La Disposition perverse
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La Disposition perverse

  1. 288 pages
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La Disposition perverse

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À propos de ce livre

En affirmant l'existence d'une sexualitĂ© infantile, la psychanalyse a profondĂ©ment changĂ© le regard que nous pouvons porter sur l'enfant. Son dĂ©veloppement, la conquĂȘte de l'autonomie de son corps et l'affranchissement d'une dĂ©pendance vitale aux autres s'accompagnent d'attitudes et de conduites qui, aux yeux des adultes, peuvent paraĂźtre perverses. Pour Freud, la disposition perverse polymorphe semble ainsi diffĂ©rencier l'enfant de l'adulte. Mais il affirme aussi que c'est un "trait universellement humain". DĂšs lors, comment penser cet universel qui serait au cƓur de la sexualitĂ© humaine?Des psychanalystes, cliniciens spĂ©cialistes des enfants com- me des adultes, des hommes de science, des mĂ©decins, des anthropologues, des historiens apportent ici le tĂ©moignage de leurs pratiques et de leurs recherches pour faire le point sur cette question centrale, au-delĂ  mĂȘme de la psychanalyse. Alexandre Adler, Patrick Avrane, Marcianne BlĂ©vis, IrĂšne Diamantis, Muriel DjĂ©ribi-Valentin, RenĂ© Frydman, Liliane Gherchanoc, Suzanne Ginestet-Delbreil, Gilbert Grandguillaume, Dominique Guyomard, Patrick Guyomard, François LĂ©vy, MichĂšle Montrelay.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1999
ISBN
9782738165602

La perversité polymorphe en histoire


par Alexandre Adler

Mesdames, Messieurs,
Vous connaissez certainement le phĂ©nomĂšne de sidĂ©ration, d’incertitudes, de perplexitĂ©s, dans lequel nous nous trouvons tous en cette fin de XXe siĂšcle. C’est peut-ĂȘtre un bon signe, car le XIXe siĂšcle finissant bruissait de certitudes – certitudes opposĂ©es – qui n’allaient pas tarder Ă  se manifester dans la rĂ©alitĂ© d’une maniĂšre extraordinairement forte. Le scientisme Ă©tait encore Ă  cette Ă©poque partagĂ© par une grande part des Ă©lites, pas nĂ©cessairement les Ă©lites dĂ©mocratiques et libĂ©rales qui l’avaient portĂ© au dĂ©part, mais par ce positivisme d’un ordre tout Ă  fait particulier qu’était, en France, la doctrine maurrassienne, ou encore les doctrines biologiques – darwinisme social par exemple – en Allemagne, aux États-Unis et en Angleterre, pour justifier la domination coloniale. D’un autre cĂŽtĂ©, les certitudes fortes du nietzschĂ©isme passĂ© petit Ă  petit de la poĂ©sie Ă  la prose commençaient Ă  goĂ»ter les doctrines de la volontĂ©, les doctrines de l’organisation, qui allaient elles-mĂȘmes bien vite quitter le cadre relativement bĂ©nin dans lequel la sociologie de Max Weber, par exemple, voulait les enfermer. Bref, nous Ă©tions, Ă  la fin du XIXe siĂšcle, dans un moment de trĂšs grande certitude. Peut-ĂȘtre faut-il se fĂ©liciter que le XXe siĂšcle, qui se termine par une accumulation sans prĂ©cĂ©dent de richesses mais aussi par une accumulation sans prĂ©cĂ©dent de destructions, s’achĂšve sur un point d’interrogation, peut-ĂȘtre socratique, en tout cas politique. Cette hĂ©sitation devant l’Histoire est pour moi un progrĂšs ou, du moins, elle est l’élĂ©ment moteur, l’entrĂ©e dans un progrĂšs possible si, pour autant, nous arrivons Ă  Ă©lucider les moments les plus forts, les nƓuds les plus serrĂ©s, dans lesquels le destin de ce siĂšcle s’est jouĂ©.
Or – et c’est lĂ  que l’idĂ©e de la perversitĂ© commence Ă  me venir –, l’histoire, comme vous le savez, en français et pas en allemand, vit dans l’ambiguĂŻtĂ© de sa dĂ©finition : c’est Ă  la fois l’histoire vĂ©cue et l’histoire comme discours historique. Effectivement, nous sommes dans une situation trĂšs particuliĂšre oĂč aussi bien l’écriture de l’histoire que l’histoire elle-mĂȘme nous Ă©chappent par la pluralitĂ© des significations, l’ambiguĂŻtĂ© des tĂ©moignages, le caractĂšre incertain des expĂ©riences les plus dĂ©cisives.
C’est lĂ  un phĂ©nomĂšne nouveau qui, par bien des aspects, est vertigineux – il me suffit d’évoquer les polĂ©miques dans lesquelles je me suis trouvĂ© pris concernant les biographies d’Arthur London et de Raymond Aubrac, Ă©pisodes qui sont lĂ  pour nous rappeler qu’au fond il n’y a pas un seul moment, mĂȘme le plus lumineux en apparence, mĂȘme le plus simple d’interprĂ©tation, qui ne soit pris dans un discours compliquĂ© et pervers. Un des premiers effets est repĂ©rable dans nos discours. On a l’impression qu’au discours idĂ©ologique et ses certitudes se substitue maintenant un mĂ©andre de raisons plus ou moins fausses, plus ou moins controuvĂ©es, qui viennent brouiller les interprĂ©tations. Et c’est lĂ  oĂč je pense qu’il faut aller de l’histoire Ă©crite Ă  l’histoire vĂ©cue. À mon sens, la RĂ©volution française comportait des complexitĂ©s Ă©normes ; elle comportait une lutte des partis dans laquelle chacun a essayĂ© ensuite de se situer, depuis Lamartine avec l’histoire des Girondins jusqu’à l’exclamation de Clemenceau Ă  la fin du XIXe siĂšcle : « La rĂ©volution est un bloc », en passant par Michelet, qui cherche Ă  dĂ©finir une voie moyenne, par JaurĂšs, et, enfin, par les partis de la RĂ©volution eux-mĂȘmes – y compris la VendĂ©e –, chacun cherchant Ă  dĂ©velopper son historiographie. Toute l’interprĂ©tation de cette historiographie repose sur des faits qu’on cherche Ă  Ă©tablir mais elle n’est pas totalement Ă©clairĂ©e par la RĂ©volution française. Oui, la RĂ©volution française est bien un Ă©vĂ©nement fondateur et instigateur de la modernitĂ©, en France ainsi que sur l’ensemble du continent europĂ©en. Oui, elle divise le monde en deux. Oui, elle se continue dans les rĂ©volutions de 1848 un peu partout et elle remplace une sociĂ©tĂ© qu’on va appeler partout de son nom français d’Ancien rĂ©gime. Seule l’Angleterre ressortit Ă  un systĂšme diffĂ©rent qui, d’ailleurs, relĂšve d’une historiographie diffĂ©rente.
Il n’en va pas de mĂȘme pour les Ă©pisodes qui commencent avec le dĂ©but de notre siĂšcle : les rĂ©volutions de 1905 et de 1917, la transformation socialiste de la Russie avec Staline, l’épisode stalinien dans sa totalitĂ©, la montĂ©e au pouvoir en Allemagne d’une dictature d’un type tout Ă  fait nouveau, celle de Adolf Hitler, la Seconde Guerre mondiale, le gĂ©nocide et l’émancipation des peuples du Tiers Monde ayant comme point de rĂ©fĂ©rence l’action maoĂŻste. VoilĂ  les grands Ă©vĂ©nements de ce siĂšcle, auxquels j’ajouterai, bien sĂ»r, l’auto-dissolution – sans violence ni guerre extĂ©rieure – du systĂšme soviĂ©tique. Ce sont, pour nous, autant d’énigmes, autant de Sphinx qui jalonnent notre route. C’est la raison pour laquelle ces Ă©pisodes donnent lieu aujourd’hui, dans les communautĂ©s historiques, Ă  des Ă©changes extrĂȘmement haineux, et je ne parle pas seulement des Ă©pisodes auxquels je faisais Ă  l’instant allusion, mais Ă  toute la question du gĂ©nocide, qui insiste encore aprĂšs qu’on s’est forcĂ© d’évacuer les miasmes nĂ©gationnistes eux-mĂȘmes. Parmi les questions insistantes, il y a celle du pouvoir de Adolf Hitler et sa nature, celle des totalitarismes et de l’identitĂ© des diffĂ©rents pouvoirs, celle des rĂ©volutions, qui nous font nous demander si les rĂ©volutions depuis 1917 ont apportĂ© de vĂ©ritables changements ou bien si elles n’en ont apportĂ© aucun. Une fois tout cela posĂ© et les identitĂ©s repĂ©rĂ©es, on ne peut que constater que les protagonistes demeurent masquĂ©s, et mĂȘme parfois fantasmatiques. Avons-nous, par exemple, affaire Ă  un leader rĂ©volutionnaire avec Mao TsĂ©-tung ou bien Ă  un empereur de Chine ? Quel est le degrĂ© d’adhĂ©sion de Staline Ă  son discours ? Quel est le degrĂ© d’autonomie de Hitler par rapport aux forces qui l’ont portĂ© au pouvoir ? Pour Wilhelm Reich, on s’en souvient, il n’était qu’une marionnette, une caricature Ă  la John Heartfield – mĂȘme si, petit Ă  petit, on s’est rendu compte que la caricature ou la marionnette Ă©tait capable de s’animer singuliĂšrement. AprĂšs 1945, la thĂ©orie dominante en Allemagne a Ă©tĂ© de faire de Hitler un dĂ©miurge du mal, illustration de l’actuelle thĂ©ologie iranienne la plus classique dans laquelle le dieu bon est Ă©quilibrĂ© par un dieu mauvais dont les capacitĂ©s de puissance sont quasi Ă©quivalentes – ce qui a pour avantage d’attribuer beaucoup Ă  Hitler pour exonĂ©rer beaucoup de monde en dessous. On revient de nos jours en arriĂšre sur cette thĂ©orie de l’autonomie. Mais, dans les allĂ©es et venues de ces thĂ©orisations, nous Ă©chappe encore le sens capital de l’épisode, d’oĂč le retour actuel – c’est la tendance historique dominante – Ă  la pensĂ©e tautologique. Tautologie, par exemple, proclamĂ©e si on pense que celle de M. Goldhagen, qui en cinq cents pages serrĂ©es ne dĂ©note qu’une connaissance moyenne de la culture allemande, en vient Ă  dĂ©couvrir que les Allemands Ă©taient antisĂ©mites. En tournant de cette façon toujours autour de la tautologie, on peut, soit la couvrir dans le sens des aiguilles d’une montre, soit dans le sens inverse – mais on finit toujours par revenir au postulat de dĂ©part : « Oui ! les Allemands Ă©taient antisĂ©mites, mais, non ! ce n’est pas tout Ă  fait suffisant pour tout expliquer. »
Tautologie encore celle qui consiste Ă  dĂ©couvrir que Staline Ă©tait sanguinaire. C’est actuellement la grande dĂ©couverte : « Oui ! Staline a fait le mal. » Évidemment, par rapport aux tentatives parfois Ă  chaud de penser l’ensemble du phĂ©nomĂšne, on a l’impression d’une rĂ©gression, une rĂ©gression d’autant plus grande qu’un grand nombre d’élĂ©ments sont aujourd’hui connus – vous n’ĂȘtes pas sans savoir que les historiens sont les spĂ©cialistes de la prĂ©vision du passĂ© – c’est mĂȘme un domaine dans lequel ils excellent. Évidemment, cette rĂ©gression leur donne un sentiment bien illusoire de supĂ©rioritĂ©, sentiment renforcĂ© lorsqu’on lit les archives, d’autant que leurs prĂ©dĂ©cesseurs, souvent, Ă©videmment se trompaient, et parfois grossiĂšrement, pour la bonne raison qu’ils ne connaissaient pas l’avenir, mais ils Ă©taient cependant capables de prĂ©-science, voire de prĂ©-science exceptionnelle – et c’est cette fraĂźcheur du regard de ces premiers peintres Ă  fresque aussi bien du nazisme que du stalinisme qui nous manque aujourd’hui cruellement.
Quant au troisiĂšme de ces phĂ©nomĂšnes, le maoĂŻsme, il mĂ©rite Ă©galement qu’on s’y attarde. Car ils nous mettent tous les trois dans le mĂȘme effet de sidĂ©ration.
Ainsi, comme je vous le disais, nous sommes dans un moment de grande perplexitĂ©. Nous sommes dans un moment sophistique. Ça va encore bouillonner dans le chaudron, ça va s’agiter, et puis, Ă  un moment donnĂ©, il y aura, enfin, ce que vous connaissez parfaitement bien, ce moment oĂč les bĂ©nĂ©fices secondaires de la situation seront contrebalancĂ©s largement par ses effets pervers et par ses effets de souffrance. Il y aura un moment oĂč ce que Freud appelait l’épistĂ©mophilie, le goĂ»t du savoir, l’emportera, malgrĂ© la douleur qu’inĂ©vitablement elle entraĂźne, et conduira Ă  des Ɠuvres plus dĂ©chirantes, plus dĂ©chirĂ©es, plus assumĂ©es aussi, et dont les effets de vĂ©ritĂ© seront plus importants. Elle conduira Ă  rĂ©habiliter les parents, parce qu’il faut quand mĂȘme penser que les tĂ©moins oculaires, les Isaac Deutscher, les Hermann Rauschning, les gens qui ont Ă©crit Ă  chaud, n’étaient pas totalement imbĂ©ciles. Elle aboutira aussi Ă  s’en sĂ©parer dĂ©finitivement, car, bien sĂ»r, nous avons depuis lors la supĂ©rioritĂ© d’un point de vue historique. Ce moment-lĂ , qui est le moment de la rĂ©solution de ce rapport pervers Ă  l’histoire, et la dĂ©couverte aussi de la structure perverse de notre histoire – c’est lĂ  oĂč je voulais en venir –, viendra, et on devrait simplement l’appeler de nos vƓux, comme l’esprit humain qui, par sa nature, veut toujours aller au-delĂ . Aussi vais-je me permettre, non pas de vous donner une thĂ©orie du siĂšcle, parce qu’il s’agirait d’un fantasme de toute-puissance que vous seriez les premiers Ă  repĂ©rer, mais d’essayer d’aller un peu plus loin, c’est-Ă -dire de rĂ©flĂ©chir avec vous Ă  ce rapport de la perversion et de la violence dans le siĂšcle, qui est, je le rĂ©pĂšte, un Ă©lĂ©ment particulier de celui-ci. D’ailleurs, un des plus grands cinĂ©astes du XXe siĂšcle, Visconti, a consacrĂ© une grande partie de son Ɠuvre Ă  cela. Sa rĂ©fĂ©rence au XIXe siĂšcle est toujours la rĂ©fĂ©rence Ă  un moment de vĂ©ritĂ© qui a Ă©tĂ© perdu : dans le regard de Visconti, le passage entre le XIXe et le XXe siĂšcle, c’est la perte de la vĂ©ritĂ©, la perte de l’honnĂȘtetĂ©, la perte de ce moment d’absolue adhĂ©sion que fut celui du risorgimento italien – sans doute le moment esthĂ©tiquement le plus vrai de ce XIXe siĂšcle, et ce n’est pas un hasard si Thomas Mann a fait d’un Italien le porte-parole des idĂ©es de progrĂšs du XIXe siĂšcle avec Settembrini, dans ce sommet de Davos qu’est La montagne magique, sommet nettement supĂ©rieur Ă  celui qui se tient en mĂȘme temps que notre colloque.
Il est, je vous le disais, incontestable que, en effet, si le XIXe siĂšcle a connu de vraies rĂ©volutions, le XXe siĂšcle, lui, n’en a jamais connu. Il a voulu clamer Ă  la fois de vraies rĂ©volutions et une gĂ©nĂ©ralisation de la rĂ©volution. Je suis arrivĂ© Ă  cette idĂ©e Ă©pouvantable en lisant l’Ɠuvre, parallĂšle en Asie Ă  celle du Docteur Gubler en France, de Li Zhishui, Ă  savoir La Vie privĂ©e du prĂ©sident Mao, Ɠuvre Ă©galement interdite sur le territoire chinois, non pas cette fois Ă  la demande de la famille de Mao, mais du bureau politique lui-mĂȘme. C’est un ouvrage saisissant, d’une longueur bien connue dans le grand roman chinois, bien qu’un peu rebutante pour le lecteur occidental, et pourtant on a, au bout d’un certain temps – un peu comme dans les phrases de Proust, qui demandent du temps pour y entrer –, dans la longueur des explications de Li Zhishui, un aperçu de la dimension rĂ©elle du systĂšme maoĂŻste.
Que nous dit Li Zhishui ? Eh bien, il nous montre d’abord un patient – et ça c’est une chose qui devrait tous vous intĂ©resser –, car Mao TsĂ©-tung Ă©tait un trĂšs sĂ©rieux patient, plus encore que Jiang Qing, qui, finalement, vivait de façon symptomale les maux de Mao TsĂ©-tung et a fini par en devenir le mauvais objet, de sorte que la dĂ©maoĂŻsation est devenue la lutte contre la bande des quatre, et la lutte contre la bande des quatre celle contre le diable fĂ©minin qui l’inspirait, selon une logique parfaitement implacable et parfaitement normale. Mao Ă©tait un grand mĂ©lancolique. De son arrivĂ©e au pouvoir jusqu’à sa fin, en effet, l’homme vit en robe de chambre autour d’une piscine, ne sort jamais de cette espĂšce de pharaonisation, de cette mise en tombeau, et organise progressivement la lutte entre ses propres partisans. Il y a ainsi un chapitre saisissant de Li Zhishui, celui dans lequel il montre que la rĂ©volution culturelle a commencĂ© en miniature dix ans avant son dĂ©but officiel, lorsque Mao a engagĂ© un certain nombre de ses jeunes secrĂ©taires Ă  monter une cabale contre les plus anciens, au nom des idĂ©es rĂ©volutionnaires qu’ils trahissaient. Il a ainsi testĂ© cette rĂ©volution dite culturelle en vase clos, avec des consĂ©quences Ă©pouvantables pour le petit nombre d’individus qu’il visait, mais il n’avait de cesse que de l’établir Ă  l’échelle du pays tout entier. La question qui, petit Ă  petit, se pose chez Li Zhishui, qui Ă©tait un jeune communiste idĂ©aliste revenu d’Australie avec un internat en mĂ©decine pour participer Ă  la reconstruction de la Chine, est la suivante : qu’est-ce qui autorise le maoĂŻsme ? Qu’est-ce qui autorise des comportements qui sont en totale rupture avec les valeurs mĂȘmes que le parti communiste de Chine, Ă  l’époque, tente d’édifier et qui, bien sĂ»r, Ă  un moment donnĂ©, conduisent Ă  une tentative de destruction de ce propre parti par son chef tutĂ©laire. Sa rĂ©ponse est toute simple : Mao est un empereur qui ne peut pas dire son nom. Tout, dans le rituel qu’il organise, est parfaitement calquĂ© sur le rite impĂ©rial – comme, par exemple, l’inaccessibilitĂ© de ce corps offert dans sa nuditĂ© (robe de chambre, slip de bain) est ressemblante Ă  la façon dont les empereurs de Chine, effectivement, Ă©taient toujours nus devant leurs serviteurs et invisibles au reste du peuple. En fait, l’invisibilitĂ© de Mao, la narcissisation retournĂ©e de ce corps qui se dĂ©fait progressivement – excĂšs dĂ©crits par le mĂ©decin dans leurs moindres dĂ©tails – nous sommes en Chine, on n’a pas de pudeur –, nous ramĂšnent Ă  ceci : il y a, dans la rĂ©volution chinoise, des effets de rĂ©volution conservatrice trĂšs forts. La Chine, c’est bien, c’est comme le mĂ©tro aĂ©rien, on voit la circulation en surface : Ă  un moment donnĂ© le mĂ©tro sort et on lit directement. Nous, nous ne lisons pas l’écriture chinoise, mais nous observons quand mĂȘme que les Chinois sont moins pervers que nous, c’est d’ailleurs pour ça que leurs sorties – mĂȘme si l’histoire chinoise du XXe siĂšcle comporte toutes les Ă©tapes de l’histoire soviĂ©tique –, leurs sorties sont meilleures. Que voit-on donc ? Que Mao est un empereur paysan. Que ses raisonnements sont ceux d’une paysannerie – riche, d’ailleurs – chinoise, qui a vĂ©cu comme une tragĂ©die le systĂšme mandchou et la rupture de l’ordre impĂ©rial. Mao veut rĂ©tablir l’ordre impĂ©rial Ă  son profit, il pense qu’il est dans la lignĂ©e des grands empereurs de Chine, il se moque comme de sa derniĂšre chemise des Russes, il Ă©prouve un mĂ©pris croissant pour tout ce mandarinat rĂ©volutionnaire qui lui apporte la science, qu’il dĂ©teste, le Russe, l’ami russe, qui incarne l’Occident, qu’il dĂ©teste, l’objectivation de la rĂ©alitĂ©, qu’il dĂ©teste, et la nĂ©cessitĂ© de sortir de sa piscine, dont il ne veut entendre parler Ă  aucun prix. Aussi, au fur et Ă  mesure que se dĂ©veloppe le livre, on comprend mieux l’origine de la rĂ©volution culturelle. Mao Ă©tablit, par-dessus la tĂȘte de l’ensemble de ce parti communiste qui croit Ă  son soviĂ©tisme naĂŻf, un rapport direct avec les masses, il travaille Ă  la restauration de l’empire. On comprend, du mĂȘme coup, la formidable rĂ©gression intellectuelle et industrielle qu’a Ă©tĂ© la rĂ©volution culturelle, et la formidable volontĂ© de rĂ©paration qui commence, Ă  ce moment-lĂ , Ă  s’emparer des individus, sans parler du service extraordinaire que Mao leur rend, de leur exciper un parti qui n’est rien et qui donc va les renvoyer Ă  une histoire Ă  construire. Aussi, avec la distance qui est la nĂŽtre aujourd’hui, pouvons-nous affirmer que, de la volontĂ© farouche de Mao d’investir le passĂ© dĂ©coule la volontĂ© farouche de Deng Xiao Ping de construire l’avenir, exactement comme Hitler « crĂ©e » la RĂ©publique FĂ©dĂ©rale d’Allemagne, exactement comme le nuage d’Hiroshima « fait » l’essor industriel japonais. La restauration impĂ©riale Ă©tait impossible et Mao a inscrit l’impossiblitĂ© dans une gestuelle extraordinaire qui a fait rĂȘver Lacan, Althusser, qui a fait rĂȘver l’Europe entiĂšre, parce que, comme toujours, nous prenons la Chine pour un objet philosophique alors qu’il y a quand mĂȘme dans cette merveilleuse lanterne magique des figurants qui pĂ©dalent.
L’histoire chinoise vue sous cet angle nous a permis de voir se nouer, quand mĂȘme, un des Ă©lĂ©ments essentiels de ce siĂšcle, c’est-Ă -dire la rĂ©volution-rĂ©gression. La rĂ©volution-rĂ©gression n’a rien Ă  voir avec la RĂ©volution française. La RĂ©volution française n’a effectivement – mĂȘme si elle est tombĂ©e dans l’excĂšs, mĂȘme si elle s’est dĂ©vorĂ©e elle-mĂȘme, mĂȘme si elle a ensuite accouchĂ© d’un incendie terrible qui a investi toute l’Europe – jamais tournĂ© le dos Ă  ses principes, et les hommes qui l’ont servie ont cru Ă  ces principes. Nous avons, par contre, dans le cas chinois, de toute Ă©vidence, une espĂšce de subsomption d’un discours par un autre et, en fait, un projet qui, petit Ă  petit, Ă©tait cachĂ© Ă  l’intĂ©rieur de l’autre. Nous sommes dans la dĂ©finition mĂȘme de la perversion telle que vous la pratiquez, mĂȘme si la pertinence Ă  l’échelle historique n’est pas prouvĂ©e. Dans la simple phĂ©nomĂ©nologie, la simple Ă©tiologie, il y a quelque chose de cet ordre. Et, rappelons-le, la rĂ©volution chinoise, la premiĂšre, s’est faite, ou a commencĂ© Ă  se concevoir, dans le chaudron oĂč elle a bouilli pendant des dĂ©cennies, Ă  savoir dans l’idĂ©e d’une restauration des Ming et l’idĂ©alisation de l’ancien empire chinois, contre les Mandchous pensĂ©s comme des oppresseurs Ă©trangers. Qu’étaient d’autre les Japonais, sinon une rĂ©Ă©dition de l’épopĂ©e mandchoue au XXe siĂšcle, dominant la Chine Ă  partir de ses marches, tandis que la restauration des Ming visait cette volontĂ© de revenir en arriĂšre, de revenir Ă  un moment d’éternitĂ©. Mao a utilisĂ© le communisme comme les Ming, qui Ă©taient des empereurs paysans, pour unifier la paysannerie chinoise, et il n’a eu de cesse que de se subordonner des Ă©lĂ©ments de modernitĂ© – que la rĂ©volution engendrait aussi – jusqu’à les Ă©craser, mais il n’y est pas parvenu. Le rĂ©cit de Li Zhishui nous introduit effectivement Ă  ce mystĂšre progressif des sociĂ©tĂ©s rĂ©volutionnaires du XXe siĂšcle. À un des bouts du monde, en effet, la rĂ©volution chinoise reprĂ©sente un des Ă©lĂ©ments les plus considĂ©rables, qui a progressivement fini par atteindre, sous une forme culturelle-folklorique, l’Europe, exactement comme la Chine classique avait touchĂ© l’Europe du XVIIIe siĂšcle, produisant des effets d’interpellation, de sidĂ©ration, d’imitation. Nous avons eu un petit moment maoĂŻste en Europe lorsque a eu lieu la dĂ©couverte de l’importance de ce phĂ©nomĂšne.
Mais Mao s’est Ă  peine cachĂ©. Staline, quant Ă  lui, a opĂ©rĂ© de façon plus complexe, ainsi que Hitler. Et cependant i...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Colloque organisĂ© à l’initiative de la SociĂ©tĂ© de Psychanalyse Freudienne (1er-2 fĂ©vrier 1997)
  5. Accueil par Patrick Guyomard
  6. Introduction par IrÚne Diamantis
  7. Être complice - par Michùle Montrelay
  8. La jouissance de la marquise et le plaisir de la comtesse - par Patrick Avrane
  9. Jeannot-la-chance et son petit bout de théorie - par Muriel Djéribi-Valentin
  10. Quel rĂ©cit-cadre pour Hans im GlĂŒck ? - par Gilbert Grandguillaume
  11. La confusion des sentiments - par Dominique Guyomard
  12. L’amour de la jalousie - par Marcianne BlĂ©vis
  13. La perversité polymorphe en histoire - par Alexandre Adler
  14. Génétique et culture - par René Frydman
  15. Du pÚre dans le meilleur des mondes - par Liliane Gherchanoc
  16. La dérive des contenants - par François Lévy
  17. D’un avant de la perversion - par Suzanne Ginestet-Delbreil
  18. Disposition perverse polymorphe et phobie, un cas de phobie infantile - par IrÚne Diamantis
  19. Conclusion - par Patrick Guyomard
  20. Liste et qualité des intervenants
  21. Table