Exquise planète
  1. 176 pages
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À propos de ce livre

On connaît le jeu du « cadavre exquis », qui consiste à faire un dessin, puis à plier la feuille en n'en laissant dépasser qu'un fragment, à partir duquel le joueur suivant improvise son propre dessin... Les quatre auteurs de ce livre, en reprenant le principe, l'ont adapté à la description d'une planète plausible et des diverses formes de vie susceptibles d'y apparaître et de s'y développer. Quelle espèce extraterrestre le hasard et les lois de l'évolution vont-ils produire? Cette « exquise planète », inventée en restant autant que faire se peut dans le champ du possible par un astrophysicien, un paléontologue et un archéologue, ne ressemble guère à la Terre, si ce n'est par l'inépuisable inventivité de ses espèces, et pourtant elle aurait pu être la nôtre si le hasard en avait décidé ainsi. Et elle prend un relief bien particulier quand un écrivain de science-fiction, Pierre Bordage, prenant le relais final, vient enrichir les descriptions scientifiques et factuelles d'un souffle épique qui efface la frontière commodément tracée entre science et fiction. Pierre Bordage, auteur de science-fiction, s'intéresse à tous les genres du domaine. Spécialiste du « space opera » (Les Guerriers du silence, Abzalon, Griots célestes), il ne néglige ni le « postapocalyptique » (Le Feu de Dieu), ni la « fantasy historique » (L'Enjomineur), l'anticipation (Wang), l'uchronie (cycle de Ceux qui sauront) ou la « fantaisie » (Les Fables de l'Humpur). Jean-Paul Demoule, archéologue, professeur de protohistoire européenne à l'université Paris-I et membre de l'Institut universitaire de France, a présidé l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP). Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont On a retrouvé l'histoire de France. Roland Lehoucq, astrophysicien au CEA dans le domaine de la topologie cosmique, s'est fait une spécialité de vulgariser la science à partir d'ouvrages de fiction (La Science-Fiction sous les feux de la science, D'où viennent les pouvoirs de Superman?). Il tient la rubrique « Scientifiction?» dans la revue Bifrost. Jean-Sébastien Steyer, paléontologue au CNRS rattaché au Muséum national d'histoire naturelle, signe des rubriques liant la science et l'imaginaire dans les revues Pour la science et Espèces. Il est l'auteur de La Terre avant les dinosaures.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2014
ISBN
9782738172136

CHAPITRE 1

Ciel bleu, Soleil orange

« ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre… »
VERLAINE.
L’Étoile se lève, énorme. Posée sur l’horizon, elle est d’un rouge profond, semblable à une braise qui se meurt. Le ciel est encore sombre, dégradé passant du bleu, côté levant, au noir vers le couchant. De nombreuses étoiles y brillent encore. La nuit a été longue, et fraîche. Très fraîche même, comme l’attestent les nombreuses plaques de glace et la belle couche de givre qui recouvre d’étranges arborescences aux sombres ramifications. Le paysage est dégagé, le sol est couvert de roches éparses sur lesquelles s’accrochent des tapis de mucus filiformes. À l’aube, ce monde semble figé par un long sommeil. L’Étoile aussi d’ailleurs, qui paraît immobile dans le ciel, comme si le temps était suspendu. La promesse du jour nouveau se fait attendre. L’air vif est dense, comme s’il avait lui aussi été pétrifié par la nuit. Dans le ciel, un mouvement se remarque. Il s’agit d’un astre très brillant qui, à y regarder de plus près, n’est pas ponctuel comme les étoiles : sa taille apparente est faible mais perceptible. En une dizaine de minutes, il s’est déplacé de façon sensible sur le fond des étoiles encore visibles. C’est certainement un satellite naturel qui, vu son déplacement relativement rapide, doit orbiter assez près de la Planète. Sa trajectoire apparente le dirige vers l’horizon ouest sous lequel il devrait disparaître dans quelques heures. Maintenant, l’Étoile semble avoir légèrement progressé dans son ascension céleste. Un peu plus haut sur l’horizon, elle gagne en luminosité et le ciel commence à s’éclairer. Il faudra encore près de 48 heures terrestres pour vraiment avoir l’impression que le jour s’est levé. Et quel drôle de jour. L’Étoile, qui a viré à l’orangé, paraît quand même bien pâle. Avec une telle couleur, l’astre doit être assez froid et rayonner l’essentiel de sa lumière dans le rouge et l’infrarouge, gamme de couleurs imperceptible à l’œil humain. Le ciel est d’un bleu profond, peu lumineux. C’est que la lumière de l’Étoile est pauvre en bleu, couleur la plus diffusée par les molécules atmosphériques. Avec le lever du jour, la température de l’air est repassée au-dessus de 0 °C. Le givre a quasiment disparu, les plaques de glace ont presque toutes fondu. Au fil des heures, l’Étoile continue sa lente ascension dans le ciel, semblant se rétrécir quelque peu. Et ce n’est pas qu’une illusion d’optique comme celle qui nous fait croire que la Lune est plus grosse quand elle est proche de l’horizon. Sa taille apparente diminue bel et bien, ce qui signifie que la distance qui la sépare de la Planète augmente. Pour que cet effet soit si sensible, cette dernière doit avoir une orbite elliptique marquée, bien plus que la Terre autour du Soleil en tout cas. Voilà que le satellite aperçu au lever du soleil repasse dans le ciel. C’est la deuxième fois depuis le lever de l’Étoile, mais il devient très difficile à percevoir à cause de la luminosité du ciel qui n’a cessé d’augmenter.
Il se passe quelque chose à l’horizon. Des reflets lumineux y sont de plus en plus sensibles comme si quelque chose d’ondulant réfléchissait la lumière du soleil. Une bonne dizaine d’heures plus tard, une masse liquide s’approche, parcourue de vagues dues au vent. La marée, immense, monte inexorablement au rythme de l’ascension stellaire. L’origine des nombreuses flaques, dont certaines ont la taille d’une grande mare, est maintenant évidente. Il s’agit de l’eau laissée par le reflux de la marée précédente. Le paysage est en fait un gigantesque estran. De temps en temps, le sol émet des grondements sourds et semble même vibrer sous les pieds. Les effets de marées se font aussi sentir sur la croûte planétaire, malaxée par les différences de pesanteur qu’elle subit. Un craquement violent déchire l’air humide : une crevasse est en train de s’ouvrir. Elle court sur une dizaine de mètres avant de s’interrompre, une fois l’accumulation d’énergie élastique dissipée. Entre la formidable montée des eaux et l’instabilité chronique du sol, la situation n’est guère rassurante. Au bout d’un peu plus de 10 jours terrestres, l’Étoile culmine dans le ciel. La température est devenue estivale et la marée haute a totalement transformé le paysage, aussi loin que porte le regard. Nous sommes maintenant au bord d’un océan. L’air est lourd et chargé d’humidité.
L’Étoile entame sa descente vers l’ouest. Elle est déjà bien avancée quand un objet brillant se lève sur l’horizon est. Il a l’aspect d’un disque partiellement éclairé du côté du soleil. Il ressemble en tout point à notre Lune sauf que sa taille apparente semble au moins deux fois plus petite. C’est sans aucun doute un autre satellite de la Planète, dont la période semble être bien supérieure à celle de l’autre, qui est déjà passé plusieurs fois dans le ciel depuis le lever du jour. La taille apparente et la luminosité de l’Étoile continuent de décroître au fil des jours et de sa descente vers l’ouest. La température, qui fraîchit peu à peu, reste encore agréable grâce à l’inertie thermique du sol qui relâche la chaleur accumulée durant la longue journée. Depuis la marée haute, l’océan a beaucoup reculé, laissant derrière lui une myriade de trous d’eau de toutes tailles.
Comme l’aube, le crépuscule est interminable. L’Étoile paraît mettre un temps infini pour atteindre l’horizon. Tout aussi rougeâtre qu’au lever et beaucoup plus petite, elle a tout d’un astre mourant. Près de 19 jours terrestres se sont écoulés depuis le début de la « journée ». La température devient vraiment fraîche après la canicule de l’après-midi solaire. L’océan n’est plus visible à l’horizon. Il s’est totalement retiré, comme aspiré par les forces de marée de l’Étoile couchante. Le gros satellite gagne considérablement en présence, à mesure que baisse la luminosité du ciel. Les étoiles les plus brillantes commencent à scintiller. La nuit tombe sur cette étrange Planète.
À première vue, le ciel nocturne ressemble à celui de la Terre : des centaines d’étoiles brillent sur le noir profond de l’espace. Il est bien sûr impossible de reconnaître la moindre constellation terrestre car depuis l’Étoile, distante du Soleil de près de 32 000 années-lumière, le point de vue sur notre galaxie est totalement différent. D’ailleurs, aucune des étoiles du ciel terrestre n’apparaît dans le ciel de la Planète. Inutile aussi d’y chercher le Soleil. À la distance où il se situe, son éclat est si faible qu’il est complètement invisible à l’œil nu. Comme dans le ciel de la Terre, une bande diffuse plus claire barre le ciel nocturne. Il s’agit de la Voie lactée, trace dans le ciel de notre galaxie – la Galaxie – dans laquelle se trouvent le système solaire et celui de la Planète. La Voie lactée apparaît quand même, mais bien pâle car la Planète est située sur le bord extérieur de la Galaxie, à grande distance des régions les plus denses en étoiles, situées vers le centre. Autre chose frappante, la Voie lactée ne fait pas le tour complet du ciel comme c’est le cas quand elle est vue depuis la Terre. Cela est dû au fait que l’Étoile, située plus près du bord de la Galaxie, ne se trouve pas environnée d’autres étoiles, comme l’est le Soleil. Dans la direction opposée au centre galactique, l’anticentre, le regard porte vers l’extérieur de la Voie lactée : la ligne de visée entre alors très rapidement dans des zones de l’espace dénuées d’étoiles. La Voie lactée s’interrompt donc et le ciel nocturne de la Planète présente une grande zone très sombre, quasiment vide d’étoiles, porte ouverte vers le vide intergalactique.
Au cours de la nuit, les étoiles se lèvent vers l’est et se couchent vers l’ouest, comme sur Terre, mais bien plus lentement car la période de rotation de la Planète sur elle-même est beaucoup plus longue, à peu près 19 jours terrestres. Le milieu de la nuit, minuit solaire, se produit un peu plus de 8 jours terrestres après le coucher de l’Étoile. La température de l’air est devenue glaciale. La marée a commencé sa remontée depuis une vingtaine d’heures, toujours accompagnée de soubresauts telluriques. Elle est maintenant à son maximum. La surface de l’océan luit à la lumière du satellite qui illumine désormais le ciel, entouré d’un halo lumineux dû à la condensation de l’humidité d’altitude en minuscules cristaux de glace. Une dizaine d’heures avant minuit, un objet étonnant a commencé son ascension dans le ciel. Il s’agit manifestement d’un immense amas d’étoiles. L’œil humain le percevrait sous forme d’un disque diffus, piqueté de centaines de points lumineux relativement faibles mais parfaitement séparables individuellement. Le centre de l’amas semble tellement dense en étoiles que le regard ne peut les distinguer les unes des autres. Il s’agit d’un amas globulaire, ensemble de plusieurs centaines de milliers d’étoiles distribuées dans une sphère dont la taille est de l’ordre d’une centaine d’années-lumière. Sa luminosité en fait l’un des objets les plus brillants du ciel nocturne. Il est bien visible en dépit de la lumière émise par le plus gros des deux satellites naturels de la Planète. Mais c’est surtout par sa taille apparente que cet « Œil dans le ciel » impressionne : elle est dix fois supérieure à celle du plus gros des satellites. Situé à la limite du grand vide d’étoiles et de la Voie lactée, un peu au-dessus de son plan, on dirait l’œil d’un dieu scrutant ce monde nouveau.

Subtils équilibres

À l’extrémité d’un des deux bras spiralés de la Voie lactée, à 44 000 années-lumière de son centre, le nuage interstellaire tourne si lentement qu’il semble immobile. Illuminées par les rares étoiles alentour, ses régions extérieures luisent faiblement. Le nuage est immense. La lumière, qui franchit pourtant 300 000 kilomètres – l’équivalent de 7,5 fois le tour de la Terre – en une seconde, mettrait une quinzaine d’années à le traverser d’un bout à l’autre. Si elle pouvait le faire. Car en dépit de sa faible densité, le nuage est totalement opaque. La lumière des étoiles environnantes ne parvient pas à pénétrer son cœur, où règnent les plus sombres ténèbres. Vu de loin, c’est une nébuleuse obscure qui masque totalement la lumière des étoiles situées en arrière-plan au point de donner l’impression qu’un trou sombre perce le fond étoilé. Cela lui donne un air matériel, tangible, alors qu’il ne contient que quelques centaines de molécules par centimètre cube. Au regard des normes terrestres, cette densité est extrêmement faible : chaque centimètre cube de l’air que nous respirons en contient des millions de milliards de fois plus. La réalité est que le nuage est plus vide que le meilleur vide que nous sachions faire sur Terre. La composition de ce gaz très ténu est largement dominée par la molécule d’hydrogène, constituée de deux atomes du même nom. Mais la diversité moléculaire est la règle car on en trouve plus de 140, de l’ammoniac à la vapeur d’eau en passant par le monoxyde de carbone, molécule la plus abondante après celle d’hydrogène. Le nuage contient aussi des « poussières », de très fines particules beaucoup plus grosses que les molécules. Les plus petites ne comportent que quelques dizaines d’atomes, mais les plus grosses en rassemblent quelques milliards. Leur taille est tout de même de 100 à 1 000 fois inférieure au diamètre d’un cheveu.
Dans ce nuage interstellaire, deux forces antagonistes s’affrontent. La cohésion du nuage résulte de l’attraction gravitationnelle entre les particules, gaz et poussières qui le constituent, qui tend à les rapprocher les unes des autres. Mais les mouvements de ses particules engendrent une pression dont les variations s’opposent à l’action de la gravité. Si le nuage ne s’effondre pas sur lui-même sous l’effet de sa propre gravité, c’est que la pression augmente régulièrement quand on s’y enfonce de sorte que les couches profondes supportent le poids de celles qui les surplombent. Cette situation est analogue à celle de l’atmosphère terrestre dont la pression décroît avec l’altitude, les couches les plus basses étant comprimées par le poids des couches supérieures. Le même phénomène prévaut dans les océans où la pression augmente avec la profondeur.
Lieu de la lutte entre gravité et pression, le nuage interstellaire hésite entre chauffage et refroidissement. Il est froid, très froid même, mais selon les régions sa température varie de – 253 à – 193 °C. Ces différences de température résultent de l’inhomogénéité du flux lumineux que reçoit l’ensemble du nuage. La température d’une région est en effet fixée par le jeu entre chauffage – par l’énergie lumineuse reçue de l’extérieur – et refroidissement – conséquence de l’énergie rayonnée sous forme de lumière infrarouge. Les zones les plus froides se situent logiquement au cœur du nuage, très sombre, où elles sont très faiblement chauffées par la lumière des étoiles voisines. En revanche, les régions les plus chaudes se trouvent dans le bord externe. Le jeu entre chauffage et refroidissement fait que, dans certaines régions, une instabilité couve. Au cœur du nuage, où la lumière des étoiles ne parvient quasiment pas, la température est suffisamment basse pour que la pression du gaz ne puisse plus supporter le poids des couches externes. La gravité l’emporte alors et contraint le gaz des régions centrales à s’effondrer sur lui-même.
Dans un gaz habituel, cette contraction engendrerait un échauffement et une compression qui finiraient par arrêter le processus. Mais ici, le nuage est sous l’influence de sa propre gravité. L’énergie libérée par sa contraction est rayonnée – perdue – sous forme de lumière. Pour compenser cette hémorragie, le nuage n’a d’autre choix que de ponctionner son « compte en banque » d’énergie gravitationnelle, ce qui active sa contraction. En fait, la région instable ne s’effondre pas d’un bloc, mais plutôt en une succession de morceaux de plus en plus petits. Cette fragmentation se poursuit tant que l’énergie gravitationnelle libérée par la contraction s’échappe sous forme de rayonnement lumineux aussi vite qu’elle est produite. Mais, si les fragments sont de plus en plus petits, ils sont aussi de plus en plus denses. En dessous d’une certaine taille, leur densité est suffisamment grande pour que le gaz devienne opaque à son propre rayonnement. Du coup, l’hémorragie énergétique se réduit, ce qui ralentit la contraction : l’effondrement et la fragmentation sont quasi stoppés. Le plus petit fragment possible a une masse de l’ordre de celle de la planète Jupiter (un millième de masse solaire) et une taille de l’ordre de 10 fois la distance qui sépare la Terre du Soleil. Sous l’effet de la gravité, les ultimes fragments se condensent en sphères qui tournent sur elles-mêmes plus vite que la région dont elles sont issues. Ces sphères en rotation sont les embryons des futures étoiles.

Au cœur de l’Étoile

Au sein du grand nuage s’est formé un chapelet de condensations de tailles et de masses variées, les « cœurs protostellaires », dont la température augmente au rythme de leur effondrement. Leur parcours vers un équilibre stable est ponctué par quelques étapes importantes. Vers 2 000 degrés, l’énergie thermique des molécules est suffisante pour que leurs collisions les brisent en atomes. La molécule d’hydrogène étant la plus abondante, l’atome d’hydrogène domine largement la démographie atomique. Briser les molécules consomme de l’énergie thermique, dont la disparition favorise la contraction du cœur, augmentant d’autant la température du gaz. Au-delà de 3 000 degrés, les collisions entre atomes sont suffisamment intenses pour qu’ils perdent leurs électrons – on dit qu’ils s’ionisent. Cette ionisation généralisée consomme encore une partie de l’énergie thermique, ce qui accélère une nouvelle fois la contraction gravitationnelle. À l’augmentation de la température s’ajoute maintenant celle de la pression interne du gaz. Quand elle est suffisante pour supporter la gravité de l’étoile en formation, la contraction ralentit sensiblement et la matière en effondrement atteint un état de quasi-équilibre, de forme sphérique : la proto-étoile. Pendant ce temps, le gaz du halo qui entoure la proto-étoile continue de chuter sur sa surface, ce qui augmente sa masse mais aussi sa température. Au centre de l’astre, la température finit par atteindre 1 million de degrés, valeur à partir de laquelle les noyaux de deutérium, un isotope de l’hydrogène, se combinent avec ceux d’hydrogène pour former un noyau d’hélium-3. L’énergie dégagée par cette fusion thermonucléaire du deutérium stoppe la contraction, car elle compense l’énergie rayonnée par les couches extérieures de la proto-étoile.
Le deutérium est un noyau rare dans l’univers ; il est 40 000 fois moins abondant que l’hydrogène, et la quantité contenue dans la proto-étoile est limitée. En quelques millions d’années, il sera totalement consommé. Faute de l’énergie produite par la fusion du deutérium, le cœur de la proto-étoile subira à nouveau une phase de lente contraction. Quand la température dépassera une dizaine de millions de degrés, les noyaux d’hydrogène, qui constituent 90 % des noyaux de l’univers, fusionneront à leur tour. C’est l’énergie dégagée par ces réactions nucléaires qui permettra à l’étoile nouveau-née de briller durablement. Une petite étoile va particulièrement nous intéresser. Elle n’a mis que quelques millions d’années pour se former et brillera des milliers de fois plus longtemps. L’Étoile n’a rien d’exceptionnel : elle est 3 fois moins massive que notre Soleil et sa température de surface de seulement 3 500 °C en fait un astre plutôt froid. Elle apparaîtrait rougeâtre à un œil humain. Alliée à sa petite taille, cette température lui confère une luminosité 50 fois plus faible que celle du Soleil, ce qui lui permettra de briller bien plus longtemps que lui, plusieurs dizaines de milliards d’années. Parmi toutes les nouveau-nées, l’Étoile n’est qu’une braise rougeoyante, une « naine rouge ».

Gravitation

Durant sa formation, l’Étoile est restée enfouie dans une enveloppe suffisamment dense pour absorber totalement la lumière qu’elle émet. Seuls les très énergétiques rayons X ayant l’énergie suffisante pour traverser l’enveloppe gazeuse, c’est dans leur gamme d’énergie qu’il faudra la chercher. Mais la belle se trahira aussi dans une autre gamme lumineuse. Au fil du temps, la future Étoile capte la plus grande partie de la matière du cœur protostellaire, essentiellement de l’hydrogène et de l’hélium. Les poussières, bien plus lourdes que les atomes, devraient elles aussi tomber à sa surface. Elles ne le font pourtant pas car elles en sont repoussées par la pression exercée par sa lumière. L’Étoile reste donc entourée d’une enveloppe de poussières, contenant aussi un peu de gaz, reste du nuage au sein duquel elle s’est formée. Cette enveloppe chaude et opaque se signale à l’observateur extérieur par une émission infrarouge qui s’ajoute au rayonnement propre de l’étoile. Rayons X et lumière infrarouge sont donc les deux moyens dont un paparazzi cosmique dispose pour immortaliser la naissance d’une étoile.
La pression qui règne dans l’enveloppe qui entoure l’Étoile est très faible. Trop faible. Incapable de lutter contre sa propre gravité, l’enveloppe s’effondre sur elle-même et prend la forme d’un disque situé dans le plan équatorial de l’étoile. Pourquoi un disque ? Parce que la matière est en rotation, ce qui crée une force centrifuge qui déforme la sphère initiale en étirant les régions équatoriales. Une partie de cette matière tombe sur l’Étoile à un rythme très lent, de l’ordre de quelques millièmes à quelques centièmes de la masse de la Terre chaque année. Cette phase d’accumulation de matière dure de quelques millions à quelques dizaines de millions d’années. Le rayon du disque est 100 fois supérieur à la distance qui sépare la Terre du Soleil et il contient quelques pour cent de la masse de l’étoile, principalement sous forme de gaz. On y trouve aussi des poussières qui vont jouer un rôle fondamental dans la formation des futures planètes. Ce sont des agrégats d’éléments réfractaires comme les silicates et les métaux, mais aussi de glaces, dont la taille, de l’ordre du millième de millimètre, est au moins dix fois inférieure au diamètre d’un cheveu.
Pendant et après son effondrement, le disque se refroidit lentement. Les éléments chimiques les plus réfractaires, qui ont une température de fusion élevée, se condensent dans les régions les plus proches de l’Étoile. En revanche, les éléments volatils, qui se vaporisent facilement, se condensent plus loin sous forme de glaces. Ces éléments ne peuvent rester bien longtemps près de l’Étoile car l’agitation thermique due à la température élevée est suffisante pour leur permettre de s’échapper du disque. Très tôt dans son histoire, la composition du disque protoplanétaire dépend de la distance à l’Étoile : il est chimiquement stratifié. Loin de l’Étoile, il est froid, constitué de glaces d’eau, de méthane, d’ammoniaque ou d’oxyde de carbone. Près de l’Étoile, où la température est beaucoup plus élevée, ce sont les éléments réfractaires qui dominent la démographie moléculaire tels que l’alumine, les oxydes métalliques ou certains composés du calcium et du magnésium. Finalement, la composition chimique du système planétaire en devenir est une conséquence directe des variations de température dans le disque protoplanétaire.

Accrétion

Dans le disque protoplanétaire, gaz et grains ne sont pas immobiles. Ils évoluent d’abord sous l’action de la gravité du disque qui attire ces particules vers lui. Mais la pression du gaz s’oppose à la gravité et les maintient en suspension dans le disque. Les grains, beaucoup plus lourds que les molécules du gaz, sont moins sensibles aux forces de pression. Ils ont donc tendance à tomber vers le plan du disque protoplanétaire, mais les plus petits, qui sont les plus affectés par la friction du gaz, tombent plus lentement que les gros. Cette différence de vitesse de chute vers le disque fait que les gros grains ressentent une sorte de « vent de face » de petits grains qu’ils accumulent par collage de surface en les balayant sur leur passage. La même chose se produit avec le mouvement de rotation autour de l’Étoile. À l’équilibre entre pression et gravité, la vitesse de rotation du gaz autour de...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. Chapitre 1. Ciel bleu, Soleil orange
  5. Chapitre 2. Le hasard fait (bien) les choses
  6. Chapitre 3. L’intelligence, pour quoi faire ?
  7. Chapitre 4. L’œil de Caïn
  8. Table des matières
  9. 4e de couverture