3 controverses de la pensée économique
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3 controverses de la pensée économique

Travail, dette, capital

  1. 176 pages
  2. French
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3 controverses de la pensée économique

Travail, dette, capital

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À propos de ce livre

Nos emplois sont-ils menacés par les machines? Peut-on parler d'une « bonne » et d'une « mauvaise » dette? Le capital est-il trop rémunéré par rapport au travail? Avec le talent et la verve qu'on lui connaît, Jean-Marc Daniel fait ressurgir du passé trois grandes controverses de la pensée économique: en 1812, lord Byron prend la défense des luddites, ces tisserands qui parcouraient la campagne anglaise pour casser les métiers à tisser; en 1938, Keynes écrit personnellement à Roosevelt pour l'adjurer de faire un second New Deal en recourant au déficit public; en 1953, la très britannique Joan Robinson s'oppose violemment à l'Américain Samuelson sur la mesure du capital. Émaillées de situations inattendues – les luddites, défendus par Byron, sont délaissés par Marx –, ces trois querelles sont l'occasion de découvrir comment se sont forgés les concepts de la pensée économique. Et d'en tirer quelques enseignements utiles pour aujourd'hui: sur les dangers du néoluddisme actuel, sur le déficit public qui reste un outil de relance ou encore sur les limites des équations en économie… Jean-Marc Daniel Professeur d'économie à ESCP-Europe-Paris et chargé de cours à l'École des mines de Paris, Jean-Marc Daniel est un spécialiste de l'histoire de la pensée économique et des politiques économiques. Il est chroniqueur aux Échos et sur la matinale de BFM.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2016
ISBN
9782738161611

CHAPITRE 1

La manivelle de Sismondi ou quel est l’avenir du travail ?


Quand on commence à réfléchir à l’économie, on se demande assez naturellement comment peut naître une polémique sur le travail tant il paraît évident que celui-ci est à l’origine de toute création de richesse. Même ceux qui sont éloignés des préoccupations des économistes ont entendu parler de la « valeur travail » et, quelle que soit la définition qu’on en donne, ils comprennent intuitivement que derrière cette notion il y a une quasi-identité entre le développement économique et le travail.
Pourtant, il est de plus en plus question aujourd’hui de la « fin du travail » et certains annoncent même l’« inutilité de l’homme » ! Autant d’interrogations sur le travail et d’angoisses sur son avenir qui semblent récentes. Elles seraient liées aux dernières formes du progrès technique, de ce que d’aucuns appellent la « troisième révolution industrielle ». Or, cela fait bien longtemps que la machine, explicitement ou implicitement, est accusée de menacer l’homme et son travail…
Feuilletons par exemple la Vie des douze Césars5 de l’écrivain latin Suétone (70-130). Ce texte qui compte parmi les plus lus de la littérature antique dresse un portrait des douze premiers empereurs romains. Parmi eux, Vespasien, qui fut empereur à la fin du Ier siècle de notre ère. À en croire Suétone, Vespasien décida d’interdire le progrès technique et ce, déjà, par peur du chômage. Voici ce qu’écrit Suétone :
Un mécanicien promettait de transporter à peu de frais au Capitole des colonnes immenses. Il [Vespasien] lui offrit une forte somme pour son devis ; mais il ne le mit pas à exécution : « Permets-moi, lui dit-il, de nourrir le pauvre peuple. »
Apparemment, Vespasien reste un cas exceptionnel. Car tant les philosophes qui dominèrent la formation de la pensée antique que les penseurs chrétiens qui prirent le relais jusqu’au XVIIIe siècle semblent ignorer cette inquiétude. Au contraire, ils se font un devoir de saluer le travail. Et vu le dénuement dans lequel vit l’essentiel de l’humanité, ils ne partagent qu’épisodiquement les craintes de Vespasien sur le risque de sa disparition.

Le travail crée la richesse

Un des premiers poètes de l’Antiquité est le Grec Hésiode. Contemporain d’Homère, il publie au VIIIe siècle avant Jésus-Christ. On ne sait pas grand-chose de lui, pas plus que d’Homère d’ailleurs. On le croit né en Béotie. Au décès de son père, il aurait disputé à son frère Persès la propriété familiale avant d’accepter un compromis, moyennant la garantie par Persès d’une saine gestion du domaine. Saine gestion dont il expose les principes dans un poème intitulé Les Travaux et les Jours. Dans cet ouvrage souvent présenté comme le premier texte d’économie, Hésiode énonce deux idées principales. La première est que le travail est le fondement de la vie en société et l’apanage de l’humanité. La seconde est que ce travail apporte à celui qui s’y consacre une vie heureuse et décente. À l’instar de toute la littérature de l’époque, Hésiode exprime une manière de penser et de s’exprimer où dominent les considérations sur la sagesse des dieux. Quel conseil donne-t-il à son frère ? Lisons-le :
Garde l’éternel souvenir de mes avis : travaille si tu veux que la Famine te prenne en horreur et que l’auguste Déméter à la belle couronne, pleine d’amour envers toi, remplisse tes granges de moissons. En effet, la Famine est toujours la compagne de l’homme paresseux ; les dieux et les mortels haïssent également celui qui vit dans l’oisiveté, semblable en ses désirs à ces frelons privés de dards qui, tranquilles, dévorent et consument le travail des abeilles. Livre-toi avec plaisir à d’utiles ouvrages, afin que tes granges soient remplies des fruits amassés pendant la saison propice. C’est le travail qui multiplie les troupeaux et accroît l’opulence. En travaillant, tu seras bien plus cher aux dieux et aux mortels : car les oisifs leur sont odieux. Ce n’est point le travail, c’est l’oisiveté qui est un déshonneur. Si tu travailles, les paresseux bientôt seront jaloux de toi en te voyant t’enrichir ; la vertu et la gloire accompagnent la richesse : ainsi tu deviendras semblable à la divinité.
En résumé, le travail enrichit et attire la bienveillance des dieux, alors que la violence – Hésiode l’écrit plus loin –, si elle permet aussi de s’enrichir, finit toujours par être punie.
Le message chrétien, qui s’impose après le IVe siècle et qui a plus ou moins absorbé la philosophie antique, s’appuie sur saint Paul, notamment dans sa Deuxième Épître aux Thessaloniciens :
Nous vous recommandons, frères, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de vous éloigner de tout frère qui vit dans le désordre, et non selon les instructions que vous avez reçues de nous. Vous savez vous-mêmes comment il faut nous imiter, car nous n’avons pas vécu parmi vous dans le désordre.
Nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne ; mais, dans le travail et dans la peine, nous avons été nuit et jour à l’œuvre, pour n’être à charge à aucun de vous.
Ce n’est pas que nous n’en eussions le droit, mais nous avons voulu vous donner en nous-mêmes un modèle à imiter.
Car, lorsque nous étions chez vous, nous vous disions expressément :
Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus6.
Ces sociétés rurales partagent la conviction que le travail ne manque pas et que chaque augmentation de population conduit à défricher de nouvelles terres. Au XVIe siècle, Jean Bodin (1529-1596), philosophe et juriste, est dans le même état d’esprit quand il écrit dans La République : « Il n’est richesse ni force que d’hommes7. » Une formule reprise aujourd’hui par tous ceux qui estiment qu’il faut sans cesse élever le niveau de formation de la population car c’est par la qualité de la main-d’œuvre que l’on accroît la croissance. Mais à l’époque de Jean Bodin, on raisonnait de façon quantitative : dans une société essentiellement rurale, chaque homme nouveau était une bouche à nourrir mais aussi une paire de bras susceptible d’arracher à la terre sa subsistance. On le considérait rarement comme un savant ou un ingénieur capable d’augmenter l’efficacité du travail.
Si cette formule de Jean Bodin est souvent citée, ce dernier, assez paradoxalement, la remet en cause ailleurs dans son œuvre. Il est d’ailleurs considéré comme l’un des premiers mercantilistes : des penseurs qui estiment qu’il n’est de richesse que de métaux précieux qui circulent dans l’économie… Tandis que les économistes du XVIIe siècle s’abandonnent à la fascination de l’or et de la puissance espagnole assise sur les mines du Pérou, le bon sens populaire reconnaît l’utilité du travail. On se souvient de la fable « Le laboureur et ses enfants » de Jean de La Fontaine qui se termine par ces vers célèbres :
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Bref, le travail est vertu, et comme il ne saurait manquer, nul ne devrait s’en abstenir.
Et pourtant…

Premières craintes, premiers doutes :
les luddites, lord Byron et Sismondi

Avec la première révolution industrielle apparaît une controverse sur la nature du travail, le rôle de l’homme face à la machine et le caractère ambigu du progrès qui renoue avec les convictions de Vespasien. Suscitée par la révolte des luddites, elle est entrée dans l’histoire de la pensée économique sous le nom de « querelle de la manivelle de Sismondi ».
Les luddites sont ces ouvriers tisserands qui dans les années 1810 couraient la campagne anglaise pour casser les machines qu’ils accusaient de détruire leurs emplois et, par-delà, leur source de revenu. Ils tirent leur nom de Ned Ludd, un ouvrier qui, en 1780, a brisé deux métiers à tisser pour préserver son emploi. L’action est devenue légendaire. Au sens propre du terme car il n’est pas sûr que Ludd, gratifié par la suite des titres de colonel, général ou même roi, ait réellement existé. Sismondi, l’un des économistes les plus en vue du début du XIXe siècle, est aussi l’un des rares à comprendre l’angoisse et la violence des luddites… Mais n’anticipons pas sur les thèses de Sismondi et revenons à ces actes de violence, justement, car c’est de là que tout est parti.

Lord Byron défend les luddites

Nous sommes en 1812, à Londres, dans un lieu prestigieux s’il en est, puisqu’il s’agit de la Chambre des lords. Plus précisément, nous y sommes le 27 février et lord Byron (1788-1824) va prendre la parole. Le lord romantique siège officiellement dans cette auguste assemblée depuis trois ans. Mais, en pratique, il ne l’a rejointe que depuis juillet 1811. Son discours de février 1812 est un coup d’essai qui entre dans l’histoire comme un coup de maître. Le thème de ce discours ? La mise aux voix d’un texte qui propose de punir les luddites de la peine de mort à cause des violences qu’ils sont en train de commettre.
Byron, tout le monde le connaît sans vraiment savoir qui il est. Il reste à ce jour le poète romantique anglais par excellence. Il est aussi le symbole du dandysme : selon ses propres dires, il a retiré de son éducation dans la prestigieuse université de Cambridge son « diplôme dans l’art du vice ». Il y a aussi acquis des convictions libérales qui font de lui un whig8. Ces convictions vont le conduire à défendre la Grèce dans le combat qu’elle mène pour son indépendance contre les Ottomans. C’est d’ailleurs en Grèce qu’il trouvera la mort en 1824.
Pour bien comprendre la portée de son discours de février 1812, il faut faire un petit retour en arrière. En 1811, cernée et étouffée par le blocus continental décrété par Napoléon à l’automne 1806, l’économie du Royaume-Uni est à la peine. Celle du continent aussi d’ailleurs au point que certains pays de l’orbite napoléonienne cherchent par tous les moyens à échapper à l’étau douanier. C’est le cas de la Russie dont Napoléon a fait son alliée à Tilsitt en 1807. En 1811, la Russie est devenue la tête de pont d’un vaste ensemble contrebandier. Napoléon entreprendra de la punir l’année suivante avec le résultat que l’on connaît.
En cette même année 1811, au Royaume-Uni, les entreprises textiles, privées de leurs débouchés à l’export, licencient et cassent les prix sur le marché intérieur pour être sûres d’écouler la marchandise qu’elles ne vendent plus sur le continent. La chute des prix met en difficulté les petits tisserands, et ce d’autant plus que la fin de l’arrivée du blé français fait exploser le prix du pain. Pris en tenaille, les petits tisserands se persuadent rapidement que leur malheur vient des métiers modernes qu’utilisent les grandes entreprises.
En mars 1811, à Nottingham9, une émeute éclate. Elle se termine par le bris de 60 métiers. Dans le feu de l’action, les émeutiers placent leur mouvement sous la haute autorité de Ludd. Certains affirment même l’avoir vu physiquement à la tête de la révolte. Les autorités ne savent comment réagir. Elles ne prennent pas la chose à la légère mais lui donnent un contenu plus politique qu’économique. Elles sont persuadées que le mythique Ned Ludd a été « ressuscité » par les services secrets de la France napoléonienne pour affaiblir le pays de l’intérieur…
La répression s’organise et prend un tour extrême avec la mise au vote de la loi punissant de mort le bris de machines.
C’est alors que Byron entre en scène et prend la parole pour défendre les ouvriers tisserands. Non sans un certain courage car il sait qu’il pourrait être accusé de soutenir des créatures de la France, des complices plus ou moins conscients de l’ennemi. Il écarte cette idée et fait le constat de l’origine économique et sociale des émeutes :
Un tort considérable a été causé aux propriétaires des métiers perfectionnés. Ces machines leur étaient avantageuses, en ce sens qu’elles rendaient inutile l’emploi d’un certain nombre d’ouvriers, qui, en conséquence, n’avaient plus qu’à mourir de faim. Par l’adoption d’une espèce de métier, en particulier, un seul homme faisait l’ouvrage de plusieurs, et l’excédent des travailleurs était laissé sans emploi10.
Puis, il marque son indignation à l’égard du sort fait aux ouvriers qui ont été acculés à briser des machines, sans bien sûr que les Français les aient manipulés de près ou de loin.
Ces hommes n’ont brisé les métiers que lorsqu’ils sont devenus inutiles, pire qu’inutiles, que lorsqu’ils sont devenus un obstacle réel à ce qu’ils gagnassent leur pain quotidien. Pouvez-vous donc vous étonner que dans un temps comme le nôtre, où la banqueroute, la fraude prouvée, la félonie imputée, se rencontrent dans des rangs peu au-dessous de celui de Vos Seigneuries, la portion inférieure, et toutefois la plus utile de la population, oublie ses devoirs dans sa détresse, et se rende seulement un peu moins coupable que l’un de ses représentants ? Mais tandis que le coupable de haut parage trouve les moyens d’éluder la loi, il faut que de nouvelles offenses capitales soient créées, que de nouveaux pièges de mort soient dressés pour le malheureux ouvrier que la faim a poussé au crime ! Ces hommes ne demandaient pas mieux que de bêcher, mais la bêche était dans d’autres mains. Ils n’auraient pas eu honte de mendier, mais il ne se trouvait personne pour les secourir. Leurs moyens de subsistance leur étaient enlevés ; aucune autre nature de travail ne s’offrait à eux, et leurs excès, tout condamnables et déplorables qu’ils sont, ne doivent pas nous surprendre11.
De par son statut, Byron trouve soutien et opposition.
L’opposition, d’abord, est celle de ses collègues de la Chambre des lords qui le sifflent à la fin de son discours ; puis celle de la Chambre des communes, q...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Du même auteur chez Odile Jacob
  4. Copyright
  5. Introduction
  6. CHAPITRE 1 - La manivelle de Sismondi ou quel est l’avenir du travail ?
  7. CHAPITRE 2 - La lettre de Keynes ou qu’est-ce que la dette ?
  8. CHAPITRE 3 - La controverse des deux Cambridge ou peut-on mesurer le capital ?
  9. En guise de conclusion
  10. Table