Chapitre 1
Le voile noir
1. HOMÈRE, Iliade XIV 352, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».
2. Homère, Odyssée XVIII 187, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».
3. BROXTON Onians R. (1999), Les Origines de la pensée européenne sur le corps, l’esprit, l’âme, le monde, le temps et le destin, Paris, Éditions du Seuil.
Les poumons, ou peut être le diaphragme, sont le siège de quelque chose de vaporeux, à la fois le souffle vital et la matière de la conscience : le thumos. Les dieux insufflent l’ardeur, la force d’âme, la colère dans les poumons pour grandir la conscience, l’esprit et l’homme même. Le coma de l’ivresse est un alourdissement, un asservissement des poumons par le vin. Et finalement expirer c’est perdre le thumos. La conscience est ainsi une question de souffle. Il en reste quelque chose dans la culture implicite : que l’on songe aux doubles significations des mots inspirer et expirer, inspiration et expiration dans notre langue. Au reste si l’intubation est la première manœuvre de sauvetage d’un coma, faut-il penser qu’il reste quelque trace du savoir des Grecs dans l’inspiration du réanimateur qui glisse un tube jusqu’aux poumons du malade ?
4. McHenry L.C. (1969), Garrison’s History of Neurology, Springfield, Charles C. Thomas.
5. ARIÈS Ph. (1977), L’Homme devant la mort, Paris, Éditions du Seuil, p. 391.
6. Teasdale G. et Jennett B. (1974), « Assessment of coma and impaired consciousness. A practical scale », Lancet, 2, p. 81-84.
7. JOUVET M. (1996), « Les mécanismes de l’éveil : du système réticulé mésencéphalique aux réseaux multiples », Arch. Physiology Biochemistry, 104, p. 762-769.
8. Valatx J.L. (1995), « Régulation du cycle veille/sommeil », in Le Sommeil humain normal et pathologique, Benoit O. et Forest J. éd., Paris, Masson, p. 25-37.
9. On peut apporter quelques précisions sur les principaux ensembles de neurones impliqués dans l’éveil.
La formation réticulée mésencéphalique représente la partie rostrale du système réticulaire activateur ascendant initialement décrit par Magoun et Moruzzi (Moruzzi G. et Magoun H.W., 1949, « Brainstem reticular formation and activation of the EEG », Electroencéph. Clin. Neurophysiol., 1, p. 455-473). Les neurotransmetteurs de ces neurones sont les acides aminés excitateurs, aspartate et glutamate. Les projections rostrales se font vers le thalamus et le cortex. La destruction par coagulation de cette région entraîne un coma profond durable. Une atteinte plus ménagée des corps cellulaires par des substances neurotoxiques spécifiques ne provoque cependant que des troubles modérés et transitoires.
Le système thalamique diffus semble prolonger vers l’avant la réticulée mésencéphalique. Les neurones occupent les noyaux intralaminaires et le noyau réticulaire du thalamus, ils projettent vers le cortex. Les neurotransmetteurs en cause sont encore les acides aminés excitateurs.
Le système réticulaire hypothalamique : ce système siège dans l’hypothalamus postérieur au niveau du noyau tubéro-mamillaire. Il est constitué de neurones dont le neurotransmetteur est l’histamine. Les projections se font vers le cortex mais aussi vers les structures activatrices situées en arrière dans le tronc cérébral. La destruction de cette zone entraîne encore un coma profond. Sa stimulation provoque un éveil intense accompagné de comportements agressifs.
Le système télencéphalique médio-basal regroupe plusieurs structures nucléaires situées au-dessus et en avant de l’hypothalamus, noyau de Meynert en particulier, avec comme neurotransmetteur l’acétylcholine. Les projections se font vers le cortex et le thalamus, la stimulation de ces structures entraîne un éveil diffus.
Le locus coeruleus : ce petit noyau de couleur bleuâtre sur les coupes anatomiques de la protubérance contient des neurones utilisant la noradrénaline. L’activité de ces neurones augmente pendent l’éveil et s’atténue dans le sommeil. Les altérations du locus coeruleus par des poisons sélectifs, comme la 6-hydroxy-dopamine, entraînent des désordres temporaires de l’éveil.
D’autres systèmes sont diversement impliqués que nous nous contenterons de citer : les neurones méso-pontins cholinergiques, les neurones à sérotonine du raphé antérieur, les neurones à acétylcholine du noyau réticulaire bulbaire magno-cellulaire…
10. Par quel mécanisme l’activité des neurones du cortex est-elle modulée par les afférences venues des systèmes réticulaires ? Très généralement ces afférences règlent le niveau de polarisation des neurones thalamo-corticaux. À l’état d’éveil ces neurones sont maintenus dans un état de faible dépolarisation par des afférences excitatrices. Ils sont ainsi hautement excitables, leur taux de décharge spontanée est élevé et leur degré de synchronisation avec les neurones voisins est faible. Les ondes bêta de l’électroencéphalogramme d’éveil traduisent cette situation. En même temps le taux de transfert de ces neurones est voisin de 1 : chaque message sensoriel qui leur parvient est transmis au niveau des synapses et il n’y a pas de perte d’information entre le récepteur périphérique et le cortex. Le cortex est en situation de traiter intégralement l’information qui lui parvient, ce qui est sans doute une des conditions de base de l’activité consciente. À l’inverse au moment de l’endormissement et dans le sommeil lent les mêmes populations de neurones thalamo-corticaux sont hyperpolarisés par les afférences inhibitrices d’origine thalamique, leur excitabilité baisse, leur taux de décharge spontanée diminue, leur synchronisation avec les neurones voisins augmente : les ondes delta de l’EEG témoignent de cet état. Le taux de transfert des messages tombe autour de 0,3 et l’information correspondante ne parvient plus au cortex, aucun contenu exploitable ne soutient l’activité consciente, la conscience s’éteint.
11. Les modèles expérimentaux qui ont permis l’analyse des systèmes activateurs sont ici pertinents. Une lésion par coagulation de la réticulée mésencéphalique ou de l’hypothalamus postérieur provoque chez l’animal un coma plus ou moins durable. Certaines pathologies produisent chez l’homme des lésions localisées comparables aux lésions expérimentales, elles entraînent des comas de mécanisme identique.
12. On distinguait :
— le coma vigile, de stade 1, au cours duquel le malade peut réagir et s’éveiller transitoirement aux bruits forts, à l’appel de son nom ;
— le coma proprement dit, de stade 2, où seule persiste une réaction mal orientée à la douleur ;
— le coma carus, de stade 3, où toute réactivité est disparue et où un encombrement respiratoire s’installe, lié à la perte des réflexes pharyngés de la déglutition.
Chapitre 2
Pourquoi et comment cette nuit ?
1 - 1 - 1. COHADON F., CASTEL J.P., RICHER E. et al. (1998), Les Traumatisés crâniens de l’accident à la réinsertion, Arnette Blackwell, Paris.
2. Les traumatismes graves par leur dimension épidémiologique posent un problème de santé publique de grande ampleur, comme les autorités sanitaires et sociales de notre pays l’ont récemment reconnu (Lebeau H.J., 1995, Rapport d’enquête sur les traumatismes crâniens, Inspection générale des affaires sociales, Rapport no 95075). On estime à cent cinquante-cinq mille le nombre de traumatisés crâniens par an, cinq mille meurent rapidement, cent cinquante mille sont admis à l’hôpital et parmi ceux-ci quinze mille sont en état de coma à l’admission. Ces blessés sont pour la plupart (60 à 70 %) victimes d’accidents de la circulation, dans la très grande majorité des cas leur âge se situe entre quinze et trente ans. Ce sont des hommes deux à trois fois plus souvent que des femmes. Les chutes dans des circonstances variées représentent la deuxième cause des traumatismes crâniens graves (30 %) avec une fréquence particulière chez l’enfant et chez le sujet âgé.
3. Commotion cérébrale : l’interprétation de ce phénomène n’est pas simple. L’interruption de l’influx nerveux au niveau d’un axone a pour conséquenc...