L' Enfant et le Langage
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L' Enfant et le Langage

  1. 288 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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L' Enfant et le Langage

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À propos de ce livre

Et si adultes et enfants ne parlaient pas le même langage? Et si le langage ne se limitait pas à la parole? Et si les mots avaient des significations différentes selon les âges? Fort de sa longue expérience de pédiatre, Jean-Claude Risse propose ici un parcours à travers les différents sens que petits et moins petits donnent aux mots en fonction du stade de développement qu'ils ont atteint. Le but: mieux comprendre le langage propre aux enfants, dédramatiser les malentendus, mieux communiquer. Pédiatre de formation psychanalytique, Jean-Claude Risse exerce à Sens.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2006
ISBN
9782738189875
Chapitre VIII
La mort, portrait-robot
Apprivoiser la mort, mais comment ?
Le suspect, la mort, sous ses divers aspects, ayant semble-t-il été approchée par de nombreuses personnes, il est du devoir de l’enquêteur que je suis d’en dresser un portrait-robot à partir des témoignages obtenus.
La mort a une couleur
À peine ouverte la porte du bureau, apparaît un robuste monsieur, la quarantaine, accompagné d’un enfant noir, gringalet de 7 ou 8 ans, aussi foncé que l’homme est clair. L’automatisme professionnel, branché sur le pilotage automatique, en conclut aussitôt : « éducateur accompagnant un pupille à problèmes ». Le monsieur dit bonjour puis, jovial, fait les présentations : « mon fils », dit-il en désignant l’enfant. Changement de programme : si tel est le cas, ce fils a laissé bien peu de place à la couleur paternelle ; on aurait attendu une peau plus claire comme signature d’une pâle paternité.
Chacun prend place et les explications donnent un tour plus logique à la situation. Ce garçon a été adopté après cinq longues années de patience, délai moyen imposé aux parents en attente d’enfant, lorsqu’ils tentent de contourner les lenteurs des circuits officiels. L’épouse de Monsieur avait déjà auparavant fait preuve de pugnacité, pour sortir victorieuse du combat l’opposant à une maladie qualifiée de longue et douloureuse, épreuve dont elle émergea après plusieurs années de lutte. Elle s’était alors vue gratifiée du qualificatif de « guérie », octroyé par le corps médical, mais avait perdu tout espoir de conception du fait de son combat pour sa survie. Le couple, de nouveau réuni sous des cieux plus cléments, avait alors envisagé l’adoption d’un enfant et patienté, patience qui fut récompensée par la venue d’un petit garçon d’origine africaine, âgé d’à peine 3 mois. Quelques mois plus tard, la mère adoptive disparut, emportée par ce que les spécialistes qualifièrent de récidive.
Le père changea de domicile, désireux de se rapprocher de sa propre mère, seule personne susceptible de prendre en charge un nourrisson. Terrassé par cette suprême épreuve, il affronta son deuil avec détermination, ce qui lui fait dire, se remémorant cette période, qu’il lui a fallu « chasser le noir ». Heureusement, le temps a fait son travail et atténué les brûlures de l’existence, les grands-parents, tant paternels que maternels, soutinrent de leur mieux ce père veuf qui survécut au naufrage.
Le jeune Edmond, tel est le prénom que je lui propose, n’en préoccupe pas moins son papa, car, si, à 7 ans, il est normalement scolarisé, il ne fait rien ; il se contente de manger, de jouer et ne supporte nulle contrainte. Une psychologue, se voulant rassurante, déclara que ses capacités intellectuelles étaient supérieures à la normale, atténuant par cet oracle le spectre d’une incapacité à suivre une scolarité classique, surtout au vu de ses résultats en mathématiques. De fait, Edmond ne compte pour personne, maîtresse comprise. De plus, il fait son possible pour éviter les femmes, payé qu’il est pour savoir qu’il est illusoire de compter sur elles. Son CE2 calamiteux ne lui interdit pourtant pas de passer dans la classe supérieure, état civil oblige.
Assis à côté de son père, Edmond ne répond à aucune question, il se contente de tourner son regard vers son père, comme il en va des petits qui s’accrochent au regard maternel, faute de s’autoriser à répondre. Il n’en tire pas moins la langue, histoire de confirmer à ceux qui en douteraient que, faute d’en faire usage, il en possède bien une. L’intéressé restant muet, l’unique source d’informations est le père qui, prenant la parole, ôte à son fils toute raison d’exister. L’enfant sort alors un objet de sa poche pour le tendre à son père en gémissant ; ce dernier s’en saisit machinalement et le glisse dans sa poche, sans interrompre notre conversation.
J’apprends qu’Edmond n’est guère intéressé par l’école, mais qu’il ne l’est pas non plus par son pays d’origine qu’il refuse d’aller voir car, dit-il, il n’aime pas les avions – serait-il aussi payé pour avoir découvert qu’il ne doit pas compter sur ailes ? Ses origines ne lui ont jamais été cachées, il sait avoir été adopté et connaît son pays natal.
« C’est quoi un abandon, Edmond ?
— Je ne sais pas… Pas assez d’argent pour manger. »
L’idée de le voir dessiner étant exclue, je propose un bloc de pâte à modeler qui, le hasard aidant, a la forme d’un bonhomme. Edmond s’en empare, coupe la tête du personnage pour la coller dans le dos de la victime avant d’aller se blottir sur les genoux de son père.
Faute de dialogue, je développe le thème de l’abandon et précise que dans le mot « abandon », on trouve « don ». Certaines mères, sachant n’être pas en mesure d’assurer la survie de leur enfant, dis-je, préfèrent en faire don à des personnes qui lui permettent de grandir et de devenir un homme. N’est-ce pas plus généreux que de refuser la vie à l’enfant ? La mère préfère penser à son enfant : « Je me sacrifie pour qu’il soit heureux », plutôt que de ne songer qu’à elle : « Je n’en veux pas, je le fais disparaître et je lui interdis de naître. »
Edmond prend alors la tête du bonhomme, précédemment collée sur le dos, et la pose à l’extrémité du bras du personnage.
« Pourquoi n’es-tu pas blanc, Edmond ? »
Cette question idiote, qui ne méritait pas de réponse, n’en reçoit pas.
« C’est quoi la couleur de la colère ?
— Rouge.
— C’est quoi la couleur de la mer ?
— Bleue.
— C’est quoi la couleur de la mort ? »
L’enfant se tourne vers son père, le prend par le cou, avant d’attraper le bonhomme en pâte à modeler, de l’aplatir et pratiquer en son centre un trou rapide. Il comble ensuite la béance pratiquée par une sorte de grille en pâte à modeler.
Quelques jours plus tard Edmond revient, toujours aussi peu causant, et demande à son père de lui acheter de la pâte à modeler. Une telle invitation ne pouvant passer inaperçue, je lui propose l’objet de sa convoitise. Profitant de l’occupation de ses mains, je révèle à l’enfant que, lors de sa précédente visite, en le voyant, il m’a semblé côtoyer la mort mais que, très vite, j’ai compris qu’il ne faisait que « comme si » il était la mort. En fait il n’est qu’une représentation de cette mort, je sais qu’il n’est pas la mort elle-même. J’ai bien noté la coïncidence entre sa venue en France et la mort de sa maman d’adoption, mais elle était déjà très malade avant. Pour ce qui est de sa mère de naissance, elle a disparu pour lui, mais je suis sûr qu’elle est toujours vivante, ne serait-ce que dans le cœur de son fils, quel que puisse être son éloignement.
Je confectionne alors une famille en pâte à modeler : un papa, une maman et un garçon. L’enfant, lui, fabrique une énorme tortue, puis se saisissant du personnage qualifié de père, l’écrase sous la tortue. Ensuite, il allonge le personnage qualifié de mère et lui place une boule au niveau du ventre en la qualifiant de « ballon Kinder » – référence, pour qui l’ignorerait, aux œufs en chocolat dont l’intérieur contient un objet surprise. Voilà qui n’est pas sans rappeler le trou pratiqué la fois précédente dans le ventre du personnage féminin. Après quoi, la femme est coupée en deux morceaux, successivement poussés hors de la table. Quant au bonhomme, écrasé ou enlacé avec la tortue, une fois détaché, il titube, tombe et passe sous le rouleau compresseur.
Je reconstitue un personnage au ventre vide et demande s’il reconnaît celui de la dernière fois. L’enfant répond par l’affirmative, précisant que sa couleur était différente.
« Tu crois que ton papa a perdu la tête lorsqu’il a perdu sa femme ? »
Edmond regarde son père et ne répond pas. Le père dit que la chose peut se résumer ainsi, car il n’a guère eu le temps de s’y préparer.
« Toi, tu avais oublié de retirer les “croque-monsieur”, précise alors Edmond à l’attention de son père, faisant allusion à un repas pris à la maison. »
Le père reconnaît, mais se souvient les avoir quand même trouvés « bons, bien qu’un peu bronzés » avant de conclure : « C’étaient des croque-monsieur africains. »
Depuis peu, Edmond irait mieux. Aux dires de son père, il travaille, commence à parler et obtient des compliments de ses enseignants.
La mort peut être numérotée
Turbulent et agressif depuis toujours, Louis ne discute pas, il agit. Tout en muscles, ses actes parlent pour lui et, s’il prononce souvent le mot « tombe », ce n’est qu’après avoir poussé son nounours par terre. Louis est un petit enfant qui aime tomber et faire tomber. Pour le reste, il s’assure de la présence de ses parents en se faisant exclure – ici, de la halte-garderie pour cause de griffure, là de chez sa nounou pour agitation dangereuse. Ce faisant, il met en péril sa propre personne ainsi que celle des enfants qu’il côtoie. De retour au foyer, conforté dans ses efforts pour n’être pas oublié, il égaie des éclairs de son orageuse présence le gris brouillard de la dépression maternelle. Au moins parvient-il ainsi à s’assurer que sa mère est toujours vivante ; mieux, lorsqu’il met le paquet, elle bouge encore.
Il a 5 ans, Louis. Fils unique, il revendique haut et fort le statut de petit lorsque, en quête de biberon, il se déclare bébé, mais n’hésite pas à refuser toute aide, déclarant à qui ferait mine de l’ignorer qu’il est grand.
Sa mère a longtemps hésité avant de concevoir celui qui, pour elle, serait une « perpétuelle menace ». Sans doute avait-elle vu juste, car il lui a fallu subir les affres d’une grossesse agitée, ponctuée de vomissements, nausées et crises de nerfs. Pour parler franc, cette femme ne voulait pas de celui qu’elle qualifie encore d’« accident », titre qu’elle a payé au prix fort car, si la grossesse a manqué de sérénité, il en fut de même des mois qui suivirent la naissance. Les nuisances qui ont succédé à l’accouchement ne se comptent plus : régime alimentaire draconien ; mal de dos qui l’a conduite chez un ostéopathe, personne réputée prendre en charge quiconque en a plein le dos ; etc. Très vite, cette mère a sombré dans une dépression que même sa reprise de travail n’a pu atténuer : maman est mal dans sa tête et craint de rester seule avec son fils.
Un jour, à l’hôpital, elle a croisé quelqu’un qui lui a dit qu’en évoquant le fait de tomber, par ses gestes ou ses mots, Louis se référait peut-être au fait que sa mère était elle-même « tombée » psychologiquement. La maman, réconfortée par le miel de ces mots, fut invitée à user d’interdits face à ce fils turbulent, conseils qu’elle mit à profit pour reprocher à son mari de ne savoir dire non.
On ne fera croire à personne qu’il est possible de tomber, fût-ce psychologiquement, sans avoir au préalable croisé une quelconque peau de banane. Dans le cas présent, l’incident semble avoir été la rencontre avec une mort. À l’âge de 25 ans, cette mère que nous appellerons « A » a perdu sa jeune sœur « B », suite à un accident de la voie publique, laquelle, non contente d’abandonner son aînée, laissa orpheline sa propre fille « c », âgée de 9 mois. Accablée par le deuil de sa sœur et le lent naufrage de ses parents pleurant la disparition de leur petite dernière, celle qui devint la mère de Louis quitta le domicile de ses parents où elle vivait encore, mais n’oublia pas d’emporter avec elle le souvenir de sa défunte sœur, puisqu’elle continue, m’apprend-elle, à acheter ses vêtements en double.
Réfugiée chez un compagnon et ne pouvant supporter l’idée d’enfanter, elle eut recours à une interruption de grossesse et supprima son premier enfant « a », traitement qu’elle épargna quelques mois plus tard à Louis, « b », qui a eu ainsi la vie sauve. En tant qu’aînée, il aurait été de son devoir d’aînée « A » de mourir à la place de sa sœur « B », manquement qu’elle épargna à sa descendance en supprimant, de son fait, son premier enfant « a », pour que vive le second « b ». Dans la réalité, ce second s’appelle Louis, mais, symboliquement, il est question de « B », la petite sœur de la mère. Quitte à disparaître, c’est à l’aîné des enfants de se dévouer. La mort, considérée comme un retour à l’éternité, autorise l’imaginaire à effacer les différences de génération.
La présence de Louis, bien que cadet, n’en rappelle pas moins à sa mère que la venue d’un enfant comporte des conséquences potentiellement mortelles, puisque « B », la petite sœur défunte, a disparu lorsque son bébé « c » avait 9 mois. Les neuf mois de grossesse ajoutés aux neuf premiers mois d’un enfant passent, aux yeux de cette maman, pour être le temps imparti à une mère pour s’occuper de son enfant, comme il en fut pour sa défunte sœur, morte lorsque son bébé avait 9 mois. Ces di...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Avant-propos
  6. Chapitre I - D’un langage à l’autre
  7. Chapitre II - Le langage parlé est un code
  8. Chapitre III - Le langage, médiateur dans la relation entre toi et moi
  9. Chapitre IV - L’autre, ou la nécessité de compter jusqu’à trois
  10. Chapitre V - L’impossible rencontre lorsqu’on ne fait qu’un
  11. Chapitre VI - L’âge de raison, ou la sortie de la petite enfance
  12. Chapitre VII - La peur de mourir
  13. Chapitre VIII - La mort, portrait-robot
  14. Chapitre IX - Qui dit « mourir » dit « naître »
  15. Chapitre X - Grandir, ou la gestion du temps
  16. Chapitre XI - De la gestion des images
  17. Chapitre XII - Éros et Thanatos
  18. Épilogue
  19. Notes