Comment la moelle osseuse est-elle faite ? Moelle rouge et moelle jaune La moelle osseuse est un organe trĂšs volumineux dont la masse est supĂ©rieure Ă celle du foie. Comme lâavait notĂ© Galien, elle nâest pas uniformĂ©ment rĂ©partie dans le squelette. Il y a des zones oĂč les cellules qui forment la graisse sont les plus nombreuses â câest la moelle jaune ou moelle graisseuse â et dâautres oĂč il y a peu de graisse mais beaucoup de sang â câest la moelle rouge ou moelle active, qui produit les cellules sanguines. La moelle active est surtout prĂ©sente aux extrĂ©mitĂ©s des os longs (os des membres), dans les os plats (crĂąne, omoplates, sternum, bassin) et dans les vertĂšbres. La moelle graisseuse est surtout concentrĂ©e dans la partie centrale des os longs. Il existe un Ă©quilibre entre la moelle active et la moelle graisseuse. En cas de besoin, la moelle active sâexpand aux dĂ©pens de la moelle graisseuse pour obtenir une augmentation de la production des cellules sanguines. Au cours du vieillissement, la moelle graisseuse sâaccroĂźt aux dĂ©pens de la moelle active et lâaugmentation du nombre des adipocytes* ralentit la production.
Les niches dans les os Dans les cavitĂ©s osseuses, la moelle est organisĂ©e en niches (Figure 1 ) dĂ©limitĂ©es par une trame solide, ou stroma, faite de cellules et de matĂ©riaux de soutien en contact interactif avec les cellules osseuses et avec les cellules hĂ©matopoĂŻĂ©tiques* (ici ). Un rĂ©seau vasculaire fait dâartĂ©rioles qui amĂšnent lâoxygĂšne et les matĂ©riaux nĂ©cessaires et de veinules, ou sinus, par oĂč les cellules sanguines produites quittent la moelle entoure chacune de ces niches. Un rĂ©seau trĂšs dense de fibres nerveuses se dĂ©ploie autour de ce rĂ©seau vasculaire.
Figure 1. Une niche hématopoïétique
Elle est limitĂ©e par les travĂ©es osseuses contre lesquelles les ostĂ©oblastes (cellules construisant les os) sont accolĂ©s. LâintĂ©rieur de la niche est une trame qui supporte les cellules, les vaisseaux et tous les ingrĂ©dients nĂ©cessaires Ă la production des cellules sanguines Ă partir des cellules souches hĂ©matopoĂŻĂ©tiques (CSH). La trame est constituĂ©e dâune matrice extracellulaire et de cellules stromales. Les cellules endothĂ©liales forment la paroi des vaisseaux. CMLM : cellules multipotentes lympho-myĂ©loĂŻdes.
Les cellules hĂ©matopoĂŻĂ©tiques sont regroupĂ©es selon le type de cellules quâelles vont produire dans des territoires dĂ©limitĂ©s oĂč sont prĂ©sents tous les ingrĂ©dients nĂ©cessaires. Par exemple, les cellules qui vont donner naissance aux globules rouges entourent des cellules riches en fer. Ce fer est nĂ©cessaire Ă la production de lâhĂ©moglobine, qui est le principal composant des globules rouges pour assurer le transport de lâoxygĂšne. Il provient en grande partie des globules rouges ĂągĂ©s qui sont dĂ©truits en fin de vie dans la moelle osseuse et dont ces macrophages rĂ©cupĂšrent le fer.
Les cellules qui vont donner naissance aux polynucléaires sont proches des petites artÚres et les cellules donnant naissance aux plaquettes sont accolées aux sinus veineux.
Le fonctionnement de la moelle osseuse ou comment passer de 1 Ă 10 Câest effectivement la particularitĂ© de cet organe dâavoir Ă produire dix types de cellules diffĂ©rentes par leur morphologie et leurs fonctions. Aucun autre organe de notre corps nâa un tel objectif ! De plus ces cellules sont Ă produire en nombre diffĂ©rent selon leur fonction.
La production doit ĂȘtre permanente et pouvoir sâajuster aux besoins habituels ou exceptionnels.
Ce cahier des charges, pour prendre une expression managĂ©riale, est ce qui constitue lâhĂ©matopoĂŻĂšse (du grec : haimatĂŽpoiein , haimato = sang ; poiein = faire), câest-Ă -dire lâensemble du processus qui aboutit Ă la formation des cellules sanguines.
Des dĂ©couvertes incessantes depuis environ soixante ans nous permettent maintenant dâavoir une vision globale de ce fonctionnement, de ses composants et de ses mĂ©canismes de contrĂŽle, au point de pouvoir rĂ©aliser des greffes et mĂȘme dâenvisager Ă lâavenir de produire les cellules sanguines en dehors de la moelle.
Comment donc passer de 1 à 10 ? Y a-t-il une cellule initiale commune ou au contraire des cellules différentes dÚs le départ ?
Question longtemps posĂ©e car il est plus logique comme pour les autres organes de reproduire simplement ce qui existe dĂ©jĂ : une cellule de la paroi intestinale remplace Ă lâidentique une autre cellule de la paroi intestinale comme une cellule de la paroi dâune veine remplace la cellule abĂźmĂ©e par une coupure !
La rĂ©ponse fut apportĂ©e en 1961 quand deux auteurs canadiens, James Till et Ernest McCulloch, observĂšrent chez des souris, venant de recevoir une greffe de moelle dâune autre souris des boursouflures Ă la surface de la rate de ces animaux au dixiĂšme jour post-greffe. Il sâagissait dâamas de cellules de lignĂ©es sanguines diffĂ©rentes dont on put rapidement dĂ©montrer quâelles avaient une origine cellulaire commune. De fait, chacun de ces amas pouvait Ă lui seul reproduire une moelle complĂšte chez une souris oĂč il avait Ă©tĂ© greffĂ©.
Lâisolement de ces cellules chez la souris apporta la dĂ©monstration quâil y avait bien une cellule initiale commune Ă partir de laquelle toutes les lignĂ©es se dĂ©veloppaient : cette cellule Ă©tait en effet capable Ă elle seule de faire se dĂ©velopper une nouvelle moelle complĂšte lorsquâelle Ă©tait greffĂ©e.
Quâen Ă©tait-il chez lâhomme ?
Bien sĂ»r, on ne pouvait faire directement ces observations, mais des travaux trĂšs patients aboutirent Ă la mĂȘme constatation, Ă savoir lâexistence de cellules souches1 . Ces cellules souches sont le 1 de notre accroche.
Avant de poursuivre, il faut souligner le rĂŽle exceptionnel que la souris va avoir dans la dĂ©couverte de lâhĂ©matopoĂŻĂšse.
Les connaissances que nous avons sur cette production ont Ă©tĂ© obtenues en effet dâabord chez la souris puis chez lâhomme au fur et Ă mesure des progrĂšs techniques dans lâisolement des cellules, leur caractĂ©risation et leurs propriĂ©tĂ©s. Les Ă©tudes vont ĂȘtre menĂ©es en parallĂšle !
La souris est un petit mammifĂšre de reproduction rapide dont la moelle fonctionne dâune maniĂšre trĂšs proche de la moelle humaine. Une lignĂ©e spĂ©ciale de souris permet mĂȘme de recevoir des cellules dâorigine humaine qui peuvent sây dĂ©velopper. Ce rapprochement a Ă©tĂ© un Ă©lĂ©ment dĂ©cisif dans la comprĂ©hension du fonctionnement de la moelle osseuse de lâhomme, de ses anomalies et de ses maladies. Notre fabuliste La Fontaine avait donc bien raison de dire que lâon a souvent besoin dâun plus petit que soi ! (fable « Le Lion et le Rat »).
Revenons alors Ă la question centrale quand on sâintĂ©resse Ă la moelle osseuse : comment passer de 1 Ă 10 ?
La production par Ă©tapes Le point de dĂ©part de cette « aventure » dans les mĂ©andres de la moelle osseuse a Ă©tĂ© la possibilitĂ© de maintenir en culture des cellules de la moelle dans des boĂźtes stĂ©riles contenant un milieu nutritif, comme lâavait suggĂ©rĂ© Neumann. Deux Ă©quipes ont ouvert cette voie pratiquement au mĂȘme moment : celle de Dov Pluznik et Leo Sachs en IsraĂ«l et celle de Ray Bradley et Donald Metcalf en Australie en 1966. Ce furent dâabord des cellules de moelle de souris puis des cellules humaines qui furent mises en culture. Il devint alors possible dâobserver dans le temps le dĂ©veloppement de ces cellules et de comprendre comment on aboutissait Ă une production aussi diversifiĂ©e.
En culture, les cellules se divisent et forment des amas ou « colonies* » dont lâaspect variera selon le temps Ă©coulĂ© depuis le dĂ©but de la culture. Plus ce temps est long, plus la colonie sera volumineuse, comportant jusquâĂ plusieurs centaines de cellules, ce qui signifie que la cellule fondatrice devait ĂȘtre trĂšs peu dĂ©veloppĂ©e. Ă lâinverse, une cellule qui forme rapidement un amas, en gĂ©nĂ©ral de petite taille, est une cellule dĂ©jĂ trĂšs avancĂ©e dans la voie de son dĂ©veloppement.
On a pu ainsi dĂ©couvrir quâil y avait des Ă©tapes reconnaissables dans la formation des cellules sanguines.
De mĂȘme, en faisant varier la composition des milieux nutritifs, on a pu isoler des substances qui agissaient sur le dĂ©veloppement des colonies. Câest ainsi que les facteurs de croissance ont Ă©tĂ© dĂ©couverts. Leur isolement biochimique ultĂ©rieur a abouti Ă des molĂ©cules utilisĂ©es maintenant en thĂ©rapeutique chez lâhomme.
Ces études ont été menées de pair avec des greffes chez la souris des différentes catégories de cellules émanant des colonies pour confirmer la véracité des hypothÚses fondées sur les constatations in vitro .
Toutes ces mĂ©thodes ont Ă©tĂ© appliquĂ©es sur des cellules animales puis sur des cellules humaines avec dans lâensemble une bonne correspondance des rĂ©sultats.
On a pu ainsi distinguer trois ensembles de cellules : celui des cellules « souches », celui des cellules multipotentes* qui sont capables de donner naissance Ă plusieurs lignĂ©es et celui des cellules trĂšs spĂ©cialisĂ©es qui leur font suite en deux Ă©tapes : celle des progĂ©niteurs puis celle des prĂ©curseurs, qui amĂšnent directement aux cellules sanguines. Parmi toutes ces cellules, seuls les prĂ©curseurs ont un aspect reconnaissable diffĂ©rent selon les lignĂ©es que lâon peut reconnaĂźtre au microscope. Toutes le...