Une mère se comporte-t-elle de la même manière avec sa fille et avec son fils ? Une fille a-t-elle une relation avec sa mère du même ordre qu’un fils avec sa mère ?
La mère porte et met au monde l’enfant. Quelles que soient les égalités revendiquées la mère reste – la nature est ainsi faite – le tout premier objet d’amour, pour les enfants des deux sexes. En témoigne l’immensité de l’attachement que l’enfant porte à la personne de sa mère. Ce tout premier lien fait référence pour la fille comme pour le garçon. Mais les spécificités qui caractérisent la relation mère-fille existent. Envisageons-les d’abord du point de vue de la mère. C’est elle, l’adulte qui ressent la ressemblance sexuelle avec sa fille, dès les premiers moments, et qui agit en fonction de celle-ci.
La mère s’identifie à sa fille
Mère et fille ont le même sexe. C’est une similitude qui colore la relation et la conduit à se comporter avec sa fille différemment d’avec son fils. Elle voit en sa fille un être qui lui ressemble. Son sexe est semblable, c’est une fille, une future femme, comme elle. Le processus d’identification conduit à voir en l’autre une ressemblance, à se sentir en communion avec lui en se sentant identique.
La mère s’identifie aussi au bébé garçon, mais sa différence de sexe évite une identification globale. Avec la petite fille, l’identification est d’autant plus massive qu’il y a une identité sexuelle. La mère peut la considérer comme un prolongement d’elle-même, avec une grande difficulté à distinguer qui est qui, dans une sorte d’état fusionnel qu’elle ne dépasse pas même lorsque sa fille grandit. Celle-ci peut alors devenir sa possession, lui appartenant puisqu’elle est une partie d’elle-même. Pour la mère, sa fille la « prolonge » ; le lien s’inscrit dans cette continuité filiale.
Avec son fils, la mère noue un attachement « œdipien », c’est-à-dire qu’elle l’investit comme un petit homme, satisfaisant par le caractère séducteur de son sexe. La mère d’un garçon est souvent fière, elle se sent « complétée », satisfaite du fait que son bébé est de sexe masculin. Cette satisfaction-là, elle ne la ressent pas avec sa fille. « Comme Freud l’a mis en évidence, l’unique relation vraiment satisfaisante est celle qui lie la mère au fils, alors que tout laisse supposer que même la mère la plus affectueuse et maternelle a une attitude ambivalente à l’égard de sa fille4. »
La mère attend de sa fille un certain nombre de choses. Elle peut désirer que celle-ci se comporte comme on l’a exigé d’elle, ou bien qu’elle sera ce qu’elle n’a pas réussi à être. Elle peut imaginer que sa fille éprouve les mêmes désirs, les mêmes émotions, qu’elle pense comme elle, et être déçue si ce n’est pas le cas. Une mère qui accorde beaucoup d’importance à l’apparence voudra que sa fille corresponde à ses critères esthétiques. Une autre pour qui la réussite professionnelle est importante prendra très à cœur les résultats scolaires de son enfant. Une mère qui se comporte ainsi ne met pas de distance entre elle et sa fille. Elle ne se demande pas ce qui est bien pour son enfant, qui n’est pas elle. Elle l’encensera si elle correspond à ses attentes, mais pourra devenir rejetante si sa fille présente des caractéristiques qui sont dévalorisantes pour elle. Elle aime sa fille « sous conditions », c’est-à-dire en fonction des satisfactions qu’elle lui apporte.
La mère a moins d’attentes précises vis-à-vis de son fils, elle supporte plus facilement qu’il soit différent d’elle, il n’est pas comme elle. Sa différence sexuelle lui suffit comme récompense de l’avoir fait.
La mère a parfois tendance à laisser moins de liberté à sa fille. Elle intervient plus, elle se sent plus concernée, elle a toujours un avis. Elle peut être aussi plus anxieuse, car son enfant fille la renvoie à ses propres angoisses.
Son fils n’est pas comme elle, elle peut plus facilement lui faire confiance, lui laisser de l’espace. « Après tout, je n’y connais pas grand-chose en ce qui concerne les garçons, autant le laisser faire », se dit-elle, alors qu’avec sa fille, elle s’y connaît, elle est experte en la matière. Si cette dernière s’aventure loin des champs balisés qu’elle connaît bien, la mère risque de la désapprouver et de l’en empêcher. L’enfant peut perdre en assurance, en désir d’explorer, en curiosité, en initiatives. On voit ainsi que l’autonomie est moins favorisée chez la fille que chez le garçon.
Au moment où l’enfant commence à vouloir explorer le monde, et à prendre confiance en ses propres capacités, il a besoin d’être encouragé et non « retenu », il a besoin qu’on accepte de lui donner ce nouvel espace sans crainte excessive. Il doit apprendre à dépasser ses peurs, affronter les dangers, et trouver les moyens de les surmonter. Il gagne alors en assurance, et en indépendance. L’anxiété est naturelle et normale chez l’enfant, l’adulte doit être présent pour le rassurer, l’aider à dépasser ses craintes, sans le retenir.
De génération en génération
Entre mère et fille, l’identité de sexe est transgénérationnelle. La fille devient mère (comme sa mère), elle a maintenant une fille (comme elle a été fille). Le jeu des identifications joue à plein. Tout est prêt pour la répétition. La jeune femme peut se comporter avec sa fille comme sa mère se comportait avec elle. Elle peut voir en sa fille un être identique à elle.
Comme dans le jeu des chaises musicales, plusieurs scénarios sont possibles : soit la fille en devenant mère peut prendre la place de sa mère, soit elle ne dépasse pas sa place de fille et met sa propre fille à sa place de mère. Ainsi toutes les combinaisons sont possibles, la même identité sexuelle permettant la confusion, évitée lorsqu’il y a différence sexuelle.
Le chemin difficile de la séparation
Pour ces raisons, la mère a parfois du mal à concevoir la séparation. Elle noue une relation très proche avec sa fille et s’en réjouit. Elle appréhende souvent le moment où celle-ci quittera le foyer parental, où cette intimité mère-fille qu’elle affectionne n’existera plus. Pourquoi les mères nouent-elles une relation fusionnelle, au-delà de la période normale, et ont souvent du mal à supporter l’idée que leurs filles puissent vivre sans elles ?
Elles paraissent liées à leur fille, ...