Fin de siècle dans les Balkans
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Fin de siècle dans les Balkans

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Fin de siècle dans les Balkans

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" Les conflits armés dans l'ex-Yougoslavie sont en Europe le plus grand scandale de la dernière décennie. Ces événements ont fait retrouver le sens du tragique à un Occident que l'effondrement de l'empire communiste avait renforcé dans son espoir de paix éternelle. La situation est heureusement moins tragique aujourd'hui qu'en 1992. Cependant, aucun problème n'est résolu: plusieurs conflits restent pendants, des centaines de milliers de réfugiés n'ont guère d'espoir de rentrer chez eux, les principaux criminels de guerre courent toujours, l'intolérance est très répandue et la pauvreté générale. Il est donc important de ne pas se tromper de diagnostic sur ces régions où de nouvelles surprises sont toujours possibles. Je serais heureux si ce livre pouvait y contribuer. " Paul Garde Les Balkans vus par le meilleur spécialiste de la question.Paul Garde a été professeur de langues et littératures slaves à l'université de Provence et aux Universités de Yale, Columbia et Genève. Il est l'auteur de nombreux ouvrages de référence, dont Vie et mort de la Yougoslavie.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2001
ISBN
9782738142214
Sujet
Storia
Sous-sujet
Storia europea

DEUXIÈME PARTIE

Chroniques



5

La nébuleuse serbe


(mars 1994)

À propos du conflit yougoslave, l’opinion occidentale, après une longue période d’incompréhension totale, est arrivée progressivement à une interprétation plus juste. On admet généralement aujourd’hui que la Serbie mène une guerre d’agression, qu’elle est en Europe le dernier sanctuaire du pouvoir communiste, et qu’elle a réalisé la conjonction du communisme avec le nationalisme. Mais de ces propositions vraies le public a tendance à tirer des conséquences fausses, que nous essaierons de démentir par une analyse plus précise de la situation serbe.

Une ou trois Serbies ?

Première confusion : on se trompe d’objet quand on parle simplement de « la Serbie ». Il existe aujourd’hui de facto trois États serbes, dont aucun n’est internationalement reconnu : la « République fédérale de Yougoslavie » (RFY), comprenant Serbie et Monténégro ; la « Republika Srpska96 » (RS) en Bosnie, et la « République de Krajina serbe » (RSK) sur le territoire croate. Au sein de la RFY, les deux composantes, Serbie et Monténégro, malgré leur inégalité (la première a 9,5 millions d’habitants, la deuxième 0,5) ont des relations complexes, et les provinces qui furent autonomes jusqu’en 1989 : Kosovo et Voïvodine, posent des problèmes particuliers. Malgré la volonté affichée de « réunir tous les Serbes dans un seul État », et la prépondérance, pour ne pas dire plus, déjà exercée par la Serbie stricto sensu sur l’ensemble, les différences entre ces diverses entités subsistent, et il n’y a pas à ce jour de pouvoir serbe unique.
C’est pourquoi l’objet de notre étude ne sera pas la seule Serbie, mais un ensemble que nous appellerons le « camp serbe », ou, pour mieux en souligner la complexité, la « nébuleuse serbe ».
Il faut rappeler en outre que ce pays, qui insiste sans cesse sur l’existence de minorités serbes hors de ses frontières, et donc sur la complexité ethnique de ses voisins, est lui-même, après la Bosnie, la plus hétérogène de toutes les républiques ex-yougoslaves. En 198197, on ne comptait en Serbie que 66,3 % de Serbes, moins que de Macédoniens en Macédoine (67,3 %), de Monténégrins au Monténégro (68 %), de Croates en Croatie (75 %) et, bien sûr, de Slovènes en Slovénie (90,2 %). Si le cœur du pays n’est peuplé que de Serbes, par suite du nettoyage ethnique des populations musulmanes (turques, albanaises ou slaves) accompli au XIXe siècle, les régions périphériques conquises depuis 1912 (Kosovo, Sandžak, Voïvodine) comptent d’importantes minorités : albanaise (14 % en 1981, sans doute près de 20 % aujourd’hui), hongroise, musulmane, croate, slovaque etc. Celles-ci, toutes aujourd’hui plus ou moins persécutées, vivent certes en Serbie, mais ne sauraient être comptées dans ce que nous appelons le « camp serbe ».

La catastrophe économique

Quand on parle de « guerre dans l’ex-Yougoslavie », on oublie parfois que les opérations militaires sont circonscrites à deux républiques de l’ancienne fédération : la Croatie et la Bosnie98 et que la Serbie a été complètement épargnée par les combats et les destructions. Ses habitants ne sont pas appelés sous les drapeaux99. Contrairement aux Bosniaques, ils peuvent vaquer à leurs affaires sans craindre les obus ; mais cela ne veut pas dire qu’ils goûtent à une vie « normale ».
Le pays a, en effet, sombré dans une catastrophe économique et monétaire sans précédent dans l’histoire contemporaine, bien pire que celle qu’avait subie l’Allemagne de Weimar. L’hyperinflation bat tous les records. On donnait pour 1992 un taux annuel de 19,810 %. Citera-t-on pour 1993 les chiffres avancés par des sources serbes, tels que 1 392 000 000 % pour la période janvier-octobre, ou 300 trillions % pour l’année entière ? Ce qui est certain, c’est qu’on a supprimé six zéros au 1er octobre 1993, et encore neuf zéros au 1er janvier 1994 (ainsi le dinar de janvier équivaut à un quatrillion de dinars de septembre), qu’un billet de 50 milliards de dinars a été émis en décembre, et que le salaire mensuel équivaut à environ 60 francs. Dans de telles conditions, les chiffres n’ont plus de sens et l’on en est réduit au troc ou au paiement en marks (pour ceux qui en disposent). Les pénuries se multiplient. Un rationnement a été institué depuis septembre 1993. Les trafics en tout genre avec les pays voisins sont florissants, l’économie parallèle représenterait plus de la moitié de l’activité, et la criminalité se développe.
La propagande gouvernementale attribue tous ces maux au blocus économique décrété par les Nations unies, et il est certain que le pays, en dépit de sa quasi-autosuffisance en matière alimentaire, en est gravement affecté. Mais les effets de ce blocus ne font que s’ajouter au mauvais état de l’économie yougoslave, qui durait depuis des années. Le marasme s’explique largement par les difficultés communes à tous les pays sortant du communisme ; par l’éclatement de l’ancien marché yougoslave ; par l’effort de guerre (dépenses militaires, fonds débloqués pour les régions occupées de Bosnie et de Croatie, coût de l’assistance aux réfugiés, qui sont 500 000). Et ils sont rendus irrémédiables par la politique du gouvernement qui, contrairement à celui de Croatie, a choisi de ne prendre aucune mesure contraignante de redressement, de ne procéder à aucun licenciement dans les nombreuses entreprises qui travaillent très en dessous de leurs capacités, déguisant ainsi le chômage, et de financer tous ses besoins par la planche à billets.
La fuite en avant du pouvoir lui a permis, pour l’instant, d’éviter une explosion sociale. Deux retentissants scandales financiers, ceux du banquier Jezdimir Vasilijević, proche du pouvoir, qui a fui à l’étranger en mars 1993 après avoir dépouillé de leurs devises d’innombrables épargnants, et celui de la banquière Dafina Milanović, arrêtée en juillet, ne l’ont pas déstabilisé.
La situation des zones occupées de Bosnie et de Croatie (RS et RSK), ravagées par la guerre et dépeuplées par le nettoyage ethnique, est encore pire. En RSK par exemple, le seul produit exportable est le pétrole du petit gisement de Djeletovci en Slavonie orientale (village où avant la guerre vivaient 788 Croates et 4 Serbes), mais cet or noir disparaît dans l’économie parallèle au seul profit des mafias de la Voïvodine voisine, liées aux milices locales.

L’agression : réalité et mythes

Il est hors de doute que, dans cette guerre, le camp serbe est l’agresseur. C’est lui qui, dès le début, a réclamé à son profit une modification des frontières des républiques. C’est également lui qui s’est comporté d’emblée comme si ses problèmes n’avaient d’autre solution que militaire. C’est à lui enfin que sont imputables les interventions massives de l’armée, les massacres, les expulsions, le nettoyage ethnique en Croatie en 1991 et en Bosnie en 1992-1993. Aujourd’hui, après trois ans de guerre, les mêmes formes de violence ont fini par être pratiquées par les trois camps en présence. Il n’en demeure pas moins que la volonté de conquête, la planification de l’action militaire, l’antériorité et la plus grande extension de la violence appartiennent incontestablement à la partie serbe.
Mais on aurait tort de croire que l’opinion serbe, ou même une partie significative d’entre elle, a conscience de cette situation, et d’imaginer soit qu’elle s’en indigne, soit qu’elle participe sciemment à une entreprise de domination et de conquête, à la manière des nazis. Une propagande qui dure depuis treize ans déjà (depuis les troubles du Kosovo en 1981) a constamment présenté les Serbes comme des victimes. Ils n’aspirent pas à conquérir des territoires, mais à « défendre le seuil de leurs maisons ». La notion de « génocide », constamment manipulée, permet de mêler inextricablement les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale (où les Serbes ont été effectivement les principales victimes) aux accusations les plus gratuites contre les ennemis actuels : Albanais, Croates ou Bosniaques. Le projet de « nettoyage ethnique » est toujours attribué aux autres. Les violences dont il est fait état ne sont jamais celles du camp serbe lui-même, mais toujours celles de l’adversaire. Il y a trois ans il fallait les inventer de toutes pièces (ainsi le prétendu massacre de onze Serbes à Pakrac le 2 mars 1991), aujourd’hui elles ne sont que trop réelles.
De là vient le sentiment, répandu chez la plupart des Serbes, d’être incompris de la communauté internationale, d’être injustement brimés par l’embargo qu’elle impose, et menacés par les projets, si inconsistants soient-ils, d’intervention militaire. Le stéréotype historique de la Serbie martyre, toujours en lutte héroïque contre plus puissant qu’elle, est réactivé avec succès, et le consensus est quasi général sur les grandes lignes de la position serbe.

Le changement dans la continuité communiste

Le régime serbe est présenté avec raison comme le dernier conservatoire du communisme. La Serbie et le Monténégro restent (avec peut-être la Macédoine) les seuls pays européens ex-communistes où aucun renversement de pouvoir ne se soit produit dans les années 1989-1992 et où le parti communiste (appelé hier « Ligue des communistes », aujourd’hui « Parti socialiste ») soit resté sans interruption au pouvoir, avec conservation des mêmes dirigeants : Slobodan Milošević (Serbie), Momir Bulatović (Monténégro), hier premiers secrétaires du parti, aujourd’hui présidents élus de la république. Avec eux sont restés en place les organes du pouvoir : apparatchiks locaux, réseaux de clientèle du parti, mainmise sur la télévision d’État et enfin, la police, avec les anciens dossiers de l’UDBA (police secrète titiste) et du KOS (service de renseignements militaire) qui lui donnent barre sur des milliers de personnes.
Certes, il existe en Europe plusieurs pays ex-communistes où l’on retrouve au pouvoir aujourd’hui d’anciens communistes : Boris Eltsine en Russie, Franjo Tudjman en Croatie, Milan Kučan en Slovénie, etc. Mais il s’agit d’individus isolés qui avaient rompu depuis des années avec leur ancien parti (Tudjman en 1971, Eltsine en 1987) et sont arrivés au pouvoir contre lui, ou qui ont été élus à titre personnel, leur parti restant dans l’opposition (Kučan). Le cas le plus proche de la Serbie est celui de la Roumanie, où les anciens communistes n’ont jamais lâché le pouvoir, mais ce pays a tout de même connu, avec la chute et le meurtre des Ceausescu, un changement violent de dirigeants, ce qui n’a pas été le cas en Serbie.
Mais il ne faudrait pas en conclure que le régime est resté inchangé. La Serbie, comme tous les autres pays post-communistes, a aboli le système du parti unique et institué le pluralisme politique. La presse y est libre et présente une grande variété d’opinions, le débat politique y est animé. Le pays se réclame aussi de l’économie de marché et l’entreprise privée s’y développe tout doucement. Cependant la liberté d’expression, qui est totale, voit ses effets tempérés par la mainmise du pouvoir sur la télévision, par l’hyperinflation qui fait du journal une denrée chère et inaccessible à beaucoup, par les trucages électoraux et les pressions de l’appareil local dans les campagnes, et enfin par le conformisme qu’ont engendré sept années de propagande nationaliste. En outre, le marché n’est accepté que du bout des lèvres, avec maints repentirs ; à peine timidement réapparu, il est faussé par la ruine complète de l’économie et l’inflation, ainsi que par la spéculation effrénée et les phénomènes mafieux.

National-communisme et nationalisme tout court

Il est exact que la Serbie a réalisé cette « hybridation » entre nationalisme et communisme, qu’on nomme « national-communisme100 » ou « total-nationalisme101 ». Certains observateurs occidentaux s’ébahissent encore de ce rapprochement entre extrême gauche et extrême droite. Il faut savoir que cette « collusion immorale », qui n’est en Europe occidentale que fantasme et cible de vertueuse rhétorique, est depuis longtemps devenue routine dans une grande partie du monde post-communiste. Il y a déjà un quart de siècle que le regretté Andreï Amalrik, dans son livre prophétique L’Union soviétique survivra-t-elle en 1984 ?102, a décrit lumineusement, pour la Russie, ce qu’il appelle « la roue des idéologies », cette structure circulaire de l’opinion, dans laquelle on voit se toucher ce qui est pour nous les extrêmes. Ce « national-communisme » existe donc depuis longtemps à Moscou, il y est même très vigoureux, tout en étant maintenu pour l’instant dans l’opposition, grâce à l’échec des putschs d’août 1991 et d’octobre 1993. Il se manifeste bruyamment en la personne de Vladimir Jirinovski. Il a perdu le pouvoir en Bulgarie avec la chute de Todor Jivkov, mais il reste présent dans certaines tendances, non encore majoritaires, de l’opinion de ce pays. Il n’est au pouvoir qu’en Roumanie, où Ion Iliescu, après Ceaucescu, joue des thèmes nationalistes ; et, précisément, en Serbie103.
Mais de ce fait réel l’opinion occidentale tire parfois une fausse conclusion. Elle s’imagine que Milošević a été l’inventeur des thèmes nationalistes qu’il a développés. Elle croit donc volontiers que le nationalisme n’est professé que par les ex-communistes, et que les opposants au régime combattent ipso facto sa politique d’expansion. Il ne saurait y avoir d’erreur plus complète. Le nationalisme serbe, initialement, a été anticommuniste. Il se réclamait de la monarchie, de l’Église orthodoxe, du mouvement tchetnik de la Seconde Guerre mondiale et de son chef, le général Draža Mihailović, fusillé en 1946. Toutes ses manifestations étaient sévèrement réprimées du vivant de Tito (mort en 1980). Celui-ci avait sanctionné en 1968, en l’excluant du comité central (ce qui entraîna sa démission du parti) l’écrivain Dobrica Ćosić, jusque-là proche de lui, coupable d’avoir protesté contre une politique jugée trop favorable aux Albanais menée au Kosovo. Dans les années 1980, les thèmes nationaux serbes se développent d’abord dans des cercles éloignés du pouvoir : chez des intellectuels de gauche du groupe Praxis, adeptes d’un marxisme critique, parmi lesquels le philosophe Dragoljub Mićunović ; et chez des traditionalistes comme le journaliste et écrivain Vuk Drašković, dont le roman Le Couteau (1982104) renoue avec le thème tabou des conflits inter-ethniques en Bosnie, ou le jeune sociologue Vojislav Šešelj, condamné en 1983 à Sarajevo pour sa critique du régime. C’est Drašković qui lance le slogan « Tous les Serbes dans un seul État », si bien que dans un discours du 3 février 1991105, il pourra accuser Milošević d’avoir copié son programme. Même le Mémorandum de l’Académie serbe de 1986, considéré à juste titre comme une des sources de la politique actuelle, n’a pas été un texte officiel, mais au contraire un manifeste presque clandestin, qui, sauf erreur, n’a pas été publié à ce jour en Serbie106.

« Slobodan, nous t’aimons autant que le Christ ! ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Avant-propos
  5. Abréviations et terminologie
  6. Première partie - Analyses
  7. Deuxième partie - Chroniques
  8. Bibliographie
  9. Index
  10. Table
  11. Du même auteur