This is a test
- 352 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Le Malheur des autres
DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations
Ă propos de ce livre
«Les médecins français ont inventé le devoir d'ingérence. Parce qu'ils jugeaient que les souffrances appartiennent à tous les hommes et non aux seuls gouvernements qui les abritent, les dissimulent ou les engendrent. La jeunesse de notre pays, celle de l'Europe demain, aspire à leur succéder. Grùce à eux, la France a proposé le droit d'assistance humanitaire que l'assemblée générale des Nations unies a adopté. Aujourd'hui, les intellectuels, les politiques et les juristes s'affrontent sur l'unique concept nouveau de ces temps sans exaltation: le droit d'ingérence.» Fondateur de Médecins sans frontiÚres et de Médecins du monde, Bernard Kouchner a été ministre de la Santé et de l'Action humanitaire.
Foire aux questions
Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier lâabonnement ». Câest aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via lâapplication. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă la bibliothĂšque et Ă toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode dâabonnement : avec lâabonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă 12 mois dâabonnement mensuel.
Nous sommes un service dâabonnement Ă des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă celui dâun seul livre par mois. Avec plus dâun million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce quâil vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Ăcouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez lâĂ©couter. Lâoutil Ăcouter lit le texte Ă haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, lâaccĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă Le Malheur des autres par Bernard Kouchner en format PDF et/ou ePUB ainsi quâĂ dâautres livres populaires dans Business et Business Biographies. Nous disposons de plus dâun million dâouvrages Ă dĂ©couvrir dans notre catalogue.
Informations
Sujet
BusinessSous-sujet
Business BiographiesLe droit dâingĂ©rence
La loi du tapage
« De quoi meurt cet enfant ? Dût la réponse troubler, il meurt aussi de nos silences. »
André Glucksmann, Thierry Wolton.
Putsch Ă Moscou. Les derniers communistes vont enterrer le communisme sous le ridicule. Les agents dâun KGB qui ordonna la terreur, le meurtre et lâinĂ©galitĂ© tentent pĂ©niblement une derniĂšre intimidation, oublient de fermer les frontiĂšres et surtout de couper les faisceaux hertziens et les canaux satellites des tĂ©lĂ©visions mondiales. Nous assisterons aux opĂ©rations de police et Ă la dĂ©bandade dans nos salles Ă manger.
DĂšs lors, lâaffaire Ă©tait perdue pour les diplodocus dâune idĂ©ologie de contrainte. Seule la dĂ©mocratie supporte la transparence tĂ©lĂ©visĂ©e, seule la sincĂ©ritĂ© rĂ©siste au direct.
Boris Elstine se hisse sur la plate-forme du char qui lâagresse. Il serre la main de son ennemi, le tankiste de lâArmĂ©e rouge, qui, Ă©perdu, prend sa tĂȘte dans ses paumes. Les dĂ©fenseurs du Soviet de Russie se retranchent dans le bĂątiment blanc. Ils sont suivis en direct et en permanence par les camĂ©ras de CNN, la chaĂźne dâinformation amĂ©ricaine. Lâindex pointĂ©, Elstine donne Ă Gorbatchev lâordre de lire le compte rendu du dernier Conseil des ministres devant lâAssemblĂ©e russe. Et les tĂ©lĂ©spectateurs de la planĂšte comprennent avant lâintĂ©ressĂ© que le rĂšgne du prĂ©sident soviĂ©tique sâachĂšve avec lâURSS elle-mĂȘme.
Pendant ce temps dâexaltation lĂ©gitime, des millions dâĂȘtres sâaffaissent au Sud-Soudan privĂ©s de nourriture, oubliĂ©s sans malignitĂ© par les Occidentaux, faute de regard cathodique.
Sans image, pas dâindignation : le malheur ne frappe que les malheureux. La main des secours et des fraternitĂ©s ne peut alors se tendre vers eux. Lâennemi essentiel des dictatures et des sous-dĂ©veloppements reste la photographie et les sursauts quâelle dĂ©clenche. Acceptons-la sans nous y rĂ©signer : câest la loi du tapage. Servons-nous dâelle.
Les sollicitations sont si nombreuses, la manne des soutiens si limitĂ©e que les interventions doivent sâimposer par la force de lâinsoutenable, ce remords des pays riches. Le poids de lâopinion publique est le seul Ă©lĂ©ment que les hommes politiques ne nĂ©gligent jamais, dans la trilogie du cours de « mĂ©diologie gĂ©nĂ©rale »1. Les meilleures causes vĂ©gĂštent dans lâindiffĂ©rence, les justes combats perdurent sans lâintervention des camĂ©ras. Des hommes meurent Ă cet instant en Birmanie, au Tibet, Ă Ceylan et personne ne sâen soucie puisquâon ne les « connaĂźt » pas, quâon ne les voit pas disparaĂźtre. La tĂ©lĂ©vision a crĂ©Ă© une familiaritĂ© mondiale. Les Occidentaux reçoivent les grands et les petits hommes dans leurs chambres Ă coucher. Cette habitude est nuisible Ă ceux quâon ne dĂ©couvre pas. On les mĂ©connaĂźt : ils nâexistent pas.
La baisse des indignations renforce les atteintes aux droits de lâhomme. La colĂšre moderne, la morale dâaujourdâhui viennent de lâĆil : force et perversitĂ© des images. Je sais lâimportance dâune enquĂȘte longue et courageuse et lâĂ©lĂ©gance dâun papier de premiĂšre page dans les journaux qui comptent en France, pays oĂč on lit peu. Je dĂ©plore avec RĂ©gis Debray la raretĂ© des textes Ă©crits qui, par lâeffort de lecture, suscitaient une rĂ©flexion. Mais attention aux dĂ©rives passĂ©istes. Ne regrettons pas plus les plumes dâoie que les fausses notions de la RĂ©publique opposĂ©es aux brouillons tĂ©lĂ©visuels.
McLuhan serait dĂ©mocrate et Gutenberg rĂ©publicain : derriĂšre ce raccourci brillant et faux, je sens un regret du temps qui passe comme il passe. Rien ne sert de croire que nous sommes hier. Aujourdâhui, un article de presse Ă©crite, outre le mĂ©rite propre au talent, nâatteint son but que sâil dĂ©clenche aussi les agitations des Ă©quipes de tĂ©lĂ©vision. Les analystes de la planisphĂšre doivent tenir compte, et souvent sâaccommoder, des influences de la mĂ©diasphĂšre.
Nord-Sud : un vent violent se lĂšve. Les antipodes retrouvent leur dĂ©finition : lieu gĂ©omĂ©trique des diffĂ©rences. Nous sommes partisans de rĂ©Ă©quilibrer le monde, nous savons que lâurgence prĂ©cĂšde et autorise lâĂ©coute, lâĂ©change et les longs travaux communs avec les peuples du Tiers-Monde qui constituent notre avenir et celui de la planĂšte. Nous reprocher Ă la fois de ne pas prolonger les interventions dâurgence et de mener ces missions au grĂ© des sursauts de la conscience occidentale, câest nĂ©gliger un Ă©lĂ©ment trĂšs dĂ©mocratique et rĂ©publicain Ă la fois : le peuple de France dĂ©cide en dernier ressort de lâutilisation de ses ressources humaines et de son argent.
Pour lutter contre le racisme qui se renforce de lâeffet immigration et de lâĂ©pouvantail brandi des flux humains incontrĂŽlĂ©s, pour imposer un service humanitaire dans le Tiers-Monde Ă la place du service militaire et sans dĂ©mission de lâindispensable esprit de dĂ©fense, pour faire accepter un partage sans lequel la planĂšte court vers un cataclysme, il faut populariser les malheurs et se servir des remords. LâEurope doit sâouvrir et non se cloĂźtrer. Il convient que les jeunes EuropĂ©ens voyagent et dĂ©couvrent les autres, les nombreux et les lointains, se forment avec eux Ă des mĂ©tiers utiles, les Ă©coutent, les comprennent ou les refusent, et les affrontent. Un affamĂ© compte plus dâĂȘtre aperçu au dĂ©tour dâun repas Ă la table familiale, un beau dimanche dâĂ©tĂ© dans un pays riche qui se croit malheureux. Quâon nous pardonne ce cynisme dont personne nâest dupe et que nous avons mis longtemps Ă supporter nous-mĂȘmes. Il nâempĂȘche pas la colĂšre et les indignations devant les mois perdus et les modernitĂ©s obligĂ©es. Il nâexclut pas le militantisme dans le mouvement humanitaire, il lâimpose. Mais comment expliquer la nĂ©cessitĂ© du partage ? Doit-on Ă©voquer la naissance dâun impĂŽt Tiers-Monde, dont la transparence serait entiĂšrement assurĂ©e et permettrait que les jeunes des pays riches cĂŽtoient ceux des pays pauvres ? Le monde ne sera vivable que si les citoyens des pays riches se chargent dâune part de la misĂšre.
La troĂŻka du mouvement humanitaire regroupera les volontaires, les journalistes et les politiques⊠Les journalistes et les humanitaires, depuis longtemps, ont entamĂ© un dialogue heurtĂ© et entrepris des expĂ©ditions communes. Ils se retrouvent ensemble dans des lieux de connivence et dâaffrontements. Ils ont appris Ă se connaĂźtre. Seuls les politiques ne savent pas encore que le mouvement les emporte.
La mémoire télévisuelle ne dépasse pas quinze jours
Les images sont-elles suffisantes ? Non, les gestes de mort se ressemblent au point quâon les croirait mis en scĂšne par le mĂȘme artiste sauvage. Les violences tĂ©lĂ©visĂ©es gomment lâessentiel des diffĂ©rences. La chaleur nâest pas perceptible. Les odeurs, les accents et les couleurs des cieux se confondent. Les cris dâhorreur de lâAfrique, du Moyen-Orient ou de lâEurope de lâEst sonnent comme les sanglots des peurs de lâEurope. On ne se souvient pas des images absorbĂ©es devant le rĂ©cepteur, elles ne participent pas dâune comprĂ©hension mais dâun spectacle. Et la mĂ©moire visuelle ne dĂ©passe pas quinze jours.
Qui se souvient du macho protestant venu du froid, peau blanchĂątre, casquette de tweed, arquĂ© sur ses jambes, qui tira sur la foule Ă travers les tombes du cimetiĂšre de Belfast, pensant quâun des Dieux en conflit dans la rĂ©gion se tenait rĂ©solument Ă ses cĂŽtĂ©s ? Quelques jours aprĂšs, de balourds catholiques en tweed lynchĂšrent semblablement, sous les camĂ©ras et donc sous nos yeux, des soldats anglais asphyxiĂ©s par la peur, avec la certitude dâĂȘtre approuvĂ©s par le Dieu restant. Ces spectacles venaient de chez nous, qui donnons des leçons au monde et traitons de sauvages des hommes qui nâen font pas autant. Nous nous exclamons devant les violences additionnĂ©es des Serbes et des Croates, alors quâune heure dâavion nous sĂ©pare de Belfast. Lâopinion europĂ©enne est sĂ©lective. Les Irlandais nâont pour eux que ce romantisme de taverne et ces champs sublimes que magnifient les ivresses Ă la biĂšre. Comment pouvons-nous prĂ©tendre Ă une quelconque supĂ©rioritĂ© occidentale alors que les grisĂątres et les corpulents de Shankill Road ou du ghetto dâen face, toutes sectes confondues, catholiques et protestants, fournissent au genre humain une ornementation incomprĂ©hensible et parfois bestiale ?
La tĂ©lĂ©vision nous donne Ă©pisodiquement Ă voir en gros plan une dimension de lâhomme que lâon oublie facilement : celle dâun guerrier peureux et aveuglĂ© de haine. Les indignations tĂ©lĂ©visĂ©es sont courtes et disparaissent avec lâimage. On fait dans les nouvelles douces, comme dans les mĂ©decines. Hors des lyrismes irlandais, on croyait lâEurope plus protĂ©gĂ©e des violences que le reste de la planĂšte. Depuis les massacres des villages frontaliers de la grande Serbie, on sâaperçoit quâil nâen est rien. Des conflits effrayants nous attendent Ă nos portes. Aucun commentateur ne relie les insupportables visions libĂ©riennes, celles des ghettos de Soweto ou dâAlexandra avec les sĂ©quences des violences du Kosovo, de la SlovĂ©nie ou du Haut Karabah. Par le rideau dĂ©chirĂ© du socialisme se glissent des appĂ©tits nationalistes et des dĂ©sastres Ă©conomiques qui susciteront des hordes de barbares.
LâĂ©quilibre de la terreur donnait aux conflits locaux des dimensions modestes. On y mourait certes, mais personne, au loin, ne semblait concernĂ©. Les opinions se rassuraient de la guerre froide. Ces protections sont terminĂ©es. LâunanimitĂ© nĂ©e du conflit avec lâIrak a pu sembler fugitivement le prĂ©lude Ă un gouvernement des consciences du monde, mais les conflits locaux vont fleurir. Ils nâavaient pas vraiment cessĂ©. Suivant les classifications, trente-sept ou quarante-quatre guerres en activitĂ©, comme on dit dâun volcan, secouĂšrent la planĂšte depuis 1945. Et les blancs Occidentaux, vendeurs dâarmes concurrents, tĂȘte sous lâaile et pacifisme en bandouliĂšre, se croyaient en paix sous prĂ©texte quâaucun soldat officiel de leurs armĂ©es nây mourait en leur nom. Erreur, nous Ă©tions Ă©troitement reliĂ©s Ă chacun de ces vacarmes.
Cette cĂ©citĂ© nous protĂšge-t-elle ? Nos populations sont incapables, faute de certitudes et dâidĂ©al, dâaffronter physiquement un conflit aussi rude que ceux du Cambodge, de lâAfghanistan ou du Salvador, demain celui des Touaregs ou des Yougoslaves.
La rĂšgle est simple. Plus dâimages, plus dâĂ©vĂ©nements. Voici quelques nouvelles des fronts que nous avons frĂ©quentĂ©s, des petites guerres de ces annĂ©es-ci, que lâon jugait exotiques et qui nous menaçaient toutes ; un Ă©vĂ©nement collant Ă lâautre sans que personne ne tente, en ces temps dâaudimat, de rassembler ces secousses diverses en un mĂȘme mouvement. Un retour par brassĂ©es de ces images cathodiques que rien ne semble relier entres elles, que lâon aura oubliĂ©es aussitĂŽt et qui pourtant sont indispensables, comme si elles crĂ©aient elles-mĂȘmes la rĂ©alitĂ©.
Lâerreur de Timisoara fut salutaire pour la presse
Soixante mille morts, donc probablement plus de cent vingt mille blessĂ©s ! Charnier Ă Timisoara : on avait annoncĂ© des milliers de corps. La crĂ©dulitĂ© nĂ©e dâune image est si forte que la pupille des tĂ©lĂ©spectateurs ne sâĂ©tait pas accrochĂ©e aux cicatrices visibles dâinterventions abdominales, tĂ©moignant quâil sâagissait de toute Ă©vidence des malades dâun hĂŽpital. Lâopinion publique, bouleversĂ©e par les chiffres des victimes annoncĂ©s dans la presse, croyait Bucarest soulevĂ©e en masse, couverte de barricades dressĂ©es contre les chars lourds⊠Dans la Roumanie de NoĂ«l 1989, qui en finissait avec Ceaucescu, nous nâavons heureusement pas trouvĂ© les blessĂ©s attendus. IngĂ©rence dâĂtat : les secours humanitaires officiels français sâĂ©taient passĂ©s dâautorisation. Nous avions affrĂ©tĂ© deux avions, des Ă©quipes de secours de la sĂ©curitĂ© civile, un SAMU, un matĂ©riel remarquable, prĂȘt au traitement des dizaines de milliers de blessĂ©s prĂ©vus.
PrĂ©cĂ©dĂ©es par quelques mĂ©decins volontaires, les Ă©quipes gouvernementales gagnĂšrent la capitale roumaine. MalgrĂ© nos tentatives, il fut impossible de se poser Ă Bucarest. Nous arrivĂąmes Ă la nuit tombante Ă Varna, Bulgarie, dĂ©bordant les possibilitĂ©s de cet aĂ©roport, dĂ©chargeant les avions nous-mĂȘmes. Nous nous Ă©tions prĂ©parĂ©s au pire : Ă©quipes nombreuses, matĂ©riel nĂ©cessaire pour faire fonctionner en autonomie deux hĂŽpitaux mobiles. Nous avions rĂ©quisitionnĂ© des camions. Au petit matin, nous sommes arrivĂ©s Ă RuzĂ©, Ă la frontiĂšre roumaine. Ă soixante kilomĂštres de Bucarest en rĂ©volte, des Bulgares, qui nâavaient pas franchi la douane, nous saluĂšrent : « Quel courage, disaient-ils. Vous allez lĂ -bas ? » Eux aussi avaient entendu parler de massacres. Ils avaient dĂ©gagĂ© soixante lits dans lâhĂŽpital de la ville. Ils nâavaient reçu quâun seul blessĂ© : un accident de la route. Tout Ă©tait dĂ©jĂ clair.
La frĂ©quentation des guerres, lâhabitude des massacres rendaient suspecte cette absence de victimes au plus proche de structures dĂ©bordĂ©es. Avant dâentrer en Roumanie, les mĂ©decins chevronnĂ©s affirmaient aux journalistes incrĂ©dules que les chiffres annoncĂ©s seraient sans doute heureusement faux. Les journalistes trouvĂšrent les secouristes plus prĂ©tentieux quâhonnĂȘtes. La discussion devint vive entre gens fatiguĂ©s et anxieux. Ils nous brandirent, dans les rues de RuzĂ©, les chiffres publiĂ©s du charnier de Timisoara : 4 632 morts ! Nous fĂźmes remarquer quâun tel comptage exigeait des kilomĂštres de morgue, quâau plus fort des batailles, depuis vingt ans, nous nâavions jamais vu plus de quelques centaines de cadavres ensemble. Le reste, câĂ©tait Auschwitz, oĂč les fours crĂ©matoires palliaient, Ă grand renfort de technique, le manque de place. Nous affirmĂąmes prĂ©maturĂ©ment que cette dĂ©pĂȘche dâune agence hongroise semblait politiquement suspecte. Dans la fiĂšvre et lâexcitation, les journalistes refusĂšrent les arguments des mĂ©decins. Il ne fait pas bon avoir raison trop tĂŽt, on sâattire des haines tenaces. Les mĂ©decins insistaient. Qui donc Ă©tait allĂ© sur place ? Quels comptables sâĂ©taient chargĂ©s de ces macabres additions ? Et pourquoi ces cicatrices de laparotomie sur les victimes, visibles Ă la tĂ©lĂ©vision et que personne nâavait commentĂ©es ? On nâopĂšre pas des fusillĂ©s ! Ces cadavres venaient de la morgue ou dâun hĂŽpital. Le monde entier avait donc contemplĂ© ces cicatrices sans sâinterroger plus loin que nos journalistes de RuzĂ© !
Nous arrivĂąmes Ă Bucarest sous les acclamations de la rue.
Notre ambassade subissait, comme lâopinion internationale, mais de plein fouet, ce matraquage dâintoxication et de dĂ©formation. Les journalistes locaux comme la presse mondiale hurlaient aux fusillades collectives. Comment rĂ©sister Ă la panique ? On se terrait de bonne foi, afin dâĂ©viter les malheurs. Les rues Ă©taient libres, mais il fallait y circuler pour le savoir. Les gardes de sĂ©curitĂ©, prudents comme il convient, construisaient un camp retranchĂ© plutĂŽt que de mettre le nez dehors. Seul lâattachĂ© militaire circulait, qui passa pour un provocateur. BarricadĂ©s, traversant le jardin en courant, certains de nos diplomates croyaient que lâon faisait feu sur eux, alors que les gardes roumains se tiraient les uns sur les autres. RĂ©action habituelle : Fort Chabrol doit sentir la poudre.
Des journalistes, chassĂ©s des hĂŽtels avec leur antenne satellite, furent installĂ©s dans lâambassade Ă leur demande. La panique sâaccentua : le GIGN fut mandĂ©, Ă tout hasard, alors quâil ne se passait rien. Plus tard, en inspectant les endroits dâoĂč partaient ces tirs thĂ©oriques sur lâambassade, on ne dĂ©couvrit quâune couche de poussiĂšre Ă©paisse. ParticuliĂšrement dans le clocher qui surplombait la cour, oĂč personne nâĂ©tait jamais montĂ©. Il nây avait pas une douille.
LâĂ©pouvantail de la Securitate Ă©tait brandi dans le mĂȘme sens. Alors quâon tirait trĂšs peu dans les rues, il devenait nĂ©cessaire de terroriser, dâinventer des souterrains et des tortures. En quelques heures, sur place, on avait compris et apprĂ©ciĂ© ce mĂ©lange de rumeurs, de terreur de la Securitate, de rĂ©alitĂ© dâune armĂ©e maladroite aussi injuste que la milice. Mais on voulait quâelle se soit rangĂ©e aux cĂŽtĂ©s du peuple alors quâelle avait tirĂ© et fait des victimes. On inventa des caches, de faux Libyens et de faux Palestiniens, de prĂ©tendus bunkers. Ă titre humanitaire, on me demanda de ramener dans notre avion une partie du personnel philippin de lâambassade. Des diplomates prĂ©tendaient que les Philippins « couraient de grands risques avec leurs visages basanĂ©s ». Personne nâa jamais vu un mercenaire Ă©tranger. Seul tĂ©moignage, Ă lâhĂŽpital des urgences, le directeur nous avait dit : « Il y a un Libyen lĂ -haut et un Palestinien Ă la morgue. â Comment le savez-vous ? ...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Ouvrages du mĂȘme auteur
- Copyright
- DĂ©dicace
- Introduction
- Le devoir dâingĂ©rence
- Le droit dâassistance
- Le droit dâingĂ©rence
- Annexes
- Table