Leçons sur le corps, le cerveau et l'esprit

Alain Berthoz

• Éditeur: Odile Jacob
• Année: 1999
• ISBN:
  9782738168511
• Sujet: Filosofía
• Sous-sujet: Historia y teoría filosóficas

Des neuropharmacologues (Jean-Pierre Changeux, Jacques Glowinski), des physiologues (Claude Bernard, Étienne Jules Marey, Jean Nageotte, Alfred Fessard, Yves Laporte, Alain Berthoz), des psychologues (Pierre Janet, Henri Wallon, Julian de Ajuriaguerra) œuvrent depuis deux siècles au Collège de France à l'élucidation de ce mystère de tous les mystères: comment fonctionne notre cerveau?Ce livre reprend leurs leçons inaugurales, documents essentiels pour l'histoire intellectuelle, mais aussi sources d'inspiration pour les recherches les plus actuelles en sciences cognitives.

DEUXIÈME PARTIE

LA PHYSIOLOGIE,
ÉTUDE DE LA COORDINATION DES PARTIES AU TOUT

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FRANÇOIS MAGENDIE (1783-1855)

Chaire de médecine

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1831-1855

Magendie a fait ses études de médecine très jeune, à Paris, et a manifesté très tôt un intérêt pour la physiologie. Dès 1808, il débute par une critique de Xavier Bichat, mort en 1802, mais dont les idées, qui se rattachaient au courant vitaliste, dominaient la médecine et la physiologie de l’époque. Pour Magendie, la force vitale « n’est qu’une simple hypothèse puisque nous ne pouvons pas la saisir. Et il serait plus avantageux que la physiologie commençât seulement à l’instant où les phénomènes des corps vivants deviennent appréciables à nos sens1 ». Magendie privilégiait l’expérimentation par rapport à toute notion de système ou de doctrine.

La réputation de Magendie est établie bien avant son élection au Collège de France par la publication de ses travaux et découvertes dans différents domaines de la physiologie. En 1809, il montre que le poison contenu dans le strychnos (arbuste tropical) est véhiculé dans les vaisseaux sanguins et non dans les vaisseaux lymphatiques, ce qui conduit à l’isolement, en 1818, de la strychnine, puissant convulsifiant, dont Magendie introduit l’usage en médecine expérimentale. De même, il introduit dans la pharmacopée l’émétine, molécule émétique extraite de l’ipéca2, et étudie l’action de nombreuses substances sur le système nerveux3, jetant les bases d’une pharmacologie expérimentale. Ces travaux se traduisent par la publication d’un formulaire des produits pharmacologiques, complété et réédité neuf fois de 1821 à 1836, traduit en anglais et en espagnol4. Par ailleurs, ses recherches concernent la plupart des domaines de la physiologie et de la médecine : le péristaltisme œsophagien, la formation des images sur la rétine, les conséquences de l’absence de certains aliments, la circulation du liquide céphalo-rachidien5 … La découverte de la distinction fonctionnelle entre les deux racines des nerfs rachidiens dans la moelle épinière, la racine antérieure (ou ventrale) servant le mouvement et la racine postérieure (ou dorsale) servant la sensibilité, a été à l’origine d’un débat avec l’Anglais Charles Bell qui revendiquait la primauté de cette découverte6. Très tôt, l’Académie des sciences accorde un grand intérêt aux travaux de Magendie, en particulier à ceux sur l’élasticité des artères, et c’est pour lui que Montyon crée un prix de physiologie expérimentale. Magendie est élu membre de l’Académie de médecine dès sa création ainsi que de l’Académie des sciences en 1821. La même année, il fonde le Journal de physiologie expérimentale. Cette publication lui sert de tribune pour présenter ses travaux de physiologie ; y sont rapportés les travaux de grands médecins du moment : par exemple les Britanniques Bell et Shaw, les médecins français Pinel, Desmoulins, Bouillaud, le physiologiste Poiseuille…

Ses biographes insistent sur la forte personnalité de Magendie. Elle attirait de nombreux auditeurs à ses cours. Sa réputation dépasse les frontières, et son Précis élémentaire de physiologie, réédité quatre fois de 1816 à 1836, a été traduit en allemand en 1821 et en anglais en 1831. Dès 1827, sa candidature est proposée pour la succession de René-Théophile Laennec (1781-1826) à la chaire de médecine du Collège de France. Mais c’est finalement Jean-Claude-Anthelme Récamier qui sera élu. Ce n’est que lorsque ce dernier démissionne, pour raisons politiques, en 1831, que Magendie obtient cette chaire. Il y crée peut-être le premier véritable laboratoire de physiologie expérimentale.

On peut dire que l’influence de Magendie se caractérise par l’institution d’une physiologie expérimentale s’appuyant sur les méthodes de toutes les sciences physiques. Et c’est au Collège de France que cette naissance s’accomplit. Antoine Portal (1742-1832), titulaire de la chaire de médecine de 1769 à 1773 puis de celle d’anatomie de 1773 à 1832, avait pratiqué et enseigné l’expérimentation sur les animaux vivants. Mais Magendie parvient à réellement séparer la physiologie de la médecine, en imposant l’expérimentation animale comme outil essentiel de recherche, devant l’observation anatomopathologique, et en systématisant le recours à des lois physiques ou chimiques. Ainsi, Claude Bernard écrit : « L’idée dominante de Magendie fut de fixer d’une manière définitive la méthode expérimentale dans la médecine et la physiologie7. » Selon Canguilhem, « son œuvre représente un moment nécessaire dans l’évolution de la physiologie8 ».

L’impact de Magendie sur l’histoire de la physiologie se marque dans la filiation que l’on peut observer entre les physiologistes et les pharmacologues qui ont enseigné au Collège de France après lui. En effet, les notions scientifiques abordées par Magendie ont été aussi étudiées et développées par les professeurs du Collège de France que nous rencontrerons plus loin dans cet ouvrage.

Nous avons déjà mentionné les travaux de pharmacologie expérimentale, qui seront continués par Claude Bernard. Dans le domaine particulier de la neurophysiologie, le nom de Magendie reste attaché à la découverte de la distinction entre parties sensitives et motrices des nerfs (1822), à la description de la sensibilité récurrente, phénomène qui sera expliqué par Claude Bernard9. Son Précis élémentaire de physiologie comporte un chapitre sur le cerveau, qu’il considère comme l’organe de la pensée, qui peut être décrit et étudié comme les autres organes, et dont les fonctions sont soumises aux mêmes lois que celles des autres organes. Néanmoins, dans ses leçons sur le système nerveux, il précise que, pour l’explication des phénomènes de l’intelligence, la physiologie doit se limiter à ce qui est de sa compétence : « Prétendre expliquer les actes de l’intelligence par des principes de physique et de chimie, ce serait sortir sans aucun profit pour les sciences du cercle des observations physiologiques, et tomber dans l’absurde10. »

Les premières leçons que Magendie a prononcées au Collège, en 1830, ont pour objet le choléra morbus (elles font suite à la campagne contre le choléra qui a été l’occasion pour Magendie de mener une recherche sur la toxine cholérique). Elles sont relativement techniques et ne montrent qu’un fragment de la personnalité multiple de Magendie. Nous avons choisi de présenter plutôt des extraits des deux premières leçons du cours sur le système nerveux (1833-1834). Ces leçons apportent un éclairage historique aux textes plus récents qui traitent de la neurophysiologie, au Collège de France. Le premier de ces textes, la leçon d’ouverture, est un exposé de la méthode de Magendie. Cependant, c’est dans les Leçons sur les phénomènes physiques de la vie que se trouvent, à notre sens, le mieux exposées la philosophie scientifique et la conception de la physiologie de Magendie. Nous reproduisons donc aussi la leçon d’ouverture du cours de 1837, qui traite des phénomènes vitaux au sens où Magendie l’entend et permet de situer ses théories par rapport aux différentes doctrines vitalistes.

Représentation de l’intérieur du cerveau humain par François Magendie (issue de Précis élémentaire de physiologie, Paris, Meguignon-Marvis, 1816-1817).

BIBLIOGRAPHIE

Œuvres de François Magendie

Précis élémentaire de physiologie, Paris, Meguignon-Marvis, vol. I 1816, vol. II 1817, 2^e éd. 1825, 3^e éd. 1834, 4^e éd. 1836.

Formulaire pour la préparation et l’emploi de plusieurs nouveaux médicaments, tels que la noix vomique, la morphine, l’acide prussique, la vératine, les alcalis des quinquinas, l’iode, Paris, Meguinon-Marvis, 1821.

Traductions : Formulary for the preparation and employment of several new remedies. Translated from the 6^th ed. of the Formulaire… of M. Magendie, with an appendix, containing the experiments of british practitioners with many new remedies by J. Houlton, Londres, T. and G. Underwood, 1828.

Formulario para preparación y uso de varios medicamentos nuevos, por

F. Magendie, 5^a éd. corregida y aumentada, traducido al castellano con notas por Don Jose Luis Casaseca, Paris, J. Renouard, 1826.

Leçons sur le Choléra-Morbus, Paris, Meguinon-Marvis, 1832. ´

Leçons sur les fonctions et les maladies du système nerveux, Paris, Ébrard, 1839.

Leçons sur les phénomènes physiques de la vie, 3 vol., Paris, Baillière, 1842.

Études sur François Magendie

Claude BERNARD, Leçon inaugurale du cours de médecine du Collège de France, prononcée le 29 février 1856, publiée chez Baillière, Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses, p. 1-36.

Claude BERNARD, Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France, Paris, publication faite sous les auspices du ministère de l’Instruction publique et imprimée par autorisation de Son Excellence le garde des Sceaux à l’Imprimerie nationale, 1867, p. 6-7 : influence de Magendie sur la physiologie française et internationale.

Pierre-Marie FLOURENS, Éloge historique de François Magendie, lu dans la séance publique annuelle de l’Académie des sciences du 8 février 1858.

J. M. D. OLMSTED, François Magendie, Pioneer in Experimental Physiology and Scientific Medicine in 19^th Century France, New York, Schuman, 1944.

Mirko Drazen GRMEK, « Magendie », Dictionary of Scientific Biography, New York, Scribner’s Sons, 1974, vol. IX, p. 6-11.

Georges CANGUILHEM, Etudes de philosophie et d’histoire des sciences, Paris, Vrin, 1989.

Mary BRAZIER, A History of Neurophysiology in the 19^th Century, New York, Raven Press, 1988.

Leçons sur le système nerveux11

PREMIERE LEÇON (7 DÉCEMBRE 1833) PAR FRANÇOIS MAGENDIE

Sommaire : Direction spéciale du cours. – États de nos connaissances en médecine. – Préjugés relatifs au lois vitales et aux lois physiques. – Les sciences positives appliquées aux études médicales. – Utilité de l’examen du sang dans les maladies. – Bruits anormaux du cœur liés avec l’état particulier du sang. – Cas remarquable d’incoagulabilité du sang. – Réformes introduites dans la médecine par la physiologie expérimentale. – Chimie appliquée à l’étude des maladies. – On ignore les usages d’un très grand nombre d’organes. – Que sait-on sur le corps thyroïde, la rate, le foie, le pancréas, les capsules surrénales, le thymus, les vaisseaux lymphatiques, le système nerveux ganglionnaire ? – Nous cherchons à nous dissimuler notre propre ignorance. – Du scepticisme dans les sciences. – Plan du cours. – On traitera de l’étude expérimentale du système nerveux. – Questions que cette étude embrasse.

Messieurs,

Pour m’élever à la hauteur de l’enseignement qui caractérise aujourd’hui les chaires du Collège de France, j’ai surtout besoin de vous parler avec une entière franchise et de vous dire, bien qu’il m’en coûte, la vérité tout entière. Messieurs, la médecine que je dois vous enseigner est une science à faire ; tandis que les sciences physiques ont obéi à un brillant essor, la médecine est restée dans un état humiliant d’infériorité. Vous la voyez actuellement à peu près ce qu’elle était à son berceau : elle a traversé les siècles, oscillant d’erreur en erreur, alors qu’elle croyait avancer. D’où vient cette fatalité ? Ce ne sont pourtant pas les fortes têtes, les hommes de génie qui ont manqué à la médecine. Peu de sciences ont produit autant de travaux, peu d’études ont autant d’attrait, aucun sujet ne nous touche d’aussi près puisque ce sujet, c’est nous-mêmes. Tout cela est vrai ; aussi, la cause du mal, vous la trouverez dans les préjugés scholastiques qui ont aveuglé les meilleurs esprits, vous la trouverez aussi dans l’état d’enfance où étaient certaines branches des co...

Table des matières

• Couverture
• Titre
• Du même auteur
• Copyright
• Introduction - par Alain Berthoz
• Première partie - Les bases moléculaires et la neuropharmacologie des fonctions cognitives
• Deuxième partie - la physiologie, étude de la coordination des parties au tout
• Troisième partie - De la philosophie à la psychologie scientifique
• Index
• Table
• Dans la même collection