L’étude de la mémoire chez les très jeunes enfants pose des problèmes méthodologiques évidents. Les limites de leurs capacités motrices et langagières freinant les investigations, les chercheurs ont développé des protocoles astucieux qui ont permis de constater que la mémoire des petits enfants est très sensible à la nouveauté, qu’elle s’améliore avec les répétitions et, enfin, qu’elle est meilleure qu’on le croit, mais moins bonne qu’on le pense.
Déjà in utero, le fœtus se souvient
On a pu observer lors de la dernière semaine de grossesse, qu’un fœtus est capable de se rappeler une stimulation sensorielle unique 10 minutes après cette stimulation et que ce souvenir peut même persister pendant 24 heures.
Un fœtus est également capable de mémoriser une comptine, une mélodie grave (le basson de Pierre et le Loup) ou la voix de sa mère, s’il l’a entendue plusieurs fois au cours des six dernières semaines de grossesse. Deux jours après sa naissance, on le verra ainsi sucer plus intensément sa tétine s’il entend cette comptine ou la voix de sa mère. On sait aussi qu’un nourrisson dont la mère a résidé près d’un aéroport pendant sa grossesse ne se réveillera pas au passage d’un avion. Attention, toutefois, reconnaissance ne signifie pas personnalité, il n’est pas prouvé que faire entendre Let it be à un fœtus le rendra définitivement accro aux Beatles !
Un fœtus ne se contente pas d’enregistrer des informations auditives. Il sait également mémoriser des odeurs. Ainsi, on s’est aperçu que des nouveau-nés âgés de quatre jours préféraient, entre différentes odeurs, celle de l’anis que leur mère avait consommé au cours de sa grossesse.
Que de mémoires chez un nourrisson !
DÉJÀ AU PREMIER JOUR…
Dès le premier jour, un bébé retient. Cela ne signifie pas qu’il en aura gardé la trace vingt ans plus tard, mais qu’il est en mesure de se souvenir temporairement d’informations nouvelles. Cela, n’importe quelle mère le perçoit, mais comment le prouver ? En étudiant la succion du nourrisson ou l’orientation de son regard.
Entendue le jour de sa naissance, une voix, celle de sa mère en particulier, entraîne chez le nourrisson une réaction de succion plus avide ou une orientation du regard lorsqu’il l’entend de nouveau le lendemain. On pourrait arguer que les bébés ont déjà entendu la voix de leur mère in utero, mais les mêmes réactions de succion plus rapide et d’orientation du regard ont été notées lorsque les nourrissons réentendaient, 24 heures plus tard, des séries de syllabes entendues le jour de leur naissance.
Face à des informations visuelles ou olfactives, les capacités des nouveau-nés sont tout aussi remarquables. Dès la première semaine de vie, ils ne se méprennent pas sur l’odeur ou le visage de leur mère, qu’ils distinguent sans erreur d’autres femmes.
S’il faut une expérience sensorielle ou motrice répétée pour qu’un bébé « retienne » un souvenir, la trace mnésique laissée par ce souvenir n’est pas durable. En effet, un nourrisson est très sensible aux modifications, même subtiles, de son environnement : si un changement de lieu ou de jouet éveille son intérêt 24 heures plus tard, il ne reconnaît plus une personne qui a un nouveau parfum ou fredonne une autre chanson.
MÉMOIRES GESTUELLES
La mémoire d’un nourrisson n’est pas uniquement sensorielle ; elle est également motrice. Un bébé maîtrise progressivement et définitivement des gestes sophistiqués tels que la préhension fine, l’équilibre du corps puis la marche, l’articulation des sons produits avec sa langue et, encore plus capital, la manipulation d’objets qui permettent moins de jouer que d’explorer le monde à sa portée ! L’utilisation répétée, quasi ritualisée, d’un jouet permet aux enfants de maîtriser un geste, de se rassurer par la réussite du geste accompli et de s’adapter à leur environnement.
TOURNEZ MOBILES !
Comment démontrer expérimentalement que les nourrissons ont une mémoire ? En créant un conditionnement permettant d’induire un comportement gestuel en réponse à un signal visuel1. Le protocole est simple : un mobile composé d’objets colorés est suspendu au-dessus du berceau. Lors d’une première phase, on mesure le nombre de mouvements spontanés du pied sans qu’il soit attaché au mobile. Un ruban est ensuite fixé au mobile et à la cheville du bébé qui peut ainsi le faire bouger en agitant le pied. Suit alors une phase d’apprentissage au cours de laquelle le bébé comprend très rapidement qu’il peut activer le mobile en agitant le pied. Après des délais variables, survient la troisième phase qui permet de mesurer la capacité de mémoire à long terme du nourrisson. Lors de cette phase, le mobile est de nouveau placé au-dessus du nourrisson mais, cette fois, sans être relié à sa cheville par le ruban. Quelques secondes plus tard, le bébé déclenche des mouvements du pied dont la fréquence est supérieure à celle que l’on observait spontanément avant l’entraînement. Le bébé a donc conservé le souvenir visuel du mobile et le souvenir de la possibilité de le faire bouger avec son pied. À l’âge de 2 mois, le bébé retient pendant 24 heures ce lien entre la vision du mobile et la possibilité de l’activer lui-même. Un nourrisson de 3 mois se souvient de ce conditionnement pendant une semaine. À 6 mois, cette trace mnésique dure jusqu’à 2 à 3 semaines ; à 18 mois, le souvenir peut perdurer près de 3 mois.
Ce protocole très simple prouve clairement que les nourrissons ont une courte mémoire personnelle. Il démontre aussi deux propriétés fondamentales de la mémoire : pour être consolidé, un apprentissage doit être répété et son réapprentissage être espacé. C’est ainsi que, chez un bébé de 3 mois, une réactivation une semaine après le premier apprentissage prolonge jusqu’à 6 semaines la rétention mnésique. Comme pour l’adulte, un intervalle de temps raisonnable doit être laissé entre les différents réapprentissages du nourrisson.
Sans surprise aussi, il est établi que le contexte a une influence décisive sur les capacités de mémorisation du bébé, aussi bien le contexte physique du berceau, de la chambre ou l’entourage humain. Un simple changement de chambre ou de garniture de lit diminue significativement la trace mnésique du lien créé entre la cheville, le ruban et le mobile. Les nourrissons disposent indubitablement de capacités de mémorisation à long terme puisqu’ils réussissent à retenir ce triple lien pendant quelques heures, quelques jours, voire plusieurs semaines. Les bébés n’ont pas pour autant les moyens biologiques de créer une trace personnelle suffisamment robuste pour pouvoir s’en souvenir lorsqu’ils seront devenus adultes. Ainsi, la trace mnésique est d’autant plus fragile que les nourrissons sont jeunes, que le contexte est modifié ou que l’élément à retenir n’est pas réactivé plusieurs fois.
Cette fragilité est sans doute amplifiée par le fait que les nourrissons mémorisent sans conscience active ou médiation par le langage. L’existence d’une mémoire consciente explicite chez le nourrisson est encore débattue. Plutôt que de vouloir faire entrer les capacités mnésiques des enfants dans des modèles destinés aux adultes, mieux vaut rester descriptif et élaborer des modèles dynamiques adaptés au développement de l’enfant.
L’enfant de 1 à 7 ans
Il est difficile de diviser l’enfance en périodes strictes, car le développement des capacités biologiques ne suit pas le calendrier des Postes. Toutefois, on oppose habituellement la mémoire à court terme (petite capacité de stockage et oubli rapide) et la mémoire à long terme (capacité quasi illimitée de stockage et oubli très lent). On distingue également la mémoire des souvenirs personnels, la mémoire des connaissances et, enfin, la mémoire des gestes.
LA MÉMOIRE À COURT TERME
La mémoire à court terme intervient dans des situations où nous avons besoin de maintenir temporairement ou de manipuler mentalement une quantité limitée d’informations – d’où son autre nom de mémoire de travail. La technique de l’empan mnésique permet de mesurer la capacité de stockage de la mémoire à court terme : il s’agit de faire répéter, immédiatement et dans l’ordre, des séries croissantes de chiffres (ou de mots, ou de le...