne les considĂ©rons-nous pas comme des gens qui ont besoin d’ĂȘtre rĂ©parĂ©s ? AprĂšs tout, souligne-t‑il, si notre voiture ne dĂ©marre pas, nous ne la frappons pas Ă  coups de pied. Nous la rĂ©parons.
Au lieu de la voiture, prenez un cheval qui vous expĂ©die en l’air. Maintenant que faites-vous ? La pensĂ©e d’une bonne raclĂ©e arrive plus vite Ă  l’esprit qu’un retour Ă  l’écurie pour traiter le problĂšme. Quelque chose dans la chair animĂ©e fait rĂ©agir une part humaine qui est en nous et une foule de sentiments, de valeurs, de buts, et d’intentions agitent alors notre esprit. En bref, quelque chose dans la façon dont nous sommes faits, et notre cerveau avec, semble gouverner notre comportement et notre connaissance des choses dans la vie de tous les jours. Il semble que nous soyons constituĂ©s de façon trĂšs complexe. Notre propre cerveau paraĂźt agir Ă  sa guise, mĂȘme si nous pensons en ĂȘtre responsables. Et le doute s’insinue.
Notre cerveau est un systĂšme largement parallĂšle et distribuĂ©, avec ses propres centres de dĂ©cision et d’intĂ©gration. Jour aprĂšs jour, il ne s’arrĂȘte jamais de gĂ©rer nos pensĂ©es, nos dĂ©sirs et notre corps. Ses millions de rĂ©seaux sont un ocĂ©an de forces oĂč aucun soldat ne reste seul Ă  attendre les ordres. C’est aussi un systĂšme dĂ©terminĂ©, pas un cow-boy livrĂ© Ă  lui-mĂȘme, affranchi des forces chimiques et physiques qui remplissent notre Univers. Et pourtant, ces connaissances bien modernes ne nous dissuadent en rien de penser qu’il existe un « toi », un « soi » central qui dĂ©cide en chacun de nous. Et nous retrouvons le doute, avec la tĂąche qui nous incombe d’essayer de comprendre comment tout cela peut bien marcher.
Une bonne raison qui nous convainc que nous avons un soi intime et dĂ©terminĂ© est de voir tout ce que peut accomplir notre cerveau. La technologie moderne et le savoir-faire des hommes sont si incroyables qu’un singe en Caroline du Nord reliĂ© Ă  Internet et stimulĂ© par un implant dans le cerveau peut contrĂŽler un robot au Japon. Et, en plus, les impulsions nerveuses sont transmises plus rapidement au Japon que dans sa propre jambe ! Plus proche de nous, prenez un repas chez vous. Avec un peu de chance, vous aurez ce soir une salade locale avec des tranches de poire du Chili et un gorgonzola bien goĂ»teux d’Italie, une cĂŽte d’agneau de Nouvelle-ZĂ©lande, des pommes de terre sautĂ©es de l’Idaho et un vin rouge de France. Combien de personnes crĂ©atives et innovantes ont collaborĂ© pour que ce scĂ©nario puisse se rĂ©aliser ? Des tonnes. De la personne qui a pensĂ© pour la premiĂšre fois Ă  faire pousser sa propre nourriture ou que le vieux jus de raisin Ă©tait intĂ©ressant, jusqu’à LĂ©onard de Vinci qui a dessinĂ© la premiĂšre machine volante, en passant par celle qui a mordu en premier dans ce fromage moisi en pensant que cela apportait un plus, et par les nombreux scientifiques, ingĂ©nieurs, programmeurs, agriculteurs, transporteurs, distributeurs et cuisiniers qui sont aussi intervenus dans cette chaĂźne. Une telle crĂ©ativitĂ© ou coopĂ©ration entre individus non apparentĂ©s n’existe nulle part ailleurs dans le rĂšgne animal. Ce qui est peut-ĂȘtre encore plus fascinant, c’est qu’il y ait des personnes qui ne voient pas beaucoup de diffĂ©rences entre ce que peuvent faire l’homme et les autres animaux. En fait, elles sont persuadĂ©es que leur toutou chĂ©ri, avec ses grands yeux noirs tristounets, est Ă  deux doigts de faire publier son article « Comment manipuler votre compagnon humain sans mĂȘme se lever ».
Les hommes se sont rĂ©pandus Ă  travers le monde et vivent dans des environnements extrĂȘmement variĂ©s. Pendant ce temps, les chimpanzĂ©s sont en danger. Vous devez vous demander pourquoi les hommes ont connu un tel succĂšs alors que nos plus proches parents vivants survivent avec peine. Nous pouvons rĂ©soudre des problĂšmes qu’aucun autre animal ne peut aborder. La seule rĂ©ponse possible est que nous possĂ©dons quelque chose qu’ils n’ont pas. Nous avons cependant du mal Ă  l’admettre. ArrivĂ©s au dĂ©but du XXIe siĂšcle, nous disposons de beaucoup plus d’informations pour nous aider Ă  rĂ©pondre Ă  certaines de ces questions, des informations dont ne disposaient pas les esprits curieux et entreprenants du passĂ©. Et les curieux nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s depuis longtemps, car l’intĂ©rĂȘt de l’homme dans ce que nous sommes et qui nous sommes est presque aussi vieux que l’humanitĂ©. GravĂ© sur le fronton du temple d’Apollon Ă  Delphes depuis le VIIe siĂšcle avant notre Ăšre se trouve le conseil « Connais-toi toi-mĂȘme ». L’homme a toujours Ă©tĂ© intriguĂ© par la nature de l’esprit, du soi et de la condition humaine. D’oĂč lui vient cette curiositĂ© ? Ce n’est pas Ă  cela que pense votre chien allongĂ© dans sa niche.
Aujourd’hui, les neuroscientifiques explorent le cerveau. Ils le sondent, l’enregistrent, le stimulent et l’analysent, et le comparent avec celui d’autres animaux. Avant d’ĂȘtre impressionnĂ© par notre soi moderne, nous devons garder la maĂźtrise de notre ego. Hippocrate, au Ve siĂšcle avant notre Ăšre, a Ă©crit comme s’il Ă©tait un neuroscientifique actuel : « Les hommes doivent savoir que ce n’est que du cerveau que viennent la joie, les plaisirs, le rire et la plaisanterie, ainsi que les soucis, le chagrin, le dĂ©sespoir et les lamentations. Et par cela [
] nous acquĂ©rons aussi la sagesse et la connaissance, voyons et entendons, et savons ce qui est fautif et ce qui est juste, mauvais et bon, sucrĂ© et insipide [
]. Et par le mĂȘme organe, nous devenons fous et dĂ©lirons, la peur et la terreur nous prennent1. » Les mĂ©canismes n’étaient pas vraiment connus, mais les principes Ă©taient posĂ©s.
Je pense donc qu’il revient Ă  la science d’expliquer ces mĂ©canismes et nous ferons bien pour cela de retenir le conseil de Sherlock Holmes, connu pour sa mĂ©thode scientifique : « La difficultĂ© est de dĂ©tacher la substance d’un fait, un fait absolu et indĂ©niable de son embellissement par les thĂ©oriciens et les journalistes. Puis, aprĂšs s’ĂȘtre placĂ© sur ces bases saines, il est de notre devoir de voir ce qui peut ĂȘtre dĂ©duit et sur quels points prĂ©cis repose l’ensemble du mystĂšre2. »
Ce point de dĂ©part, rien que les faits, est une maniĂšre d’entamer la rĂ©solution d’une Ă©nigme et l’esprit dans lequel les scientifiques du cerveau ont commencĂ© leurs travaux. Qu’est-ce que cette chose ? Prenons un corps, ouvrons le crĂąne et regardons un peu. Faisons des trous dedans. Étudions les gens ayant eu une attaque. Essayons d’enregistrer les signaux Ă©lectriques que produit le cerveau. Voyons comment il dĂ©veloppe ses connexions. Comme vous le verrez, c’est ce genre de questions simples qui a motivĂ© les premiers scientifiques et continue d’en inspirer beaucoup. Au fil de mon rĂ©cit, il va toutefois devenir Ă©vident que sans l’étude du comportement des organismes et la connaissance de ce pour quoi nos systĂšmes mentaux ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s, on ne peut espĂ©rer rĂ©soudre la question du « soi » versus la machine. Comme le grand scientifique du cerveau David Marr l’a notĂ©, on ne peut comprendre comment fonctionne une aile d’oiseau en Ă©tudiant ses plumes. Avec l’accumulation des faits, il nous faudra leur donner un contexte fonctionnel et examiner comment ce contexte peut contraindre les Ă©lĂ©ments sous-jacents qui gĂ©nĂšrent la fonction. Alors commençons.

Le développement du cerveau

Une expression courte et claire comme ce titre laisse croire que cela doit ĂȘtre facile Ă  Ă©tudier et Ă  comprendre, mais chez l’homme ce dĂ©veloppement embrasse beaucoup de choses. Il comprend non seulement ce qui est cellulaire, mais aussi molĂ©culaire, les changements dans la cognition au cours du temps, ainsi que les influences du monde extĂ©rieur. Il s’avĂšre que cela n’est pas simple du tout, et que dĂ©gager la thĂ©orie de la substance des faits est souvent un processus long et ardu criblĂ© de nombreux dĂ©tours. C’est bien ce qui s’est produit pour la dĂ©couverte des bases du dĂ©veloppement et du fonctionnement du cerveau.

L’équipotentialitĂ©

Le dĂ©but du XXe siĂšcle est passĂ© par un tel dĂ©tour, dont on ressent encore les rĂ©percussions dans le monde scientifique comme dans le grand public avec le dĂ©bat entre l’innĂ© et l’acquis. En 1948, dans mon universitĂ© d’origine, le Dartmouth College, deux grands psychologues, l’un canadien, Donald Hebb, l’autre amĂ©ricain, Karl Lashley, se sont rencontrĂ©s pour discuter de la question suivante : le cerveau est-il un tableau blanc et dans une large mesure « plastique », comme on dit aujourd’hui, ou est-il contraint et dĂ©terminĂ© d’une certaine maniĂšre par sa structure ?
À l’époque, la thĂ©orie du tableau blanc rĂ©gnait depuis une vingtaine d’annĂ©es et Lashley en avait Ă©tĂ© l’un de ses premiers partisans. Ce fut l’un des pionniers de l’étude par des mĂ©thodes physiologiques et analytiques des mĂ©canismes du cerveau et de l’intelligence chez les animaux. Il procĂ©dait Ă  certaines lĂ©sions bien prĂ©cises dans le cortex cĂ©rĂ©bral de rats et mesurait leur comportement avant et aprĂšs l’opĂ©ration. Il trouva que la quantitĂ© de tissu cortical enlevĂ© avait un impact sur l’apprentissage et la mĂ©moire, mais que l’endroit opĂ©rĂ© importait peu. Cela le convainquit que la perte d’une aptitude donnĂ©e Ă©tait plus liĂ©e au volume de cortex excisĂ© qu’à sa localisation. Il ne pensait pas qu’une lĂ©sion spĂ©cifique puisse Ă©liminer une capacitĂ© donnĂ©e. Il proposa les principes d’action de masse (l’action du cerveau dans sa totalitĂ© dĂ©termine ses performances) et l’équipotentialitĂ© (n’importe quelle partie du cerveau peut effectuer une tĂąche donnĂ©e, il n’y a donc pas de spĂ©cialisation3).
Lashley, lorsqu’il Ă©tudiait Ă  l’universitĂ©, devint un bon ami de John Watson, le directeur du laboratoire de psychologie de l’UniversitĂ© Johns Hopkins. Watson, un bĂ©havioriste sincĂšre adepte du « tableau blanc », est connu pour avoir dit en 1930 : « Donnez-moi une douzaine d’enfants en bonne santĂ©, bien formĂ©s, et mon environnement spĂ©cifique pour les Ă©lever, et je vous garantis qu’en prenant l’un d’entre eux au hasard je pourrai en faire le spĂ©cialiste que je voudrai, un mĂ©decin, un avocat, un artiste, un grand commerçant ou mĂȘme, oui, un mendiant ou un voleur, indĂ©pendamment de ses talents, penchants, tendances, capacitĂ©s, de sa vocation et de la race de ses ancĂȘtres4. » Les principes de Lashley d’action de masse et d’équipotentialitĂ© cadraient bien avec le bĂ©haviorisme.
Cette idĂ©e d’équipotentialitĂ© fut ensuite Ă©tayĂ©e par le travail de l’un des premiers neurobiologistes du dĂ©veloppement, Paul Weiss. Celui-ci pensait aussi que le cerveau ne se dĂ©veloppait pas d’une maniĂšre trĂšs spĂ©cifique et il Ă©nonça la fameuse formule « la fonction prĂ©cĂšde la forme5 » pour le systĂšme nerveux Ă  la suite de rĂ©sultats d’expĂ©riences oĂč il greffait un membre supplĂ©mentaire Ă  un triton, un amphibien de la famille des salamandres. La question Ă©tait de savoir si les nerfs irrigueraient le membre de maniĂšre spĂ©cifique ou s’ils pousseraient de maniĂšre alĂ©atoire, s’adaptant ensuite au nouveau membre avec son utilisation. Il trouva que le membre de salamandre transplantĂ© finissait par ĂȘtre innervĂ© et devenait capable d’apprendre des mouvements coordonnĂ©s avec le membre adjacent. Roger Sperry, l’étudiant de Weiss et plus tard mon mentor, rĂ©suma le principe de rĂ©sonance largement admis de Weiss comme « un processus dans lequel le dĂ©veloppement des connexions synaptiques Ă©tait conçu pour ĂȘtre complĂštement non sĂ©lectif, diffus, et universel dans ses contacts en aval6 ». On pensait ainsi Ă  l’époque que « tout pouvait aller » dans le systĂšme nerveux entre les neurones, qu’il n’y avait rien de structurĂ©. Une idĂ©e que Lashley avait esquissĂ©e, les bĂ©havioristes encouragĂ©e, et que le plus grand zoologiste de son temps approuvait.

Des connexions neuronales et neurospécifiques

Donald Hebb n’était pas convaincu. Bien qu’il ait Ă©tudiĂ© avec Lashley, c’était un penseur indĂ©pendant qui se mit Ă  dĂ©velopper son propre modĂšle. Pour lui, ce qui Ă©tait important Ă©tait comment des connexions neuronales spĂ©cifiques fonctionnaient, et il s’éloigna des idĂ©es d’action de masse et d’équipotentialitĂ©. Il avait dĂ©jĂ  rejetĂ© les idĂ©es d’Ivan Pavlov, le cĂ©lĂšbre physiologiste russe, qui avait considĂ©rĂ© le cerveau comme un grand arc rĂ©flexe. Il Ă©tait convaincu que les opĂ©rations faites par le cerveau pouvaient expliquer le comportement, et que la psychologie et la biologie d’un organisme ne pouvaient ĂȘtre sĂ©parĂ©es, une idĂ©e bien admise aujourd’hui mais inhabituelle pour l’époque. Contrairement aux bĂ©havioristes qui pensaient que le cerveau ne faisait que rĂ©agir aux stimulations, il s’aperçut que le cerveau Ă©tait toujours actif, mĂȘme en l’absence de tout stimulus. Il rechercha alors un cadre pour expliquer ce fait avec les donnĂ©es limitĂ©es dont on disposait sur le fonctionnement du cerveau dans les annĂ©es 1940.
En se fondant sur ses recherches, Hebb en vint Ă  postuler comment cela se passait. La publication de son livre The Organization of Behavior : A Neuropsychological Theory sonna le glas du bĂ©haviorisme strict et fut le retour Ă  l’idĂ©e antĂ©rieure que la connectivitĂ© entre neurones Ă©tait d’une grande importance. Il y Ă©crit : « Quand un axone de la cellule A est assez prĂšs de la cellule B pour l’exciter et participe Ă  son activation d’une maniĂšre persistante, un processus de croissance ou un changement mĂ©tabolique a lieu dans l’une ou les deux cellules de sorte que l’efficacitĂ© de A en tant que cellule activatrice de B est accrue7. » C’est connu en neurosciences sous l’expression « les neurones qui s’activent ensemble se connectent ensemble » et forme la base des propositions de Hebb pour expliquer la mĂ©moire et l’apprentissage. Il suggĂ©rait ainsi que des groupes de neurones qui s’activent ensemble forment ce qu’il a appelĂ© une assemblĂ©e cellulaire. Les neurones d’une assemblĂ©e peuvent continuer Ă  s’activer aprĂšs l’évĂ©nement qui les a mis en branle. Il a avancĂ© que cette persistance Ă©tait une forme de mĂ©moire et que penser Ă©tait l’activation successive d’assemblĂ©es. Pour rĂ©sumer, les idĂ©es de Hebb faisaient ressortir combien l’idĂ©e de connectivitĂ© Ă©tait importante et centrale. C’est encore un sujet central d’étude en neurosciences.
Hebb a focalisĂ© son attention sur les rĂ©seaux neuronaux et sur la maniĂšre dont ils pouvaient fonctionner pour apprendre une information. Il n’a pas cherchĂ© Ă  savoir comment ces rĂ©seaux apparaissaient, mais une des implications de sa thĂ©orie est que le fait de penser modifie le dĂ©veloppement du cerveau. Dans des expĂ©riences faites plus tĂŽt sur des rats et publiĂ©es en 1947, Hebb a montrĂ© que l’expĂ©rience peut affecter l’apprentissage8. Il a compris que sa thĂ©orie serait revue avec les nouvelles dĂ©couvertes Ă  venir sur les mĂ©canismes du cerveau, mais son insistance Ă  combiner biologie et psychologie avait ouvert la voie qui a conduit, en un peu moins d’une dĂ©cennie, au nouveau domaine des neurosciences.
On a commencĂ© Ă  comprendre que lorsque l’information avait Ă©tĂ© apprise et stockĂ©e dans le cerveau, des aires spĂ©cifiques s’étaient chargĂ©es d’elle de diffĂ©rentes maniĂšres. Il restait cependant Ă  savoir comment les rĂ©seaux se formaient, et plus directement encore comment le cerveau se dĂ©veloppait.
Le travail qui a posĂ© les fondations des neurosciences modernes et soulignĂ© l’importance de la neurospĂ©cificitĂ© fut accompli par un Ă©tudiant de Paul Weiss nommĂ© Roger Sperry. Comment la connectivitĂ©, ou mise en lien des neurones, s’établissait le fascinait. Il restait sceptique devant l’explication par la croissance nerveuse proposĂ©e par Paul Weiss, alors que l’activitĂ© fonctionnelle jouait un rĂŽle prĂ©dominant dans la formation des circuits neuronaux. En 1938, annĂ©e du dĂ©but de ses recherches, d’autres indices qui s’opposaient Ă  la doctrine de la plasticitĂ© fonctionnelle du systĂšme nerveux sont venus de deux mĂ©decins de l’école de mĂ©decine de l’UniversitĂ© Johns Hopkins, Frank R. Ford et Barnes Woodall. Ceux-ci relataient leur expĂ©rience de patients dont les troubles fonctionnels, aprĂšs rĂ©gĂ©nĂ©ration nerveuse, persistaient des annĂ©es aprĂšs sans amĂ©lioration9. Sperry a Ă©tudiĂ© la plasticitĂ© fonctionnelle chez des rats, observant comment le changement de connexions nerveuses pouvait affecter leur comportement. Il a interverti les connexions nerveuses entre les muscles opposĂ©s de flexion et d’extension de chaque pied arriĂšre, ce qui revenait Ă  inverser le mouvement de la cheville, pour voir si les animaux pouvaient apprendre Ă  bouger le pied correctement comme le prĂ©disait l’approche fonctionnaliste de Weiss. Il a Ă©tĂ© surpris de trouver que les rats ne s’adaptaient jamais, mĂȘme aprĂšs de longues heures d’entraĂźnement10. Par exemple, lorsqu’ils grimpaient sur une Ă©chelle, leur pied descendait quand il devait monter et vice versa. Il avait supposĂ© que de nouveaux circuits s’établiraient ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. DĂ©dicace
  5. Introduction
  6. Chapitre 1. Notre façon d’ĂȘtre
  7. Chapitre 2. Le cerveau parallÚle et distribué
  8. Chapitre 3. L’interprùte
  9. Chapitre 4. Faut-il renoncer Ă  l’idĂ©e de libre arbitre ?
  10. Chapitre 5. L’esprit social
  11. Chapitre 6. Nous sommes la loi
  12. Une postface
  13. Remerciements
  14. Notes
  15. Table des matiĂšres
  16. 4e de couverture