Ma victoire sur l'autisme
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Ma victoire sur l'autisme

  1. 256 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Ma victoire sur l'autisme

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Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

Paul a quatre ans quand les mĂ©decins annoncent Ă  ses parents qu'il est atteint d'autisme. Alors, confrontĂ©e Ă  une maladie rĂ©putĂ©e incurable, Ă  des mĂ©decins pessimistes, Ă  une Éducation nationale qui exclut son enfant, Tamara Morar refuse d'accepter l'irrĂ©mĂ©diable. Elle dĂ©cide de se battre et met au point, en s'appuyant sur de nombreuses Ă©tudes spĂ©cialisĂ©es, une mĂ©thode de rĂ©Ă©ducation. Des centaines d'heures de travail, portĂ©es par une endurance et une obstination hors du commun.Dans ce livre, elle nous explique comment peu Ă  peu Paul retrouve la conscience de son corps, le langage, l'interaction avec les autres. Il se mĂ©tamorphose. Il reprend une scolaritĂ© normale. Aujourd'hui, on peut presque parler de " guĂ©rison ". Source d'espoir pour tous les proches d'enfants autistes, ce livre est un appel Ă  une autre prise en charge thĂ©rapeutique et sociale de ce trouble envahissant du dĂ©veloppement.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2004
ISBN
9782738187154

Chapitre VII

MÉTAMORPHOSE

Le fait que Paul surmonte avec beaucoup moins de difficultĂ© ses frustrations pendant les leçons s’observait aussi dans les actes de la vie courante. Ses crises violentes se rarĂ©fiaient et leur intensitĂ© s’amenuisait. La rĂ©flexion et l’acceptation prenaient le pas sur la colĂšre ou l’anxiĂ©tĂ©. Les changements dans la routine Ă©taient mieux acceptĂ©s, parce que compris petit Ă  petit dans le cadre trĂšs rĂ©gulier, rĂ©pĂ©titif et organisĂ© des leçons. Si aujourd’hui nous allions introduire une activitĂ© nouvelle, les autres activitĂ©s resteraient semblables. Il fallait casser trĂšs doucement ce dĂ©sir d’immuabilitĂ© qui le caractĂ©risait.
Les leçons obligeaient Paul Ă  rĂ©flĂ©chir pour comprendre ce qui lui Ă©tait demandĂ©, exigeaient de lui un effort d’analyse pour apprĂ©hender des situations donnĂ©es. Cette habitude prise, il l’appliquait de la mĂȘme façon aux Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs auxquels il Ă©tait confrontĂ©. Si ses premiers rĂ©flexes devant une situation inconnue avaient Ă©tĂ© dominĂ©s par la peur ou le refus brutal, ils avaient Ă©tĂ© suivis par un repli indiffĂ©rent et silencieux : je ne comprends pas, je rentre dans ma coquille. Enfin, la curiositĂ© venait, la peur Ă©tait refoulĂ©e et le regard attirĂ©. À ce moment-lĂ  Ă©tait venue la rĂ©flexion : « Qu’est-ce que c’est ? Que fait-elle ? » Et enfin : « Que veut-elle que je fasse ? » Je montrais et remontrais indĂ©finiment ce que j’attendais de lui, jusqu’à ce qu’il accepte. J’avais remarquĂ© au cours des sĂ©ances cette particularitĂ© de ne pas refaire ou imiter comme un perroquet sans comprendre. Dans ce domaine, il lui fallait comprendre pour accepter de reproduire et il le faisait de plus en plus souvent, preuve qu’il acceptait et assimilait de nouvelles rĂšgles plus facilement.
Le jeu de repĂ©rage logique nĂ©cessitait un travail de raisonnement et de logique assez Ă©laborĂ©. Les nombreuses planches de difficultĂ© croissante nous servirent pendant des mois. Elles se prĂ©sentaient sous forme de tableaux Ă  double entrĂ©e. Nous avions en haut, horizontalement quatre couleurs : rouge, bleu, jaune, vert ; verticalement, Ă  gauche : une voiture, un ballon, une fleur, un crayon. Seize petits cartons reprĂ©sentaient tous ces objets dans les quatre couleurs. Je prenais un carton et je disais : je mets la voiture bleue dans la ligne voiture (je montrais la ligne) et dans la colonne bleue (je la suivais du doigt Ă©galement). Je remplissais ainsi tous les espaces avec les cartons en verbalisant clairement et lentement. Il fallut du temps pour qu’il les y place lui-mĂȘme, mais assez rapidement il me montrait du doigt l’espace. Au dĂ©but, il changeait de planche avec difficultĂ©, la nouveautĂ© l’effrayant toujours.
Cette rĂ©sistance aux changements diminuait cependant lorsqu’il reconnaissait le type de travail dĂ©jĂ  effectuĂ©. Je le voyais observer avec attention les Ă©lĂ©ments proposĂ©s par une nouvelle planche. L’exercice Ă©tait le mĂȘme sous diffĂ©rentes formes mais je regardais ma montre : nous allongions de jour en jour sa capacitĂ© Ă  se concentrer sur une tĂąche. Sa concentration qui ne dĂ©passait pas deux ou trois minutes au dĂ©but, se maintenait, aprĂšs cinq Ă  six mois de leçons, jusqu’à dix minutes si l’activitĂ© lui plaisait. Lorsqu’il commençait de nouveau Ă  s’agiter ou Ă  refuser, nous revenions Ă  une activitĂ© physique qui le dĂ©tendait. J’allais rĂ©guliĂšrement me fournir chez Nathan Petite Enfance oĂč je pouvais trouver de nouvelles activitĂ©s ou de nouveaux jeux parfaitement adaptĂ©s Ă  son niveau du moment et qui permettaient de rompre un peu la monotonie, parfois dĂ©courageante, des sĂ©ances, ou d’aborder des expĂ©riences nouvelles dans les moments de loisirs.
À la halte-garderie oĂč il passait deux Ă  trois demi-journĂ©es par semaine, les animatrices percevaient aussi des amĂ©liorations. Elles le trouvaient beaucoup plus Ă  l’écoute, rendant parfois service Ă  un plus petit que lui qui n’arrivait pas Ă  attraper l’objet dĂ©sirĂ©. Il n’en Ă©tait pas encore Ă  venir s’asseoir Ă  la table commune lorsque c’était l’heure de l’atelier de collage ou de pĂąte Ă  modeler mais il s’y intĂ©ressait de loin. Il ne paraissait pas aussi coupĂ© des autres qu’auparavant. Il observait et imitait parfois. Je ne le retrouvais plus systĂ©matiquement dans la piĂšce laissĂ©e vide par les autres enfants, mais dans le groupe. Il cĂŽtoyait les autres sans gĂȘne et prenait conscience de leurs gestes. Qu’ils le touchent pendant les jeux ne le dĂ©rangeait plus. BousculĂ©, il ne s’en allait plus Ă  l’autre bout du jardin mais suivait des yeux les mouvements de chacun. Il tenait compte des rĂ©flexions qu’on lui faisait et commençait Ă  obĂ©ir. Le trouver au milieu des autres pendant les activitĂ©s de chant ou de lecture Ă©tait plus frĂ©quent. Il se laissait apprivoiser.
GrĂące Ă  la rĂ©Ă©ducation du toucher que nous faisions Ă  la maison, il avait enfin acceptĂ© de prendre un pinceau. Ce blocage qui existait chez lui depuis deux ans face aux feutres et aux crayons, qu’il refusait, en hurlant, de prendre dans ses mains, commençait Ă  cĂ©der. J’avais pour cela « dĂ©dramatisĂ© » l’usage du crayon. Puisque son vĂ©ritable usage – dessiner donc laisser des traces – l’affolait, je rĂ©solus de l’utiliser de bien d’autres façons. Le faire rouler, le planter dans de la pĂąte Ă  modeler, le mordiller, en faire deux personnages qui se battent ou plus prosaĂŻquement lui gratter le dos avec. Je l’amenais Ă  accepter de le garder en main sans que cela le gĂȘne. Lui donner une feuille blanche et lui montrer comment dessiner le plongeaient dans une inquiĂ©tude qui le faisait frĂ©nĂ©tiquement tenter d’effacer les traces laissĂ©es. Frottant avec ses mains sans y parvenir, essayant maladroitement avec une gomme, il a mĂȘme tentĂ© un jour d’effacer ces traces avec un gant de toilette mouillĂ© qu’il avait couru prendre dans la salle de bains. Non, la page devait rester blanche, peut-ĂȘtre Ă  cause de ce besoin de nettetĂ©, de propretĂ©.
Il voulait que les choses restent propres, rangĂ©es, en ordre. Le fouillis le mettait mal Ă  l’aise. Un livre abĂźmĂ© aussi, un jouet cassĂ© l’a longtemps bouleversĂ©. Pour le dessin, il fallait trouver un autre biais. Ce fut la peinture, avec Laure. Tous deux Ă  la mĂȘme table, avec de nombreuses feuilles de toutes sortes, Laure barbouillait sans rĂ©ticence, il regardait puis essayait timidement. Les feuilles souillĂ©es le dĂ©rangeaient encore. Il se lança finalement sur le grand panneau de la halte-garderie qui ne pouvait s’effacer. Les enfants y peignaient les uns sur le travail les autres, son propre travail s’y mĂ©langeait. Ensuite, voyant que l’on pouvait y accrocher des feuilles blanches que l’on rangeait, une fois peintes, dans un dossier au nom de chacun, et les renouveler aussi souvent que l’on voulait, ses rĂ©ticences ont finalement cĂ©dĂ©. Rater son dessin n’était pas grave, on pouvait recommencer aussitĂŽt, le stock de feuilles Ă©tait suffisant. Cependant, il refusa longtemps de mettre le tablier protecteur, ou de se laver les mains comme les autres.
Le lavage des mains Ă©tait un travail quotidien qui l’angoissait de moins en moins Ă  la maison. Mais, lĂ  encore, l’exemple des autres enfants qui pouvaient « jouer Ă  l’eau » dans le long lavabo de la garderie facilita les choses. Il commençait Ă  apprivoiser ce monde Ă©trange en observant les autres. Banal, bien sĂ»r, pour tous les enfants dans la norme, mais exceptionnel pour nous.
Contrairement Ă  Barbara, qui avait longuement approfondi ces relations de cause Ă  effet, je ne concevais pas clairement pourquoi et comment ce que nous faisions pendant les leçons se rĂ©percutait dans ces acquisitions du comportement quotidien. Mais il n’y avait aucun doute, cela marchait. Paul changeait, c’était indubitable. Ces changements Ă©taient encore plus perceptibles pour notre entourage, amis ou membres de la famille, qui d’un mois sur l’autre pouvait constater les diffĂ©rences. Paul paraissait beaucoup moins attirĂ© par les objets, sa prĂ©sence autour de nous n’était plus celle d’un petit fantĂŽme, silencieux, absorbĂ© dans ses activitĂ©s solitaires. Nous nous Ă©tions efforcĂ©s d’ĂȘtre rĂ©ceptifs Ă  toutes les indications qu’il nous donnait, il avait peu Ă  peu pris conscience qu’il pouvait avoir de l’impact sur les personnes prĂ©sentes, susciter des rĂ©actions, obtenir ce qu’il dĂ©sirait. Il Ă©tait maintenant prĂ©sent Ă  chaque rĂ©union de parents ou d’amis et tenait Ă  ce que tous soient conscients de sa prĂ©sence. Il Ă©mettait de drĂŽles de bruits, qui ressemblaient Ă  une conversation : « Il parle en clics comme les Bushmen », disait mon pĂšre. Il circulait dans nos jambes, cherchant Ă  attirer l’attention par diffĂ©rents moyens. Il insistait pour que je le prenne dans mes bras lorsque je conversais avec les personnes prĂ©sentes, cherchait Ă  avoir le visage Ă  la mĂȘme hauteur que nous. Tournant de force mon visage vers lui comme pour dire : « ArrĂȘte ton blabla et occupe-toi de moi. » Il Ă©tait trĂšs attentif aux expressions des visages qui allaient lui fournir des indications sur la conversation. Il observait, Ă©coutait, mettait son grain de sel, nous interrompait, mais en utilisant son sabir comme pour se moquer de nous.
Il dĂ©couvrait aussi la valeur du contact humain. Il rĂ©clamait que nos amis le prennent au sĂ©rieux, l’écoutent « parler », jouent avec lui ou fassent semblant de le lancer en l’air ou de le faire tomber lorsqu’il Ă©tait dans leurs bras. J’étais Ă©mue aux larmes de l’entendre hurler de joie, de surprise, de peur et de rire ensuite aux Ă©clats. Il commençait Ă  apprĂ©cier les contacts physiques, mĂȘme avec les inconnus – qui savaient s’y prendre – et rĂ©clamait leur attention. Il avait une mĂ©moire phĂ©nomĂ©nale de ce qu’il avait fait avec chacun. Notre invitĂ© Ă  peine arrivĂ©, il pouvait rĂ©clamer ce petit jeu de doigt qu’il lui avait appris six mois auparavant. Se prĂ©cipiter sur un autre pour dĂ©tacher cette montre qui lui avait tant plu quatre mois plus tĂŽt.
Cette mĂ©moire Ă©tait frappante lors de nos dĂ©placements. Il reprenait ses marques aussitĂŽt dans une maison quittĂ©e huit mois auparavant. Il y retrouvait ses objets, sans la moindre hĂ©sitation sur l’endroit oĂč il les avait laissĂ©s. Il remarquait des changements infimes et je le voyais rĂ©flĂ©chir Ă  ce qui s’était passĂ©, chercher dans les tiroirs des objets manquants. MĂȘme dĂ©vorĂ© de curiositĂ©, il Ă©vitait de demander. Il prĂ©fĂ©rait se donner le mal de chercher plutĂŽt que d’essayer de poser la question qui lui aurait permis de retrouver immĂ©diatement l’objet qu’il cherchait.

Premiers mots

TrĂšs ingĂ©nieux, lorsque je lui posais des questions, il trouvait un moyen de me rĂ©pondre autre que la parole, mais je lui prenais la tĂȘte entre les mains en disant oui-oui-oui, en lui faisant hocher sur chaque oui, il riait et rĂ©clamait que je lui fasse : non-non-non de la mĂȘme façon. Parfois quand je disais non Ă  ce qu’il rĂ©clamait, il prenait mon visage et me forçait Ă  hocher pour dire oui. Je disais non-non-non en hochant la tĂȘte ; dĂ©routĂ©, il riait de ce piĂšge. Pendant les leçons aussi, je cherchais Ă  le piĂ©ger. Je faisais semblant de ne pas comprendre, de ne plus savoir, il me relayait, pas dupe probablement, mais toujours sans parler. Nous savions qu’il comprenait beaucoup de choses et nous nous demandions s’il ne faisait pas exprĂšs de ne pas parler. Accepter de parler, c’était aussi accepter les contraintes du langage : ĂȘtre obligĂ© de rĂ©pondre, d’obĂ©ir, c’était beaucoup plus ennuyeux que de faire semblant de ne pas entendre ou de ne pas comprendre, et ainsi conserver une totale libertĂ©. Il aurait fallu entrer de plain-pied dans cette communication permanente qui avait de nombreux inconvĂ©nients. Nous le soupçonnions d’ĂȘtre largement assez malin pour ce calcul. Mais cela avait un inconvĂ©nient de taille, comment se faire obĂ©ir ? Et cela, c’était important pour quelqu’un d’aussi dĂ©terminĂ© et rĂ©solu, « qui avait des jugements tranchĂ©s », comme avait dit son psychiatre qui le trouvait trĂšs dĂ©terminĂ© dans sa façon d’ĂȘtre et d’agir.
Je ne pouvais m’empĂȘcher de tester sa comprĂ©hension en lui donnant des ordres simples ou en l’attirant avec un cadeau, mot magique auquel il ne rĂ©sistait pas, mais si j’exigeais qu’il me dise : « Donne » ou : « Qu’est-ce que c’est », il se renfrognait et se braquait. Je cessais de lui imposer cette pression, attendant qu’il se dĂ©cide. Tous ces changements dans son comportement me rendaient impatiente.
Il progressait Ă©galement dans les leçons qui se dĂ©roulaient d’autant plus paisiblement que ses progrĂšs me donnaient bon espoir et qu’il me sentait moins inquiĂšte. L’humour et le rire que je pouvais maintenant y introduire allĂ©geaient l’atmosphĂšre. En gardant une certaine rigueur, j’étais plus souple quant Ă  la façon de parvenir au rĂ©sultat. Si nous avions fait un exercice difficile, je le fĂ©licitais et lui permettais de choisir l’activitĂ© suivante.
Il choisissait soit des livres, que je lui racontais en mimant, soit le jeu de topologie. Il Ă©tait sur son terrain lorsqu’il fallait reproduire un des cartons qu’il avait sous les yeux. Il avait plaisir Ă  le faire mĂȘme quand il s’agissait d’une nouvelle scĂšne. Je n’avais pas besoin de le guider mais je verbalisais ce qu’il faisait, Ă  sa place. Un jour, cherchant Ă  le piĂ©ger, je dis : « À cĂŽtĂ© de la barriĂšre, il faut mettre la vache
 – Non cheval
 »
J’en restais abasourdie, muette, il avait voulu corriger mon erreur mais, au lieu de le faire silencieusement comme d’habitude, il avait rectifiĂ© avec des mots. J’en aurais sautĂ© de joie ou pleurĂ© peut-ĂȘtre, mais je contrĂŽlais mon Ă©motion, sentant que des dĂ©bordements ne lui auraient pas plu. « Ah ! oui, tu as raison c’est le cheval qu’il faut mettre
 » balbutiai-je, les larmes aux yeux. Le miracle Ă©tait arrivĂ©, son premier mot enfin. Allait-il continuer ?
Pas si facilement. Il nous fallut attendre plusieurs jours avant qu’il ose reparler Ă  nouveau. Il s’était risquĂ© une fois mais ne paraissait pas vouloir recommencer. Je n’avais pas rĂȘvĂ© pourtant, il l’avait bien prononcĂ© ce mot. D’une voix neutre, trĂšs doucement, presque un ronronnement. Les jours suivants, je multipliais les questions. Tu as faim ? Tu veux des frites ? Mais malin, il me prenait la main et la tirait vers le panier de pommes de terre. Tant pis, il fallait sans doute lui laisser le temps. Peut-ĂȘtre fallait-il qu’il le dĂ©cide : je veux parler ou je ne veux pas ? En tout cas, il en Ă©tait capable. Je maĂźtrisais mal mon impatience d’entendre d’autres mots et je le plongeais malgrĂ© moi dans un tourbillon de paroles et de questions. « Non » fut l’acquisition suivante. Cela ne m’étonnait pas de lui. EntĂȘtĂ©, toujours Ă  vouloir dĂ©cider de tout, cĂ©dant difficilement. Pas de doute, ce non correspondait bien Ă  son caractĂšre volontaire. Le « oui » est venu beaucoup plus tard. Je continuais Ă  lui poser des questions : c’est ça que tu veux ? Pendant longtemps, il se cantonna Ă  l’essentiel et rĂ©pondait « ça » ou « veux » tout court.
Le plus difficile pour moi fut de m’empĂȘcher d’anticiper ses besoins, ses dĂ©sirs, comme je le faisais depuis si longtemps, pour lui imposer la nĂ©cessitĂ© de parler : faire semblant d’ĂȘtre distraite, de n’avoir pas vu, de ne pas comprendre vers quel objet il tendait ma main. Il parlait lorsqu’il Ă©tait pris au piĂšge en quelque sorte : contre sa volontĂ©. Surpris par une question ou une affirmation fausse, la rĂ©ponse venait malgrĂ© lui. Il se reprenait aussitĂŽt comme s’il se disait : « Zut ! J’ai parlĂ© ! » On sentait qu’il avait envie de ravaler sa rĂ©ponse. Comme s’il y avait un danger Ă  parler. Je n’insistais pas, soulagĂ©e de voir qu’il en Ă©tait capable et qu’il saisissait bien le sens de ce qui se disait autour de lui.
Je rĂ©alisais que nous avions jusqu’à prĂ©sent parlĂ© assez librement, pensant qu’il n’écoutait pas vraiment. Qu’avait-il entendu et depuis combien de temps ? Il fallait revoir nos comportements et surveiller nos paroles. Nous avions lĂ  un petit espion qui paraissait encore souvent plongĂ© dans une mĂ©ditation profonde, aveugle Ă  ce que nous faisions, sourd Ă  nos conversations. Qu’en Ă©tait-il vraiment ? Sa grand-mĂšre paternelle nous disait : « Il entend tout, il comprend tout cet enfant-lĂ , il vous surprendra
 » C’était bien difficile Ă  croire Ă  une certaine Ă©poque. Sa conscience s’ouvrait au monde extĂ©rieur trĂšs certainement, ses sens s’aiguisaient, l’amĂ©lioration de ses perceptions lui permettait de « capter » mieux et davantage.

ApprĂ©hender l’environnement

Les sĂ©ances avec moi ont peu Ă  peu aidĂ© Ă  dĂ©velopper sa conscience du monde extĂ©rieur. Paul semblait mieux se rappeler les choses apprises ou vĂ©cues et se servir davantage et Ă  bon escient de ce qu’il savait. Son regard n’était plus vide, comme tournĂ© vers l’intĂ©rieur, mais traduisait peu Ă  peu ses Ă©motions, sa curiositĂ©, son Ă©tonnement. Son visage Ă©tait plus expressif. Il y avait comme un questionnement, absent auparavant. Il rĂ©agissait aux Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs et tentait de les comprendre, surmontant sa peur, il raisonnait sur ses perceptions du monde environnant. Son esprit commençait Ă  analyser, Ă  faire des dĂ©ductions, Ă  stocker des informations, Ă  les trier d’une façon qui se rapprochait de la nĂŽtre. Il apprenait Ă  se servir de sa mĂ©moire pour enregistrer des images durables qui, par consĂ©quent, lui resservaient plus tard. Avec cette comprĂ©hension plus globale, ses peurs l’abandonnaient. Avec les mots, il apprivoisait les phĂ©nomĂšnes. Ceux-ci n’étaient plus aussi surprenants si on pouvait les expliquer et les nommer. Et si tous les gens donnaient le mĂȘme nom Ă  ces choses et Ă  ces phĂ©nomĂšnes, c’était quelque chose d’immuable, donc de rassurant. Je lui montrais que la fonction et le nom des objets ne variaient pas. C’étaient des codes communs Ă  tous et Ă  lui aussi ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. DĂ©dicace
  5. Chapitre premier - LE BONHEUR
  6. Chapitre II - PRÉMICES
  7. Chapitre III - EMMURÉ VIVANT
  8. Chapitre IV - DESCENTE AUX ENFERS
  9. Chapitre V - PASSER À L’ACTION
  10. Chapitre VI - Y CROIRE
  11. Chapitre VII - MÉTAMORPHOSE
  12. Chapitre VIII - NOUVEAU DÉPART : LE RETOUR À L’ÉCOLE
  13. Chapitre IX - SUR LES RAILS
  14. Chapitre X - LES PIÈGES DE LA VIE SOCIALE
  15. Chapitre XI - UN GARÇON COMME UN AUTRE ?
  16. BIBLIOGRAPHIE
  17. LISTE DES RESSOURCES
  18. REMERCIEMENTS
  19. QuatriĂšme de couverture