Peut-on trouver une logique Ă la succession des noms des sept jours de la semaine ? Dans certains pays comme la GrĂšce, le problĂšme ne se pose guĂšre puisque le lundi se nomme « deuxiĂšme » (« deutero »), le mardi troisiĂšme, jusquâau jeudi. Les noms suivants sont issus dâobligations religieuses : Kyriaki, soit jour du seigneur pour le dimanche, sabbato, jour du sabbat pour samedi et paraskevi, jour de la mort du Christ pour le vendredi. Mais en Europe occidentale, dans les langues latines et saxonnes, les noms des sept jours de la semaine, Ă quelques exceptions prĂšs (tuesday, mittwoch, etc.) rĂ©fĂšrent aux sept planĂštes connues dans lâAntiquitĂ© : lundi est le jour de la Lune (monday), mardi, celui de Mars, mercredi, de Mercure, jeudi de Jupiter, vendredi de VĂ©nus (friday Ă cause de la dĂ©esse nordique Freya, Ă©quivalente nordique de VĂ©nus), samedi de Saturne (saturday), et dimanche du Soleil (sunday, sonntag). Pourquoi les sept corps cĂ©lestes sont-ils disposĂ©s dans cet ordre ? Pour le comprendre, il faut partir de leur description antique sur des cercles de plus en plus Ă©loignĂ©s dâune Terre rĂ©putĂ©e immobile et avec des pĂ©riodes de plus en plus longues, soit par ordre dâĂ©loignement croissant :
Lune
Mercure
VĂ©nus
Soleil
Mars
Jupiter
Saturne
Si lâon place ces sept noms rĂ©guliĂšrement et dans cet ordre sur un cercle (figure 1), on voit quâon part du premier corps, la Lune, puis que lâon en saute 3 pour prendre le cinquiĂšme, Mars, et Ă nouveau un saut des trois suivants sur le cercle pour parvenir Ă Mercure. On continue de la mĂȘme maniĂšre de quatre en quatre jusquâĂ revenir Ă la Lune. La rĂšgle est donc simple et curieuse : parcourir de quatre en quatre les sept points dâun cercle. Puisque quatre et sept sont premiers, on passera ainsi successivement par tous les sept points. Pourquoi nâavoir pas choisi lâordre le plus simple, partant de la Lune et finissant Ă Saturne, donc pourquoi ne pas parcourir le cercle sans sauter de points, en passant chaque fois au suivant ? Cette derniĂšre mĂ©thode a lâinconvĂ©nient de la discontinuitĂ© : aprĂšs avoir passĂ© de proche en proche, il faut franchir tout lâintervalle de Saturne Ă la Lune, ce qui donne un statut trĂšs particulier Ă la nuit du dimanche au lundi. Dans dâautres circonstances, pour minimiser un tel saut, les penseurs de la Renaissance comme Marsile Ficin avaient dâailleurs rĂ©Ă©valuĂ© les attributs de Saturne en lui attribuant la qualitĂ© de mĂ©lancolie, caractĂ©ristique des grands lettrĂ©s et artistes. Ici, la mĂ©thode des sauts de quatre en quatre permet de maintenir toujours deux jours suivants Ă une distance de quatre ou de trois dans la liste. Il nây a donc plus de discontinuitĂ© particuliĂšre dans la sĂ©rie des jours. Remarquons quâil nây avait guĂšre dâautre solution. En prenant des sauts de 3 en 3, on aurait simplement inversĂ© lâordre habituel des jours et en prenant de 2 en 2 ou de 5 en 5, on aurait introduit des discontinuitĂ©s de deux types diffĂ©rents.
En rĂ©alitĂ©, lâexplication de la succession des planĂštes associĂ©es aux jours de la semaine est diffĂ©rente, mais lâargument prĂ©cĂ©dent lui a sans doute assurĂ© sa stabilitĂ© et sa pĂ©rennitĂ©. Les Assyriens associaient chaque heure du jour Ă lâune des sept planĂštes quâils dĂ©vidaient dans lâordre indiquĂ© de leurs durĂ©es de rĂ©volution. Ils comptaient douze heures le jour et douze heures la nuit, chacune aussi associĂ©e Ă un cycle du zodiaque donc Ă un douziĂšme dâannĂ©e solaire. La premiĂšre du lundi Ă©tait associĂ©e Ă la premiĂšre planĂšte, la Lune, la seconde heure avec la seconde, Mercure, et ainsi de suite, en revenant Ă la Lune Ă la huitiĂšme heure, puis Ă la quinziĂšme et Ă la vingt-deuxiĂšme. La premiĂšre heure du jour suivant Ă©tait donc associĂ©e Ă la planĂšte Mars, dâoĂč mardi, et ainsi de suite. On ne retrouvait la Lune Ă la premiĂšre heure que le lundi suivant. La semaine entiĂšre soit 24 Ă 7 heures Ă©tait nĂ©cessaire pour que les planĂštes et les signes du zodiaque retrouvent la mĂȘme conjonction. La rĂ©pĂ©tition de la sĂ©rie identiquement Ă elle-mĂȘme au bout de 168 heures indiquait la commensurabilitĂ© du nombre des planĂštes et de celui des heures du jour. Cette recherche de la commensurabilitĂ© de deux grandeurs est sans doute lâun des problĂšmes les plus anciens et les plus riches comme on va le voir maintenant.
Figure 1 : Périodes des 7 corps célestes et ordre des jours de la semaine
Commensurabilité de deux grandeurs
La comparaison de deux grandeurs constitue le problĂšme mathĂ©matique le plus immĂ©diat. Il sâest posĂ© dĂšs que lâhumanitĂ© a commencĂ© Ă compter et Ă mesurer. Il sâest mĂȘme imposĂ© dans deux domaines essentiels, celui du temps Ă cause de la prĂ©sence de deux temps distincts, lâun rythmĂ© par le Soleil, lâautre par la Lune, et celui de la musique Ă cause de lâexistence de deux sons gĂ©nĂ©rateurs diffĂ©rents, lâoctave et la dominante, Ă partir desquels toutes les gammes ont Ă©tĂ© engendrĂ©es, depuis les simples pentatoniques des Grecs, jusquâaux quarts de tons des musiques indiennes. La mĂ©thode actuelle de comparaison la plus simple, Ă savoir exprimer une grandeur en fonction de lâautre par une simple division nâĂ©tait pas utilisĂ©e dans les civilisations anciennes, car la notation dĂ©cimale et la virgule sont dâusage rĂ©cent. La mĂ©thode ancienne se fondait sur lâexpĂ©rience et sur des coĂŻncidences. En gros, elle revenait Ă ajouter chaque mesure un certain nombre de fois Ă elle-mĂȘme jusquâĂ ce que les sommes obtenues pour chacune des deux mesures en prĂ©sence soient trĂšs voisines...