Qu'est-ce qu'une vie accomplie ?
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Qu'est-ce qu'une vie accomplie ?

  1. 240 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Qu'est-ce qu'une vie accomplie ?

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À propos de ce livre

Quand peut-on dire de sa vie qu'elle est accomplie? François Galichet met en balance deux représentations de la vie. On peut la tenir pour un bien absolu à préserver à tout prix. On peut aussi l'envisager à la manière du peintre ou de l'écrivain, comme une œuvre dont on est l'auteur, que l'on peut façonner dans la mesure où l'on est maître de soi. Ce livre est une méditation sur ce thème. Il naît d'un paradoxe: dans nos sociétés, la vie est devenue la valeur suprême, la plus sacrée, et en même temps certains – beaucoup – souhaitent pouvoir en sortir quand ils considèrent qu'elle est accomplie, que la prolonger la dégrade. D'où ces questions, qui nous concernent tous: qu'est-ce qu'une vie digne et digne d'être vécue? Quel sens lui donnons-nous? Qu'est-ce qui fait sa qualité et son intensité? Voudrions-nous être immortels? L'auteur recueille le témoignage de personnes disposant d'un moyen de mourir volontairement de façon douce. En examinant le prix que nous accordons à la vie et la définition de ce qu'est une vie digne d'être vécue, il nous invite avec délicatesse à une réflexion sur la vie, sur la mort et sur l'exercice de la liberté. Un livre clair et lumineux sur la joie de vivre en disposant de soi. François Galichet est philosophe, professeur honoraire à l'université de Strasbourg. Il a publié, aux éditions Odile Jacob, Vieillir en philosophe.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2020
ISBN
9782738152299

PREMIÈRE PARTIE

Disposer de soi



CHAPITRE 1

Être soi-même,
ce n’est pas si facile


Se demander si sa vie est accomplie, c’est ne pas la considérer comme une chose ou une simple suite de faits. D’une chose ou d’un fait on ne se pose pas la question de savoir s’ils sont « accomplis ». Ils sont, tout simplement. On peut certes les évaluer, apprécier leur utilité ou leur agrément, envisager de les améliorer. Mais on le fait toujours d’un point de vue extérieur, à partir de normes ou de projets qui leur sont étrangers. Ainsi, par exemple, je juge qu’une pizza est réussie à partir d’une recette dont je dispose ou du souvenir de celles que j’ai dégustées. Pareillement, j’estimerai que j’ai accompli la mission qui m’était confiée si j’ai atteint les objectifs qui m’étaient assignés par mes supérieurs ou mes associés. Mais les moyens que j’emploie (la farine et les ingrédients pour la pizza, les outils et les techniques pour la mission) ne sont que des objets. Ils me sont étrangers ; ils ne participent en rien à la conception du projet et sont manipulés par moi, qui suis seul responsable de la réussite ou de l’échec final.
En revanche, quand je m’interroge pour savoir si ma vie est accomplie, je ne suis pas étranger à ma vie. Ma vie n’est pas un objet sur lequel je me pencherais comme je me penche sur une pizza pour savoir si elle est réussie ou sur mon ordinateur pour juger de la qualité du document produit grâce à lui. En un sens, je suis ma vie et rien d’autre. Quand je dis « moi », je ne pense qu’à l’ensemble des expériences vécues depuis que j’ai des souvenirs, des événements qui m’ont marqué, des attachements que j’éprouve, des bonheurs et des malheurs qui ont affecté mon existence.
Et pourtant, en même temps, je me distingue de ma vie, puisque je me demande si elle est accomplie. Elle n’est pas un objet comme la pizza ou l’ordinateur. Néanmoins, je peux la questionner, l’examiner, la jauger, l’estimer positivement ou négativement. À la fois, je suis ma vie et je ne la suis pas. Comment est-ce possible ?

Le double sens de l’accomplissement

Si j’étais une chose comme une autre – simplement plus compliquée qu’une pizza ou un ordinateur –, ce serait impossible. Je coïnciderais avec moi-même ; je serais moi et rien de plus ; je me considérerais comme une réalité parmi d’autres, à la fois subissant l’action d’autres et agissant sur elles, comme toute chose. C’est ainsi que je m’appréhende le plus souvent : comme un être dans le monde, coexistant avec d’autres semblables ou différents, et ayant avec eux des rapports à la fois d’affinité et d’aversion, de compétition et de coopération, d’intérêt et d’indifférence.
De ce point de vue, je peux estimer que j’ai connu des réussites (en affaires, en amour, dans ma vie sociale, etc.) et des échecs. Je peux tenter une balance entre les uns et les autres, et juger ma vie à cette aune.
Mais quand je me demande si ma vie est accomplie, il ne s’agit pas de cela. Il y a dans la notion d’accomplissement une idée de perfection qui va au-delà de la simple réussite ou du simple échec d’un projet. Lorsqu’on parle d’un homme (ou d’une femme) accompli(e), on n’entend pas seulement par là qu’il ou elle a connu des succès, qu’il (ou elle) mène une vie sentimentale riche ou heureuse, exerce un métier épanouissant, fait des voyages passionnants, etc. Le Robert donne de l’adjectif « accompli » cette définition : « qui est parfait en son genre ». Cela signifie que la vie alors ne se réduit pas au fil de ses événements, à la suite de ses expériences. Une personne peut être « accomplie » même si elle est pauvre, malheureuse, solitaire. Elle peut ne pas l’être même si elle est riche, heureuse, comblée d’amis et d’amours.
La notion d’accomplissement est donc indépendante de la suite des événements que nous connaissons. Elle porte sur notre être en tant que tel, non sur les expériences vécues. Elle implique la proximité plus ou moins grande vis-à-vis d’un idéal qui ne nous est pas imposé (comme la recette de la pizza ou les objectifs d’une mission), mais que nous nous prescrivons à nous-mêmes. Comme le dit le philosophe canadien Charles Taylor :
Savoir qui on est, c’est pouvoir s’orienter dans l’espace moral à l’intérieur duquel se posent les questions sur ce qui est bien ou mal, ce qu’il vaut ou non la peine de faire, ce qui pour soi a du sens ou de l’importance et ce qui est futile ou secondaire1.
Je me juge (et/ou on me juge) « accompli » par rapport à ces critères implicites ; le jugement porte sur la disposition à correspondre à ces critères plutôt que sur les actes qui s’y conformeraient. Ainsi par exemple est jugé « accompli » celui qui est capable de sacrifier ses intérêts égoïstes et matériels à une cause désintéressée ; celui qui place la défense des valeurs universelles au-dessus de celles de son clan ou de sa famille. Mais il n’est nul besoin pour cela qu’il se sacrifie effectivement. Même s’il n’a jamais eu l’occasion de le faire, on l’estimera « accompli » si on juge qu’il est réellement capable de le faire, que ce n’est pas seulement chez lui une posture ou une vantardise, mais une disposition profonde, authentique, essentielle.
Toutefois, le problème se complique avec la question de la fin de vie, qui se réfère aussi au second sens du mot : achevé, terminé. Il ne s’agit plus alors d’une signification ontologique, qualifiant l’être d’une personne, mais d’une signification temporelle, désignant la fin d’un processus, comme lorsqu’on dit : « J’ai accompli ce que vous m’aviez demandé de faire. »
Dans le débat dont nous avons parlé dans l’introduction, c’est ce second sens qui prévaut. On défend la légitimité de sortir de la vie une fois qu’on la juge « accomplie », ce qui signifie : une fois que tout a été joué, réalisé, effectué – comme dans une partie de cartes qui se termine. La métaphore est d’ailleurs utilisée par Beckett dans le titre qu’il donne à sa pièce Fin de partie, où les personnages vivent dans un monde désert, postapocalyptique, et sont hantés par l’idée d’une fin prochaine, d’un achèvement qui ne leur laisse plus que l’ennui, la désolation, la dérision.
Alors que le premier sens ontologique est positif, le second, temporel, est plutôt négatif. Dire que ma vie est accomplie en ce sens, c’est dire qu’il n’y a plus rien à vivre, que « tout est consommé », qu’il faut quitter la vie parce qu’elle n’a plus rien à offrir, parce que « ça suffit comme ça » (sentiment de satiété).
Mais peut-on vraiment séparer les deux significations ? Lorsque le Christ s’écrie, sur la croix : « Tout est accompli », il exprime, selon, Pierre Reboul,
le constat tout autant de la conclusion misérable de son aventure humaine que de la perfection aboutie de sa mission divine, […] la notion d’achèvement, de simple point final, mais également de réussite d’un destin parfaitement rempli2.
Les deux significations, négative et positive, temporelle et ontologique, sont inextricablement liées. Parce que j’estime avoir atteint ou approché autant que faire se peut l’idéal de ma vie, j’ai le sentiment de n’avoir plus rien à vivre, que ma vie est finie, qu’elle ne peut plus rien m’offrir. Le négatif ici n’est que l’envers et la contrepartie du positif. Mais, inversement, il peut arriver que des souffrances ou des handicaps extrêmes, médicalement irréversibles et irrémédiables, notamment en raison de l’extrême vieillesse, me donnent la conviction que plus rien d’intéressant et de digne ne m’adviendra, et qu’en conséquence ma vie a atteint son plein accomplissement : c’est le négatif ici qui engendre le positif. Aucune des deux approches n’est moins digne ou moins légitime que l’autre. Le plus souvent, il est impossible de les distinguer.

Être soi-même : réalité ou idéal ?

Dans l’un et l’autre cas, l’idée d’accomplissement est liée à la conscience d’être soi et à l’idée que ce soi que je suis est à la fois une réalité effective, présente, évidente, immédiate (le « je suis » de Descartes) et une valeur à réaliser, un idéal à atteindre.
Claude Romano a minutieusement analysé les figures historiques de ce double statut. Il montre que la volonté d’« être soi-même » recèle une antinomie.
D’un côté, elle suppose que ce soi que je suis existe avant la volonté de l’être, comme un donné naturel, inconscient, substantiel : il suffirait de le rendre explicite et manifeste. Mais, en ce cas, ce n’est pas moi-même que je suis, puisque je le reçois ou le trouve avant de le vouloir. Si « moi-même » existe comme cet arbre ou cette montagne, alors je n’y suis pour rien, je n’ai rien fait pour l’être.
Mais si, pour échapper à cette impasse, j’affirme que je suis ce que je veux être, si je m’identifie à ma seule et pure liberté – comme c’est le cas chez Sartre, pour qui « l’existence précède l’essence » et exclut toute idée de nature préexistante –, alors je ne suis plus qu’une spontanéité vide, un pur pouvoir formel d’être n’importe quoi à ma guise, et par conséquent rien ne saurait me distinguer d’autrui qui est lui aussi une telle liberté pure, une telle capacité « d’être ce que je ne suis pas et de ne pas être ce que je suis ». René Girard a montré les apories de cette situation : les volontés toutes identiques cherchent vainement à se différencier des autres. Comme le dit Claude Romano,
Tout le monde veut faire preuve d’originalité, et faire preuve d’originalité, c’est donc faire comme tout le monde. Tout le monde veut paraître différent des autres, et paraître différent nous replonge à coup sûr dans le troupeau3.
D’où le paradoxe : pour « être soi-même », il ne faut pas le vouloir, il ne faut pas chercher à l’être. L’authenticité serait liée à l’abandon, au relâchement, à une spontanéité insoucieuse de soi. L’adéquation à soi serait « comme une forme d’oubli actif et d’incurie de soi : on ne commence à “être soi-même” que lorsqu’on ne se préoccupe plus du tout de l’être4 ».
Mais, en ce cas, comment décider que ma vie est « accomplie » ? Si pour qu’elle le soit je ne dois pas m’en soucier, il ne me reste plus qu’à vivre indéfiniment sans réfléchir et sans me préoccuper de savoir si elle en vaut la peine. C’est la position défendue par les adversaires du suicide rationnel : toute vie, même amoindrie et dégradée, mérite d’être vécue ; toute vie offre encore une chance d’accomplissement, si ténue soit-elle ; et par conséquent le suicide est illégitime dans tous les cas, quelles que soient les circonstances. C’est ce que soutient Pierre Dufour avec l’association JALMALV :
La notion de vie accomplie n’a rien d’objectif, elle est purement subjective. La réalité se présente en continuum de propositions successives qui, chacune, fait rebondir la vie5.
À celui qui affirme que sa vie est accomplie, il faudrait inlassablement répéter qu’aucune vie ne l’est jamais, que l’accomplissement est un idéal régulateur et non un fait, et qu’il ne nous appartient pas d’en décider (les croyants diront que c’est à Dieu seul ; les autres se référeront à la nature, à la nécessaire passivité de la mort6, etc.).
Ces objections sont-elles rédhibitoires ? Il nous faut pour y répondre revenir au sens de la notion d’accomplissement. Dans son usage courant, elle est employée essentiellement pour qualifier le statut de productions « nobles », valorisées socialement ou culturellement. On ne dira pas qu’une voiture qui sort des chaînes d’une usine est « accomplie », mais seulement qu’elle est finie, terminée, achevée, etc. Pareillement pour tous les objets de la vie courante : la réalisation d’un plat pour un dîner d’amis, la réparation d’un appareil, la confection d’un vêtement. En revanche, on dira d’un sportif qu’« il a accompli un véritable exploit » ; d’un soldat qu’« il a accompli sa mission » ; d’un artiste que l’œuvre à laquelle il travaillait « est accomplie ».
On le voit, la notion d’accomplissement se réfère à une tâche qui sort de la vie quotidienne, qui ne relève pas de préoccupations ou de finalités utilitaires, qui ne renvoie pas au simple entretien de la vie ou à des divertissements sans importance. Elle qualifie des actions ou des créations qui ont un caractère exceptionnel. C’est la raison pour laquelle elle est particulièrement employée dans le domaine de l’art.
Or, incontestablement, dans ce dernier domaine, l’accomplissement implique un achèvement effectif de l’œuvre qui était en chantier. Le tableau que peint Van Gogh peut avoir potentiellement une valeur inestimable ; il n’est pas pour autant un idéal inaccessible, une tâche interminable, un horizon ou un principe régulateur.
Certes, toute œuvre est d’abord un objet idéal, comme le concept de triangle ou l’idée de justice. À ce titre, elle est inépuisable : on peut toujours trouver des éclairages nouveaux sur À la recherche du temps perdu ou La Création du monde de Michel-Ange ; on peut toujours interpréter différemment une sonate de Beethoven ou une pièce de Molière. Mais, en même temps, c’est aussi un objet concret, empirique, matériel : un livre composé de feuilles et d’une couverture cartonnée, un tableau fait de toile et de bois, une statue faite de pierre ou de ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. Première partie - Disposer de soi
  6. Deuxième partie - Faire de sa vie une œuvre
  7. Conclusion
  8. Notes bibliographiques
  9. Du même auteur chez odile jacob
  10. Pour en savoir plus
  11. Table