Les parents savent bien Ă©valuer la dĂ©motivation de leur enfant. Ils sont conscients de ce que nous appelons sa non-performance, câest-Ă -dire quâils mesurent parfaitement lâĂ©cart entre ses rĂ©sultats scolaires ou sa performance et le potentiel quâils soupçonnent chez lui. En revanche, ils ne comprennent pas ses attitudes de dĂ©motivation : pourquoi lâĂ©vitement, le refus, le dĂ©couragement ? Tout cela a de quoi surprendre, agacer ou agresser nâimporte quel parent.
Des tentatives de réponses...
Quelles sont nos rĂ©actions habituelles ? Nous tentons dâabord le soutien scolaire, lâaccompagnement Ă la maison ou par un tiers, lâaide dâenseignants, puis lâappel aux « spĂ©cialistes », sans trop connaĂźtre leurs prioritĂ©s. Entre nos attitudes parentales et lâenvoi chez lâorthophoniste ou le psychologue, que nâavons-nous tentĂ© ! Câest le fameux : « Nous avons tout essayĂ© ! » La plupart du temps, ces tentatives se rĂ©sument en attitudes contradictoires : de lâencouragement disproportionnĂ© aux sanctions inadĂ©quates. Qui nâa pas « craquĂ© » lors dâun soutien scolaire familial ? Combien de tĂ©moignages de parents dont la volontĂ© de dĂ©part sâinscrivait dans lâaide de lâenfant et se terminait dans le rejet le plus complet !
GrĂ©gory ou la vraie « tĂȘte Ă claques... »
Le thĂ©rapeute : Vous lâaidiez ?
La mĂšre : DĂšs le CP, il fallait tout revoir Ă la maison... Il ne disait trop rien, jâavais lâimpression que nos rĂ©visions Ă©taient utiles... et puis cette annĂ©e de CM1, câest lâenfer !
Le thĂ©rapeute : Lâenfer ?... (ton de reformulation empathique).
La mĂšre : Oui... lâenfer (ton antipathique). Il y a des fois oĂč il a lâair complĂštement idiot... lâautre samedi, il ne savait mĂȘme plus sa table des 2, alors vous comprenez...
Le thérapeute : ...
La mĂšre : Eh bien, il sâest pris une bonne gifle !...
Le thĂ©rapeute : Ils ont lâart de nous faire craquer, surtout quand plus rien ne semble rentrer... on a lâimpression de ne rien pouvoir faire... et surtout que lâenfant le fait exprĂšs...
La mĂšre : Vous me comprenez... (ton sympathique).
Ce nâest pas si facile dâaider nos enfants quand il sâagit de corriger leurs difficultĂ©s scolaires. Comment sây retrouver dans leurs blocages ? Est-ce lâinstrumental (les instruments de lâintelligence) qui ne fonctionne pas bien, ou est-ce lâaffectif (lâĂ©motionnel) qui est en jeu ?
La démotivation scolaire ou la non-performance
La non-performance se dĂ©finit par lâĂ©cart entre un rĂ©sultat scolaire attendu et ce qui est obtenu en rĂ©alitĂ©. Lorsque vous nous consultez, lorsque les enseignants nous interrogent, nous entendons ces mĂȘmes remarques : « Câest incroyable de le voir agir dans ses loisirs ou Ă la maison et de le regarder devant une tĂąche scolaire, ce nâest plus le mĂȘme ! » « Dans les matiĂšres quâil aime, il peut obtenir dâexcellents rĂ©sultats. » « Il lui arrive de bien apprendre la veille et tout semble disparaĂźtre de retour Ă lâĂ©cole... » « Si vous le voyiez travailler... il met dix fois plus de temps que ses frĂšres et sĆurs ! » « Il nâarrive pas Ă se concentrer... » « Câest pour le mettre au travail que câest le plus dur... » « Vous devriez voir lâĂ©tat de son cartable, et sa chambre ! » « Pour lui, il nây a que le jeu qui compte. » « Rien nây fait, ni les sanctions, ni les rĂ©compenses, nous avons tout essayĂ© ! » « Faut dire que les enseignants lâont vite cataloguĂ© ! » « On en arrive Ă se demander sâil est fait pour les Ă©tudes... »
Arthur voulait « jouer »
Arthur, 7 ans, Ă©lĂšve de CE1, lors de notre premiĂšre rencontre au cabinet de consultation : « Jâarrive pas Ă apprendre... mon pĂšre dit que jâai pas de mĂ©moire, jâapprends bien pourtant, mais jâoublie quand je suis en classe... » Il passe un test de mĂ©morisation immĂ©diate et le faible score traduit une mauvaise performance et surtout une non-classification des mots Ă apprendre. AprĂšs une intervention oĂč nous lui demandons de ne pas apprendre nâimporte comment, mais lui proposons dâorganiser, de regrouper les mots « en famille », Arthur obtient un score au-dessus de la moyenne attendue « dans son Ă©chantillonnage de population ». Nous lui donnons un autre test, mais cette fois-ci de rĂ©solution de problĂšme : il doit retrouver une figure cachĂ©e parmi dâautres (test proche du GEFT, Guilford Embedded Figure Test, Ă©preuve des figures mĂ©langĂ©es), il regarde Ă peine les figures et dĂ©clare : « Je ne vois rien, câest trop dur... » Nous insistons et observons sa maniĂšre de faire : Arthur regarde vaguement le problĂšme, nous dĂ©visage, tourne souvent la tĂȘte vers le bureau et diffĂ©rents objets, ne se concentre pas sur lâĂ©noncĂ© du test. Ă notre question : « Comment pourrais-tu tây prendre ?... » nous nâobtenons quâun : « Mais jâen sais rien, moi ! » Lâagitation augmente, nous devons lui demander de rester assis et de nous Ă©couter attentivement... Notre hypothĂšse est quâil apprĂ©hende tout problĂšme de façon trop globale, il nâanalyse pas du tout les donnĂ©es, nâintĂšgre pas toutes les informations... Nous lâaidons Ă prendre des points de repĂšre, des indices et Ă retrouver ainsi les figures et ses rĂ©sultats sâamĂ©liorent.
DĂšs quâil y a du nouveau ou du « difficile », nous nous heurtons au mĂȘme problĂšme, il essaie dâĂ©viter la difficultĂ© en rĂ©pondant nâimporte quoi, ou refuse en prĂ©textant quâil est trop petit ou menace de le dire aux parents et quâil ne reviendra jamais... « Je croyais quâon allait faire des jeux... »
Cet exemple signe une forte impulsivitĂ© cognitive et une faible rĂ©sistance aux frustrations avec un refus typique de ce que nous appelons le « conflit cognitif » : en clair, la volontĂ© premiĂšre de lâenfant est dâĂ©viter le dĂ©sĂ©quilibre et le dĂ©plaisir quâengendre inĂ©vitablement tout savoir nouveau Ă un moment donnĂ©.
Il était « bon » jusque-là !
RĂ©mi, 12 ans, Ă©lĂšve de 6e : ses parents ont pris rendez-vous aprĂšs un premier bulletin trimestriel particuliĂšrement catastrophique. Les parents introduisent le problĂšme avec un habituel : « Nous sommes dâautant plus surpris quâil avait de trĂšs bons rĂ©sultats jusquâici... Câest vrai quâon leur demande tant de choses en 6e !... » Lorsquâil est seul avec nous, RĂ©mi reprend certains thĂšmes « parentaux » favoris : « Il y a trop de profs, on est perdu... et puis le prof dâanglais, il mâa pris en grippe parce que je parle des fois..., de toute façon, lâanglais, je ne vois pas Ă quoi ça sert, câest des listes de mots Ă apprendre par cĆur et jâaime pas ça... Le français câest pareil, elle nous fait lire des trucs qui ne mâintĂ©ressent pas. Papa le dit souvent, ce serait mieux de lire des romans dâaventure ou de science-fiction comme les sĂ©ries Ă la tĂ©lĂ©vision... sinon câest pas marrant et ça sert Ă rien... » Aux questions concernant la gestion de son temps de travail Ă la maison, nous obtenons les classiques : « On nous donne tout au dernier moment, il y a trop de travail, on peut pas tout faire... » Une investigation plus sĂ©rieuse nous montre que tout est toujours fait Ă la derniĂšre minute et que les devoirs annoncĂ©s Ă lâavance seront rĂ©alisĂ©s eux aussi dans lâurgence, « la veille, comme ça je suis plus concentrĂ© et je me rappelle mieux ce que jâai appris... » Lorsque nous Ă©voquons le « quotidien », les tĂąches Ă la maison, lâargent de poche ou les Ă©ventuelles rĂ©compenses, nous avons droit au « ils me donnent de lâargent de temps en temps, mais ça nâa rien Ă voir avec lâĂ©cole !... » Nous apprenons quâil nây a jamais de rĂ©compenses attribuĂ©es pour tel ou tel rĂ©sultat, mais au contraire des gratifications dĂ©sormais « dues » comme la tĂ©lĂ©vision dĂšs le matin, des sĂ©ances de cinĂ©ma selon le marketing nord-amĂ©ricain, des anniversaires toujours somptueux, mais rien de tout cela nâest liĂ© Ă la qualitĂ© du travail scolaire. En revanche, comme le soulignent la plupart des enfants, « faut voir comment ils (les parents) crient quand jâai une mauvaise note ! »... avant dâajouter pour certains « mais jây suis habituĂ©, ça finit par passer ! »
Sans proposer un diagnostic clinique prĂ©cis, ce dernier exemple du petit RĂ©mi traduit, Ă mon avis, une absence de lien scolaritĂ©-rĂ©alitĂ©, donc pas dâobjectifs, une gestion du temps dĂ©ficiente et une attribution de ses problĂšmes scolaires aux enseignants et matiĂšres enseignĂ©es. Quant aux attitudes parentales, elles semblent osciller de la permissivitĂ© Ă la critique verbale sans quâil y ait cohĂ©rence entre lâattitude de leur enfant et sa propre responsabilitĂ© dâĂ©lĂšve. Nous trouvons lĂ aussi des caractĂ©ristiques de la « non-performance » telles que nous les dĂ©finissons ci-dessous.
Comment évaluer la démotivation scolaire ?
Les critĂšres dâĂ©valuation que nous proposons ne sauraient dĂ©finir un quelconque nouveau « syndrome de la dĂ©motivation scolaire ». Ils nâont pas besoin de tous exister pour traduire un trait spĂ©cifique de la non-performance. Une seule certitude, si les difficultĂ©s scolaires, les problĂšmes dâapprentissage et de dĂ©motivation ressemblent Ă ce que nous dĂ©crivons dans le chapitre suivant, vous pouvez faire lâhypothĂšse que votre enfant nâa pas de problĂšme psychologique grave.
Une absence de pathologie
Existe-t-il des troubles ou dysfonctionnements graves en dehors de lâĂ©cole, des « symptĂŽmes » Ă©loignĂ©s du contexte scolaire ? Le retrait de toute communication avec les parents et la fratrie, des angoisses nocturnes rĂ©pĂ©tĂ©es, le refus dâalimentation, des « moments de coupure » avec la rĂ©alitĂ© sont autant dâindices sĂ©rieux qui mĂ©ritent une intervention spĂ©cialisĂ©e. La pathologie ou un problĂšme psychologique et psychiatrique grave envahissent en gĂ©nĂ©ral tous les domaines de vie de lâenfant : lâĂ©cole, la vie Ă la maison, les loisirs, la santĂ©. Notre dĂ©finition nâest aucunement exhaustive, lâessentiel est que vous compreniez quâune difficultĂ© scolaire est le plus souvent reconnaissable par des caractĂ©ristiques Ă©loignĂ©es dâun trouble de la personnalitĂ© plus profond.
Est-ce grave ?
Non, si nous observons...
De lâĂ©nergie quand il sâagit de jouer. Il nâa aucune difficultĂ© pour comprendre un jeu vidĂ©o. Il aime changer frĂ©quemment de loisirs. Il excelle dans ce quâil aime. Il existe des matiĂšres scolaires oĂč il est « motivĂ© ». Il est sociable, a des copains. Il a bon appĂ©tit (mĂȘme sâil est difficile). Il dort normalement.
Un peu plus si nous remarquons...
Une grande lĂ©thargie dans ses loisirs ou centres dâintĂ©rĂȘt. Il peine pour apprendre tout ce qui est nouveau. Il reste en retrait de toute activitĂ©. Il ne sâinvestit dans rien. Les mauvais rĂ©su...