Fondements naturels de l'éthique
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Fondements naturels de l'éthique

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Fondements naturels de l'éthique

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Sur quoi reposent les normes éthiques? Comment expliquer l'universalité de l'exigence morale chez les hommes en dépit des différences qui séparent les mœurs? Les sciences biologiques, à défaut de fonder une morale naturelle, peuvent-elles indiquer des voies de recherche? Sur ce thème, Jean-Pierre Changeux, aujourd'hui président du Comité national d'éthique, a réuni des philosophes, des psychologues, des anthropologues, des juristes, des neurobiologistes dans le cadre d'un grand colloque organisé en 1991 par la Fondation pour la recherche médicale. Cet ouvrage présente une synthèse de ces travaux particulièrement novateurs en France.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1993
ISBN
9782738184047
Troisième partie
Éthique et société
Normativité biologique
et normativité sociale
Anne Fagot-Largeault1
« Toute morale… est d’essence biologique »
Henri Bergson ([4], p. 103)
Dire que l’éthique est fondée en nature, cela peut signifier soit que nous trouvons dans la nature des indices ou des orientations pour ce que nous devons faire, soit que nous n’avons pas à craindre de « transgresser des barrières naturelles » parce que la nature prend soin de poser les barrières elle-même, soit que le processus d’innovation-régulation éthique fait partie du processus naturel de l’évolution biologique. La présente communication se limite pour tester ces hypothèses à analyser certains aspects de la régulation éthico-juridique par le corps social des avancées biomédicales récentes. Elle esquisse une interprétation du mouvement bioéthique contemporain comme tâtonnement adaptatif.
« Il n’y a dans la nature ni bien ni mal », dit Spinoza ; il dit encore : « Nous ne voulons pas une chose parce que nous jugeons qu’elle est bonne, mais nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir » ([48], CT, II, 4, 5 ; E, III, Prop IX, Scol.). Hume écrit de son côté : « Il n’y a rien d’estimable ou de méprisable en soi, de beau ou de laid en soi ; mais ces qualités naissent des sentiments et des affections des hommes, de leur constitution et de leur fabrique particulières » ([22], 4). Sauf à prendre « nature » au sens restreint de « nature humaine », la philosophie moderne (rationaliste ou empiriste) est réticente à l’égard du naturalisme moral. Il apporte avec lui « l’argument paresseux » : si la nature fait bien les choses, pourquoi se fatiguer à vouloir les changer ? À la maxime des anciens : « suivre la nature », Mill oppose la règle « de ne pas suivre la nature, mais de l’améliorer » [34]. Moore accuse l’éthique naturaliste de commettre une faute de logique en prétendant dériver ce qui est bon de ce qui est (« naturalistic fallacy » : [35], ch. 2). Il visait principalement Spencer, dont les ouvrages avaient popularisé l’idée que le bien est ce qui va dans le sens de l’évolution, et que l’éthique a pour fonction d’étudier scientifiquement les moyens de s’adapter, dans la lutte pour l’existence. Les excès du darwinisme social, l’engagement de zélateurs de Darwin en faveur du capitalisme sauvage, ont achevé de donner au naturalisme évolutionniste une réputation douteuse. Cela, bien que la biologie darwinienne ait servi la dialectique d’autant de socialistes que de libéraux, comme le rappellent les défenseurs d’une éthique évolutionniste ([40], § 1). Mais puisque l’évolutionnisme néo-darwinien est aussi à l’arrière-plan d’attitudes libertaires (Popper, in [39], I, 6, § 1), ou d’engagements écologistes (Wilson [54]), il est tentant de penser qu’il ne « fonde » suffisamment aucune morale du tout.
Il existe de nombreuses variétés de naturalisme moral. À l’époque moderne, le naturalisme moral est moins une philosophie qu’une position polémique. Il s’agit de rappeler l’homme à la modestie de sa condition, en utilisant les découvertes de la science cosmologique (« qu’est-ce que l’homme dans la nature ? » … [38], I, 1, 84 [347]), ou biologique (l’homme et tous les autres vertébrés sont de « commune descendance », c’est par « arrogance et préjugé » que nos ancêtres ont prétendu descendre des dieux… [14], I, ch. 1). Le naturalisme récuse à la fois l’étroitesse d’un humanisme anthropocentré, et la présomption d’une supposée transcendance des intuitions morales. Nous sommes des êtres naturels : nous ne pouvons nous prévaloir ni d’une « différence radicale » avec le reste, ni d’une « ligne directe » avec le ciel. En dépit d’analogies entre les naturalismes de type darwinien et l’existentialisme ([15], § 4.4), la provocation naturaliste se distingue de la provocation sartrienne (« Il n’est écrit nulle part qu’il faut être honnête… » [43]). Pour le naturaliste, quelque chose est écrit quelque part (« Les gènes tiennent la culture en laisse » [53], ch. 7), qui limite l’arbitraire de nos choix, et nous évite le cynisme ou le relativisme moral. La nature nous guide, nous en sommes dépendants.
L’expression « fondements naturels » est équivoque. Les fondements d’une théorie peuvent être des principes déterminants, ou de simples appuis. « Naturel » peut être opposé à « artificiel », à « surnaturel », à « contre nature ». Lorsque le troisième sens prévaut, il s’agit de nature vivante. On peut schématiquement opposer un naturalisme fort (ou « moralisme biologique » Trigg, in [40]), qui réduit la morale à la biologie, et un naturalisme faible (de style aristotélicien, ou bergsonien), qui place la morale dans le prolongement de la nature et non en rupture avec elle, sans visée réductionniste. Les arguments développés ci-après soutiennent une position naturaliste faible.
Ces arguments ne seront cherchés ni du côté de la logique des raisonnements moraux, ni du côté de l’épistémologie de la justification, ni du côté de la généalogie du sens moral. Je laisse de côté la question de savoir s’il est possible de déduire un énoncé prescriptif d’un énoncé descriptif, éventuellement via un énoncé évaluatif, sans commettre le « paralogisme naturaliste » (cf. [21], II, 5 ; [44] ; [40] ; [41] ; etc.). Je laisse de côté le vieux problème du lien entre mobiles et motifs, et celui de la compatibilité entre explication causale d’un acte et responsabilité morale de l’agent (Flew, in [39] ; [41]). Je laisse de côté l’énigme de l’origine du sens moral dans l’espèce humaine : si les normes morales sont le produit de l’évolution culturelle ou de l’évolution biologique, s’il existe des injonctions morales innées, sélectionnées par l’évolution, encodées dans le génome de notre espèce (comme l’altruisme [52], [31], [42], [3]). Ma démarche est empirique et limitée. Elle vient de l’impression récurrente, acquise sur le terrain, qu’un élément de naturalisme tempère les attitudes morales les plus responsables, même s’il n’est pas toujours facilement avoué. Je cherche si les avancées de la biologie et de la médecine qui ont suscité des inquiétudes éthiques, des tourments, un débat, des tentatives de régulation, portent en elles des indications de ce qu’il faut faire ; si l’entreprise de connaissance est moralement neutre ; si la normalisation par le corps social est purement extérieure et arbitraire par rapport aux données des sciences biomédicales, ou si l’on peut mettre en évidence une complicité entre la norme biologique et la norme sociale. Les trois aspects abordés successivement correspondent aux trois hypothèses formulées en commençant.
Indices naturels et déontologie médicale
Trouvons-nous dans la nature des indices ou des orientations pour ce que nous devons faire, ou juger acceptable ? Prenons l’exemple du diagnostic prénatal (DPN).
Le DPN a connu depuis 1970 un développement remarquable. L’objectif est la détection d’anomalies fœtales au cours de la grossesse. Le diagnostic est soit morphologique (par échographie), soit cytogénétique (par prélèvement de cellules du liquide amniotique ou des villosités choriales, ou par ponction de sang fœtal ou maternel). Dans les pays développés la première méthode (échographie) est accessible à toutes les femmes enceintes, la seconde (en général, amniocentèse) est proposée aux femmes âgées, ou aux couples dits « à risque » de transmettre une malformation. Le DPN a fait la preuve de son acceptabilité sociale, comme en témoigne la progression du nombre d’examens effectués. Pour le diagnostic cytogénétique, en France : en 1972, 2 000 examens ; en 1987, plus de 12 000 ; en 1989, 21 000. Le DPN peut aboutir à une demande d’interruption de grossesse (interruption dite « thérapeutique » : ITG) quand l’examen est « positif », c’est-à-dire, quand le fœtus a été trouvé anormal.
Dans le milieu professionnel, l’accord s’est réalisé assez facilement sur les indications moralement acceptables d’interruption de grossesse, et celles qui sont abusives. Un groupe de gynécologues-obstétriciens français ([33], 1984) a formulé des règles déontologiques. Selon ces praticiens, on ne peut pas refuser la demande d’ITG pour une « affection grave et incurable » (ex., trisomie 13 ou 21, thalassémie, chorée de Huntington, myopathie de Duchenne) ; on ne saurait l’accepter pour une affection « mineure ou curable chirurgicalement » (ex., hexadactylie, bec-de-lièvre), ou pour une condition qui n’est pas une maladie (ex., sexe indésirable). Entre les deux « les limites sont presque impossibles à déterminer ». Il y a des maladies invalidantes dont le traitement est imparfait et astreignant mais compatible avec une vie sub-normale (ex., hémophilie, phénylcétonurie) : l’opportunité d’interrompre la grossesse dans ces cas est laissée au jugement prudentiel qui s’élabore dans le colloque singulier parents-médecins.
Les indications « médicalement acceptables » d’ITG sont celles qui correspondent à des maladies qui abrègent l’espérance de vie, et/ou qui donnent une qualité de vie misérable. Les êtres qu’on élimine sont ceux que la sélection naturelle condamne de toute façon. L’acte médical devance ou retouche la sélection naturelle, il va dans le même sens. Et les êtres biologiquement aptes, contre lesquels s’exerce une discrimination sociale (ex., les filles), le médecin au contraire les protège. Rien de plus naturel, dira-t-on : il s’agit de déontologie médicale. La morale médicale est au service de la vie.
Mais la morale commune n’est pas très différente.
Y. Grenier (1990) a interrogé, entre 1985 et 1988, 246 personnes en France (Val-de-Marne) et au Québec (Montérégie) : parents d’enfants trisomiques et femmes ayant eu recours à l’amniocentèse pour recherche de trisomie. Son hypothèse (que les faits n’ont pas confirmée) était que la banalisation du diagnostic prénatal ne peut qu’aboutir à la détérioration des conditions de vie des enfants atteints des anomalies objets de dépistage (parce qu’ils sont porteurs de handicaps sur lesquels la collectivité porte un jugement péjoratif, et qu’elle cherche à éliminer). Y. Grenier pensait que l’offre du DPN, dans le cadre institutionnel rassurant de la médecine, légitime une forme d’eugénisme négatif (élimination de tares), et libéral (non obligatoire), et accrédite l’idée qu’on peut faire des enfants parfaits. Elle jugeait cette dérive dangereuse, parce que tout ce qui naît imparfait risque d’être mal supporté.
Elle posait donc aux couples entre autres la question : Au fond vous vouliez un enfant parfait ? Elle récolta des réponses presque unanimes : « Je ne veux pas que mon enfant soit parfait, mais normal. » « Question piégée », dit l’un des interlocuteurs ; « image publicitaire », dit un autre. « Le stéréotype du parfait, je suis contre » ; « c’est un genre de cliché ». « Ce qui est important c’est qu’il soit en bonne santé ; on souhaitait qu’il n’ait pas de handicap. » « On veut des enfants normaux. » « On choisit dans le sens d’une qualité de vie. » « Je suis en faveur de dépister les maladies, pas programmer la perfection ; programmer la perfection c’est une histoire complètement à part. » « Pour une mère il est souhaitable que son enfant soit capable d’évoluer dans la société…, de se défendre…, de progresser, de se développer et surtout de devenir autonome » ([19], II, 3, 5 : 219-223).
« Non pas parfait, mais normal. » Réfléchissons, à la lumière des analyses de Canguilhem ([7]), à trois sens possibles du mot « normal » dans ce contexte.
Au sens statistique, être normal, c’est être « dans la moyenne » (ne pas se distinguer). « Je veux un enfant normal » signifie : je veux qu’il soit comme les autres, qu’il ne soit pas montré du doigt (ni nous, sa famille), qu’il ne soit pas un monstre. Certainement il y a dans le discours des parents cette note de conformisme, mais elle reste discrète. Ils savent tous que l’homme « moyen » n’existe pas, que nous sommes différents. « Il n’y a pas de perfection » ([19], p. 176). « Diversité n’est pas maladie » ([5], II, 2). Du reste, ces parents disent aussi : quand on attend un enfant, naturellement on souhaite qu’il soit le plus beau, le plus intelligent, le meilleur, qu’il récolte toutes les bonnes notes à l’école ; donc qu’il se distingue, qu’il soit au-dessus de la moyenne !
Alors, peut-être veulent-ils l’enfant idéal ? C’est un second sens de « normal » : « qui ressemble à un modèle de perfection ». « Tous les parents l’ont eu, ce modèle type » ([19], p. 222). Mais autant qu’on puisse dire, il n’est pas déterminant. Certes, il y a ce père qui choisit l’interruption même pour une anomalie physique légère, comme un doigt en plus ou un bras en moins : tant qu’à faire, si l’on peut en avoir un tout à fait « correct » … Sa femme ne le suit pas ([19], p. 206). La plupart des couples déclarent qu’ils ne cherchent pas à fabriquer l’enfant idéal, mais à éviter de mettre au monde un enfant « hypothéqué », frappé de « handicap majeur », qui n’aurait « aucune qualité de vie » ([19], pp. 193-194, et 223). Non pas élire le meilleur, mais éviter le pire : ce qui se passe lors du DPN est très loin du choix d’un modèle de voiture sur un catalogue. À cause de la néoténie de l’être humain, on ne juge pas du produit fini, mais de certaines conditions nécessaires d’un résultat possible. Il ne suffit pas de mettre au monde un beau bébé : si l’on ne s’en occupe pas tous les jours pendant des années, il ne sera ni le plus réussi ni le meilleur. On ne peut pas le choisir parfait, parce qu’au moment du choix il n’est pas fini, il n’est qu’une ébauche, et toutes sortes d’accidents de développement peuvent encore se produire. Deux autres enquêtes indépendantes de celle d’Y. Grenier (cf. [17], pp. 29-30 et 52) confirment que ce qui incite les femmes à recourir au DPN n’est pas le stéréotype de l’enfant parfait, mais plutôt une volonté de procréation responsable. « On voulait qu’il ait sa chance. » « On est responsable de ce qu’on engendre » ([19], p. 221).
Reste le troisième sens de « normal », celui sur lequel Canguilhem a attiré l’attention : « normatif », « capable d’autonomie biologique ». L’organisme vivant « fait sa norme », il peut « tomber malade et s’en relever » ([5], II, 3). L’être handicapé a une normativité défaillante. Il ne semble pas abusif de dire qu’il y a une normalité biologique minimale au-dessous de laquelle on sait que l’être en développement n’accédera pas à un épanouissement physique qui lui permette l’exercice d’une autonomie personnelle, c’est-à-dire d’une vie vraiment humaine. « C’est une question de l’autonomie de cet enfant » ([19], p. 193). « Vivre, c’est vivre décemment, et non… dépendant des autres » ([19], p. 189). Les parents insistent sur l’importance de ce critère d’accession à l’autonomie : « Je veux que ces enfants puissent évoluer, qu’ils ne soient pas confinés en chaise roulante ou confinés à avoir toujours quelqu’un près d’eux à la maison » ([19], p. 212). Pour cette raison, le handicap jugé le plus grave est le handicap neuro-psychique : « Mentalement, c’est pire que physiquement » ([19], p. 186). « Si l’enfant avait été atteint mentalement, que c’était sûr à 100 %, je ne pense pas qu’on l’aurait gardé… par contre si on m’avait dit qu’il étai...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Préface - Jean-Pierre Changeux
  5. Introduction - Marc Kirsch
  6. Éthique et évolution
  7. Éthique, neurosciences, psychologie
  8. Éthique et société