De mieux en mieux et de pire en pire
eBook - ePub

De mieux en mieux et de pire en pire

  1. 272 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

De mieux en mieux et de pire en pire

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

Tout va-t-il de plus en plus mal ou de mieux en mieux? Si tout le monde se plaint, personne ne souhaite pourtant revenir en arriĂšre. Entre nostalgie du passĂ© et crainte du futur, nous adorons dĂ©tester notre Ă©poque. Comment expliquer ce paradoxe? C'est l'objet du nouveau livre de Pierre-Henri Tavoillot. Crise de l'autoritĂ©, montĂ©e des peurs et des fondamentalismes, troubles dans la laĂŻcitĂ©, dĂ©clin de la culture gĂ©nĂ©rale, illusions du jeunisme et phobie du vieillissement: sur tous ces sujets, il s'agit de proposer une clĂ© qui permette non pas nĂ©cessairement d'aimer notre Ă©poque si complexe, mais de la comprendre. Car c'est poser un regard adulte sur notre temps que d'accepter qu'aucun progrĂšs jamais ne pourra abolir le tragique. Pierre-Henri Tavoillot est maĂźtre de confĂ©rences en philosophie Ă  l'universitĂ© Paris-Sorbonne et prĂ©sident du CollĂšge de philosophie. Il a notamment publiĂ©, avec François Tavoillot, L'Abeille et le Philosophe. Étonnant voyage dans la ruche des sages, qui a connu un grand succĂšs.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  De mieux en mieux et de pire en pire par Pierre-Henri Tavoillot en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Philosophy et Philosophy History & Theory. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2017
ISBN
9782738136039

PREMIÈRE PARTIE

Confusion de valeurs ?



DĂ©clin des valeurs ?


Crise des valeurs, pertes des repĂšres, dĂ©clin de la morale, confusions Ă©thiques. De tels diagnostics sur notre Ă©poque sont tellement partagĂ©s qu’il serait bien tĂ©mĂ©raire de les mettre en doute. Et pourtant, pour peu que l’on prenne un peu de recul, le bouleversement moral de nos temps dĂ©semparĂ©s paraĂźtra bien limitĂ©.
Car, au fond, qu’a-t-on inventĂ© de vraiment rĂ©volutionnaire en matiĂšre Ă©thique depuis que le terme existe ? En rĂ©alitĂ©, pas grand-chose. Le principe de base, la fameuse rĂšgle d’or6, « Ne fais pas Ă  autrui ce que tu ne voudrais pas qu’autrui te fasse », existe depuis au moins trois mille ans puisqu’on le trouve dĂ©jĂ  dans le zoroastrisme, dans le confucianisme, dans le bouddhisme et dans la philosophie des Anciens et des Modernes. Hobbes (LĂ©viathan, XV) y voit mĂȘme le rĂ©sumĂ© de toutes les lois.
À ce premier principe, on peut en ajouter un deuxiĂšme, plus exigeant moralement, qui dĂ©finit en sus du non-prĂ©judice la non-indiffĂ©rence morale. Sa formule serait : « Ne laisse pas faire Ă  autrui ce que tu ne voudrais pas qu’autrui te fasse, Ă  toi ou Ă  tes proches. » LĂ  encore, force est de constater que les morales antiques sont remplies de propositions de ce type qui invitent Ă  sortir de l’égoĂŻsme naturel.
Un troisiĂšme principe, dĂ©signant l’exigence morale ultime, est celui de la bonne volontĂ© ou bienveillance. Il pourrait ĂȘtre formulĂ© ainsi : « Fais Ă  autrui ce que tu pourrais vouloir qu’autrui fasse pour toi et tes proches. » C’est un principe Ă©vangĂ©lique (Mt 7, 12 ; Lc 6, 31), mais qui, lĂ  encore, plonge ses racines dans les profondeurs de l’histoire humaine7.
RĂ©sumons. Non-prĂ©judice (ou respect), non-indiffĂ©rence (ou attention Ă  l’autre), bonne volontĂ© (ou bienveillance) : que peut-on vouloir de mieux en matiĂšre Ă©thique ? Et connaĂźt-on une seule morale, digne de ce nom, qui ferait l’éloge de l’irrespect, de l’indiffĂ©rence et de la malveillance ? Non, bien sĂ»r : ce serait mĂȘme une contradiction dans les termes.
Par oĂč l’on peut conclure que, lorsqu’on parle de bouleversement Ă©thique, il ne s’agit pas tant du « contenu » des principes moraux que du « contexte » de leur expression. Qu’est-ce Ă  dire ? Eh bien que, sur la base de ce consensus Ă©thique universel, l’histoire rĂ©cente a Ă©tĂ© marquĂ©e par trois transformations majeures.
La premiĂšre concerne les fondements de ces principes : sur quoi reposent-ils ? Faut-il y voir la voix immĂ©moriale de la tradition, la conformitĂ© Ă  l’ordre immuable de la nature ou l’expression d’un commandement divin ? Ce qui caractĂ©rise la crise moderne est qu’aucune de ces trois rĂ©ponses ne fonctionne plus de maniĂšre Ă©vidente et que, face au silence des sources antĂ©rieures, extĂ©rieures ou supĂ©rieures, le fondement ultime des exigences Ă©thiques ne peut ĂȘtre recherchĂ© que dans l’humanitĂ© elle-mĂȘme et dans ce qui rend possible sa vie commune. C’est l’ñge de l’autonomie ou : « Comment obĂ©ir Ă  des commandements qui ne viennent que de moi ? » Immense question.
La deuxiĂšme transformation concerne les domaines d’application. Au fur et Ă  mesure qu’augmente la maĂźtrise par les hommes de leur existence dans le monde, le champ des interrogations Ă©thiques s’étend aussi. Ainsi, aucune tradition passĂ©e ne peut nous Ă©clairer de maniĂšre dĂ©cisive sur ce qu’il convient de faire en matiĂšre de clonage, de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, de thĂ©rapie gĂ©nique ou d’intelligence artificielle, mĂȘme si, bien sĂ»r, on peut toujours s’en inspirer. Pourquoi naĂźtre ? Pourquoi souffrir ? Pourquoi mourir ? Peut-on choisir la couleur des yeux de ses enfants ? Quels risques y a-t-il Ă  augmenter les performances humaines ? Quelle est la responsabilitĂ© humaine dans le maintien de la biodiversitĂ©, dans la sauvegarde de la planĂšte ? Autant de champs nouveaux sur lesquels les morales d’antan n’avaient pas eu l’occasion d’exercer leurs sagesses.
La troisiĂšme transformation est peut-ĂȘtre la plus vertigineuse. Elle ne concerne pas les fondements, ni les champs d’application, mais ouvre cette question simple, qui semblait jadis rĂ©glĂ©e de toute Ă©vidence : qui est autrui ? Qui doit ĂȘtre l’objet de mon respect, de mon attention ou de ma bienveillance ? Est-il seulement le membre de mon clan, de mon village, de ma caste, de mon sexe, de ma race, de ma nation ? Est-il seulement humain ou peut-il ĂȘtre aussi animal, machine, voire vĂ©gĂ©tal ? Est-il dĂ©jĂ  l’embryon et encore le patient en Ă©tat de coma profond ? Bref, oĂč passent les frontiĂšres de l’éthique ? Gigantesque problĂšme.
Crise des fondements, Ă©largissement du champ des possibles, extension du domaine de l’« autrui » : on perçoit ici que la crise des valeurs est davantage une crise de croissance qu’une lente disparition. Elle ne vient donc pas d’un affaiblissement des rĂ©ponses ou d’une perte du sens moral, mais d’une augmentation colossale des interrogations. Comment retrouver un sens commun face Ă  une telle complexification ? Tel est l’objet des chapitres qui suivent.

CHAPITRE 1

Le crĂ©puscule de l’autoritĂ© ?


« Notre temps est dur pour l’autoritĂ©. Les mƓurs la battent en brĂšche, les lois tendent Ă  l’affaiblir. Au foyer comme Ă  l’atelier, dans l’État ou dans la rue, c’est l’impatience et la critique qu’elle suscite plutĂŽt que la confiance et la subordination. HeurtĂ©e d’en bas chaque fois qu’elle se montre, elle se prend Ă  douter d’elle-mĂȘme, tĂątonne, s’exerce Ă  contretemps, ou bien au minimum avec rĂ©ticences, prĂ©cautions, excuses, ou bien Ă  l’excĂšs par bourrades, rudesses et formalisme »,
Charles DE GAULLE, Le Fil de l’épĂ©e [1932],
Plon, 1999, p. 179.
On n’a sans doute jamais autant parlĂ© de l’autoritĂ© depuis qu’elle est en crise. Que ce soit dans la famille, Ă  l’école, dans la citĂ© ou dans l’entreprise, cette crise semble gĂ©nĂ©rale ; les signes de la disparition possible et prochaine de l’autoritĂ© sont guettĂ©s avec une attention inquiĂšte, voire angoissĂ©e, plus rarement euphorique, alors mĂȘme qu’il y a encore une trentaine d’annĂ©es le terme Ă©tait devenu un vĂ©ritable « gros mot ». Souvenons-nous : c’était l’ñge antiautoritaire, oĂč il Ă©tait « interdit d’interdire », oĂč la « personnalitĂ© autoritaire », de prĂ©fĂ©rence paternelle, machiste et rigide, Ă©tait jugĂ©e responsable de la dĂ©rive tout Ă  la fois totalitaire et capitaliste du monde moderne. Il faut bien l’admettre, aprĂšs l’ivresse Ă©mancipatrice et libertaire, le temps semble venu de la gueule de bois. Et, avec elle, la mobilisation gĂ©nĂ©rale pour tenter de ranimer qui le pĂšre, qui le maĂźtre, qui le chef, dont la dĂ©mocratie, l’individualisme et la consommation auraient provoquĂ© la mort soudaine. Il serait donc, entend-on parfois, urgent de restaurer l’autoritĂ© de jadis ou, Ă  tout le moins, de tenter d’en prĂ©server prĂ©cieusement les parcelles restantes. D’oĂč la frĂ©nĂ©sie contemporaine sur ce sujet, que l’on retrouve aussi bien Ă  la une des magazines que dans les colloques savants. Une telle passion devrait pourtant nous mettre la puce Ă  l’oreille : est-elle vraiment menacĂ©e, cette autoritĂ© dont tout le monde parle ? Davantage que d’une rĂ©action ou d’une conservation, ne s’agirait-il pas d’une rĂ©invention, certes inquiĂšte, mais peut-ĂȘtre plus rĂ©flĂ©chie que jamais ? Bref, plutĂŽt que le crĂ©puscule, ne vivons-nous pas au contraire l’aurore de l’autoritĂ© ?

Qu’est-ce que l’autoritĂ© ?

Il faut distinguer l’autoritĂ© du pouvoir, ne serait-ce que parce qu’il peut y avoir du pouvoir sans autoritĂ© – l’autoritarisme du petit chef –, et l’autoritĂ© sans pouvoir – le prestige du vieux sage. L’autoritĂ© se distingue aussi de la contrainte par la force, qu’elle permet d’éviter, et de l’argumentation rationnelle, qu’elle dĂ©passe. L’autoritĂ© n’a besoin ni d’imposer ni de justifier. « C’est plus qu’un conseil et moins qu’un ordre, un avis auquel on ne peut passer outre sans dommage8. » L’étymologie du terme est connue : le mot vient du latin augere qui signifie « augmenter ». L’autoritĂ© est donc une opĂ©ration un peu mystĂ©rieuse qui augmente un pouvoir – le petit chef devient alors un grand homme – ou un argument – puisque l’argument d’autoritĂ© est censĂ© avoir plus de valeur que les autres. Il y a une forme de « dopage » dans le mĂ©canisme de l’autoritĂ©, puisqu’il consiste en un accroissement artificiel de puissance de commandement ou d’argumentation. D’oĂč peut provenir cette augmentation ? On peut d’abord en rechercher la source – c’est la piste la plus Ă©vidente – dans une instance extĂ©rieure et supĂ©rieure au pouvoir lui-mĂȘme, qui justifierait qu’on fasse confiance Ă  ceux qui le dĂ©tiennent, au point de leur obĂ©ir parfois aveuglĂ©ment.
Allons Ă  l’essentiel. Sous rĂ©serve d’inventaire, on peut repĂ©rer dans l’histoire humaine trois sources principales.
Il y a d’abord l’autoritĂ© qui vient du passĂ©. Cela ne signifie pas seulement qu’un pouvoir ou un discours se trouve accrĂ©ditĂ© lorsqu’il a fait ses preuves et peut s’appuyer sur l’expĂ©rience ; cela veut dire plus profondĂ©ment qu’un pouvoir ou un discours ne vaut que s’il est hĂ©ritĂ© et qu’il peut justifier une gĂ©nĂ©alogie qui le relie, sans solution de continuitĂ©, Ă  un passĂ© fondateur et glorieux. La meilleure illustration est donnĂ©e par les institutions de la Rome antique. C’est lĂ  d’ailleurs que naĂźt le mot. Pour les Romains, la fondation de leur citĂ© avait un caractĂšre sacrĂ©. C’est de cette fondation que les dirigeants tiraient leur lĂ©gitimitĂ©. « Les hommes d’autoritĂ©, Ă©crit Hannah Arendt, Ă©taient les anciens, le SĂ©nat ou les patres, qui l’avaient obtenue par hĂ©ritage et par transmission de ceux qui avaient posĂ© les fondations pour toutes choses Ă  venir, les ancĂȘtres, que les Romains appelaient pour cette raison les majores9. » Du mĂȘme coup, ainsi que CicĂ©ron le disait, « tandis que le pouvoir rĂ©side dans le peuple, l’autoritĂ© appartient au SĂ©nat » (De legibus, 3, 12, 38), car c’est lui qui, reliĂ© au passĂ©, a la capacitĂ© d’augmenter les dĂ©cisions en les soustrayant aux querelles de la plĂšbe. À cette Ă©poque, l’ñge et le train de vie des sĂ©nateurs Ă©taient perçus comme une inestimable qualitĂ© ! « Qu’est-ce que la tradition ? », se demandait Nietzsche dans Aurore (I, § 9) : « C’est une autoritĂ© supĂ©rieure Ă  laquelle on obĂ©it, non parce qu’elle commande l’utile, mais parce qu’elle commande. » Ainsi, dĂ©fendre la tradition est dĂ©jĂ  commettre un sacrilĂšge Ă  son Ă©gard : c’est reconnaĂźtre la non-Ă©vidence de sa puissance ordonnatrice.
Le pouvoir (ou le discours) peut ĂȘtre augmentĂ© Ă  partir d’une seconde source : la contemplation d’un ordre du monde ou, comme le disent les philosophes grecs, du cosmos10. Quand on parle aujourd’hui du microcosme politique, c’est pour en souligner l’étroitesse et la mesquinerie. Chez les penseurs de la GrĂšce antique, si la citĂ© est un microcosme, c’est qu’elle doit reproduire en petit ce que l’univers est en grand. La connaissance du monde permet donc de trouver les rĂšgles pour tenter de mettre de l’ordre dans la coexistence troublĂ©e et querelleuse des hommes. La philosophie politique est la quĂȘte de ce qui permet d’augmenter le pouvoir, c’est-Ă -dire d’en justifier la lĂ©gitimitĂ©. Qui doit gouverner la citĂ© ? Telle est sa question directrice. Aristote rĂ©pondait que, Ă  travers l’observation de la nature, on pouvait voir que « certains sont faits pour commander et d’autres pour obĂ©ir ». C’était ainsi « l’autoritĂ© de la nature », et non pas seulement celle du passĂ©, qui justifiait les inĂ©galitĂ©s dans les sociĂ©tĂ©s d’Ancien RĂ©gime ou les systĂšmes de castes. La hiĂ©rarchie y Ă©tait perçue comme « naturelle », distinguant des genres d’humanitĂ© distincts.
Il existe enfin, Ă  cĂŽtĂ© du passĂ© et du cosmos, une troisiĂšme source d’augmentation du pouvoir : c’est celle du sacrĂ© ou du theos (divin). Saint Paul en est le meilleur interprĂšte quand il Ă©nonce cette cĂ©lĂšbre formule : « Il n’y a point d’autoritĂ© qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituĂ©es par Dieu. Si bien que celui qui rĂ©siste Ă  l’autoritĂ© se rebelle contre l’ordre Ă©tabli par Dieu » (Rm 13, 1-7). Cette fois-ci, ce n’est plus seulement le lien avec le passĂ© fondateur ou l’identification avec l’ordre naturel qui garantit au pouvoir son autoritĂ© ; c’est la proximitĂ© avec Dieu. À vrai dire, le christianisme proposa une forme de synthĂšse des trois modĂšles, puisqu’il associait l’autoritĂ© traditionnelle, par la rĂ©fĂ©rence Ă  une RĂ©vĂ©lation primordiale, l’autoritĂ© cosmologique, par l’idĂ©e d’un ordre et d’une bontĂ© de la CrĂ©ation, et l’autoritĂ© thĂ©ologique, par l’idĂ©e d’un Dieu omnipotent, source, donc, de tout pouvoir.
Cette synthĂšse impressionnante d’une autoritĂ© absolue Ă©tait aussi fragile, car il n’est pas certain que ces trois sources soient compatibles entre elles. C’est d’ailleurs l’ébranlement du dispositif chrĂ©tien qui est Ă  l’origine de la crise contemporaine de l’autoritĂ©. Que s’est-il passĂ© ?

DĂ©construction ou reconstruction ?

Avec la Renaissance, et presque simultanĂ©ment, les trois formes primordiales de l’autoritĂ© vont se trouver Ă©branlĂ©es et contestĂ©es. L’autoritĂ© traditionnelle, qui avait dĂ©jĂ  subi plusieurs coups de boutoir chez les Grecs comme chez les chrĂ©tiens, est fragilisĂ©e du fait de la coexistence critique de plusieurs « traditions » : le dogme chrĂ©tien et la culture paĂŻenne redĂ©couverte. Plusieurs traditions, cela signifie la fin de la tradition car celle-ci ne supporte pas le pluralisme. L’autoritĂ© cosmologique est mise en question par les dĂ©couvertes astronomiques qui interdisent dĂ©sormais de voir le monde comme un ordre harmonieux beau, juste et bon. On est passĂ©, avec Copernic et Kepler, « du monde clos Ă  l’univers infini » (A. KoyrĂ©). Impossible donc d’y « observer la loi ». Enfin, l’autoritĂ© thĂ©ologique est minĂ©e par les profonds dĂ©saccords qui la traversent Ă  l’occasion de la RĂ©forme : comment espĂ©rer fonder un ordre politique stable sur ce qui est devenu le principal fauteur de trouble, Ă  savoir l’interprĂ©tation du Texte sacrĂ© ? Bref, des trois fondements de l’autoritĂ©, il ne reste rien ou, en tout cas, rien d’évident ni d’incontestable.
Mais cette dĂ©construction de l’autoritĂ© ancienne par la modernitĂ© s’accompagne aussi d’une tentative de reconstruction. Le projet paraĂźt fou et vouĂ© Ă  l’échec, puisqu’il s’agit de chercher l’augmentation d’un pouvoir non Ă  partir d’une extĂ©rioritĂ© supĂ©rieure (le passĂ©, le cosmos ou le divin), mais Ă  l’intĂ©rieur de l’humanitĂ© elle-mĂȘme. Nietzsche a une belle image pour dĂ©crire cette folie : il la compare au geste du baron de MĂŒnchhausen, qui, pour se sortir d’un marais oĂč il Ă©tait tombĂ©, dĂ©cide de se tirer lui-mĂȘme par les cheveux.
Quelle forme peut prendre une autoritĂ© purement humaine ? La rĂ©ponse est claire : c’est parce qu’il bĂ©nĂ©ficie de l’accord des humains concernĂ©s qu’un pouvoir ou un argument se trouve augmentĂ© ou, comme on dit aussi, lĂ©gitime. Cette problĂ©matique « dĂ©mocratique » de l’autoritĂ© la place dans une position scabreuse, puisque aucune de ses formes ne pourra plus accĂ©der au statut d’absolu. Mais cette faiblesse est aussi une force puisqu’elle suppose toujours l’accord des esprits, ce qui rend, lorsqu’elle y parvient, son efficacitĂ© imparable.

Qu’est-ce qui fait autoritĂ© aujourd’hui ?

Pour tenter ce bilan, il faut affronter cette question : qu’est-ce qui fait (encore) autoritĂ© aujourd’hui ? Sous rĂ©serve d’inventaire, j’en identifierai trois formes, qui ne sont pas d’ailleurs sans rapport avec les figures primordiales.

L’autoritĂ© du savoir : l’expertise

Notre Ă©poque est d’abord trĂšs rĂ©ceptive Ă  l’autoritĂ© du savoir et de la science. Nous croyons en la science. Devant elle on s’incline ; elle ferme les bouches et Ă©teint les disc...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Avant-propos
  5. PremiÚre partie - Confusion de valeurs ?
  6. DeuxiĂšme partie - Les dilemmes d’une sociĂ©tĂ© d’individus
  7. TroisiÚme partie - Panne de civilisation ?
  8. Conclusion
  9. Sources
  10. Table
  11. Du mĂȘme auteur chez Odile Jacob