LâespĂšce humaine, poussiĂšres dâĂ©toiles, Ă©volue dans une seule direction, la marche avant ; la marche arriĂšre lui est impossible (mĂȘme si parfois on nâen a pas lâimpression). Le cycle de la voix de la femme est le reflet du cycle de la vie. Notre ADN palpite au diapason des vibrations de lâunivers. Il est inscrit dans lâhistoire gĂ©nĂ©tique et Ă©pigĂ©nĂ©tique de notre « espace vie », dont la voix humaine est lâacteur de notre existence.
Dans un organisme sexuĂ© vivant, chaque cellule, on le sait, possĂšde un nombre pair de chromosomes, soit 2 N chromosomes : N venant de la femelle et N venant du mĂąle. Le gamĂšte (nom donnĂ© Ă la cellule reproductrice) mĂąle est le spermatozoĂŻde, le gamĂšte femelle est lâovule. Chaque gamĂšte contient N chromosomes. Leur accouplement donnera naissance Ă un embryon sexuĂ© qui aura 2 N chromosomes. Dans lâespĂšce humaine, lâembryon a 46 chromosomes : 44 chromosomes dits « autosomes » et 2 chromosomes dits « sexuĂ©s » (soit XY ou XX). Chez lâhomme : 44 chromosomes + un chromosome X et un chromosome Y, ces chromosomes sexuĂ©s donnent le sexe biologique masculin par le Y. Chez la femme, on distingue Ă©galement 44 chromosomes mais les deux chromosomes sexuĂ©s sont X et X : un de la mĂšre, un du pĂšre. Ces gamĂštes sont Ă la base de toute procrĂ©ation. Toutes les cellules de notre corps ont 46 chromosomes sauf lâovule et le spermatozoĂŻde. Le spermatozoĂŻde ou gamĂšte mĂąle possĂšde 22 chromosomes non sexuĂ©s (numĂ©rotĂ© de 1 Ă 22), plus le chromosome sexuel (X ou Y). La femme possĂšde un seul type dâovule ou gamĂšte femelle sexuĂ© X. La fusion de ces deux gamĂštes, lâun maternel et lâautre paternel (23 + 23), va permettre la procrĂ©ation dâun garçon si le spermatozoĂŻde Y pĂ©nĂštre lâovule, dâune fille si câest le spermatozoĂŻde X. Câest donc le chromosome paternel qui dĂ©termine le sexe biologique. Ainsi, la cellule Ă 46 chromosomes est crĂ©Ă©e. Cette cellule est sexuĂ©e comme toutes celles de notre corps. Quand lâĆuf est fĂ©condĂ©, il va se nicher dans lâutĂ©rus de la mĂšre. Il nâa que quelques centaines de cellules. DĂšs ce stade, dĂ©jĂ prĂšs de 30 % des gĂšnes se sont exprimĂ©s, et on note une diffĂ©rence significative entre mĂąle et femelle. Lâembryon mĂąle a une croissance plus rapide (Ă cause du chromosome Y) que lâembryon femelle, dont la taille est plus petite.
La voix Ă©volue tout au long de lâexistence. Les 23 000 gĂšnes de notre ADN associĂ©s aux histones (protĂ©ines entourant lâADN) sont rĂ©partis sur nos 46 chromosomes, ce qui fait que nous hĂ©ritons du gĂ©nome de nos parents. Mais au-delĂ de sa vie intra-utĂ©rine, le gĂ©nome semble se transformer au cours de notre vie : ces changements sont dits « Ă©pigĂ©nĂ©tiques ». Lâapport de lâĂ©pigĂ©nĂ©tisme nous permet de nous interroger sur la plasticitĂ© gĂ©nĂ©tique et de poser de nouvelles questions sur notre innĂ© et notre acquis. LâĂ©pigĂ©nĂ©tique joue-t-elle un rĂŽle chez les femmes transsexuelles ? Quel est son rĂŽle au niveau molĂ©culaire ? GrĂące au marquage biochimique effectuĂ© par des enzymes spĂ©cialisĂ©es sur lâADN et sur les histones qui le structurent, la sĂ©quence ADN ne subit pas dâaltĂ©ration. Mais ce marquage permet deux choses : 1. la stimulation et lâactivation de gĂšnes ADN spĂ©cifiques ; 2. la suppression ou la dĂ©sactivation/neutralisation de gĂšnes ADN spĂ©cifiques. Certaines marques « Ă©pigĂ©nisent » spĂ©cifiquement le comportement sexuel : le « tatouage » sexuel, XX chez la femme et XY chez lâhomme, est prĂ©sent dans toutes les cellules de notre corps.
LâĂ©pigĂ©nĂ©tique explique notre sensibilitĂ© et notre rĂ©activitĂ© Ă notre environnement, quâil soit chimique, bactĂ©rien, alimentaire, allergique Ă certaines substances ou mĂȘme affectif. Notre vie durant, notre expĂ©rience se nourrit du marquage acquis dĂšs notre vie intra-utĂ©rine et de nos chromosomes sexuels. Le chromosome X contient plus de 153 millions de paires basiques, pierres angulaires de lâADN. Chez la femme, le chromosome X reprĂ©sente presque 5 % de son ADN ; chez lâhomme, son unique chromosome X reprĂ©sente environ 2,5 % de son ADN. Les hommes hĂ©ritent leur chromosome X de leur mĂšre et leur chromosome Y de leur pĂšre, tandis que les femmes hĂ©ritent un chromosome X de leur mĂšre et un autre de leur pĂšre. Il y a environ 2 000 gĂšnes sur le chromosome X contre 78 gĂšnes sur le chromosome Y. Les facteurs qui comptent dans la diffĂ©rence des sexes sont bien Ă©videmment le chromosome Y, exprimĂ© uniquement dans les cellules mĂąles, mais aussi les gĂšnes X qui chez la femme Ă©chappent Ă lâinactivation et Ă lâexpression du chromosome Y. Lâimpact hormonal est essentiel, mais une castration complĂšte effectuĂ©e avant lâĂąge de 10 ans nâĂ©limine pas complĂštement la diffĂ©rence entre une voix masculine et une voix fĂ©minine. La stimulation du chromosome Y est fondamentale, mais pas suffisante : lâaction de nos hormones reste dĂ©terminante.
Le gĂšne de la voix humaine
Tout commence Ă lâUniversitĂ© dâOxford dans les annĂ©es 1990, avec le travail dâAnthony Monaco et de son Ă©quipe de chercheurs. Ayant observĂ© sur trois gĂ©nĂ©rations une famille anglaise, la famille KE, dont la moitiĂ© des membres â hommes et femmes â souffrait ou avait souffert dâune maladie orpheline affectant le langage articulĂ©, ils identifient la prĂ©sence dâun seul Ă©lĂ©ment gĂ©nĂ©tique spĂ©cifique, lâallĂšle de la voix, Ă lâorigine de la maladie. Mutant et dominant, il appartient Ă un gĂšne du chromosome no 7, nommĂ© FOXP2. Chez les membres de la famille KE affectĂ©s, la mutation est prĂ©sente.
Le gĂšne FOXP2 sâexprime dans tous les tissus et active lâexpression de nombreux gĂšnes liĂ©s au langage articulĂ© et Ă la phonation. En 2002, aprĂšs une Ă©tude examinant dâautres primates que lâĂȘtre humain, des chercheurs parviennent Ă la conclusion que ce gĂšne est spĂ©cifique au langage. PortĂ© par les chromosomes no 7 avec leurs deux allĂšles spĂ©cifiques qui sont essentiels au dĂ©veloppement normal de la parole, il nâexiste pas chez les grands singes et sa copie binaire est indispensable au langage. Ce gĂšne, dont lâimportance avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© reconnue dans le cadre de certaines anomalies comme la dyslexie, semble donc dĂ©terminant pour le dĂ©veloppement de notre voix. Sa mutation serait le point de dĂ©part de la parole humaine sur notre planĂšte.
Le gĂšne FOXP2 est situĂ© sur lâADN du noyau de la cellule. Mais, dans la cellule, on distingue le noyau et son environnement intracellulaire : le cytoplasme. Dans ce cytoplasme, il y a Ă©galement de lâADN dans un petit organite : la mitochondrie. Ainsi, nous avons deux sources gĂ©nĂ©tiques : le noyau et la mitochondrie, qui est transmise seulement par lâovule. Car seule la tĂȘte du spermatozoĂŻde, oĂč est logĂ© le noyau, a pĂ©nĂ©trĂ© lâovule ; le spermatozoĂŻde perd son cytoplasme â le flagelle qui lui a permis de « courir » aprĂšs lâovule. LâADN mitochondrial, qui nâa que 37 gĂšnes, est donc transmis par la femme. Câest peu comparĂ© aux 3 milliards de nuclĂ©otides et aux quelque 23 000 gĂšnes de lâADN nuclĂ©aire !
DĂ©couverte rĂ©volutionnaire de Maurice Wilkins, James Watson et Francis Crick en 1953 (prix Nobel 1962), lâADN (acide dĂ©soxyribonuclĂ©ique) est constituĂ© dâune double hĂ©lice en spirale. Chaque spirale a un « associĂ© » correspondant, et chaque brin de la molĂ©cule dâADN porte quatre bases chimiques : lâadĂ©nine (A) Ă laquelle correspond la thymine (T), la cytosine (C) Ă laquelle correspond la guanine (G). Comme un code-barres, leur ordre est capital : A se lie Ă T par deux liaisons dâhydrogĂšne, et C se lie Ă G par trois liaisons dâhydrogĂšne. Une erreur se produit, et câest un avortement ou une mutation dont lâinfluence sera dĂ©terminante sur la voix de la femme.
Lors de la fĂ©condation, lâovule et le spermatozoĂŻde apportent diffĂ©rents composants dans la nouvelle cellule. Le spermatozoĂŻde ne fournit que de lâADN nuclĂ©aire, qui dĂ©termine le sexe de lâenfant Ă venir. Toute mitochondrie prĂ©sente dans le corps de lâenfant rĂ©sultant de cette fĂ©condation ne peut ĂȘtre quâun hĂ©ritage de la mĂšre. Ce qui tendrait Ă dĂ©montrer que nous descendons tous de la mĂȘme mĂšre africaine. Alan Wilson et ses collaborateurs ont ainsi dĂ©veloppĂ© la thĂ©orie de lâ« Ăve mitochondriale » aprĂšs avoir examinĂ© lâADN mitochondrial de 147 femmes. Dans les annĂ©es 1990, un squelette vieux dâenviron 9 000 ans a Ă©tĂ© dĂ©couvert dans la petite ville anglaise de Cheddar et a pu ĂȘtre analysĂ©. Bryan Sykes, dans Les Sept Filles dâĂve, rapporte quâune analyse mitochondriale du squelette a Ă©tĂ© possible et que la mĂȘme analyse, pratiquĂ©e sur une institutrice dâune Ă©cole locale, a rĂ©vĂ©lĂ© un profil ADN mitochondrial presque identique. Une correspondance hĂ©rĂ©ditaire Ă©tonnante, plusieurs milliers dâannĂ©es plus tard !
Homo erectus et Homo vocalis
Lâhomme est apparu aux cĂŽtĂ©s de ses cousins les grands singes il y a environ 7 millions dâannĂ©es. Tout comme eux, câest un primate (selon la terminologie de LinnĂ© au XVIIIe siĂšcle, convaincu que lâhomme Ă©tait la premiĂšre crĂ©ature Ă avoir vĂ©cu sur terre). La bipĂ©die permet Ă lâhominidĂ© dâadopter la position verticale, et lâangle entre le crĂąne et la premiĂšre vertĂšbre cervicale se rĂ©duit Ă 90 degrĂ©s. Cette verticalisation rend possibles une progression unique de certaines parties du cerveau et surtout le dĂ©veloppement considĂ©rable du nĂ©ocortex, qui devient le chef dâorchestre de la voix. Les conditions indispensables Ă la naissance de la voix humaine et au dĂ©veloppement du langage sont acquises : avec la verticalitĂ©, le dĂ©veloppement des boĂźtes de rĂ©sonance de lâorgane vocal et la descente du larynx dans le cou depuis le niveau de la premiĂšre vertĂšbre cervicale jusquâĂ sa position dĂ©finitive, Ă la hauteur de la cinquiĂšme vertĂšbre.
Les restes de la premiĂšre femme prĂ©sentant les caractĂ©ristiques dâHomo sapiens ont Ă©tĂ© dĂ©couverts en 1974 en Afrique, Ă Hadar, dans la vallĂ©e du Grand Rift, et semblent remonter Ă 3,2 millions dâannĂ©es. Elle fut baptisĂ©e Lucy, en rĂ©fĂ©rence Ă la chanson des Beatles (« Lucy in the sky with diamonds ») que les archĂ©ologues Yves Coppens et Donald Johanson et le gĂ©ologue Maurice Taieb Ă©coutaient en boucle dans cette vallĂ©e de lâĂthiopie. AustralopithĂšque de la savane, Lucy est souvent citĂ©e comme le chaĂźnon manquant entre les chimpanzĂ©s et lâhomme moderne, car elle se dĂ©plaçait sur deux membres. Son bassin, Ă©vasĂ©, se rapprochait de celui de la femme actuelle, afin de faciliter le passage dâun bĂ©bĂ© dotĂ© dâune tĂȘte plus large Ă la naissance que ceux des autres primates. Le cerveau de Lucy pesait vraisemblablement 400 grammes ; celui dâHomo sapiens, aujourdâhui, pĂšse 1 500 grammes. Lâhomme porte en lui lâhistoire de lâĂ©volution de sa voix.
De nombreux palĂ©ontologues ont dĂ©crit lâodyssĂ©e de notre Ă©volution comme une progression logique secondaire Ă des mutations de lâADN. Ils sont convaincus que les singes se sont redressĂ©s parce quâils sont descendus des canopĂ©es pour vivre Ă mĂȘme le sol. Vrai ou faux ? La question reste posĂ©e, toujours est-il que le lent redressement jusquâĂ la verticale a permis au cerveau de se dĂ©velopper et au larynx de descendre.
Les diffĂ©rentes thĂ©ories avancĂ©es sur le langage dâHomo erectus sâaccordent sur un point : son systĂšme laryngĂ© ressemble Ă celui dâun nouveau-nĂ© dâaujourdâhui. Son cortex a dĂ©veloppĂ© des aires spĂ©cifiques au langage, de façon simplifiĂ©e : lâaire de Broca qui intervient dans lâexpression orale et Ă©crite et lâaire de Wernicke qui, elle, intervient dans la comprĂ©hension du langage oral et Ă©crit. Cette individualisation est trĂšs sommaire chez le chimpanzĂ©, malgrĂ© son systĂšme limbique dĂ©veloppĂ©. Lorsque le systĂšme limbique de lâhomme est stimulĂ©, cela ne produit pas du langage articulĂ©, mais des cris et du bruit. Homo erectus Ă©tait donc probablement capable de sâexprimer verbalement sous une forme trĂšs succincte mais dĂ©jĂ efficace. Au vu de la taille de sa boĂźte crĂąnienne et des sillons constatĂ©s Ă lâintĂ©rieur de nombreux crĂąnes ...