Haute Tension
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Haute Tension

  1. 240 pages
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Haute Tension

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À propos de ce livre

MathĂ©maticien, Ă©conomiste, Marcel Boiteux a dirigĂ©, des annĂ©es durant, EDF, qu'il a profondĂ©ment marquĂ© et dont il est aujourd'hui prĂ©sident d'honneur. Son parcours Ă©claire un milieu social (celui des scientifiques et des grands commis de l'État), un processus de recherche (le coĂ»t marginal), une grande entreprise et sa stratĂ©gie, les mĂ©canismes de carriĂšre et de pouvoir dans le secteur public, les rapports entre l'État et les entreprises publiques, les processus de dĂ©cision sur d'importantes questions comme la politique nuclĂ©aire.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1993
ISBN
9782738173683
DEUXIÈME PARTIE
XIII
Grandes manƓuvres salariales

Un normalien Ă  la tĂȘte d’EDF ! Paris-Presse titra en gros caractĂšres, comme si une catastrophe s’était abattue quelque part dans le monde : « L’EDF arrachĂ©e Ă  l’École Polytechnique. » Une cabale, que j’affectai d’ignorer, rĂ©unit quelques seigneurs de la Maison : non seulement je n’étais pas corpsard mais, Ă  la diffĂ©rence de tous mes collĂšgues, je n’avais jamais « commandĂ© devant l’ennemi ». Autrement dit, je n’avais jamais Ă©tĂ© Ă  la tĂȘte d’une unitĂ© d’exploitation, jamais Ă©tĂ© soumis aux manifestations parfois violentes d’un personnel en action revendicative. Je n’avais mĂȘme pas eu l’occasion de mener une rĂ©union paritaire avec les syndicats. C’était vrai. Dans une maison oĂč les relations avec le personnel et ses reprĂ©sentants Ă©taient d’une importance majeure, Pierre MassĂ© faisait le pari, osĂ©, que je saurais m’en tirer.
Il Ă©tait vrai que, n’étant pas ingĂ©nieur, j’étais pratiquement restĂ© Ă  l’écart du nuclĂ©aire, Ă  l’écart des conflits d’attribution et de filiĂšres qu’il suscitait, alors que ma nomination intervenait en pleine crise. Oserai-je mĂȘme avouer qu’écologiste de naissance – mon pĂšre et ma mĂšre Ă©taient tous deux naturalistes –, j’avais quelque apprĂ©hension devant cette nouvelle forme d’énergie, frappĂ©e du sceau d’Hiroshima ? Je partageais plus ou moins consciemment cette impression, assez rĂ©pandue chez les protestants, qu’en mobilisant l’énergie qui rĂ©gnait au cƓur de la matiĂšre, l’Homme s’emparait d’une force que le Bon Dieu n’avait pas mise dans son berceau. Le mythe de PromĂ©thĂ©e
 Toutefois, Ă  la diffĂ©rence de beaucoup d’autres, ma culture scientifique m’interdisait de transformer cette impression en conviction tant que je n’aurais pu me faire une idĂ©e plus prĂ©cise du sujet. L’occasion allait venir d’en savoir plus.
Mais, comme il Ă©tait Ă  prĂ©voir, c’est par les affrontements avec le personnel que je commençai mes classes.
*
À dĂ©faut d’en avoir la pratique, j’avais quand mĂȘme une bonne connaissance des questions salariales et des conditions, trĂšs particuliĂšres, de leur rĂšglement. EDF Ă©tait devenue, en matiĂšre de salaires, le phare de la fonction publique et des entreprises nationalisĂ©es. Nos agents avaient, souvent Ă  tort, parfois Ă  raison, la rĂ©putation d’ĂȘtre bien payĂ©s, et tous les « autres » avaient les yeux fixĂ©s sur nous. Moyennant quoi, l’ouverture d’une nĂ©gociation salariale Ă  l’EDF Ă©tait un Ă©vĂ©nement majeur : tout le reste du secteur public et parapublic attendait d’en connaĂźtre l’issue pour rĂ©clamer au moins autant. L’enjeu de la nĂ©gociation prenait donc une dimension nationale, le sort du franc en dĂ©pendait, et tout se dĂ©cidait Ă  Matignon.
Le directeur gĂ©nĂ©ral d’EDF n’en devait pas moins affecter de nĂ©gocier en toute libertĂ©, dans le seul souci des intĂ©rĂȘts de l’entreprise et de ses agents, comme le voulait l’article 9 du statut du personnel. Et les dirigeants syndicaux Ă©taient dans leur rĂŽle en affichant ne rien savoir de cette situation, ou en exigeant que le directeur gĂ©nĂ©ral prenne ses responsabilitĂ©s lorsque des fuites avaient eu lieu dans la presse sur les directives Ă©mises par le Premier ministre.
Il existe, Ă  vrai dire, bien des maniĂšres d’accroĂźtre les rĂ©munĂ©rations sans augmenter le taux des salaires : par exemple, en nommant capitaines tous les lieutenants, on accroĂźt les rĂ©munĂ©rations par tĂȘte dans l’entreprise sans toucher Ă  la grille des rĂ©munĂ©rations
 J’avais suivi les travaux des Commissions ToutĂ©e et GrĂ©goire, qui visaient prĂ©cisĂ©ment Ă  mettre de l’ordre dans les concepts, Ă  distinguer les hausses de salaires en « niveau » et en « masse »1, et Ă  codifier l’analyse des hausses de rĂ©munĂ©ration autres que salariales, le fameux GVT : on devait sĂ©parer les effets de la « technicitĂ© » T (un lieutenant devient capitaine parce qu’il en a acquis et les compĂ©tences et la fonction – ou des responsabilitĂ©s Ă©quivalentes), de ceux des « glissements » G (on nomme des lieutenants capitaines sans rien changer Ă  leurs fonctions) et du « vieillissement » V (Ă  fonction inchangĂ©e, l’agent obtient tous les trois ans une hausse de salaire Ă  l’anciennetĂ©).
Ces subtilitĂ©s, qui passaient trĂšs loin au-dessus de la tĂȘte de l’agent moyen, Ă©taient essentielles pour analyser les hausses annuelles de rĂ©munĂ©ration, les contrĂŽler et les comparer valablement d’une entreprise Ă  l’autre.
Tandis que ces concepts prenaient forme, AndrĂ© Decelle m’avait demandĂ© de rĂ©flĂ©chir discrĂštement, avec le directeur du Personnel, Ă  une rĂ©forme de la grille des rĂ©munĂ©rations, qui Ă©tait complĂštement rouillĂ©e. Une hausse des salaires Ă  l’anciennetĂ©, notamment, y Ă©tait prĂ©vue, mais cette « anciennetĂ© » pouvait ĂȘtre accĂ©lĂ©rĂ©e, au choix, pour rĂ©compenser les agents les plus dĂ©vouĂ©s Ă  leur tĂąche. Le systĂšme Ă©tait excellent dans ses dĂ©buts, mais il avait vieilli et le moment Ă©tait venu oĂč tous les bons agents Ă©taient arrivĂ©s, jeunes encore, au butoir de leur grade. D’autre part, Ă  l’exemple de la plus ancienne entreprise nationalisĂ©e – je veux parler de l’ArmĂ©e –, il eĂ»t fallu qu’un vieil adjudant-chef puisse ĂȘtre nettement mieux rĂ©munĂ©rĂ© qu’un jeune aspirant. Cela conduisait Ă  crĂ©er, au sommet de la maĂźtrise, une position de rĂ©munĂ©ration recouvrant celle des jeunes cadres. On Ă©viterait ainsi que se gĂ©nĂ©ralise le procĂ©dĂ© fĂącheux consistant, pour sanctionner les mĂ©rites d’un excellent agent de maĂźtrise, Ă  le promouvoir systĂ©matiquement comme cadre Ă  une fonction dont il pouvait n’avoir ni le goĂ»t ni les capacitĂ©s.
Masse et niveau salarial
Si le « niveau » des salaires augmente de 4 % au 1er janvier, le poste salaires de la comptabilitĂ© passera de 100 Ă  104 : l’effet de « masse » est aussi de 4 %. Mais si la mĂȘme hausse a seulement lieu le 1er juillet, son effet sur les comptes de l’exercice est limitĂ© Ă  six mois et le poste salaires passe seulement de 100 Ă  102 : la hausse est de 4 % en niveau et de 2 % en masse. En revanche, l’annĂ©e suivante, la hausse du 1er juillet prĂ©cĂ©dent pĂšsera sur tout l’exercice et, en l’absence de nouvelle hausse en niveau, la masse sera de 104 ; d’oĂč, pour ce deuxiĂšme exercice comptable rapportĂ© au premier, une hausse du poste salaires de 104/102. Ainsi, l’annĂ©e suivante, on observera une hausse en masse de 2 % (exactement 1,96 – quotient de 104 par 102), malgrĂ© l’absence de toute hausse en niveau : c’est l’effet « report ». En somme, une hausse en cours d’annĂ©e entraĂźne un effet de masse infĂ©rieur Ă  son effet en niveau, l’écart se retrouvant, l’annĂ©e suivante, sous forme d’effet report.
En revanche, si l’on dĂ©cide d’accorder une prime exceptionnelle, et non reconductible, faisant passer la masse de 100 Ă  102, l’annĂ©e suivante la masse se retrouvera Ă  100 en l’absence de mesures nouvelles et, rapportĂ©e Ă  l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, la masse salariale aura variĂ© de 100/102, donc baissĂ© de 2 % : l’effet report est nĂ©gatif et Ă©gal Ă  l’effet en masse de l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente

Ainsi m’étais-je initiĂ© aux concepts grĂ©goriens et aux joies de la grille.
Enfin, pour assurer ma formation accĂ©lĂ©rĂ©e, j’avais accompagnĂ© Decelle depuis le dĂ©but de l’annĂ©e aux grand-messes salariales oĂč, sur l’essentiel, le directeur gĂ©nĂ©ral n’avait le droit de rien faire mais n’avait pas le droit de le dire, face Ă  des dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux qui, au risque de ne pas ĂȘtre rĂ©Ă©lus, ne pouvaient sortir trop souvent de ces rĂ©unions sans un peu de blĂ© Ă  moudre.
En fait, les syndicats n’en voulaient pas au directeur gĂ©nĂ©ral, plaquĂ© contre son mur. Mais ce mur mĂȘme, parce qu’il ne comportait aucune issue, les mettait dans un Ă©tat extrĂȘme d’exaspĂ©ration. Les plus constructifs se dĂ©sespĂ©raient de ne pouvoir avancer utilement la moindre idĂ©e, tandis que les autres renforçaient leur pouvoir sur leurs troupes en les appelant Ă  l’indignation et Ă  la rĂ©volte.
J’hĂ©ritai de ce climat difficile. Les dirigeants des syndicats « minoritaires » (FO, CFDT, UNCM – l’Union des cadres) ne m’étaient pas hostiles a priori, mais ceux de la CGT, que je n’avais jamais rencontrĂ©s, n’avaient aucune raison de me faire des cadeaux.
*
Incidents, affrontements, grĂšves locales, rien ne s’arrangeait lorsque Ă©clatĂšrent les Ă©vĂ©nements de Mai 1968.
Tandis que s’amorçaient, sous la prĂ©sidence du Premier ministre, les nĂ©gociations de Grenelle pour le secteur privĂ©, je fus chargĂ© de rĂ©unir les dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux d’EDF-GDF2 au ministĂšre de l’Industrie – rue de Grenelle aussi. C’était donc sur mes Ă©paules, apparemment, qu’allait reposer la nĂ©gociation dont s’inspirerait tout le secteur public et parapublic, soit 30 % de la population active.
À son retour de Roumanie, le dimanche 12 mai, Georges Pompidou m’avait convoquĂ© Ă  Matignon pour me dire qu’il Ă©tait indispensable que le rĂ©seau Ă©lectrique tienne, afin de ne pas ajouter Ă  la confusion.
J’admirai son calme olympien et le rassurai sur l’état d’esprit des syndicats, et notamment de la CGT qui ne me semblait pas reconnaĂźtre sa rĂ©volution dans les soubresauts qui agitaient la France. EDF n’était pas en grĂšve – hors quelques initiatives locales. Ce qui ressemblait partout Ă  des piquets de grĂšve, m’assura le dĂ©lĂ©guĂ© CGT, n’avait d’autre mission que de « protĂ©ger » les immeubles et les installations. Je ne pus m’empĂȘcher de penser cependant que ces Ă©quipes, placĂ©es en position stratĂ©gique, pouvaient recevoir d’autres instructions le moment venu.
Le climat Ă©tait Ă©trange. Lorsque j’arrivai au ministĂšre pour rencontrer les dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux, la cour Ă©tait vide. C’était le chĂąteau de la Belle au bois dormant. Dans ce dĂ©sert, mon seul contact avec le pouvoir Ă©tait le conseiller social du ministre.
Les instructions Ă©taient de tenir, et de durer, en attendant de mieux savoir oĂč l’on irait. J’avais quand mĂȘme une petite poire pour la soif, qui m’évitait, au moment d’ouvrir les dĂ©bats, d’ĂȘtre totalement inhibĂ© par l’obsession de n’avoir rien dans les poches. Pour « durer », je commençai par solliciter les dĂ©clarations des diffĂ©rents syndicats, posai des questions pour faire rebondir le propos, soulignai un mot de l’un qui suscitait l’indignation de l’autre, ramenai la paix, philosophai sur les mĂ©rites de telle ou telle disposition de l’ancienne grille ou de la nouvelle
 Puis, au bout de quelques heures, la nuit venue, on dĂ©cida d’un commun accord de suspendre la sĂ©ance pour aller dormir.
À la reprise, il fallut bien en venir Ă  parler gros sous. AprĂšs de longs dĂ©bats souvent houleux, la possibilitĂ© de s’accorder sur un dispositif commençait finalement Ă  se faire jour, mais la CGT bloquait la nĂ©gociation par ses exigences. Celles-ci auraient certainement reçu le soutien de la grande majoritĂ© du personnel, mais les autres syndicats, les « minoritaires », soucieux de mĂ©nager la rationalitĂ© de la grille comme les intĂ©rĂȘts de la haute maĂźtrise et des cadres, s’y opposaient courageusement. On frĂŽlait l’invective. La CGT quitta finalement la sĂ©ance, en dĂ©clarant qu’elle en appellerait au ministre.
Quelques heures aprĂšs, je reçus un message m’annonçant qu’Olivier Guichard voulait me voir. Suspension de sĂ©ance. Le ministre m’annonça qu’instruit de la situation, il estimait qu’il fallait aller dans une voie
 qui ressemblait singuliĂšrement Ă  celle oĂč la CGT voulait nous engager, quitte Ă  rajouter 1 % Ă  l’enveloppe pour financer l’opĂ©ration. J’objectai que c’était dĂ©savouer la position courageuse prise par les minoritaires. Mais il apparut que l’enjeu dĂ©passait nos modestes personnes. Il fallait s’exĂ©cuter. De retour en sĂ©ance redevenue plĂ©niĂšre, j’essayai d’amortir le choc, sans pouvoir Ă©viter l’explosion. On en vint aux mains entre la CGT et les autres syndicats, et les plus sages eurent beaucoup de mal Ă  sĂ©parer les combattants.
Le calme revenu, le cours de cette nĂ©gociation fleuve reprit. On y passait jours et nuits. Mes habitudes d’intellectuel s’avĂ©rĂšrent bien utiles. À minuit, au moment de tout reprendre Ă  zĂ©ro, ou presque, j’étais frais comme l’Ɠil alors que nombre de mes partenaires Ă©taient Ă  ramasser Ă  la petite cuillĂšre.
Puis, un matin, le GĂ©nĂ©ral disparut. On ne savait plus Ă  quel saint se vouer. Durer Ă©tait de plus en plus difficile. La tension devint extrĂȘme et le soir, avant de nous sĂ©parer, le chef de la dĂ©lĂ©gation CGT, Roger Pauwels, me dĂ©clara, dans le feu de l’excitation oratoire, que la comĂ©die Ă©tait finie et que tout cela se rĂ©glerait demain par les armes.
Le lendemain, le GĂ©nĂ©ral Ă©tait revenu et le mĂȘme Pauwels, parfaitement urbain, affirmait la nĂ©cessitĂ© de conclure un accord pour le bien de nos entreprises, en conciliant les positions des uns et des autres.
Entre-temps, le Grenelle de Georges Pompidou avait avancĂ© et, par parallĂ©lisme, les marges de mon Grenelle s’étaient singuliĂšrement Ă©largies.
Le texte, soigneusement pesĂ©, d’un accord fut finalement Ă©tabli. Matignon en fut aussitĂŽt averti. Et tout faillit capoter.
Il Ă©tait Ă©crit que la valeur de je ne sais quelle indemnitĂ© s’entendait « en francs 68 ». Édouard Balladur, alors conseiller technique de M. Pompidou, me requit au tĂ©lĂ©phone pour me dĂ©clarer qu’il Ă©tait impossible, Ă  une Ă©poque oĂč le franc allait ĂȘtre sĂ©rieusement menacĂ©, de laisser passer une mention qui mettait aussi crĂ»ment en doute la pĂ©rennitĂ© de notre monnaie. Je plaidai l’innocuitĂ© de ce modeste dĂ©tail dans un texte de plusieurs pages, et le risque que prĂ©sentait pour notre accord le moindre changement. Il fut courtoisement inĂ©branlable.
Le lendemain matin, je dus donc annoncer Ă  mes partenaires, venus prendre leur exemplaire d’un texte que la nuit avait eu seulement pour objet de dactylographier, qu’il restait toutefois un petit dĂ©tail Ă  rĂ©gler. Mais ils avaient tous, eux aussi, des petits dĂ©tails Ă  rĂ©gler si l’on se remettait au travail ! AprĂšs les protestations, on en vint quand mĂȘme au fait et je pus assez rapidement dĂ©celer, dans les propos des uns et des autres, de quoi rĂ©diger une phrase qui donnerait satisfaction aux syndicats sans mettre en cause explicitement la pĂ©rennitĂ© du franc. Enfin !
J’apportai mon papier Ă  Olivier Guichard, qui me reçut avec Pierre MassĂ© dans le jardin du ministĂšre et voulut bien me fĂ©liciter.
Ce fut une semaine mĂ©morable. Tel Fabrice del Dongo au sein de la bataille, je n’en vis que mon modeste thĂ©Ăątre d’opĂ©ration. Mais j’avais conquis l’estime et la confiance des dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux.
Ces Ă©vĂ©nements de 68, parce que j’y reçus honorablement le baptĂȘme du feu, me furent bien prĂ©cieux par la suite. Il serait excessif d’en conclure pour autant que la paix sociale allait dorĂ©navant rĂ©gner dans nos Ă©tablissements.
*
DĂšs l’annĂ©e suivante, la CGT agitait Ă  nouveau ses troupes, les faisait venir de province par cars entiers pour manifester bruyamment. Nos accords de 1968 avaient certes permis d’engager certaines rĂ©formes et de rĂ©gler les problĂšmes salariaux de l’annĂ©e. Mais, en compensation de ces largesses, le gouvernement Ă©tait d’une extrĂȘme fermetĂ© sur l’évolution ultĂ©rieure des rĂ©munĂ©rations, au point de donner une interprĂ©tation restrictive aux accords conclus l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente avec sa bĂ©nĂ©diction.
AprĂšs quelques pĂ©ripĂ©ties, les autres syndicats, indignĂ©s, finirent par rejoindre la CGT pour lancer, en novembre 1969, une grĂšve gĂ©nĂ©rale. La population tolĂšre, certes mal, mais tolĂšre qu’une grĂšve entraĂźne des coupures d’électricitĂ© pendant une journĂ©e, Ă  condition que ces coupures soient annoncĂ©es Ă  l’avance et selon un horaire prĂ©cis. Mais si les coupures recommencent le lendemain, bloquent Ă  nouveau les mĂ©tros et les ascenseurs, metta...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. DĂ©dicace
  5. Sommaire
  6. Préface
  7. PREMIÈRE PARTIE
  8. DEUXIÈME PARTIE