Sortir de l'ère victimaire
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Sortir de l'ère victimaire

Pour une nouvelle approche de la Shoah et des crimes de masse

  1. 224 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Sortir de l'ère victimaire

Pour une nouvelle approche de la Shoah et des crimes de masse

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À propos de ce livre

« Il y a vingt ans, fraîchement nommé dans mon collège de Saint-Denis, je me lançai avec passion dans l'enseignement de l'histoire de la Shoah. Devant mes élèves, j'évoquais avec gravité le drame absolu des victimes. J'organisais des rencontres avec des survivants et insistais sur l'horreur que furent les ghettos et Auschwitz. Mais une partie d'entre eux ne supportaient pas mon discours. Ils en avaient assez de la souffrance des juifs, me disaient-ils, car "d'autres peuples ont souffert et on n'en parle jamais!". Ce qui avait fonctionné pour ma génération ne fonctionnait plus. Convaincu qu'il fallait sortir de l'approche victimaire, je décidai de renverser le prisme et d'entrer dans cette histoire par les bourreaux, par ceux qui sont les moteurs de ces processus politiques. Il me fallait montrer en quoi l'histoire de la Shoah devait dépasser l'aspect antiraciste moralisant pour avoir une véritable utilité. » I. R. Nourri de documents exceptionnels sur la Shoah, ce livre s'adresse à tous ceux qui pensent que son enseignement peut éclairer et fortifier les citoyens que nous sommes. Iannis Roder est professeur d'histoire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis. Il est responsable des formations au Mémorial de la Shoah, directeur de l'Observatoire de l'éducation à la fondation Jean-Jaurès.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2020
ISBN
9782738150769

TROISIÈME PARTIE

Interroger les pratiques et les certitudes



CHAPITRE 13

Le temps long


Il a été maintes fois répété que les juifs étaient absents des programmes scolaires, sauf quand ils sont victimes. Il serait donc pertinent que les programmes permettent d’apprendre qu’ils existaient avant l’affaire Dreyfus et la Shoah, que des communautés très diverses vivaient en Europe et ailleurs afin d’éviter que les juifs soient essentialisés comme victimes. Autrement dit, il s’agit d’inscrire l’histoire de la Shoah dans le temps long.

Faire l’histoire de l’antisémitisme

À la question, « Mais Monsieur, pourquoi les juifs ? », le professeur ne peut se dérober. Il doit apporter une réponse historique et ne pas se contenter de celle, paresseuse, du « bouc émissaire ». Un élève pourrait légitimement demander : « Pourquoi ce bouc émissaire-là ? » De plus, se limiter à l’hypothèse du « bouc émissaire » peut laisser sous-entendre que la mise à l’index dans une société, phénomène banal, mène systématiquement au pire, ce qui n’est pas le cas.
D’autre part, ne pas répondre à la question équivaut à laisser la porte ouverte à toutes les interprétations et à tous les fantasmes. Apporter une réponse historique, c’est nécessairement faire l’histoire longue de l’antisémitisme et donc de la responsabilité du christianisme et de l’Europe. C’est montrer à nos élèves la sédimentation de la haine antijuive à travers les âges dont la Shoah, nous le savons aujourd’hui, ne fut pas l’aboutissement, mais bien un épisode paroxystique.
Il est absolument nécessaire de travailler, avec les élèves, sur le temps long de l’histoire et de la construction négative de l’image des juifs. Les préjugés les plus éculés et les plus primaires sont souvent repris sur les réseaux sociaux et circulent sans que ceux qui les tiennent n’en connaissent l’historicité et l’origine. Nos élèves doivent connaître les mécanismes de la haine antijuive et ses différentes manifestations. Ils doivent pouvoir identifier et reconnaître les ressorts et les expressions de cette haine.
Il faudrait ainsi enseigner l’histoire de l’antisémitisme tout comme l’histoire des faits religieux. Nombre de gens ne savent pas que Jésus était juif, que le terme grec christos signifie « messie », celui que les juifs attendent. Combien savent que le christianisme s’est vécu comme le « Nouvel Israël » mais aussi que les Pères de l’Église comme saint Augustin ou saint Jean Chrysostome ont, très tôt, œuvré à la construction d’une image négative des juifs ?
Les élèves devraient également réfléchir, avec leurs professeurs, aux constructions des mythes antisémites au Moyen Âge, mythes toujours vivaces aujourd’hui et qui sont régulièrement repris en étant modernisés et actualisés. Il en va ainsi du crime rituel. La première occurrence du crime rituel apparaît en Angleterre en 1144 et se répand ensuite dans tout l’espace chrétien. Le schéma est toujours le même : un enfant disparaît avant d’être retrouvé mort ; les juifs sont alors accusés car ils auraient besoin du sang chrétien, notamment pour faire le pain de la Pâque juive. Dans les cent cinquante cas recensés à travers l’histoire1 les juifs sont en général tués par la foule ou à la suite d’un procès après avoir été torturés. L’accusation circulait toujours au XXe siècle, que l’on songe à la terrible affaire Beilis dans la Russie tsariste en 19112 ou à la dernière accusation de crime rituel connue, à Kielce en Pologne en 1946, quand quarante-deux survivants de la Shoah sont assassinés dans d’atroces conditions par la population locale, après les mensonges d’un enfant qui disait avoir été kidnappé par un juif. Le monde musulman fut également touché par ces accusations mais beaucoup plus tardivement. C’est en 1910, à Chiraz, en Iran, qu’eut lieu la première accusation de crime rituel dont la victime supposée aurait été une jeune fille musulmane.

La Shoah n’est pas la fin de l’histoire de l’antisémitisme

Aujourd’hui, la propagande anti-israélienne reprend l’idée que les juifs, en l’occurrence les Israéliens, seraient d’une cruauté particulière à l’encontre des enfants. Face aux assassinats d’enfants juifs perpétrés à Toulouse par Mohammed Merah, ce sont les enfants palestiniens qui ont été mis en miroir par certains élèves : « On ne fait rien pour les enfants palestiniens », s’indignaient-ils.
Au-delà des confusions et de la concurrence victimaire qu’exprime cette phrase, elle souligne l’idée que les enfants seraient une cible particulière visée par l’armée d’Israël, reprenant donc la vieille antienne actualisée. La propagande anti-israélienne ne cesse, de fait, de réactiver le mythe des enfants cibles privilégiées, à l’image de cet article d’un journal algérien qui titrait, le 3 août 2017, qu’« Israël empoisonne les enfants palestiniens avec du chocolat3 » ou comme cette affichette du BDS France qui annonce qu’« Israël torture les enfants palestiniens ».
Les affiches ou images, voire les photomontages sont nombreux à utiliser ce ressort de l’enfance ciblée et de l’avidité israélienne (donc juive) pour le sang4. Mettre en avant les enfants a évidemment pour but d’émouvoir, mais faire des enfants des cibles réactive aussi un vieux mythe antisémite.
Il en est de même avec l’idée de complot. C’est pourquoi les élèves, quand ils travaillent sur les théories conspirationnistes, doivent pouvoir prendre connaissance, en classe, de l’histoire des Protocoles des Sages de Sion. Ils seront ensuite tout à fait capables de comprendre les unes de journaux des années 1930 qui font du Front populaire « un instrument aux mains des juifs », et d’en identifier la dimension paranoïaque et complotiste. Ils seront également à même de faire le lien avec le présent, et notamment avec les débordements antisémites actuels. Utiliser ce que nous offre l’actualité présente un triple intérêt : cela permet d’aider nos élèves à la décrypter, de leur montrer la permanence des schémas antisémites à travers l’histoire et leur réactivation dans les moments de crise et, enfin, de souligner que les connaissances historiques nous aident à lire le monde d’aujourd’hui.
La crise des Gilets jaunes s’est accompagnée de son lot de dérives antisémites : en témoignent des photographies prises aux abords de certains ronds-points. Quand le président de la République Emmanuel Macron, sur une banderole accrochée à un pont autoroutier de Bourgogne en décembre 2018, est traité de « pute à juifs » ou quand, à Pontcharra-sur-Turdine, à une sortie d’autoroute, il est associé à des hommes d’affaires et à la « banque juive » dans un slogan simple et efficace : « Macron = Drahi = Attali = banques = médias = Sion » (les « A » étant écrits à partir de triangles, renvoyant ainsi à la Franc-maçonnerie, et le « S » de Sion en forme stylisée utilisée par les « S » de « SS », nazifiant ainsi Israël et le sionisme), les vieux poncifs antisémites, parmi lesquels le complotisme, se trouvent là aussi réactivés.
Étudier ces images et ces slogans, en les mettant en parallèle avec des affiches ou de la propagande datant des années 1930 par exemple, permet non seulement d’identifier les invariants antisémites, mais aussi d’en comprendre l’inanité et la malhonnêteté. L’histoire nous offre en effet la possibilité de travailler sur le temps long qui permet de disqualifier les discours antisémites car leurs prévisions ne se sont jamais réalisées… Léon Blum voulait détruire la France ? Ce ne fut pas le cas. Hitler pensait qu’une victoire des Alliés, c’est-à-dire des « juifs », aboutirait à la disparition de l’Allemagne et des Allemands ? Il n’en fut rien.
Il faut néanmoins avoir conscience que ce type de stratégie ne peut fonctionner que sur des esprits épris d’objectivité et non pollués par une idéologie de la haine. Mais s’il existe des antisémites obsessionnels, dans les classes, ils sont loin d’être majoritaires et la plupart de ceux qui tiennent des propos antisémites ne sont pas dans l’idéologie. Le dialogue peut et doit alors se faire. Confronter leurs propos aux discours tenus dans l’histoire leur permet de constater qu’ils se font le relais, souvent par ignorance, de vieilles idées qui sont autant de visions du monde haineuses ou paranoïaques. Ils ne peuvent le saisir que parce qu’ils ont travaillé et réfléchi avec leurs professeurs.

CHAPITRE 14

Comparer n’est pas banaliser


Les États « totalitaires » :
comparaison n’est pas raison

L’historiographie récente a montré la centralité de l’antisémitisme dans la mise en place des politiques nazies1. Toutefois, celle-ci ne semble pas encore bien assimilée par les différents acteurs de l’enseignement, par exemple les éditeurs et auteurs de manuels scolaires. On le voit aussi avec les programmes scolaires, notamment dans l’approche proposée des États dits « totalitaires ». En effet, il est intellectuellement facile et, disons-le, reposant, d’étudier parallèlement stalinisme et nazisme en insistant sur les points communs (organisations politiques et policières, violence politique, structures coercitives ou d’encadrement, construction d’un homme nouveau, etc.), mais aussi les différences (une volonté universaliste pour le communisme, un racisme pour le nazisme).
Penser en ces termes, c’est évidemment prendre le risque de construire un tableau comparatiste délié de toute historicisation, c’est-à-dire de toute approche problématisée. La question que tout enseignant devrait se poser quand il aborde l’un ou l’autre de ces phénomènes historiques (on pourrait y ajouter le fascisme italien étudié au lycée mais plus au collège) est celle de la finalité de chacun de ces régimes : quels sont les objectifs politiques de Staline, de Hitler et de Mussolini ? Cette question oblige à se pencher sur le projet idéologique de chaque système car c’est bien ce projet initial qui guide les politiques mises en œuvre. Si ce questionnement initial est fait, la comparaison s’arrête alors à la violence coercitive, et notamment aux structures de « rééducation » (goulag soviétique et camps de concentration nazis), les objectifs de cette violence ne répondant pas aux mêmes exigences ni, évidemment, aux mêmes projets.

La violence contre la société comme condition de survie du régime :
le stalinisme

La période de répression violente contre les résistances à la collectivisation des terres a fait entre cinq et six millions de victimes, particulièrement en Ukraine. Le but de Staline était de faire accepter de force cette mainmise de l’État sur les moyens de production agricoles. Les paysans, petits propriétaires appelés koulaks, en furent les premières victimes. Mais, très vite, la signification du terme koulak fut élargie pour désigner tout paysan qui s’opposait à la politique du régime. Cet élargissement du spectre de la violence est caractéristique de l’État stalinien. Utilisée au départ pour lutter contre un danger réel pour le système (le refus de la collectivisation), la violence devint rapidement le moyen de légitimer le régime. Dès le début des années 1930, la répression s’abattit sur des ennemis imaginaires. L’État communiste stalinien était ainsi devenu le défenseur du peuple face aux agressions fictives que subissait l’URSS, la patrie des travailleurs.
Cette violence devint nécessaire au maintien en vie du système. Cette conception d’une violence circulaire qui touchait les différents cercles, proches ou éloignés du pouvoir ne pouvait donc que se perpétuer, voire s’emballer, passant d’une cible à l’autre, inventant à chaque fois des mobiles et permettant au final au régime, la terreur régnant, de se maintenir. Chacun, dès lors, pouvait trembler pour sa vie.
L’arbitraire de cette violence ne relevait donc pas de logiques identiques à la violence orchestrée par le régime national-socialiste allemand. Rien d’arbitraire dans les actes nazis, mais une défense de la Volksgemeinschaft et des intérêts de l’Allemagne. Être allemand, au sens nazi du terme, c’est-à-dire « de sang allemand », et adopter une conduite quotidienne sans histoire protégeait nécessairement de toute violence physique. Dans l’URSS communiste, tous étaient des cibles potentielles de la violence d’État. Proche de Staline un jour, on pouvait être éliminé le lendemain après avoir été accusé d’avoir fomenté un complot, en réalité imaginaire, contre Staline, l’URSS et le communisme. C’est toujours au nom du peuple et de la sauvegarde du communisme que le régime soviétique éliminait ceux qui étaient devenus gênants et dont la disparition servait à asseoir l’autorité et la nécessité de l’État communiste. Les victimes des violences nazies l’étaient pour des raisons objectives (opposants politiques, syndicalistes, résistants de tous ordres, etc.). Les victimes de la répression stalinienne l’étaient pour des raisons inventées de toutes pièces.
Le goulag, s’il se rapproche clairement du Konzentrationslager (le camp de concentration), est à distinguer,...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. Première partie - Mésusages et dérives de l'histoire de la Shoah
  6. Deuxième partie - Pour une histoire politique
  7. Troisième partie - Interroger les pratiques et les certitudes
  8. Table
  9. Conclusion
  10. Références
  11. Du même auteur chez Odile Jacob