Margaret Thatcher : une dame de fer
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Margaret Thatcher : une dame de fer

  1. 204 pages
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Margaret Thatcher : une dame de fer

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À propos de ce livre

Comment la fille d'un petit épicier anglais se retrouve-t-elle Premier ministre? Comment devient-elle la figure la plus marquante de la vie politique anglaise depuis Churchill? Portrait d'une femme exceptionnelle qui vécut onze années de pouvoir sans partage. Catherine Cullen est écrivain et journaliste.

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1991
ISBN
9782738176240
CHAPITRE 1
Alf

« Nous étions méthodistes, et méthodisme veut dire méthode. »
MARGARET THATCHER
Margaret Hilda Roberts est nĂ©e le 13 octobre 1925 Ă  Grantham, banale petite ville du Lincolnshire, au nord de Londres, dont les seuls titres de gloire sont d’abriter St-Wilfram, l’une des plus belles Ă©glises du moyen-Ăąge anglais, et d’ĂȘtre le lieu de naissance d’Isaac Newton. Dans les annĂ©es vingt, Grantham Ă©tait une ville sans histoire, dominĂ©e par une petite-bourgeoisie commerçante de confession protestante.
Ce pĂšre Ă  qui Margaret doit tout, ce hĂ©ros qui a marquĂ© son enfance et sa vie, c’est Alfred Roberts, incarnation victorienne du self-made man. AĂźnĂ© d’une famille de sept enfants, il aurait dĂ» devenir cordonnier comme ses parents et grands-parents, mais il avait trop mauvaise vue. À 12 ans, il quitta l’école pour aider sa famille et partit travailler Ă  Grantham comme commis d’épicerie. Ses valeurs de bon victorien Ă©taient le travail et l’épargne ; rien n’était plus immoral pour lui que la dĂ©pense superflue. Homme sans humour, aux convictions religieuses et morales profondes, c’était un mĂ©ritocrate, un puritain de la vieille Ă©cole.
Le mĂ©thodisme est un culte dissident de l’Église anglicane rĂ©pandu dans le nord de l’Angleterre et en Écosse. FondĂ© par les frĂšres John et Charles Wesley en 1739, il encourage les « prĂȘcheurs laĂŻques », dont les sermons reprennent les thĂšmes du pĂ©chĂ© et du Salut par le devoir et la pratique quotidienne de la vie chrĂ©tienne. C’est une religion protestante et puritaine : les temples sont sobres, les rituels rares et le culte se rĂ©duit Ă  des hymnes et des sermons. Alfred Roberts Ă©tait un des prĂȘcheurs les plus apprĂ©ciĂ©s de la rĂ©gion, un orateur inspirĂ©, capable de parler trĂšs longtemps sans notes – comme sa fille plus tard.
Margaret Thatcher citait son pĂšre Ă  tout bout de champ, donnant souvent l’impression de phrases tout droit sorties du manuel du parfait moraliste victorien. Un jour oĂč on lui demandait ce qu’elle devait Ă  son pĂšre, elle rĂ©pondit : « L’intĂ©gritĂ©. Il m’a appris qu’il faut commencer par ĂȘtre certain de ce que l’on croit. Ensuite, il faut agir. Il ne faut jamais transiger sur ce qui compte. » Lorsqu’en 1927, Alf devint conseiller municipal de Grantham, il insista pour que les parcs, les piscines et les courts de tennis soient fermĂ©s le dimanche. Toute sa vie, il joua un rĂŽle important dans la politique locale, d’abord conseiller municipal, puis juge de paix, et enfin maire. Margaret fut plongĂ©e dans la politique dĂšs son enfance. Elle accompagnait souvent son pĂšre et l’aidait dans ses tĂąches municipales ou Ă©lectorales, si bien que le dĂ©marchage politique fut trĂšs tĂŽt pour elle une activitĂ© parfaitement naturelle. Alf Ă©tait un autodidacte forcenĂ©. Il passait le plus clair de son temps libre Ă  dĂ©vorer des livres empruntĂ©s Ă  la bibliothĂšque municipale de Grantham (les bibliothĂšques anglaises, mĂȘme dans les petites villes, sont souvent excellentes). Il lisait tout ce qui lui tombait sous la main : histoire, politique, Ă©conomie, biographies
 tout sauf des romans, qu’il rapportait cependant Ă  la maison, pour sa femme.
En 1917, Alf avait Ă©pousĂ© Beatrice Stephenson, une couturiĂšre et, ensemble, ils avaient achetĂ© l’épicerie-poste (Ă©tablissement traditionnel dans les villages anglais) d’une des rues principales de la partie la moins aisĂ©e de Grantham. Ils logeaient au-dessus de l’épicerie. C’est dans cet appartement dĂ©pourvu de tout confort que sont nĂ©es leurs deux filles : Muriel d’abord et, quatre ans plus tard, Margaret. Mobilier massif, victorien. Non pas qu’Alfred ne pouvait s’offrir quelque confort, mais il jugeait futile ce type de dĂ©pense. Plus tard, Margaret, saura faire valoir ces dĂ©buts spartiates, dont elle ne cessera d’ailleurs jamais de vanter les vertus. « La vie n’était pas faite de plaisirs, mais de travail et de progrĂšs. La maison Ă©tait toute petite. Nous n’avions pas d’eau chaude et les toilettes Ă©taient au-dehors. Alors, quand les gens me parlent de cela, je sais de quoi il s’agit. »
Alf et Beatrice travaillaient douze heures par jour, six jours par semaine. La vie Ă  Grantham n’était pas gaie, et encore moins chez des puritains comme les Roberts. On se consacrait tout entier au commerce, Ă  l’église et Ă  l’éducation. Pas une activitĂ© qui ne fĂ»t prise au sĂ©rieux. « On nous inculqua un trĂšs fort sens du devoir. On insistait sur nos devoirs envers l’Église, envers nos voisins et sur l’importance du jugement moral. » Alf ne supportait pas d’entendre dire chez lui : « Je ne peux pas » ou « C’est trop difficile ». Le jeudi, l’épicerie fermait plus tĂŽt et Alf suivait avec ses filles des cours du soir sur les questions d’actualitĂ© : politique, Ă©conomie, affaires internationales, etc. Lorsqu’il ne pouvait s’y rendre, Margaret prenait des notes, et lui faisait en rentrant un compte rendu dĂ©taillĂ©. « Mon pĂšre considĂ©rait la vie comme une chose trĂšs sĂ©rieuse. Son leitmotiv Ă©tait qu’on ne devait jamais rester Ă  ne rien faire. » Le dimanche Ă©tait consacrĂ© Ă  la religion. Les filles assistaient Ă  l’enseignement mĂ©thodiste Ă  dix heures, au service avec leurs parents Ă  onze, suivaient de nouveau les cours en dĂ©but d’aprĂšs-midi et enfin allaient aux vĂȘpres Ă  dix-huit heures. Seules activitĂ©s permises ce jour-lĂ  : la cuisine et les comptes du magasin, parce que c’était le seul moment de la semaine oĂč on avait le temps. Aucun jeu, aucun loisir, pas mĂȘme la lecture des journaux, activitĂ© dominicale pourtant si importante en Angleterre. Margaret conserve un vif souvenir d’une excursion en famille Ă  la ville voisine de Nottingham, pour voir un film de Fred Astaire, Ă©vĂ©nement en apparence si rare qu’elle le narrait comme une Ă©popĂ©e. InterrogĂ©e sur ses loisirs d’adolescente, elle rĂ©pondit un jour : « Je pense n’ĂȘtre jamais allĂ©e danser avant mon entrĂ©e Ă  l’universitĂ©. Mes parents dĂ©sapprouvaient la danse. J’avais seulement le droit de faire de la danse classique et rythmique parce que c’était une activitĂ© culturelle, car tout devait obligatoirement avoir un contenu culturel. »
Parfois le pĂšre et la fille cadette assistaient ensemble Ă  des confĂ©rences d’histoire contemporaine. Il y avait aussi un club de musique, qui se rĂ©unissait une fois par mois autour de musiciens de passage : toute la famille s’y rendait. « Nous allions Ă  tout ce qui avait le moindre contenu Ă©ducatif ou culturel. C’était notre vie. »
La vie sociale des Roberts tournait surtout autour de l’Église mĂ©thodiste. On organisait des soupers, des thĂ©s, des soirĂ©es chantantes ou de jeux d’orthographe (jeu traditionnel en Angleterre, bien avant l’invention du « Scrabble »), des distributions aux pauvres du quartier. Et Margaret accompagnait les hymnes Ă  l’harmonium. Elle ne connaissait pas d’autre mode de vie et le rĂ©gime imposĂ© par son pĂšre lui semblait aller de soi : travail, Ă©glise et culture. Elle semble ne pas en avoir particuliĂšrement souffert et s’y ĂȘtre mĂȘme, au contraire, elle s’y est mĂȘme conformĂ©e dans le but d’exceller. Plus son pĂšre se montrait exigeant, plus Margaret remportait des succĂšs. Car en l’absence d’un fils, Alfred avait tout misĂ© sur cette seconde fille qui lui ressemblait tant et il lui inculqua avec un zĂšle inlassable ses convictions, sa soif de connaissance et sa passion pour la chose politique. Il lui enseigna aussi les valeurs agressivement mesquines du petit commerce, qu’elle devait revendiquer tout au long de sa carriĂšre. « Ma politique est fondĂ©e sur ce que des millions de personnes ont appris chez eux : une journĂ©e de paie honnĂȘte pour une journĂ©e de travail honnĂȘte ; vivez selon vos moyens ; mettez de cĂŽtĂ© pour les jours difficiles ; payez vos factures Ă  temps ; aidez la police. » Alf lisait tout, et Margaret avait l’impression qu’il savait tout. « Une fois, je lui ai demandĂ© ce que voulait dire ’problĂšme fiduciaire’. Il le savait. ’Etalon-or’ ? Il le savait aussi. » Les dĂźners chez les Roberts Ă©taient de vĂ©ritables petits sĂ©minaires. Le pĂšre et la fille y discutaient intensĂ©ment, gravement, des causes de la grande dĂ©pression, de la politique du gouvernement de l’époque, dirigĂ© par Stanley Baldwin, de la montĂ©e d’Hitler et de Mussolini, le tout avec une totale conviction et un sĂ©rieux absolu.
À l’égard de Beatrice, sa mĂšre, Margaret semble avoir oscillĂ© entre estime et indiffĂ©rence. Les commentaires fusĂšrent lorsqu’on dĂ©couvrit que sa premiĂšre entrĂ©e dans le Who’s Who, en 1976, la dĂ©crivait simplement comme « fille d’Alfred Roberts ». « J’aimais beaucoup ma mĂšre, mais aprĂšs 15 ans, je n’ai plus rien eu Ă  lui dire », conclut Margaret avec cette duretĂ© qu’on lui connaĂźt. Il lui arrivait pourtant de dire du bien de sa mĂšre, surtout lorsqu’elle voulait vanter ses mĂ©rites de mĂšre de famille et de maĂźtresse de maison. Car Margaret n’a jamais cessĂ© de valoriser son propre rĂŽle de « femme Ă  la maison » ; elle a mĂȘme bĂąti une partie de son image sur ses qualitĂ©s de femme d’intĂ©rieur, maternelle, bonne cuisiniĂšre, etc. Avant son mariage, sa mĂšre possĂ©dait une petite entreprise de couture. AprĂšs, elle s’occupa du magasin, faisant le mĂ©nage, la cuisine, lavant, repassant et confectionnant elle-mĂȘme les habits des filles. Elle vivait dans l’ombre de son mari et travaillait tout le temps. Margaret a voulu se dĂ©marquer de ce modĂšle (des deux sƓurs, seule Muriel Ă©tait proche de leur mĂšre) mais on sentait qu’elle en admirait certaines qualitĂ©s, qualitĂ©s Ă©trangĂšres Ă  sa propre personnalitĂ© : « Les enfants n’apprĂ©cient vraiment leur mĂšre que le jour oĂč ils grandissent et deviennent eux-mĂȘmes des parents. Ma mĂšre Ă©tait une femme particuliĂšrement gĂ©nĂ©reuse. Quand elle avait fini de faire la cuisine pour plusieurs jours, elle faisait porter des gĂąteaux, ou ce qu’elle avait cuisinĂ©, aux malades et aux pauvres du quartier. Plusieurs de nos amis Ă©taient au chĂŽmage et nous partagions avec eux ce que nous avions. » D’autres tĂ©moignages confirment peu ou prou cette version un peu idĂ©alisĂ©e de la parfaite famille chrĂ©tienne, Ă  ceci prĂšs qu’on a aussi dĂ©crit les Roberts comme des gens plutĂŽt prĂ©tentieux, vivant repliĂ©s Ă  l’intĂ©rieur du cercle de leurs coreligionnaires mĂ©thodistes.
En 1936, Alf devint le plus jeune conseiller municipal de Grantham puis, en 1943, son maire. Ce fut le couronnement de sa carriĂšre et de ses espĂ©rances, ce qui n’est peut-ĂȘtre pas sans importance lorsqu’on connaĂźt le goĂ»t pour l’émulation de sa fille prĂ©fĂ©rĂ©e. Ainsi, Margaret Thatcher deviendra plus tard la plus jeune dirigeante de l’Association des Ă©tudiants conservateurs d’Oxford, puis le plus jeune dĂ©putĂ© conservateur aux Ă©lections municipales de 1950.
Il y avait toujours eu une grande activitĂ© civique Ă  Grantham. Lorsqu’il devint conseiller municipal, Alf fit participer sa famille aux devoirs de sa charge, et lorsqu’il fut Ă©lu juge de paix, il emmena sa fille au Palais de Justice oĂč elle assistait, fascinĂ©e, aux sĂ©ances. Plus tard, elle raconterait que c’était lĂ  qu’elle avait pris goĂ»t au droit, qu’elle Ă©tudierait ensuite pour devenir spĂ©cialiste en droit fiscal. Bizarrement, Alf ne fut jamais membre ni du parti conservateur ni du parti travailliste, mais resta indĂ©pendant. Si l’on en juge par sa politique municipale, il aurait mĂȘme plutĂŽt Ă©tĂ© un travailliste de droite s’il n’avait eu Ă  se battre, en tant que petit commerçant, contre la coopĂ©rative locale contrĂŽlĂ©e par les travaillistes de Grantham. Bigot comme tant de petits-bourgeois anglais, protestant « anti-papiste » (« papiste » est le terme pĂ©joratif qu’utilisent les protestants anglais pour dĂ©signer les catholiques), Alf Ă©tait aussi farouchement patriote. Pour lui, la France Ă©tait « totalement corrompue » et l’Allemagne franchement diabolique, ce qu’il ne manquait pas d’expliquer dans ses discours.
AprĂšs la guerre, Alfred mit en Ɠuvre un vaste programme d’investissements pour amĂ©liorer les routes, les transports publics, les services de santĂ© et de puĂ©riculture de sa ville. Comme nombre de ses contemporains, il Ă©tait convaincu que l’argent public devait avant tout servir Ă  amĂ©liorer les biens communs. Bien des annĂ©es plus tard, sa fille s’efforcerait prĂ©cisĂ©ment de rogner, voire de supprimer, ce type de politique locale. On est d’ailleurs surpris par le nombre de choses que Margaret Thatcher a reniĂ©es dans son Ă©ducation lorsqu’elle est arrivĂ©e au pouvoir, alors mĂȘme qu’elle proclamait son adhĂ©sion absolue Ă  l’enseignement de son pĂšre. Le plus frappant, c’est que les principales cibles de ses attaques furent prĂ©cisĂ©ment ces institutions qui avaient permis son ascension sociale : l’éducation, le systĂšme lĂ©gal, les dĂ©penses publiques. Comme si elle avait voulu que les flots qui s’étaient fendus pour lui livrer passage se referment derriĂšre elle.
Muriel, de quatre ans son aĂźnĂ©e, ressemblait plus Ă  leur mĂšre. Comme elle, elle s’était montrait effacĂ©e et sans grande ambition. Margaret avait 13 ans quand Muriel quitta la maison pour entreprendre des Ă©tudes de kinĂ©sithĂ©rapie. Elle Ă©pousa plus tard un fermier que l’on disait avoir Ă©tĂ© repoussĂ© par Margaret, et disparut de la vie sa sƓur. Journalistes et biographes n’ont jamais pu tirer grand-chose d’elle sur leur histoire commune. La rumeur voulait que Margaret lui ait expressĂ©ment interdit d’évoquer leur passĂ© devant des journalistes.
La chose la plus importante que ses parents, surtout son pĂšre, inculquĂšrent Ă  Margaret, fut une confiance inĂ©branlable en elle-mĂȘme. Plus tard, nombre de ses collĂšgues et de ses critiques interprĂ©teraient son « agressivitĂ© » comme rĂ©vĂ©latrice d’un manque d’assurance. Mais peut-ĂȘtre cette agressivitĂ© tenait-elle davantage au fait qu’elle Ă©tait une femme dans un monde d’hommes empreint d’une certaine agressivitĂ©. La virulence d’une femme dans un monde masculin est toujours plus frappante, plus choquante, et le mĂ©pris de tant d’hommes politiques anglais pour la « stridente » Madame Thatcher est on ne peut plus banal : pour se faire entendre ou s’imposer, les femmes n’ont souvent d’autre choix que de se fĂącher, voire de crier, au risque de faire grimper une octave trop haut leurs voix naturellement aiguĂ«s. On tolĂ©rait bien mieux le comportement mĂ©prisant et tyrannique d’Edward Heath, comme s’il allait de soi.
DĂšs l’ñge de 5 ans, Margaret fut remarquĂ©e Ă  l’école : enfant modĂšle, studieuse, sĂ©rieuse, premiĂšre dans toutes les matiĂšres, jamais un faux pas, toujours sur son quant-Ă -soi, au grand agacement de ses camarades de classe qui ne l’aimaient guĂšre, se moquaient d’elle et la trouvaient ridicule. Margaret se tenait Ă  l’écart : le bavardage Ă©tait une frivolitĂ© que la fille d’Alfred ne pouvait se permettre. Scrupuleuse en tout, elle Ă©tait presque toujours premiĂšre de sa classe, sauf l’avant-derniĂšre annĂ©e, oĂč elle fut vexĂ©e de finir deuxiĂšme. À l’ñge de 10 ans, elle remporta un prix de poĂ©sie. Une des enseignantes la fĂ©licita. « Vous avez eu de la chance » lui dit-elle. Margaret rĂ©pondit froidement : « Ce n’est pas de la chance. Je l’ai mĂ©ritĂ©. »
Elle Ă©tudiait Ă  fond toutes les matiĂšres. Elle Ă©tait mĂȘme trĂšs bonne en Ă©ducation physique et joua dans l’équipe de hockey sur gazon de son Ă©cole. Mais selon ses professeurs, ce ne fut jamais une Ă©lĂšve brillante, simplement une « bĂ»cheuse ». Elle prit des cours de piano dĂšs l’ñge de cinq ans, instrument dont, selon ses camarades de classe, elle jouait d’une maniĂšre exagĂ©rĂ©ment spectaculaire. Tout le monde en ricanait, sauf les Roberts.
Margaret fut donc une Ă©coliĂšre solitaire. On ne lui connaĂźt pas de « meilleure amie », par exemple. Son pĂšre la sermonnait sans cesse : « Prends tes propres dĂ©cisions. Ne fais jamais quelque chose pour la simple raison que tes amies le font. Ne te dis jamais, ’puisqu’elles le font, j’ai envie de le faire.’ À 11 ans, elle entra Ă  l’école publique pour filles Kesteven and Grantham. Les frais de scolaritĂ© s’élevaient Ă  65 livres par an, somme qu’Alfred aurait parfaitement pu payer. Mais Margaret passa un examen et obtint une bourse, « pour le principe », devait dire Alf, et au cas oĂč il disparaĂźtrait subitement.
Elle se passionna pour deux autres activitĂ©s traditionnelles du systĂšme Ă©ducatif britannique : d’abord, la debating society, club de dĂ©bats oĂč l’on apprend Ă  adopter n’importe quel point de vue et Ă  le dĂ©fendre envers et contre tout, en respectant certaines rĂšgles. Elle se fit offrir par son pĂšre des leçons d’élocution (plus tard, bien sĂ»r, elle en prendrait d’autres : tout personnage politique conservateur devait impĂ©rativement se dĂ©barrasser de son accent plĂ©bĂ©ien). L’autre passion de Margaret fut l’art dramatique. Elle joua de nombreux rĂŽles dans les productions de l’école. Elle adorait l’animation des coulisses, les feux de la rampe et le sentiment d’ĂȘtre au centre de l’attention. Cela devait lui rester. Finalement, tout ce que Margaret Roberts apprit au cours de son enfance lui servit plus tard : le prĂ©cepte prĂ©fĂ©rĂ© d’Alf, ne jamais rien gaspiller, n’était pas tombĂ© dans l’oreille d’un sourd.
Margaret avait dix ans quand les Roberts achetĂšrent une radio. Ce fut un Ă©vĂ©nement : le poste devint un Ă©lĂ©ment majeur de la vie quotidienne de la famille. Lorsque la guerre Ă©clata, les informations entendues Ă  la radio alimentĂšrent les incessantes discussions entre Alf et sa fille sur la politique, l’histoire et l’économie : pĂšre et fille se penchaient sur une carte de l’Europe pour y suivre les mouvements des troupes, discutaient de « la politique d’apaisement » de Neville Chamberlain, du rĂŽle de Staline, etc.. Margaret Ă©tait nettement plus au fait des Ă©vĂ©nements que la plupart de ses contemporains. Toujours Ă  la radio, elle Ă©coutait chaque jour « Winston », comme elle a aimĂ© appeler Churchill (qu’elle n’a rencontrĂ© que trĂšs briĂšvement, et une seule fois), ce qui devait irriter certains anciens du parti conservateur qui, eux, l’avaient fort bien connu.
En 1940, Margaret avait 15 ans. Grantham, important carrefour routier et ferroviĂšre, fut sĂ©vĂšrement bombardĂ©e par les Allemands ; toutes ses usines s’étant reconverties dans la production de munitions, la ville devint la cible rĂ©guliĂšre de raids aĂ©riens. Pendant quelques mois, il tomba plus de bombes par habitant sur Grantham que sur n’importe quelle autre ville anglaise. Comme les Roberts n’avaient pas de cave, lorsque les sirĂšnes retentissaient, la famille se rĂ©fugiait sous la table de la salle Ă  manger oĂč Margaret continuait Ă  faire ses devoirs.
DĂšs le dĂ©but du blitz, l’école de Margaret accueillit les Ă©lĂšves d’une Ă©cole publique de Londres, Camden High School, qui avait Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©e. DĂ©sormais, la journĂ©e scolaire fut divisĂ©e en deux : le matin, les Ă©lĂšves de Kesteven avaient cours, et l’aprĂšs-midi, ceux de Camden, pendant que Margaret et ses camarades de classe partaient aux champs pour ramasser des pommes de terre et contribuer ainsi Ă  l’effort de guerre.
Muriel avait une correspondante en Autriche, une juive allemande nommĂ©e Edith. Ses parents Ă©crivirent Ă  Alf pour lui demander de prendre Edith sous sa protection s’ils arrivaient Ă  la faire sortir de Vienne. Alf accepta sur-le-champ, Edith parvint Ă  quitter l’Autriche et vĂ©cut avec eux pendant la durĂ©e de la guerre. Margaret Ă©coutait pendant des heures, terrifiĂ©e et fascinĂ©e, les rĂ©cits d’Edith sur les Nazis.
Parvenue en derniĂšre annĂ©e, Margaret commença Ă  prĂ©parer son entrĂ©e Ă  l’universitĂ©. Elle avait toujours voulu y aller. Si possible Ă  Oxford. C’était la porte de sortie de Grantham et ce pour quoi Alf avait ƓuvrĂ© depuis tant d’annĂ©es. Elle choisit la chimie comme matiĂšre principale, pour deux raisons : elle Ă©tait sĂ»re que cela lui permettrait de trouver ensuite du travail – il lui semblait Ă©vident qu’elle devrait subvenir Ă  ses propres besoins – et en derniĂšre annĂ©e, Ă  Kesteven, elle avait eu une enseignante de chimie exceptionnelle qui l’avait fortement motivĂ©e. Mais elle avait oubliĂ© un dĂ©tail : l’examen d’entrĂ©e Ă  Oxford comportait une Ă©preuve de latin, et Margaret n’en avait jamais fait. Contre l’avis de la directrice de l’école (qu’elle dĂ©fia), elle dĂ©cida de comprimer cinq ans d’enseignement de latin en un seul. Elle se fit payer des cours supplĂ©mentaires par Alf et obtint une des meilleures notes de sa promotion.
Oxford et Cambridge ont fourni plus de la moitiĂ© des Premiers ministres anglais. Pour les gens d’origine ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. DĂ©dicace
  5. Sommaire
  6. Prologue
  7. CHAPITRE 1 - Alf
  8. CHAPITRE 2 - Mariage et maternité
  9. CHAPITRE 3 - Du consensus à la rupture 1945-1979
  10. CHAPITRE 4 - L’apprentissage politique
  11. CHAPITRE 5 - L’ombre du pouvoir
  12. CHAPITRE 6 - Chef rebelle
  13. CHAPITRE 7 - Grantham au pouvoir
  14. CHAPITRE 8 - « Quel drÎle de monde »
  15. Épilogue
  16. SOURCES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES