La crise financiĂšre et Ă©conomique est un phĂ©nomĂšne complexe dont il nâest pas facile de dĂ©mĂȘler les tenants et aboutissants tellement ses diffĂ©rents Ă©lĂ©ments sont interdĂ©pendants entre eux. Malheureusement, on a gĂ©nĂ©ralement tendance Ă sâen tenir Ă quelques observations simplistes ou superficielles consistant par exemple Ă se focaliser sur les bonus des financiers ou les parachutes dorĂ©s de certains dirigeants dâentreprises. Ces faits sont avĂ©rĂ©s, excitent lâimagination, mais ne permettent absolument pas de comprendre les causes profondes de la crise. Si lâon veut non seulement dĂ©crypter ce qui sâest passĂ©, mais aussi Ă©viter de nouvelles crises dans le futur, il est essentiel dâavoir une vue cohĂ©rente de lâensemble du systĂšme Ă partir duquel la crise la plus rĂ©cente est nĂ©e et sâest dĂ©veloppĂ©e.
Si la crise financiĂšre et Ă©conomique de 2007-2009 rĂ©sulte de la conjonction de plusieurs causes, celle sans laquelle les autres nâauraient pas pu exister rĂ©side dans lâextraordinaire instabilitĂ© de la politique monĂ©taire menĂ©e aux Ătats-Unis, mais aussi dans dâautres rĂ©gions du monde. Câest dâailleurs cette mĂȘme cause que lâon retrouve dans toutes les crises de lâĂ©poque moderne, et câest pourquoi lâanalyse de la plus rĂ©cente peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une illustration particuliĂšre de phĂ©nomĂšnes beaucoup plus gĂ©nĂ©raux. Câest donc la politique monĂ©taire qui retiendra dâabord notre attention, avant dâĂ©voquer deux autres causes importantes de la crise rĂ©cente, la politique du logement aux Ătats-Unis et les mĂ©faits de la rĂ©glementation financiĂšre. Il nous faudra aussi prendre du recul par rapport Ă ces Ă©vĂ©nements et rechercher â ce qui sera fait dans le chapitre suivant â comment ils sâinscrivent dans une perspective plus large qui est celle du fonctionnement du capitalisme Ă notre Ă©poque. Faute dâaccepter cet effort dâapprofondissement, on risquerait de mal interprĂ©ter les phĂ©nomĂšnes que lâon a connus, mais aussi de retomber ultĂ©rieurement dans les mĂȘmes erreurs, avec les mĂȘmes consĂ©quences dommageables.
Une politique monĂ©taire dĂ©stabilisatrice : la Fed, la BCE et les autresâŠ
Il est habituel de dire que le capitalisme est fondamentalement instable et que le fonctionnement dâune Ă©conomie de marchĂ© a nĂ©cessairement un caractĂšre cyclique, qui se manifeste notamment par lâapparition rĂ©guliĂšre de crises financiĂšres. On ajoute Ă©videmment, en corollaire, que la politique macroĂ©conomique doit jouer le rĂŽle Ă©minent de stabiliser lâĂ©conomie. On lâappelle dâailleurs « politique de stabilisation ».
Lâobservation des faits peut sembler effectivement corroborer cette vision. Il ne suffit cependant pas dâobserver, il faut encore comprendre. Et peut-ĂȘtre sera-t-on placĂ© sur le bon chemin de la rĂ©flexion en constatant tout dâabord quâil y a eu un changement majeur dans la nature des crises au cours de lâhistoire. Pendant la plus grande partie de la vie des hommes et pratiquement jusquâau XIXe siĂšcle, les crises ont Ă©tĂ© dues Ă des phĂ©nomĂšnes « naturels » ou, disons plutĂŽt, non monĂ©taires : des Ă©pidĂ©mies, des guerres, de mauvaises rĂ©coltes rĂ©sultant des caprices du temps. Pourtant, la monnaie existait et elle jouait bien son rĂŽle. Les crises monĂ©taires nâexistaient pas, elles, tout simplement parce que les variations dans la quantitĂ© de monnaie Ă©taient faibles. La finance existait bien aussi, puisquâil y avait des banques, des transferts dâĂ©pargne et des placements de toutes sortes. Mais les crises financiĂšres nâexistaient pas, elles, parce que les taux dâintĂ©rĂȘt Ă©taient trĂšs stables. Des ĂȘtres humains innombrables avaient rĂ©ussi, par leurs efforts et leur imagination, Ă rĂ©duire les causes principales dâinstabilitĂ© Ă©conomique du passĂ© â sauf, il faut tout de mĂȘme le reconnaĂźtre, celle qui Ă©tait et qui reste dâorigine Ă©tatique, Ă savoir les guerres. Pour leur part, les progrĂšs de la mĂ©decine avaient permis dâĂ©viter les grandes Ă©pidĂ©mies ; les progrĂšs techniques dans lâagriculture avaient Ă©liminĂ© les famines et la diversification des activitĂ©s les avait rendues moins dĂ©pendantes des alĂ©as extĂ©rieurs.
ParallĂšlement Ă ces progrĂšs fantastiques, un obstacle majeur est venu interrompre cette marche vers la stabilitĂ© Ă©conomique : lâinterventionnisme Ă©tatique dans les systĂšmes monĂ©taires et financiers. La monnaie nâa jamais aussi mal jouĂ© son rĂŽle que depuis lâĂ©poque â du XIXe au XXIe siĂšcle â oĂč sa gestion a Ă©tĂ© placĂ©e sous le contrĂŽle des autoritĂ©s monĂ©taires. Il nây a jamais eu dans lâhistoire autant dâinflation et de crises monĂ©taires quâau cours de cette pĂ©riode. Et puisque la monnaie est gĂ©rĂ©e par des autoritĂ©s publiques, il faut bien admettre que ce sont elles qui se sont rendues coupables de lâinstabilitĂ© monĂ©taire. Ce caractĂšre public nâempĂȘche pas la banque centrale dâĂȘtre Ă©ventuellement une entreprise privĂ©e. Ce fut le cas de la Banque de France jusquâen 1936 et câest encore le cas, dans une certaine mesure, du Federal Reserve System aux Ătats-Unis (la Fed), puisquâil est lâĂ©manation des douze banques de rĂ©serve fĂ©dĂ©rales, qui appartiennent elles-mĂȘmes Ă des banques privĂ©es. Mais toutes ces banques centrales, quâelles soient publiques ou privĂ©es, font lâobjet dâune lĂ©gislation spĂ©cifique, bĂ©nĂ©ficient de privilĂšges publics, sont contrĂŽlĂ©es par les autoritĂ©s publiques qui nomment gĂ©nĂ©ralement leurs dirigeants. Quels que soient les statuts prĂ©cis des banques centrales et leurs pouvoirs, toutes ces dispositions sont Ă lâorigine de la constitution dâun monopole monĂ©taire dâorigine publique : seules ont droit dâĂ©mettre de la monnaie les organisations qui appartiennent au systĂšme monĂ©taire national, contrĂŽlĂ© et dirigĂ© par la banque centrale, et lâutilisation dâautres monnaies par les rĂ©sidents dâun pays est soit interdite soit limitĂ©e. En dâautres termes, la concurrence des monnaies est interdite ou limitĂ©e, si lâon veut bien â comme on le devrait â dĂ©finir la concurrence par la libertĂ© dâentrer sur un marchĂ©. Ainsi, loin de constituer une preuve du mauvais fonctionnement des Ă©conomies capitalistes, il apparaĂźt de maniĂšre Ă©clatante que les crises monĂ©taires et financiĂšres sont le rĂ©sultat dâune faillite des Ătats et non dâune faillite du capitalisme et des marchĂ©s ! Les Ă©vĂ©nements des annĂ©es rĂ©centes en donnent une illustration frappante.
Revenons dâabord un peu en arriĂšre. AprĂšs la rĂ©cession de 1992, la Fed sâest lancĂ©e dans une politique monĂ©taire trĂšs expansionniste. Au cours de la pĂ©riode qui a suivi, le taux de croissance annuel de la masse monĂ©taire (M3) a Ă©tĂ© dâenviron 10 %, ce qui est considĂ©rable et ce qui impliquait un doublement de la quantitĂ© de monnaie circulant dans le monde Ă peu prĂšs tous les six ou sept ans. Bien Ă©videmment, cette politique a Ă©tĂ© accompagnĂ©e par des taux dâintĂ©rĂȘt faibles ou mĂȘme nĂ©gatifs. Cela a provoquĂ© la crĂ©ation dâune bulle spĂ©culative qui sâest manifestĂ©e par une augmentation sensible des prix des biens de capital, des actifs, des biens fonciers et, bien sĂ»r, des actions, puisque celles-ci reprĂ©sentent des droits de propriĂ©tĂ© sur ces actifs. Ainsi, si lâon considĂšre un indice mondial des actions1, on constate un sommet de lâindice Ă 240 en 2000 (sur une base 100 en 1995, ce qui implique bien une augmentation considĂ©rable en cinq ans), puis un creux Ă 120 en 2003 et une remontĂ©e presque jusquâĂ 280 au milieu de 2007.
Or on nâa pas suffisamment portĂ© dâattention Ă ce phĂ©nomĂšne, ainsi que lâexplique Jesus Huerta de Soto2 : « Comme dans les annĂ©es âronflantesâ qui ont prĂ©cĂ©dĂ© la Grande DĂ©pression de 1929, le choc dĂ» Ă la croissance monĂ©taire nâa pas significativement influencĂ© les prix du sous-ensemble de biens et services situĂ©s au niveau du consommateur final de la structure de production⊠Au cours de la dĂ©cennie passĂ©e [les annĂ©es 1990], comme au cours des annĂ©es 1920, il y a eu une augmentation remarquable de la productivitĂ© rĂ©sultant de lâintroduction Ă une Ă©chelle massive de nouvelles technologies et dâinnovations entrepreneuriales significatives, qui, en lâabsence de lââorgie de monnaie et de crĂ©ditâ, auraient donnĂ© lieu Ă une rĂ©duction saine et durable du prix unitaire de tous les biens et services consommĂ©s par les citoyens. En outre, lâincorporation complĂšte dâĂ©conomies comme celles de la Chine et de lâInde dans le marchĂ© globalisĂ© a Ă©galement augmentĂ© encore davantage la productivitĂ© dans la production des biens de consommation. Lâabsence dâune saine âdĂ©flationâ des prix des biens de consommation au cours dâune pĂ©riode de croissance considĂ©rable de la productivitĂ©, comme celle des annĂ©es rĂ©centes, apporte la preuve principale que le choc monĂ©taire a sĂ©rieusement troublĂ© le processus Ă©conomique. »
Ces remarques sont trĂšs importantes. En effet, Ă peu prĂšs tout le monde, en dehors des Ă©conomistes de lâĂ©cole « autrichienne » (dont nous Ă©voquerons les thĂšses au chapitre 3), est habituĂ© Ă une approche globale des phĂ©nomĂšnes Ă©conomiques et câest ainsi que lâon dĂ©finit, Ă la suite dâun Milton Friedman aussi bien que dâun John Maynard Keynes, le taux dâinflation comme lâaugmentation du prix des biens de consommation. Or sâil y a, comme ce fut le cas au cours des annĂ©es 1990, mais aussi au dĂ©but du XXIe siĂšcle, des gains de productivitĂ© importants dans la production de ces biens, on nâest pas alertĂ© par le phĂ©nomĂšne inflationniste â le seul auquel on prĂȘte attention, avec le taux de chĂŽmage â lorsque lâindice des prix des biens de consommation reste Ă peu prĂšs stable ou augmente faiblement : on nâaura pas le sentiment que la politique monĂ©taire est trop expansionniste si, par exemple, les prix augmentent de 2 ou 3 % par an3. Pourtant, un tel taux est considĂ©rable si intervient, par exemple, une augmentation moyenne de la productivitĂ© dans le secteur des biens de consommation de 3 Ă 5 % par an. Par ailleurs, pour des raisons qui ont Ă©tĂ© bien expliquĂ©es par les auteurs de lâĂ©cole autrichienne (voir ci-dessous, chapitre 3), il est normal, dans des situations de croissance monĂ©taire forte, que les excĂšs de crĂ©ation monĂ©taire se dĂ©versent particuliĂšrement sur les marchĂ©s dâactifs, de matiĂšres premiĂšres, de biens capitaux ou de biens fonciers dont les prix augmentent beaucoup plus que ceux des biens de consommation. Au lieu de sâen prĂ©occuper, on admire, bien souvent, lâaugmentation rapide des prix de lâimmobilier ou des actions. Ceux qui dĂ©tiennent de tels avoirs ont le sentiment dâun enrichissement facile et rapide et peu Ă peu tout le monde se prĂ©cipite, y compris les retardataires, pour prendre sa part dans cette grande fĂȘte de lâenrichissement sans peine. On a le sentiment, contrairement Ă toute logique Ă©conomique, quâil est possible dâaccroĂźtre sa richesse sans avoir Ă supporter le sacrifice quâimplique normalement la constitution de toute Ă©pargne. Telle est lâune des grandes illusions crĂ©Ă©es par la politique monĂ©taire expansionniste. Or les illusions ne peuvent jamais durer longtemps. Et lorsque la politique de bas taux dâintĂ©rĂȘt et de forte expansion monĂ©taire prend fin, on assiste inĂ©luctablement Ă lâexplosion de la « bulle financiĂšre ». Câest la crise.
Câest bien ce schĂ©ma qui sâest rĂ©alisĂ© au cours des annĂ©es 2000 du fait dâune politique monĂ©taire catastrophique menĂ©e par les autoritĂ©s monĂ©taires amĂ©ricaines et, plus prĂ©cisĂ©ment, par celui qui Ă©tait apparu pendant longtemps comme un formidable dĂ©miurge de la monnaie, le prĂ©sident du Federal Reserve Board, Alan Greenspan. Quelques chiffres caractĂ©ristiques de lâĂ©volution du taux dâintĂ©rĂȘt lâillustrent de maniĂšre frappante. Observons tout dâabord lâĂ©volution du « taux des fonds fĂ©dĂ©raux ». Ce taux constitue en fait un objectif de politique monĂ©taire de la Fed, qui ne le fixe pas directement, mais qui essaie de lâatteindre en achetant ou en vendant des actifs sur le marchĂ©, câest-Ă -dire en faisant ce que lâon appelle une « politique dâopen market ». Ce taux dĂ©termine les conditions auxquelles les Ă©tablissements de crĂ©dit se prĂȘtent mutuellement des liquiditĂ©s Ă court terme et il influence Ă©videmment les autres taux dâintĂ©rĂȘt.
Les banques doivent en effet dĂ©tenir des rĂ©serves auprĂšs de la Fed et celles qui ont des rĂ©serves excĂ©dentaires prĂȘtent aux autres Ă un taux qui est le federal funds rate. Par ailleurs, la Fed pratique des opĂ©rations dâopen market â achats et ventes dâactifs financiers â Ă un taux qui est le taux dâescompte. Ce taux est gĂ©nĂ©ralement supĂ©rieur au federal funds rate pour inciter les banques Ă se procurer des rĂ©serves directement sur le marchĂ© interbancaire et non auprĂšs de la Fed. En diminuant le taux dâescompte, la Fed incite donc les banques Ă lui emprunter directement. Câest donc sans doute le taux dâescompte qui est le plus significatif car câest lui qui dĂ©termine le niveau global des rĂ©serves, alors que le federal funds rate dĂ©termine seulement lâĂ©change de liquiditĂ©s â câest-Ă -dire de rĂ©serves auprĂšs de la Fed â entre banques (les banques ayant toujours intĂ©rĂȘt Ă prĂȘter leurs rĂ©serves excĂ©dentaires, câest surtout sur la demande de rĂ©serves que joue ce taux). Mais la Fed atteint son objectif de federal funds rate prĂ©cisĂ©ment par une politique dâopen market : en fournissant plus de liquiditĂ©s aux banques, elle crĂ©e des rĂ©serves excĂ©dentaires que les banques offrent sur le marchĂ© interbancaire, faisant ainsi diminuer le federal funds rate. Câest ainsi que de la nouvelle monnaie entre dans lâĂ©conomie (crĂ©ation au multiple Ă partir des rĂ©serves crĂ©Ă©es).
Le taux des fonds fĂ©dĂ©raux (federal funds rate), qui Ă©tait de 8 % en juillet 1991, avait Ă©tĂ© ramenĂ© Ă 3 % en septembre 1992. Il avait ensuite effectuĂ© une remontĂ©e progressive pour atteindre 6 % en 2000, Ă©poque de lâĂ©clatement de la « bulle Internet ». Pour lutter contre le ralentissement Ă©conomique liĂ© Ă cet Ă©vĂ©nement, les autoritĂ©s monĂ©taires ont rapidement diminuĂ© ce taux, puisquâil nâĂ©tait plus que de 1,25 % en novembre 2002, et mĂȘme de 1 % en juin 2003. Câest ainsi quâa Ă©tĂ© lancĂ© un nouvel Ă©pisode du cycle monĂ©taire et financier, celui qui devait aboutir Ă une crise en 2007-2008. Ă partir de juin 2004, une lente remontĂ©e devait commencer jusquâĂ ce que le taux atteigne 5,25 % en juin 2006. Il devait ensuite amorcer une chute spectaculaire Ă la suite du dĂ©clenchement de la crise monĂ©taire, puisquâil passait Ă 4,75 % en septembre 2007, avant dâatteindre le montant invraisemblable de 0-0,25 % en dĂ©cembre 2008 !
Il faut bien ĂȘtre conscient du fait que passer ainsi en quelques annĂ©es de 8 Ă 3 %, puis de 3 Ă 6 %, de 6 Ă 1 %, de 1 Ă 5,25 %, avant de tomber finalement Ă 0 % constitue la plus extraordinaire et irresponsable variabilitĂ© de taux dâintĂ©rĂȘt que lâon puisse imaginer. Jamais une telle variabilitĂ© nâaurait pu se produire si les taux dâintĂ©rĂȘt avaient Ă©tĂ© librement fixĂ©s sur les marchĂ©s financiers sans intervention arbitraire des autoritĂ©s monĂ©taires. La politique monĂ©taire amĂ©ricaine a Ă©tĂ© le plus grand facteur dâinstabilitĂ© Ă©conomique des deux derniĂšres dĂ©cennies et le facteur dĂ©terminant de la crise financiĂšre ! En effet, le taux dâintĂ©rĂȘt â quâon peut considĂ©rer, ainsi que nous le rappelons ultĂ©rieurement, comme le prix du temps â joue un rĂŽle fondamental dans la vie Ă©conomique, en particulier parce quâil influence les dĂ©cisions dâĂ©pargne et dâinvestissement. Il est Ă©vident que les variations considĂ©rables de ce taux dâintĂ©rĂȘt ne reflĂ©taient en rien les Ă©volutions normales de lâapprĂ©ciation du temps par les individus, câest-Ă -dire de leurs dĂ©sirs dâinvestir et dâĂ©pargner. En manipulant de maniĂšre aussi fantastique et fantasque le taux dâintĂ©rĂȘt, les autoritĂ©s monĂ©taires ont introduit le virus du dĂ©sĂ©quilibre dans le fonctionnement des marchĂ©s financiers. Il est donc dâautant plus Ă©tonnant dâentendre proclamer la faillite des marchĂ©s Ă propos de la crise financiĂšre que tout le monde devrait unanimement sâĂ©lever contre la faillite des autoritĂ©s publiques ! Il est par ailleurs trĂšs inquiĂ©tant de constater quâun systĂšme monĂ©taire comme celui des Ătats-Unis est construit de maniĂšre telle quâun homme seul, ou presque seul, Alan Greenspan, peut provoquer des bouleversements sur les marchĂ©s financiers et dans lâĂ©conomie rĂ©elle mondiale aussi dĂ©mesurĂ©s que ceux des annĂ©es 2007-2009 ! Câest cela que nous devrons mĂ©diter lorsque nous nous interrogerons sur les consĂ©quences Ă tirer de ces Ă©vĂ©nements.
La pĂ©riode de bas taux dâintĂ©rĂȘt a Ă©videmment coĂŻncidĂ© avec une pĂ©riode de forte crĂ©ation de monnaie (et, en contrepartie, de crĂ©dits puisquâil nây a pas de crĂ©ation monĂ©taire sans crĂ©ation de crĂ©dits). Ainsi, comme le souligne George Reisman4 : « Au cours de la pĂ©riode de temps entre 2001 et 2008, la Fed a provoquĂ© une augmentation dans lâoffre de monnaie de plus de 70 % du montant total cumulĂ© quâelle avait crĂ©Ă© au cours de la totalitĂ© des quatre-vingt-huit annĂ©es de son existence, câest-Ă -dire presque 2 000 milliards de dollars ! » En outre, la Fed a permis aux banques de fonctionner avec seulement 2 % de rĂ©serves. Elle a ainsi dĂ©libĂ©rĂ©ment cherchĂ© Ă imposer des taux dâintĂ©rĂȘt rĂ©els nĂ©gatifs. Certes, les taux dâintĂ©rĂȘt sur les marchĂ©s nâont pas connu des fluctuations aussi spectaculaires que celles du taux des federal funds. Il est en tout cas certain que la Fed, inspirĂ©e implicitement par des principes de type keynĂ©sien en faveur de la stimulation de la demande globale, voulait que les gens dĂ©pensent toujours plus et elle a pour cela rendu le crĂ©dit abondant et peu coĂ»teux. La grande illusion keynĂ©sienne selon laquelle la politique monĂ©taire peut ĂȘtre utilisĂ©e pour stimuler lâactivitĂ© Ă©conomique a Ă©tĂ© Ă lâorigine de la crise majeure de notre Ă©poque. Ce qui nâempĂȘche pas la plupart des commentateurs de proclamer la victoire des idĂ©es keynĂ©siennes en lâoccurrence !
Ben Bernanke â qui a succĂ©dĂ© Ă Alan Greenspan Ă la tĂȘte de la Fed â rend lâextĂ©rieur responsable des bas taux dâintĂ©rĂȘt longs. DâaprĂšs lui, une forte Ă©pargne en Chine et dans dâautres pays Ă©mergents a conduit Ă un excĂ©dent de capital qui est allĂ© se placer aux Ătats-Unis en grande partie et a exercĂ© une pression Ă la baisse des taux dâintĂ©rĂȘt longs. Cela aurait favorisĂ© la bulle financiĂšre. MĂȘme sâil est impossible de savoir dans quelle mesure les taux dâintĂ©rĂȘt du marchĂ©, Ă court, moyen et long terme, ont Ă©tĂ© affectĂ©s, respectivement, par la politique monĂ©taire amĂ©ricaine et par lâabondance dâĂ©pargne de certains pays Ă©merg...