FidĂšle Ă ma promesse de vous parler de lâargot du ciboulot, je vais essayer de vous expliquer la signification dâune insulte contemporaine plutĂŽt humiliante : « Non mais tâas 2 neurones ou quoi ? » Je sens poindre votre dĂ©ception, mais ne vous Ă©nervez pas, ce nâest pas si simple.
Qualifier un congĂ©nĂšre dâhominidĂ© Ă 2 neurones nâest insultant que parce que chacun dâentre nous sait quâil en possĂšde en rĂ©alitĂ© non pas 2, mais un nombre presque incommensurable : 100 milliards environ pour ĂȘtre prĂ©cis.
On perçoit ainsi toute la violence à passer brutalement de 100 milliards⊠à 2 !
Mais, et câest lĂ que lâhistoire devient intĂ©ressante, il nây a pas si longtemps, dâĂ©minents collĂšgues Ă©taient encore intimement persuadĂ©s que nous avions non pas 100 milliards de neurones, ni mĂȘme 2 dâailleurs, mais un seul ! Un seul neurone. Ă leurs yeux, lâinsulte sonnerait sans doute comme un formidable compliment : « Ouahhh, trop sympa, jâai 2 neurones ! Je suis un vrai Superman aux pouvoirs dĂ©multipliĂ©s ! »
Vous ne me croyez pas ? Ăcoutez plutĂŽt lâhistoire de ce mĂ©morable affrontement titanesque entre deux stars au sommet de leur art, lâune italienne, lâautre espagnole. Je ne veux pas parler de la finale de la Ligue des champions 1994 entre le Milan AC et le Barça, mais bien du prix Nobel de mĂ©decine 1906 qui a rĂ©compensĂ© les deux hĂ©ros dâune joute scientifique historique : lâItalien Camillo Golgi et lâEspagnol Santiago RamĂłn y Cajal. 1906 est ainsi la date de naissance symbolique du concept de neurone.
Quel Ă©tait lâenjeu du duel Golgi-Cajal ?
Ă ma droite, Golgi dĂ©fendait lâidĂ©e selon laquelle les cellules nerveuses nâĂ©taient pas sĂ©parĂ©es les unes des autres, mais quâelles fusionnaient pour former une sorte de cellule gĂ©ante unique.
Ă ma gauche, Cajal postula au contraire que les neurones Ă©taient des entitĂ©s sĂ©parĂ©es les unes des autres, qui communiquaient entre elles en Ă©changeant des informations chimiques au niveau de zones oĂč leurs membranes respectives se touchaient : les SYNAPSES.
Nous savons depuis que Cajal avait raison, et que Golgi avait tort, mais tous les deux reçurent le prix Nobel, un peu comme Ă lâĂ©poque oĂč Jacques Martin officiait dans LâĂcole des fans. Autrement dit, notre cerveau nâest pas composĂ© dâune sorte dâimmense neurone unique indistinct, mais dâenviron 100 milliards de neurones sĂ©parĂ©s les uns des autres.
Une fois ouverte cette porte de lâindividualisme neuronal, les mystĂšres de la communication entre neurones sont tombĂ©s les uns aprĂšs les autres (mystĂšres qui feront lâobjet des TROIS CHAPITRES SUIVANTS). Tenons-nous-en pour lâinstant Ă lâexistence dâune membrane qui dĂ©limite leur contour individuel par une diffĂ©rence de potentiel Ă©lectrique entre lâintĂ©rieur et lâextĂ©rieur de chaque neurone. Si vous ajoutez Ă cela quâils ont une origine commune avec les cellules de notre peau, cela ressemble Ă un mythe grec vertigineux : les neurones â ces cellules dĂ©tentrices de notre intĂ©rioritĂ© â et celles de notre Ă©piderme â qui exhibent la surface de notre corps aux regards extĂ©rieurs â sont des sĆurs jumelles ! Une vraie histoire de « moi-peau » neuronal, pour reprendre la fameuse expression que le psychanalyste Didier Anzieu avait forgĂ©e pour indiquer comment la diffĂ©rence entre lâextĂ©rieur et lâintĂ©rieur est constitutive de notre identitĂ©.
Cette diffĂ©rence dans le cas du neurone se traduit par deux Ă©tats Ă©lectriques possibles : un Ă©tat de repos et un Ă©tat activĂ©. Ă chaque instant, le neurone intĂšgre des milliers de messages chimiques au niveau de ses synapses. Certains messages lui enjoignent de rester au repos, tandis que dâautres lâinvitent Ă passer en mode actif. Ă lâissue de ce scrutin, une dĂ©cision est prise : repos ou action. Sâil passe en mode action, le neurone envoie Ă son tour par sa longue queue (son axone) des messages Ă ses nombreux correspondants. Notre cerveau peut ainsi ĂȘtre dĂ©crit comme un drĂŽle dâunivers dans lequel 100 milliards de neurones seraient le lieu de scrutins permanents. Cette hyperdĂ©mocratie neuronale dĂ©multipliĂ©e nâest autre que le siĂšge dâun codage complexe du monde et de nous-mĂȘme : nos perceptions, notre mĂ©moire, nos raisonnements, nos sentiments⊠Chaque objet de notre esprit prend ainsi la forme dâune reprĂ©sentation mentale codĂ©e dans nos 100 milliards de neurones branchĂ©s sur le monde. Ces prouesses seraient tout bonnement impossibles dans un cerveau constituĂ© dâun seul neurone gĂ©ant, voire de 2 neurones.
VoilĂ pourquoi câest vraiment trĂšs mĂ©chant dâinsulter ainsi vos congĂ©nĂšres. Dâautant plus que 100 milliards de neurones nâinterdisent nullement dâĂȘtre un parfait imbĂ©cile !
La glie est un terme gĂ©nĂ©rique qui dĂ©signe les cellules qui environnent les NEURONES dans le cerveau. Câest en quelque sorte la glu des neurones.
La glie est composée de plusieurs types de cellules, parmi lesquelles les astrocytes, dont le nom évoque la forme en étoile (astre), et non le destin de star qui, comme chacun sait, est dévolu, dans le cerveau, aux neurones, qui leur ont longtemps volé la vedette.
Ă titre dâexemple, dĂšs 1983, le premier vĂ©ritable best-seller neuroscientifique publiĂ© en France, que lâon doit Ă Jean-Pierre Changeux, Ă©tait intitulĂ© LâHomme neuronal. Aurait-on pu simplement imaginer Ă©crire Ă cette Ă©poque LâHomme glial, ainsi que viennent de le faire Yves Agid et Pierre Magistretti en fĂ©vrier 2018 ?
Dâailleurs, aujourdâhui, Ă vos yeux, qui sont les vĂ©ritables phĂ©nix des hĂŽtes du cerveau, la glie ou les neurones ?
Si la rĂ©ponse sâimpose de toute Ă©vidence, la raison de cette diffĂ©rence de statut mĂ©rite, elle, un court Ă©clairage.
En rĂ©alitĂ©, le rĂŽle connu des cellules gliales a longtemps Ă©tĂ© rĂ©duit Ă certaines des fonctions quâelles assurent effectivement, et qui sont au demeurant essentielles, puisquâelles occupent le rĂŽle de⊠(osons le mot malgrĂ© son caractĂšre politiquement incorrect) « mĂ©nagĂšres » du cerveau. Des mĂ©nagĂšres au service du confort des neurones qui apparaissent, eux, comme les vĂ©ritables acteurs de notre vie mentale subjective : notre perception, notre mĂ©moire, nos Ă©motions, notre conscience. Les cellules gliales, quant Ă elles, assurent lâoxygĂ©nation et lâalimentation des neurones, elles Ă©liminent leurs dĂ©chets, elles les couvent pour quâils ne prennent pas froid et enveloppent avec douceur leurs axones (la longue queue des neurones) de couvertures isolantes, afin quâils puissent communiquer entre eux avec une prodigieuse vitesse et une prĂ©cision dâhorloger suisse.
Il est dâailleurs piquant de constater lâassignation implicite dâun genre sexuĂ© Ă ces deux types de cellules : LE neurone, au m...