L' Invention de la Grèce
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À propos de ce livre

Il y a une Grèce de rêve. La douceur méditerranéenne et le marbre des temples, Périclès et Platon, Homère – l'Olympe à portée de main. «Berceau de la civilisation», «patrie du Beau et de l'Idéal»: on l'a bien souvent (ré)inventée, usant d'une Antiquité enjolivée ou tronquée pour mieux servir les desseins du présent. Grand amoureux de la Grèce, Patrice Brun entreprend ici de balayer clichés, idéologies et fantasmes pour dévoiler l'Antiquité telle qu'en elle-même?: à la fois familière et éloignée de nous. Certes, il y a de quoi être fasciné par les œuvres, les écrits, la pensée politique des Grecs. Patrice Brun s'efforce de sortir de l'apologie, de remplacer une Grèce de musée embaumée dans l'éloge par celle de l'historien, soucieux des faits et du concret?: la guerre, les femmes, le sexe, les esclaves, la démocratie, etc. Voilà qu'elle renaît sous nos yeux, intensément vivante et colorée, crue, ambivalente, formidablement humaine. Un livre passionnant sur l'usage et le mésusage de la Grèce antique, où l'on redécouvre ses mœurs, sa politique, sa vie, au plus près de ce qu'elles ont vraiment été. Et une réflexion sur la manière dont l'Occident se perçoit lui-même à travers le passé magnifié dont il revendique l'héritage. Patrice Brun est professeur d'histoire grecque à l'université Bordeaux-Montaigne, qu'il a présidée de 2009 à 2012. Il est membre de l'Institut universitaire de France.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2021
ISBN
9782738155580

DEUXIÈME PARTIE

Un éloignement nécessaire : démocratie antique et démocratie moderne


Une certaine rhétorique prend argument du fait que les Grecs ont inventé la démocratie pour justifier en quelque sorte l’ancrage définitif et à tout prix de la Grèce contemporaine dans l’Europe d’aujourd’hui. On a vu en introduction Valéry Giscard d’Estaing, pour justifier l’entrée du pays dans ce qui était alors la Communauté économique européenne, affirmer que « Platon est en Europe ». À l’autre bout de l’éventail politique, pour défendre la Grèce d’Alexis Tsipras contre la majorité des autres pays européens, on a voulu rappeler la dette morale que notre continent occidental avait contractée un jour, du côté de l’Acropole d’Athènes, de l’Académie de Platon ou du Lycée d’Aristote, comme si la Grèce antique était soluble dans l’idée même de démocratie au sens occidental du terme. Comment un historien de l’Antiquité peut-il réagir devant ces déclarations un peu à l’emporte-pièce qui convainquent seulement les gens persuadés d’avance de l’argumentation ? C’est ce que l’on se propose ici d’analyser un peu, au moins dans les grandes lignes.
Hors l’Empire byzantin, qui n’occupait d’ailleurs pas le même cadre géographique, il n’y eut jamais de structure politique unifiée appelée « Grèce » ou « Hellade ». Même lors de la domination romaine, les cités grecques de l’espace égéen étaient séparées en cinq provinces, Crète, Achaïe (le sud de la péninsule balkanique), Macédoine, Thrace, Asie Mineure. Un pays indépendant appelé Hellas ne naquit pas avant le XIXe siècle, et l’indépendance de la Grèce moderne, sous forme monarchique tout d’abord puis, après plusieurs vicissitudes, sous forme républicaine depuis 1974. L’indépendance du pays fut officiellement acquise par le protocole de Londres en 1830, après de longues années de guerre marquées par le soulèvement initial des Grecs en 1821, la dure réaction des Turcs et l’intervention décisive des pays européens, partie pour des raisons stratégiques, partie pour des raisons que l’on qualifiera volontiers de romantiques se rattachant à la vision d’une Grèce antique éthérée. L’écrasement de la flotte ottomane à Navarin (1827) et la guerre russo-turque (1828-1829) mirent un terme à l’occupation turque de la Grèce méridionale ; la Crète, l’Épire, une partie de la Thrace et de la Macédoine ne furent cependant rattachées à la mère patrie qu’après les guerres balkaniques de 1912-1913. Dans ces conditions, parler de « Grèce » pour l’Antiquité ne signifie pas évoquer un État unifié mais une culture commune, culture englobant de manière holistique tous les aspects de la vie « à la grecque », c’est-à-dire la manière de faire la guerre, la pratique nue du sport, les habitudes alimentaires (dont la consommation d’huile d’olive et de vin), les rites religieux, les références à des textes fondamentaux, œuvres des hommes et non parole divine révélée (Théogonie d’Hésiode, Iliade et Odyssée d’Homère). C’est ainsi que, vers 380 avant notre ère, le rhéteur Isocrate définit l’Hellade :
Le nom de Grecs désigne moins un peuple (genos) particulier qu’une forme de pensée (dianoia) et l’on appelle Grecs plutôt ceux qui participent à notre éducation (paideia) que ceux qui partagent notre origine (physis).
(Isocrate, Panégyrique d’Athènes, 50.)
J’ai tenu à faire apparaître en grec translittéré en caractères latins les termes grecs contenus dans ce bref passage car il montre que, pour certains Grecs au moins, la frontière entre « eux » et les « autres » (les barbares) n’était pas hermétique et que ce n’était pas la démocratie qui déterminait la qualité de Grecs, mais deux notions : forme de pensée (dianoia) et éducation (paideia). Il faudra attendre Alexandre et ses conquêtes en Orient pour que la paideia isocratique prenne peu à peu le pas sur la physis et que, progressivement, se sentent et se pensent Grecs des hommes dont les grands-parents portaient des noms cariens, lyciens ou syriens et auraient été traités de barbares par tous les Hellènes un siècle plus tôt. Toutes les cités ou presque se dotent alors de régimes démocratiques, même si le sens de cet adjectif recouvrait une réalité assez différente du système athénien de l’époque classique.
Ne nous voilons pas la face : l’idée d’un éloignement nécessaire dans les représentations que le monde moderne se fait du monde antique n’est pas neuve. Si déjà Rousseau, pourtant fervent admirateur de Sparte, déconseillait aux Genevois de se croire des Anciens en train de réfléchir sur le monde, on peut remonter l’origine de la première distanciation sous sa forme la plus aboutie à Benjamin Constant, lequel, héritier d’une Révolution qui n’avait pas été la sienne, prononça en 1819 une conférence marquante sur le thème de la liberté des Anciens et la liberté des Modernes1, dans laquelle il chercha à réfuter l’intérêt d’une imitation des traditions politiques des Grecs et des Romains. Athènes, surtout, est visée, et son corollaire, la démocratie directe. Il est le premier à dire avec force que les Athéniens n’étaient libres de se réunir pour décider collectivement de la chose publique que parce qu’ils possédaient des dizaines de milliers d’esclaves. Aujourd’hui, affirme Constant, le peuple est libre et représenté, et la représentation politique devient pour lui la condition même de sa liberté. Un demi-siècle plus tard, Numa Fustel de Coulanges, dès la première page de son œuvre majeure, La Cité antique, affirme sa volonté de séparer le monde ancien et celui de son temps : « On s’attachera surtout à faire ressortir les différences radicales et essentielles qui distinguent à tout jamais ces peuples anciens des sociétés modernes2. » Mais on aura compris que, si les auteurs en question (et tant d’autres… y compris l’auteur de ces lignes) ne malmènent pas en conscience les informations extraites de sources essentiellement littéraires, les événements contemporains, surtout quand ils sont dramatiques, influent de toute évidence sur l’interprétation conjointe des faits anciens et des situations du moment. Affirmer que l’on veut tenir le passé à distance, c’est aussi avouer que celui-ci pèse sur l’exégèse que l’on donne d’un événement contemporain et réciproquement.
Autant dire que le chemin que nous allons emprunter dans les pages suivantes, emplies de chausse-trapes, est déjà balisé par d’autres, mais les années récentes permettent de lui conférer un nouveau paysage intellectuel et politique. Car cette idée d’un pont permanent entre l’Antiquité et nous a la vie dure*1 et l’on essaiera de comprendre les fils d’une pensée qui, dans certains milieux, passe pour un truisme.

Une attraction magnétique

Il n’y a pas que dans l’Antiquité que le mot de démocratie recouvre des réalités différentes, parfois très éloignées les unes des autres, et elles n’ont guère de points communs avec les régimes représentatifs du monde dit occidental. Les défuntes « démocraties populaires » de l’Europe de l’Est et de son avatar actuel, la si pittoresque République populaire démocratique de Corée, les « démocraties souveraines » nées sur les décombres de l’URSS et de ses pays satellites, dans lesquelles on considère que la victoire aux élections donne les pleins pouvoirs aux gouvernants, la « démocratie dirigée » chère au général Pinochet pour ne pas évoquer les démocraties imposées à la hussarde par les États-Unis en Irak ou en Afghanistan, ont peu de fond démocratique au sens où nous l’entendons hic et nunc. Pourtant, encore à l’intérieur de nos frontières, le terme de démocratie ne s’entend pas d’une identique signification. Certains y voient, dans sa forme institutionnelle actuelle, l’aboutissement du phénomène démocratique tandis que d’autres y décèlent un « État de droit oligarchique » limité par la souveraineté populaire et les libertés individuelles3, et lui dénient toute valeur dès lors qu’on n’y trouve pas une forme avancée d’égalité sociale. Ainsi, depuis une trentaine d’années, la notion de « démocratie radicale » est au centre des analyses de nombreux politistes et philosophes qui trouvent leur source dans les travaux de Jürgen Habermas*2, ainsi que dans ceux d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe4. Il ne s’agirait ainsi plus de justifier un modèle idéal de démocratie purement théorique, mais d’appréhender celle-ci à partir de son principe fondateur, celui de la discussion sans omettre la conflictualité inhérente à celle-ci. L’expression « démocratie radicale » est donc porteuse d’ambiguïté, aujourd’hui comme elle l’était hier dans l’Antiquité grecque, et je vais tenter de montrer ce qui nous rapproche et nous éloigne du modèle hellénique ancien – et nous retrouverons plus loin cette idée d’une démocratie « radicale » s’agissant de l’Athènes classique.

Ce vocabulaire que notre démocratie doit à la Grèce

Nous devons à la Grèce antique et surtout à Athènes une multitude de termes « politiques ». Je dirais même que, mis à part les termes nouvellement entrés dans notre vocabulaire et pour l’essentiel issus du monde anglo-saxon, la terminologie politique est d’essence grecque. On en prendra un exemple initial avec les mots polis, « la cité » et dèmos, « le peuple », pour lesquels on voit tout de suite la postérité qui est la leur (politique, police, policé, poli… pour le premier, démocratie, démagogie, démographie… pour le second).
Deux mots, les suffixes -archè et -kratos, « le commandement » et « le pouvoir », ont été utilisés par les Grecs pour définir les régimes politiques. La monarchie, c’est la direction d’un État par un seul homme (monos) ; l’oligarchie, c’est la direction par un petit nombre (oligoi). La ploutocratie, c’est le pouvoir exercé par les plus riches (plousioi), l’aristocratie, par ceux se revendiquant les meilleurs (aristoi), la gérontocratie, par les vieillards (gerontes), la démocratie, par le peuple dans la complétude de son corps civique.
Mais il y en a bien d’autres : la tyrannie (du grec tyrannos, mais d’origine sans doute anatolienne) est un pouvoir non pas cruel mais exercé par un homme, un seul, se plaçant au-dessus des lois de la cité. Le démagogue, terme si décrié aujourd’hui, désigne à l’origine celui qui enseigne, conduit le peuple (du grec agôgè, l’« enseignement », l’« éducation », que l’on retrouve dans pédagogie), avant de devenir, vers la fin du Ve siècle avant notre ère, synonyme discutable de la personne qui égare le peuple plus qu’elle ne l’éduque. Mais nous pourrions multiplier presque à l’infini ces exemples en rappelant aussi l’autochtonie (d’autos, « soi-même » et chthôn, « la terre »), l’autonomie, de nomos, « la loi », et tant d’autres mots que l’on ne soupçonne parfois pas.
On le voit aisément, notre vocabulaire politique est saturé d’emprunts à Eschyle, Hérodote, Thucydide, Platon ou Aristote et nous pensons les rapports à l’intérieur de nos communautés modernes en partie selon le prisme que ces auteurs nous ont légué. Le fait est indiscutable. Mais les Grecs n’ont pas inventé seulement les mots, ils ont inventé aussi la politique d’abord, la démocratie ensuite et la nécessité de la discuter sur l’agora ou ailleurs en posant des problèmes que nous nous posons aujourd’hui encore. C’est ce qui nous la rend proche à deux millénaires et demi de distance et permit à Hannah Arendt de dire, avec raison, que « la polis grecque continuera d’être présente au fondement de notre existence politique aussi longtemps que nous aurons à la bouche le mot “politique5” », et on comprend pourquoi philosophes, politistes et historiens en font un objet d’étude – les références à l’Antiquité grecque sont quasi permanentes dans les domaines que je viens de citer. S’ensuit-il pour autant que des termes identiques désignent des notions synonymes ? Cela signifie-t-il qu’identité du vocabulaire vaille parallélisme des concepts ? Comment par conséquent définir ce que nous pourrions appeler les caractères généraux de la démocratie grecque antique ?

Qu’est-ce que la démocratie grecque ?

Je l’ai dit plus haut, il ne convient pas d’assimiler de manière fermée démocratie et civilisation grecque, comme si les Grecs n’avaient pas connu d’autres systèmes politiques. Tout au contraire, c’est bien la variété des régimes, liée à l’importance historique des réflexions autour de ce que nous appellerions aujourd’hui le « vivre-ensemble » de la communauté politique, qui fait l’originalité de la pratique politique grecque ; mais la communauté regroupe toujours un nombre limité de citoyens (une centaine pour les plus modestes jusqu’à quarante mille ou cinquante mille pour la plus importante) vivant sur un territoire réduit, de la taille du Vatican actuel pour la plus réduite jusqu’à celle du grand-duché du Luxembourg pour la plus imposante, citoyens composant une part minime de la population totale.
Les communautés politiques indépendantes du monde grec ont donc connu des régimes politiques variés, que les grands théoriciens politiques grecs (Platon, Aristote, Polybe) ont analysés et classés en trois grands types de systèmes, la monarchie et son avatar la tyrannie, l’aristocratie et sa déviation naturelle l’oligarchie, la démocratie et son évolution jugée néfaste par les penseurs cités plus haut la démocratie « radicale » ou ochlocratie, étymologiquement, « gouvernement de la populace ». Pour ces théoriciens, chacun de ces régimes pouvait être illustré par un ou plusieurs exemples : la monarchie macédonienne ou les tyrannies archaïques, l’oligarchie spartiate et la démocratie athénienne reviennent le plus souvent sous leur plume. Pourtant, si jusque dans la première moitié du XXe siècle l’oligarchie spartiate pouvait être l’objet de l’admiration des nazis, notre civilisation ultracontemporaine ne conserve guère que le souvenir de la démocratie, et uniquement celle d’Athènes, la seule dont on parle en général parce que c’est elle la mieux connue et non pas parce qu’elle fut la seule durant les siècles de la civilisation grecque antique. Il y en eut au contraire plusieurs modèles, sur lesquels nous sommes moins bien renseignés, comme celles d’Argos et de Syracuse à l’époque classique ou celle de Rhodes à l’époque hellénistique, période qui suivit la conquête d’Alexandre, et bien d’autres encore. Le plus grand succès des institutions athéniennes fut leur généralisation – avec certes des amodiations importantes par rapport au modèle original – dans tout l’espace grec renouvelé et considérablement accru par Alexandre.
Il faut cependant dire et redire qu’il n’existe pas une démocratie athénienne, toute sortie du cerveau d’un législateur de génie comme Athéna surgie tout armée de celui de Zeus. La démocratie connue de nous par de nombreux textes littéraire...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Avant-propos
  5. Introduction
  6. Première partie - Le monde perdu des Grecs
  7. Deuxième partie - Un éloignement nécessaire : démocratie antique et démocratie moderne
  8. Troisième partie - L’incursion du grec et de la Grèce antique dans notre monde
  9. Conclusion
  10. Notes
  11. Bibliographie
  12. Sommaire
  13. Collection