Le fait que Paul surmonte avec beaucoup moins de difficultĂ© ses frustrations pendant les leçons sâobservait aussi dans les actes de la vie courante. Ses crises violentes se rarĂ©fiaient et leur intensitĂ© sâamenuisait. La rĂ©flexion et lâacceptation prenaient le pas sur la colĂšre ou lâanxiĂ©tĂ©. Les changements dans la routine Ă©taient mieux acceptĂ©s, parce que compris petit Ă petit dans le cadre trĂšs rĂ©gulier, rĂ©pĂ©titif et organisĂ© des leçons. Si aujourdâhui nous allions introduire une activitĂ© nouvelle, les autres activitĂ©s resteraient semblables. Il fallait casser trĂšs doucement ce dĂ©sir dâimmuabilitĂ© qui le caractĂ©risait.
Les leçons obligeaient Paul Ă rĂ©flĂ©chir pour comprendre ce qui lui Ă©tait demandĂ©, exigeaient de lui un effort dâanalyse pour apprĂ©hender des situations donnĂ©es. Cette habitude prise, il lâappliquait de la mĂȘme façon aux Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs auxquels il Ă©tait confrontĂ©. Si ses premiers rĂ©flexes devant une situation inconnue avaient Ă©tĂ© dominĂ©s par la peur ou le refus brutal, ils avaient Ă©tĂ© suivis par un repli indiffĂ©rent et silencieux : je ne comprends pas, je rentre dans ma coquille. Enfin, la curiositĂ© venait, la peur Ă©tait refoulĂ©e et le regard attirĂ©. Ă ce moment-lĂ Ă©tait venue la rĂ©flexion : « Quâest-ce que câest ? Que fait-elle ? » Et enfin : « Que veut-elle que je fasse ? » Je montrais et remontrais indĂ©finiment ce que jâattendais de lui, jusquâĂ ce quâil accepte. Jâavais remarquĂ© au cours des sĂ©ances cette particularitĂ© de ne pas refaire ou imiter comme un perroquet sans comprendre. Dans ce domaine, il lui fallait comprendre pour accepter de reproduire et il le faisait de plus en plus souvent, preuve quâil acceptait et assimilait de nouvelles rĂšgles plus facilement.
Le jeu de repĂ©rage logique nĂ©cessitait un travail de raisonnement et de logique assez Ă©laborĂ©. Les nombreuses planches de difficultĂ© croissante nous servirent pendant des mois. Elles se prĂ©sentaient sous forme de tableaux Ă double entrĂ©e. Nous avions en haut, horizontalement quatre couleurs : rouge, bleu, jaune, vert ; verticalement, Ă gauche : une voiture, un ballon, une fleur, un crayon. Seize petits cartons reprĂ©sentaient tous ces objets dans les quatre couleurs. Je prenais un carton et je disais : je mets la voiture bleue dans la ligne voiture (je montrais la ligne) et dans la colonne bleue (je la suivais du doigt Ă©galement). Je remplissais ainsi tous les espaces avec les cartons en verbalisant clairement et lentement. Il fallut du temps pour quâil les y place lui-mĂȘme, mais assez rapidement il me montrait du doigt lâespace. Au dĂ©but, il changeait de planche avec difficultĂ©, la nouveautĂ© lâeffrayant toujours.
Cette rĂ©sistance aux changements diminuait cependant lorsquâil reconnaissait le type de travail dĂ©jĂ effectuĂ©. Je le voyais observer avec attention les Ă©lĂ©ments proposĂ©s par une nouvelle planche. Lâexercice Ă©tait le mĂȘme sous diffĂ©rentes formes mais je regardais ma montre : nous allongions de jour en jour sa capacitĂ© Ă se concentrer sur une tĂąche. Sa concentration qui ne dĂ©passait pas deux ou trois minutes au dĂ©but, se maintenait, aprĂšs cinq Ă six mois de leçons, jusquâĂ dix minutes si lâactivitĂ© lui plaisait. Lorsquâil commençait de nouveau Ă sâagiter ou Ă refuser, nous revenions Ă une activitĂ© physique qui le dĂ©tendait. Jâallais rĂ©guliĂšrement me fournir chez Nathan Petite Enfance oĂč je pouvais trouver de nouvelles activitĂ©s ou de nouveaux jeux parfaitement adaptĂ©s Ă son niveau du moment et qui permettaient de rompre un peu la monotonie, parfois dĂ©courageante, des sĂ©ances, ou dâaborder des expĂ©riences nouvelles dans les moments de loisirs.
Ă la halte-garderie oĂč il passait deux Ă trois demi-journĂ©es par semaine, les animatrices percevaient aussi des amĂ©liorations. Elles le trouvaient beaucoup plus Ă lâĂ©coute, rendant parfois service Ă un plus petit que lui qui nâarrivait pas Ă attraper lâobjet dĂ©sirĂ©. Il nâen Ă©tait pas encore Ă venir sâasseoir Ă la table commune lorsque câĂ©tait lâheure de lâatelier de collage ou de pĂąte Ă modeler mais il sây intĂ©ressait de loin. Il ne paraissait pas aussi coupĂ© des autres quâauparavant. Il observait et imitait parfois. Je ne le retrouvais plus systĂ©matiquement dans la piĂšce laissĂ©e vide par les autres enfants, mais dans le groupe. Il cĂŽtoyait les autres sans gĂȘne et prenait conscience de leurs gestes. Quâils le touchent pendant les jeux ne le dĂ©rangeait plus. BousculĂ©, il ne sâen allait plus Ă lâautre bout du jardin mais suivait des yeux les mouvements de chacun. Il tenait compte des rĂ©flexions quâon lui faisait et commençait Ă obĂ©ir. Le trouver au milieu des autres pendant les activitĂ©s de chant ou de lecture Ă©tait plus frĂ©quent. Il se laissait apprivoiser.
GrĂące Ă la rĂ©Ă©ducation du toucher que nous faisions Ă la maison, il avait enfin acceptĂ© de prendre un pinceau. Ce blocage qui existait chez lui depuis deux ans face aux feutres et aux crayons, quâil refusait, en hurlant, de prendre dans ses mains, commençait Ă cĂ©der. Jâavais pour cela « dĂ©dramatisĂ© » lâusage du crayon. Puisque son vĂ©ritable usage â dessiner donc laisser des traces â lâaffolait, je rĂ©solus de lâutiliser de bien dâautres façons. Le faire rouler, le planter dans de la pĂąte Ă modeler, le mordiller, en faire deux personnages qui se battent ou plus prosaĂŻquement lui gratter le dos avec. Je lâamenais Ă accepter de le garder en main sans que cela le gĂȘne. Lui donner une feuille blanche et lui montrer comment dessiner le plongeaient dans une inquiĂ©tude qui le faisait frĂ©nĂ©tiquement tenter dâeffacer les traces laissĂ©es. Frottant avec ses mains sans y parvenir, essayant maladroitement avec une gomme, il a mĂȘme tentĂ© un jour dâeffacer ces traces avec un gant de toilette mouillĂ© quâil avait couru prendre dans la salle de bains. Non, la page devait rester blanche, peut-ĂȘtre Ă cause de ce besoin de nettetĂ©, de propretĂ©.
Il voulait que les choses restent propres, rangĂ©es, en ordre. Le fouillis le mettait mal Ă lâaise. Un livre abĂźmĂ© aussi, un jouet cassĂ© lâa longtemps bouleversĂ©. Pour le dessin, il fallait trouver un autre biais. Ce fut la peinture, avec Laure. Tous deux Ă la mĂȘme table, avec de nombreuses feuilles de toutes sortes, Laure barbouillait sans rĂ©ticence, il regardait puis essayait timidement. Les feuilles souillĂ©es le dĂ©rangeaient encore. Il se lança finalement sur le grand panneau de la halte-garderie qui ne pouvait sâeffacer. Les enfants y peignaient les uns sur le travail les autres, son propre travail sây mĂ©langeait. Ensuite, voyant que lâon pouvait y accrocher des feuilles blanches que lâon rangeait, une fois peintes, dans un dossier au nom de chacun, et les renouveler aussi souvent que lâon voulait, ses rĂ©ticences ont finalement cĂ©dĂ©. Rater son dessin nâĂ©tait pas grave, on pouvait recommencer aussitĂŽt, le stock de feuilles Ă©tait suffisant. Cependant, il refusa longtemps de mettre le tablier protecteur, ou de se laver les mains comme les autres.
Le lavage des mains Ă©tait un travail quotidien qui lâangoissait de moins en moins Ă la maison. Mais, lĂ encore, lâexemple des autres enfants qui pouvaient « jouer Ă lâeau » dans le long lavabo de la garderie facilita les choses. Il commençait Ă apprivoiser ce monde Ă©trange en observant les autres. Banal, bien sĂ»r, pour tous les enfants dans la norme, mais exceptionnel pour nous.
Contrairement Ă Barbara, qui avait longuement approfondi ces relations de cause Ă effet, je ne concevais pas clairement pourquoi et comment ce que nous faisions pendant les leçons se rĂ©percutait dans ces acquisitions du comportement quotidien. Mais il nây avait aucun doute, cela marchait. Paul changeait, câĂ©tait indubitable. Ces changements Ă©taient encore plus perceptibles pour notre entourage, amis ou membres de la famille, qui dâun mois sur lâautre pouvait constater les diffĂ©rences. Paul paraissait beaucoup moins attirĂ© par les objets, sa prĂ©sence autour de nous nâĂ©tait plus celle dâun petit fantĂŽme, silencieux, absorbĂ© dans ses activitĂ©s solitaires. Nous nous Ă©tions efforcĂ©s dâĂȘtre rĂ©ceptifs Ă toutes les indications quâil nous donnait, il avait peu Ă peu pris conscience quâil pouvait avoir de lâimpact sur les personnes prĂ©sentes, susciter des rĂ©actions, obtenir ce quâil dĂ©sirait. Il Ă©tait maintenant prĂ©sent Ă chaque rĂ©union de parents ou dâamis et tenait Ă ce que tous soient conscients de sa prĂ©sence. Il Ă©mettait de drĂŽles de bruits, qui ressemblaient Ă une conversation : « Il parle en clics comme les Bushmen », disait mon pĂšre. Il circulait dans nos jambes, cherchant Ă attirer lâattention par diffĂ©rents moyens. Il insistait pour que je le prenne dans mes bras lorsque je conversais avec les personnes prĂ©sentes, cherchait Ă avoir le visage Ă la mĂȘme hauteur que nous. Tournant de force mon visage vers lui comme pour dire : « ArrĂȘte ton blabla et occupe-toi de moi. » Il Ă©tait trĂšs attentif aux expressions des visages qui allaient lui fournir des indications sur la conversation. Il observait, Ă©coutait, mettait son grain de sel, nous interrompait, mais en utilisant son sabir comme pour se moquer de nous.
Il dĂ©couvrait aussi la valeur du contact humain. Il rĂ©clamait que nos amis le prennent au sĂ©rieux, lâĂ©coutent « parler », jouent avec lui ou fassent semblant de le lancer en lâair ou de le faire tomber lorsquâil Ă©tait dans leurs bras. JâĂ©tais Ă©mue aux larmes de lâentendre hurler de joie, de surprise, de peur et de rire ensuite aux Ă©clats. Il commençait Ă apprĂ©cier les contacts physiques, mĂȘme avec les inconnus â qui savaient sây prendre â et rĂ©clamait leur attention. Il avait une mĂ©moire phĂ©nomĂ©nale de ce quâil avait fait avec chacun. Notre invitĂ© Ă peine arrivĂ©, il pouvait rĂ©clamer ce petit jeu de doigt quâil lui avait appris six mois auparavant. Se prĂ©cipiter sur un autre pour dĂ©tacher cette montre qui lui avait tant plu quatre mois plus tĂŽt.
Cette mĂ©moire Ă©tait frappante lors de nos dĂ©placements. Il reprenait ses marques aussitĂŽt dans une maison quittĂ©e huit mois auparavant. Il y retrouvait ses objets, sans la moindre hĂ©sitation sur lâendroit oĂč il les avait laissĂ©s. Il remarquait des changements infimes et je le voyais rĂ©flĂ©chir Ă ce qui sâĂ©tait passĂ©, chercher dans les tiroirs des objets manquants. MĂȘme dĂ©vorĂ© de curiositĂ©, il Ă©vitait de demander. Il prĂ©fĂ©rait se donner le mal de chercher plutĂŽt que dâessayer de poser la question qui lui aurait permis de retrouver immĂ©diatement lâobjet quâil cherchait.
Premiers mots
TrĂšs ingĂ©nieux, lorsque je lui posais des questions, il trouvait un moyen de me rĂ©pondre autre que la parole, mais je lui prenais la tĂȘte entre les mains en disant oui-oui-oui, en lui faisant hocher sur chaque oui, il riait et rĂ©clamait que je lui fasse : non-non-non de la mĂȘme façon. Parfois quand je disais non Ă ce quâil rĂ©clamait, il prenait mon visage et me forçait Ă hocher pour dire oui. Je disais non-non-non en hochant la tĂȘte ; dĂ©routĂ©, il riait de ce piĂšge. Pendant les leçons aussi, je cherchais Ă le piĂ©ger. Je faisais semblant de ne pas comprendre, de ne plus savoir, il me relayait, pas dupe probablement, mais toujours sans parler. Nous savions quâil comprenait beaucoup de choses et nous nous demandions sâil ne faisait pas exprĂšs de ne pas parler. Accepter de parler, câĂ©tait aussi accepter les contraintes du langage : ĂȘtre obligĂ© de rĂ©pondre, dâobĂ©ir, câĂ©tait beaucoup plus ennuyeux que de faire semblant de ne pas entendre ou de ne pas comprendre, et ainsi conserver une totale libertĂ©. Il aurait fallu entrer de plain-pied dans cette communication permanente qui avait de nombreux inconvĂ©nients. Nous le soupçonnions dâĂȘtre largement assez malin pour ce calcul. Mais cela avait un inconvĂ©nient de taille, comment se faire obĂ©ir ? Et cela, câĂ©tait important pour quelquâun dâaussi dĂ©terminĂ© et rĂ©solu, « qui avait des jugements tranchĂ©s », comme avait dit son psychiatre qui le trouvait trĂšs dĂ©terminĂ© dans sa façon dâĂȘtre et dâagir.
Je ne pouvais mâempĂȘcher de tester sa comprĂ©hension en lui donnant des ordres simples ou en lâattirant avec un cadeau, mot magique auquel il ne rĂ©sistait pas, mais si jâexigeais quâil me dise : « Donne » ou : « Quâest-ce que câest », il se renfrognait et se braquait. Je cessais de lui imposer cette pression, attendant quâil se dĂ©cide. Tous ces changements dans son comportement me rendaient impatiente.
Il progressait Ă©galement dans les leçons qui se dĂ©roulaient dâautant plus paisiblement que ses progrĂšs me donnaient bon espoir et quâil me sentait moins inquiĂšte. Lâhumour et le rire que je pouvais maintenant y introduire allĂ©geaient lâatmosphĂšre. En gardant une certaine rigueur, jâĂ©tais plus souple quant Ă la façon de parvenir au rĂ©sultat. Si nous avions fait un exercice difficile, je le fĂ©licitais et lui permettais de choisir lâactivitĂ© suivante.
Il choisissait soit des livres, que je lui racontais en mimant, soit le jeu de topologie. Il Ă©tait sur son terrain lorsquâil fallait reproduire un des cartons quâil avait sous les yeux. Il avait plaisir Ă le faire mĂȘme quand il sâagissait dâune nouvelle scĂšne. Je nâavais pas besoin de le guider mais je verbalisais ce quâil faisait, Ă sa place. Un jour, cherchant Ă le piĂ©ger, je dis : « Ă cĂŽtĂ© de la barriĂšre, il faut mettre la vache⊠â Non cheval⊠»
Jâen restais abasourdie, muette, il avait voulu corriger mon erreur mais, au lieu de le faire silencieusement comme dâhabitude, il avait rectifiĂ© avec des mots. Jâen aurais sautĂ© de joie ou pleurĂ© peut-ĂȘtre, mais je contrĂŽlais mon Ă©motion, sentant que des dĂ©bordements ne lui auraient pas plu. « Ah ! oui, tu as raison câest le cheval quâil faut mettre⊠» balbutiai-je, les larmes aux yeux. Le miracle Ă©tait arrivĂ©, son premier mot enfin. Allait-il continuer ?
Pas si facilement. Il nous fallut attendre plusieurs jours avant quâil ose reparler Ă nouveau. Il sâĂ©tait risquĂ© une fois mais ne paraissait pas vouloir recommencer. Je nâavais pas rĂȘvĂ© pourtant, il lâavait bien prononcĂ© ce mot. Dâune voix neutre, trĂšs doucement, presque un ronronnement. Les jours suivants, je multipliais les questions. Tu as faim ? Tu veux des frites ? Mais malin, il me prenait la main et la tirait vers le panier de pommes de terre. Tant pis, il fallait sans doute lui laisser le temps. Peut-ĂȘtre fallait-il quâil le dĂ©cide : je veux parler ou je ne veux pas ? En tout cas, il en Ă©tait capable. Je maĂźtrisais mal mon impatience dâentendre dâautres mots et je le plongeais malgrĂ© moi dans un tourbillon de paroles et de questions. « Non » fut lâacquisition suivante. Cela ne mâĂ©tonnait pas de lui. EntĂȘtĂ©, toujours Ă vouloir dĂ©cider de tout, cĂ©dant difficilement. Pas de doute, ce non correspondait bien Ă son caractĂšre volontaire. Le « oui » est venu beaucoup plus tard. Je continuais Ă lui poser des questions : câest ça que tu veux ? Pendant longtemps, il se cantonna Ă lâessentiel et rĂ©pondait « ça » ou « veux » tout court.
Le plus difficile pour moi fut de mâempĂȘcher dâanticiper ses besoins, ses dĂ©sirs, comme je le faisais depuis si longtemps, pour lui imposer la nĂ©cessitĂ© de parler : faire semblant dâĂȘtre distraite, de nâavoir pas vu, de ne pas comprendre vers quel objet il tendait ma main. Il parlait lorsquâil Ă©tait pris au piĂšge en quelque sorte : contre sa volontĂ©. Surpris par une question ou une affirmation fausse, la rĂ©ponse venait malgrĂ© lui. Il se reprenait aussitĂŽt comme sâil se disait : « Zut ! Jâai parlĂ© ! » On sentait quâil avait envie de ravaler sa rĂ©ponse. Comme sâil y avait un danger Ă parler. Je nâinsistais pas, soulagĂ©e de voir quâil en Ă©tait capable et quâil saisissait bien le sens de ce qui se disait autour de lui.
Je rĂ©alisais que nous avions jusquâĂ prĂ©sent parlĂ© assez librement, pensant quâil nâĂ©coutait pas vraiment. Quâavait-il entendu et depuis combien de temps ? Il fallait revoir nos comportements et surveiller nos paroles. Nous avions lĂ un petit espion qui paraissait encore souvent plongĂ© dans une mĂ©ditation profonde, aveugle Ă ce que nous faisions, sourd Ă nos conversations. Quâen Ă©tait-il vraiment ? Sa grand-mĂšre paternelle nous disait : « Il entend tout, il comprend tout cet enfant-lĂ , il vous surprendra⊠» CâĂ©tait bien difficile Ă croire Ă une certaine Ă©poque. Sa conscience sâouvrait au monde extĂ©rieur trĂšs certainement, ses sens sâaiguisaient, lâamĂ©lioration de ses perceptions lui permettait de « capter » mieux et davantage.
ApprĂ©hender lâenvironnement
Les sĂ©ances avec moi ont peu Ă peu aidĂ© Ă dĂ©velopper sa conscience du monde extĂ©rieur. Paul semblait mieux se rappeler les choses apprises ou vĂ©cues et se servir davantage et Ă bon escient de ce quâil savait. Son regard nâĂ©tait plus vide, comme tournĂ© vers lâintĂ©rieur, mais traduisait peu Ă peu ses Ă©motions, sa curiositĂ©, son Ă©tonnement. Son visage Ă©tait plus expressif. Il y avait comme un questionnement, absent auparavant. Il rĂ©agissait aux Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs et tentait de les comprendre, surmontant sa peur, il raisonnait sur ses perceptions du monde environnant. Son esprit commençait Ă analyser, Ă faire des dĂ©ductions, Ă stocker des informations, Ă les trier dâune façon qui se rapprochait de la nĂŽtre. Il apprenait Ă se servir de sa mĂ©moire pour enregistrer des images durables qui, par consĂ©quent, lui resservaient plus tard. Avec cette comprĂ©hension plus globale, ses peurs lâabandonnaient. Avec les mots, il apprivoisait les phĂ©nomĂšnes. Ceux-ci nâĂ©taient plus aussi surprenants si on pouvait les expliquer et les nommer. Et si tous les gens donnaient le mĂȘme nom Ă ces choses et Ă ces phĂ©nomĂšnes, câĂ©tait quelque chose dâimmuable, donc de rassurant. Je lui montrais que la fonction et le nom des objets ne variaient pas. CâĂ©taient des codes communs Ă tous et Ă lui aussi ...