L' Intelligence humaine n'est pas un algorithme
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L' Intelligence humaine n'est pas un algorithme

  1. 256 pages
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L' Intelligence humaine n'est pas un algorithme

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On parle aujourd'hui beaucoup d'intelligence, qu'il s'agisse des circuits biologiques du cerveau ou des circuits électroniques des ordinateurs. Mais qu'est-ce que l'intelligence? Partant de ses propres découvertes chez l'enfant, Olivier Houdé nous propose dans ce livre une nouvelle théorie de l'intelligence qui intègre le circuit court des intuitions et le circuit long des algorithmes, mais qui fait aussi et surtout la part belle au système inhibiteur, seul capable de bloquer les réponses, au cas par cas, selon le but et le contexte. C'est cette inhibition, indispensable pour corriger nos biais cognitifs, qui est la clé de l'intelligence et qu'il faut éduquer ou coder. Le professeur Olivier Houdé est l'un de nos plus éminents psychologues, auteur d'une œuvre déjà majeure. Directeur honoraire à la Sorbonne du Laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant (LaPsyDÉ) du CNRS, il est membre de l'Académie des sciences morales et politiques de l'Institut de France.

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Informations

CHAPITRE 1

À la découverte de l’intelligence des enfants


La conception de l’intelligence de l’enfant selon Jean Piaget était incrémentale, c’est-à-dire « stade après stade », de plus en plus élaboré1. C’est le « modèle de l’escalier », intuitivement cohérent avec la succession des âges dans l’enfance (de 0 à 18 ans) ou des classes à l’école (de la petite section de maternelle au bac). Dans ce modèle, chaque marche correspondait à un grand progrès, à un stade bien défini ou mode (structure) unique de pensée dans la genèse de l’intelligence logico-mathématique : de l’intelligence sensori-motrice du bébé (0-2 ans), fondée sur ses sens et ses actions, à l’intelligence conceptuelle et logique (nombre, catégorisation, raisonnement), d’abord concrète chez l’enfant (vers 7 ans), puis abstraite et formelle chez l’adolescent (vers 12-14 ans) et l’adulte.

Un bébé plus intelligent que ne l’imaginait Piaget

La nouvelle psychologie du développement cognitif, après Piaget, remet en cause ce « modèle de l’escalier » ou, pour le moins, indique qu’il n’est pas le seul possible2. D’une part, bien avant l’école, il existe déjà dans le cerveau des bébés des capacités cognitives assez élaborées (des algorithmes*1 ou règles), c’est-à-dire des connaissances proto-physiques, mathématiques (arithmétiques, statistiques, etc.), logiques et même psychologiques (sens social et moral, « théorie de l’esprit » et des émotions de l’autre), insoupçonnées de Piaget et non réductibles à un fonctionnement strictement sensori-moteur – ou première « marche de l’escalier ». Le cerveau du bébé est ainsi bien plus intelligent que ne l’imaginait Piaget3. D’autre part, la suite du développement de l’intelligence jusqu’à l’adolescence et l’âge adulte compris (la dernière « marche » de Piaget : la logique formelle) est jalonnée d’erreurs, de biais perceptifs et cognitifs, de décalages inattendus, incluant des retours en arrière ou régressions non prédits par la théorie piagétienne4. C’est ce que Daniel Kahneman appelle le système 1, très rapide et intuitif ou heuristique*, par rapport au système 2 plus lent, assez rarement appliqué selon lui, et qui correspond à la logique de Piaget5. Kahneman a reçu en 2002 le prix Nobel d’économie pour avoir ainsi démontré les nombreux biais et heuristiques de jugement qui subsistent encore (système 1) chez les adultes. Ce n’est dès lors pas seulement une question d’intuitions enfantines passagères (un stade préopératoire, avant l’âge de raison à 7 ans) comme le pensait Piaget.

Un développement dynamique et non linéaire

Plutôt que de suivre une ligne ou une flèche qui irait du sensori-moteur à l’abstrait (telle une oblique à travers l’escalier des stades de Piaget), j’ai proposé que l’intelligence du cerveau avance de façon beaucoup plus dynamique et non linéaire (non incrémentale), avec de multiples stratégies qui se chevauchent6. Dans le cerveau de chaque enfant ou adulte, des heuristiques très rapides et intuitives ou biais cognitifs (système 1, D. Kahneman) et des règles logiques ou algorithmes dits « exacts » (système 2, J. Piaget) peuvent ainsi entrer en compétition à tout moment. C’est ce qu’on appelle des « conflits cognitifs ».
Pour dépasser ces conflits, l’adaptation de l’ensemble du cerveau, c’est-à-dire l’intelligence ou la flexibilité, dépend de la capacité de contrôle exécutif du cortex préfrontal (système 3) – en lien avec les émotions et les sentiments – à inhiber le système 1 et à activer le système 2, au cas par cas, selon le but et le contexte de la tâche. Ainsi, selon ma théorie, penser, c’est inhiber, c’est-à-dire apprendre à résister à ses automatismes cognitifs (les heuristiques)7. C’est utile tant pour les enfants que pour les adultes car ces derniers restent encore de mauvais raisonneurs dans beaucoup de situations où leur système 1 domine, souvent inconsciemment8.
Par exemple, pour tester la solidité du raisonnement logique d’un enfant, demandez-lui si la déduction suivante est correcte : a) les éléphants sont des mangeurs de foin, b) les mangeurs de foin ne sont pas lourds ; cela permet-il de conclure que c) les éléphants sont lourds ? Les enfants d’école primaire répondent souvent trop vite que « oui », alors que rien, à l’évidence, ne leur permet de déduire logiquement cette conclusion (c) des prémisses, c’est-à-dire des deux premières phrases de l’exercice (a et b). Avec mon laboratoire, nous avons mesuré expérimentalement que, au cours du développement cognitif de l’enfant, la difficulté de cette tâche si-alors* (de type « syllogisme* »), comportant une conclusion très crédible mais non valide, est de parvenir à inhiber le contenu sémantique de la conclusion (le réseau du cerveau dit « de connaissances générales »), c’est-à-dire ici la forte croyance ou heuristique des enfants quant au poids des éléphants9. D’où leur réponse trop rapide et erronée qui s’arrête à cette seule connaissance répétée à la maison ou à l’école (système 1) sans raisonner sur la structure même du texte de l’exercice, d’un point de vue logique (système 2).
Le système 3 doit ici arbitrer en inhibant l’automatisme de pensée rapide du système 1 (l’heuristique « les éléphants sont lourds ») pour activer la logique du système 2 (le syllogisme si a-b, alors c) et réfléchir. Les deux premiers systèmes se développent en parallèle, car les jeunes enfants (même les bébés) ont déjà des capacités logiques (l’algorithme si-alors au niveau visuel, puis verbal), mais le troisième système et sa capacité inhibitrice arrivent plus tard.
Ce cerveau dit « exécutif » dépend de la maturation lente du cortex préfrontal. L’imagerie par résonance magnétique (IRM*)
Figure 1. Schématisation des modèles du développement cognitif : (A) stades « en escalier » (J. Piaget) ou (B) dynamique, selon des vagues (stratégies multiples) qui se chevauchent (R. Siegler). Lorsque ces stratégies entrent en conflit, il y a trois systèmes : les heuristiques dominantes (D. Kahneman), les algorithmes exacts ou règles logiques (J. Piaget) et le système inhibiteur qui permet d’arbitrer entre les unes et les autres selon le but et le contexte de la tâche (O. Houdé).
Figure 1. Schématisation des modèles du développement cognitif : (A) stades « en escalier » (J. Piaget) ou (B) dynamique, selon des vagues (stratégies multiples) qui se chevauchent (R. Siegler). Lorsque ces stratégies entrent en conflit, il y a trois systèmes : les heuristiques dominantes (D. Kahneman), les algorithmes exacts ou règles logiques (J. Piaget) et le système inhibiteur qui permet d’arbitrer entre les unes et les autres selon le but et le contexte de la tâche (O. Houdé).
anatomique a démontré, au début des années 2000, que ce lobe antérieur du cerveau est le dernier à arriver à maturation chez l’enfant et l’adolescent. Cette maturation correspond à un élagage tardif de matière grise10.

Piaget revisité : heuristiques approximatives, algorithmes exacts et inhibition

Un autre exemple, dans le domaine mathématique, permet de bien comprendre la généralité de ce phénomène. Il s’agit de la tâche de conservation du nombre de Piaget. Devant deux rangées qui ont le même nombre de jetons (7 et 7, par exemple) mais qui sont de longueurs différentes (après l’écartement de l’une des deux rangées), jusqu’à 6-7 ans l’enfant considère qu’« il y en a plus là où c’est plus long ». Piaget croyait que l’enfant n’était pas logique (pas encore au bon stade), qu’il était intrinsèquement limité au seul système 1, intuitif. Or la difficulté est ici d’apprendre à inhiber (système 3) l’heuristique perceptive « longueur égale nombre », alors même que l’enfant est déjà capable de compter et de manipuler les nombres11 (système 2).
Figure 2. La tâche piagétienne de conservation du nombre : Disposition des jetons avant et après le déplacement. On demande à chaque fois à l’enfant s’il y a ou non pareil – le même nombre – de jetons dans les deux lignes. Pour le second exercice (après le déplacement), l’enfant, jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans, répond erronément qu’« il y en a plus là où c’est plus long » ! Son cerveau est trompé par l’illusion visuelle de la longueur.
Figure 2. La tâche piagétienne de conservation du nombre : Disposition des jetons avant et après le déplacement. On demande à chaque fois à l’enfant s’il y a ou non pareil – le même nombre – de jetons dans les deux lignes. Pour le second exercice (après le déplacement), l’enfant, jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans, répond erronément qu’« il y en a plus là où c’est plus long » ! Son cerveau est trompé par l’illusion visuelle de la longueur.
Pour vérifier cette nouvelle interprétation, avec mon laboratoire nous avons mis au point une adaptation informatisée de la tâche des jetons de Piaget où la chronométrie mentale (l’ordinateur enregistrait les temps de réponse en millisecondes) permettait de tester le rôle de l’inhibition chez l’enfant de 8 ans qui réussissait la tâche12. C’est, en effet, seulement à travers les processus de la réussite (et non de l’échec) que l’on peut mesurer l’implication réelle d’une inhibition efficace. L’idée était : a) de faire résoudre à l’enfant une tâche de type Piaget où, par hypothèse, il devait inhiber la stratégie heuristique « longueur égale nombre » ; b) de lui présenter, juste après, une situation où longueur et nombre covariaient, c’est-à-dire où l’heuritisque « marchait » (deux alignements de jetons où celui qui était le plus long contenait aussi le plus de jetons). L’enfant devait dès lors activer en (b) l’heuristique qu’il venait d’inhiber en (a). Les résultats ont indiqué que, dans ce dernier cas, l’enfant d’école élémentaire mettait un peu plus de temps pour répondre (environ 150 millisecondes) que dans une situation contrôle où il n’avait pas dû résoudre d’abord la tâche de type Piaget.
Ce décalage de temps, statistiquement significatif, est ce qu’on appelle l’« amorçage négatif* », démonstration expérimentale du fait que l’enfant avait bien dû inhiber, bloquer, la stratégie heuristique « longueur égale nombre » pour réussir la tâche de Piaget. D’où le temps supplémentaire qu’il mettait à débloquer cette stratégie quand elle redevenait pertinente. C’est une sorte de levée de la résistance ! Ce phénomène s’observe encore chez l’adulte13, ce qui montre que l’inhibition de l’heuristique reste toujours nécessaire.
Dans le cerveau, une heuristique est une stratégie très rapide, très efficace – donc économique pour l’enfant –, qui marche très bien, très souvent mais pas toujours, à la différence de l’algorithme exact, stratégie plus lente et réfléchie, mais qui (appliqué sans erreur ou « bug ») conduit toujours à la bonne solution (le syllogisme, le comptage, etc.).
Vous vous posez peut-être la question de savoir d’où vient chez l’enfant ce type d’heuristique trompeuse du système 1. À l’image des règles logiques du système 2 dont Piaget a bien étudié la construction, les régularités perceptives et sémantiques du système 1 se construisent aussi, sans doute, par un apprentissage probabiliste14. Elles sont renforcées culturellement à certains moments du développement et deviennent domin...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Préface - par Jean-Pierre Changeux
  5. Introduction
  6. CHAPITRE 1 - À la découverte de l'intelligence des enfants
  7. CHAPITRE 2 - L'intelligence (humaine) n'est pas un algorithme
  8. CHAPITRE 3 - La mesure de l'intelligence
  9. CHAPITRE 4 - Les algorithmes cognitifs chez l'enfant selon Piaget
  10. CHAPITRE 5 - Les heuristiques chez l'adulte selon Kahneman : système 1/système 2
  11. CHAPITRE 6 - Une nouvelle théorie de l'intelligence : systèmes 1, 2 et 3
  12. CONCLUSION - Ce qu'il faudrait coder et éduquer
  13. Glossaire
  14. Notes
  15. Bibliographie générale
  16. Remerciements
  17. Index
  18. Table