Au cours de ma carriĂšre, jâai vu beaucoup de jeunes talents aspirer Ă encadrer une Ă©quipe. Dans un processus de recrutement, câest en effet trĂšs souvent un Ă©lĂ©ment de motivation Ă la mobilitĂ©, comme si le management constituait non seulement un facteur clĂ© de progression de carriĂšre, mais plus encore un Ă©lĂ©ment intrinsĂšque de la reconnaissance dâune ascension sociale. Sâoccuper des autres nâest pas ce Ă quoi les prĂ©tendants pensent en premier, mais bien Ă exercer la responsabilitĂ© dâune Ă©quipe, et donc une forme de pouvoir sur les autres. Le mot est lĂąchĂ© : « pouvoir ». Pouvoir quoi, et au service de qui ? Cette double question est rarement prĂ©sente dans les esprits â pourtant brillants â de ceux qui sâaventurent sur la pente ascensionnelle du management, un peu comme on escalade une pyramide. Laurence Peter utilisait du reste cette mĂȘme pyramide comme le symbole de lâĂ©lĂ©vation de lâhomme jusquâĂ son propre niveau dâincompĂ©tence. Je trouve pour ma part que cela pose le problĂšme de lâincompĂ©tence un peu tard. La rĂ©alitĂ© est tout autre : la question de lâaptitude managĂ©riale est quelque chose qui doit se dĂ©tecter dans les gĂšnes mĂȘmes de ceux qui prĂ©tendent pouvoir endosser le costume de manager. Elle rĂ©side dâabord et avant tout dans la capacitĂ© que nous avons Ă prendre conscience de lâautre, Ă se placer autant quâil est possible de son point de vue et Ă contempler le monde en spectateur intĂ©ressĂ© et bienveillant.
« Jâexiste puisque tu existes »
Chacun dâentre nous dispose, dans son chemin de vie, dâopportunitĂ©s qui lui sont offertes de rĂ©veiller cette conscience de lâautre, et par consĂ©quent de se libĂ©rer de lâĂ©gocentrisme naturel de lâhomme. Je voudrais partager avec vous ce qui fut pour moi lâĂ©lĂ©ment rĂ©vĂ©lateur de ce chemin que je qualifie souvent dâinitiatique.
En rĂ©alitĂ©, je me suis souvent demandĂ© comment jâĂ©tais un jour passĂ© de lâexercice de la mĂ©decine au mĂ©tier dâentrepreneur. Jâaimais bien lâambiance de lâhĂŽpital. Je pouvais y travailler jour et nuit, sans relĂąche, sans dormir, tenir jusquâĂ soixante-douze heures dâaffilĂ©e, de garde au service des urgences de lâhĂŽpital de Saint-Denis.
Il y rĂ©gnait une atmosphĂšre Ă©trange, une sorte dâagitation bien ordonnĂ©e autour des malades qui affluaient par dizaines, sâinquiĂ©tant Ă juste titre du temps quâil leur faudrait attendre pour pouvoir ĂȘtre examinĂ©s. Sâoccuper des urgences de cette ville emblĂ©matique de la Seine-Saint-Denis, câĂ©tait faire Ă la fois de la mĂ©decine de guerre et de lâhumanitaire. On y voyait de tout : des bobos sans importance, des plaies par balles ou par arme blanche, des drames de la vie quotidienne conduisant parfois Ă la tentative de suicide, une angine chez un gamin qui pleure et empĂȘche les parents de dormir, les ravages de lâalcool souvent encadrĂ©s par des policiers excĂ©dĂ©s, et puis des pathologies que je qualifierais volontiers dâ« exotiques ». Je me souviens ainsi dâavoir fait le diagnostic dâune lĂšpre chez un Malien arrivĂ© tout rĂ©cemment en France par un circuit tout aussi rocambolesque que clandestin.
On voyait vraiment de tout Ă Saint-Denis. On passait sans cesse de la mĂ©decine gĂ©nĂ©rale Ă la rĂ©animation intensive, quand il ne fallait pas en plus sâimproviser chirurgien. La salle dâattente reflĂ©tait non pas la diversitĂ© comme on dit maintenant, mais tout simplement la planĂšte et ses habitants. Tout ce monde cohabitait tant bien que mal. Parfois, il nous arrivait de voir dĂ©bouler une famille entiĂšre en proie Ă une rixe avec une bande rivale. Il nous fallait faire Ă la fois face Ă la violence et Ă la misĂšre de ces gens sans travail, sans avenir, et souvent sans papiers. Lorsque je pouvais mâautoriser Ă souffler quelques minutes, une tasse de cafĂ© Ă la main, jâobservais ces habitants de la Terre et jouais Ă des devinettes : celui-lĂ , que fait-il dans la vie ? Cette vieille dame toute seule, oĂč est sa famille ? Et ce gamin, que deviendra-t-il dans vingt ans ? Je me surprenais Ă guetter un signe, un comportement, une parole qui puisse me mettre sur la voie.
QuâĂ©tais-je au fond ? Un mĂ©decin urgentiste ou bien un tĂ©moin de cette diversitĂ© sociale ?
Trois fois par semaine, jâassurais une consultation de gastro-entĂ©rologie. Je disposais alors dâun peu plus de temps pour discuter avec les patients et leurs familles. Câest lĂ que jâai compris ce que jâaimais profondĂ©ment dans ce mĂ©tier : la relation avec les autres. Certes lâĂ©nigme de la maladie, la logique du processus de diagnostic et le choix des traitements procurent indĂ©niablement une sorte dâexcitation intellectuelle tout Ă fait singuliĂšre. Mais la mĂ©decine sans la relation Ă lâautre serait sans doute profondĂ©ment ennuyeuse. La communication entre le mĂ©decin et le malade est de ce point de vue un modĂšle relationnel tout Ă fait particulier. Dâabord parce quâil existe une sorte de hiĂ©rarchie entre ces deux individus puisque lâun est souffrant, alors que lâautre est, jusquâĂ preuve du contraire, en bonne santĂ©. Ensuite, parce que le premier sâinquiĂšte de ce quâil ne sait pas encore, et que le second dĂ©tient le savoir qui lui permet dâidentifier la cause du mal. Enfin, tous deux installent une relation de dĂ©pendance et de confiance implicite, sans laquelle lâaction thĂ©rapeutique nâest pas possible. Quand on est mĂ©decin, on ressent souvent ce sentiment de pouvoir. Il sâagit plus en rĂ©alitĂ© dâun sentiment de « pouvoir faire » que de pouvoir sur lâautre. Cet Ă©tat permanent qui habite le thĂ©rapeute dans sa relation au patient procure donc une sorte dâimpression de puissance et peut conduire dans certains cas Ă une relation dominante, voire arrogante vis-Ă -vis de celui qui espĂšre. Pour la mĂȘme raison, lâĂ©chec en mĂ©decine est particuliĂšrement violent. Il renvoie au mĂ©decin toute la frustration dâune impuissance rĂ©vĂ©lĂ©e, et dont lâexpression la plus cruelle est la mort. On touche au sacrĂ© dans la relation mĂ©decin-malade. Cette sanctuarisation du rapport humain sâinscrit alors dans ce que les philosophes considĂ©raient comme le caractĂšre divin du monde, Ă la fois immanent et transcendant. Immanent, car le rapport intime de ces deux personnes ne se situe pas ailleurs que dans lâespace constituĂ© de la maladie, transcendant, car il y a dans chaque guĂ©rison quelque chose de supĂ©rieur Ă nous. LâĂąme influe sur le corps et le corps sur le physique. Câest en cela quâil y a un aspect transcendantal dans la mĂ©decine, et donc Ă toute relation qui fait intervenir le corps et lâesprit.
Je me souviens ainsi dâun patient, un homme dâune soixantaine dâannĂ©es dâorigine algĂ©rienne, que jâavais examinĂ© Ă ma consultation pour des brĂ»lures dâestomac. DĂšs les premiĂšres minutes de lâinterrogatoire, on pouvait percevoir une anxiĂ©tĂ© patente dans la façon avec laquelle il relatait ses symptĂŽmes, comme sâil prĂ©sentait quelque chose de grave. Pourtant, les brĂ»lures Ă©pigastriques sont des signes frĂ©quents en gastro-entĂ©rologie, et se soldent fort heureusement dans la plupart des cas par un verdict rassurant. Mais lĂ , alors que rien dâalarmant ne pouvait Ă©veiller mon esprit, cet homme portait en lui une forme dâintuition qui se lisait sur son visage. Je me rendis compte quâil mâĂ©tait impossible de le rassurer tant il Ă©tait persuadĂ© dâavoir un cancer, ce quâil verbalisa lui-mĂȘme aprĂšs que je lui eus expliquĂ© ce que nous allions faire pour en avoir le cĆur net. Je le revis aprĂšs avoir pratiquĂ© une gastroscopie et des biopsies sur un ulcĂšre de la partie haute de son estomac. Celles-ci revinrent positives, il sâagissait bien dâun adĂ©nocarcinome gastrique. Lorsquâil fallut lui annoncer la mauvaise nouvelle, je fus Ă©tonnĂ© par le changement radical de son Ă©tat dâesprit. Non seulement il accepta sereinement ce coup du sort, mais il contribua Ă inverser quelque peu les rĂŽles : « Ne vous inquiĂ©tez pas, docteur, vous avez fait ce quâil fallait faire, maintenant Dieu fera le reste. Inch Allah ! »
En vĂ©ritĂ©, cet homme musulman et profondĂ©ment croyant avait placĂ© dans notre relation une providence divine, comme pour mieux rĂ©tablir lâĂ©quitĂ© entre nous. Il Ă©tait entrĂ© dans la salle de consultation soumis Ă mon savoir, et en sortait en plaçant Dieu Ă ses cĂŽtĂ©s, reprenant ainsi lâascendant sur le sachant. Ce patient fut guĂ©ri de son cancer, et je le revis Ă plusieurs reprises pendant des annĂ©es. Il allait bien, avait repris son travail dans le bĂątiment, et entretenait malgrĂ© sa guĂ©rison une sorte de rituel matĂ©rialisĂ© par cette consultation que nous consacrions Ă deviser de choses et dâautres plus quâĂ son bilan de santĂ©. Il sâĂ©tait nouĂ© entre nous, je ne dirais pas une amitiĂ©, non, mais une sorte de complicitĂ©. Je connaissais tout de sa vie, et il connaissait beaucoup de choses de la mienne. Un jour, il mâavoua que son rĂȘve Ă©tait que son fils devienne mĂ©decin.
« Pourquoi ?, lui demandai-je.
â Jâaimerais que mon fils sâoccupe des autres comme toi tu le fais », me rĂ©pondit-il aprĂšs quelques secondes de rĂ©flexion.
Je compris alors que sa motivation nâĂ©tait pas sociale, mais humaniste. Cet homme de condition modeste, immigrĂ© dâAlgĂ©rie Ă la fin des annĂ©es 1970, voyait en la mĂ©decine le symbole dâune relation sociale idĂ©alisĂ©e. Certes, câĂ©tait mon mĂ©tier, mais je mâĂ©tais occupĂ© de lui avec autant de soin que je lâaurais fait, pensait-il, pour une personne de ma condition sociale.
Ă Saint-Denis, il y avait des centaines de patients comme lui. Câest Ă eux que je dois cette prise de conscience : lâessentiel se trouve dans la relation Ă lâautre. Elle conditionne ce que nous sommes et ce que nous ne serons pas. Elle autorise et interdit, elle influence et rend libre. Je compris Ă©galement que communiquer est ce quâil y a de plus « prĂ©sent » dans une vie. LâinterdĂ©pendance Ă celui qui est en face, vivant, en communion par la parole et le geste, donne Ă lâinstant tout son sens : jâexiste puisque lâautre existe, tu existes puisque je suis lĂ . Lâinstant partagĂ© est donc le premier remĂšde contre lâangoisse de la finitude. Câest en cela que la relation intime entre le malade et son mĂ©decin a une vertu thĂ©rapeutique parfois tout aussi puissante que nâimporte quel mĂ©dicament. Sanctuariser le prĂ©sent dans la relation Ă lâautre supporte ainsi lâidĂ©e que lâon est installĂ© dans la rĂ©alitĂ© de la vie, et quel que soit le sujet, quâil fasse rĂ©fĂ©rence au passĂ© ou Ă lâavenir, il donne un sens Ă ce qui nâen a pas. Nous y reviendrons un peu plus tard.
Ătre « Ă lâadresse de lâautre »
Pour lâheure, il convient de se souvenir que la reconnaissance de lâautre, câest-Ă -dire de son existence en tant que telle, ne nĂ©cessite pas forcĂ©ment dây consacrer de longs entretiens, dont le nombre de minutes passĂ©es attesterait de lâintĂ©rĂȘt quâon lui porte. Pas plus quâelle ne peut se contenter de lâoctroi dâune prime ou dâune promotion qui sont plus lâexpression de la reconnaissance de lâentreprise que de celui qui lâannonce.
Ătre « Ă lâadresse de lâautre », câest reconnaĂźtre lâautre en sâadressant Ă lui et Ă lui seul. ReconnaĂźtre lâautre, cela commence par des choses aussi simples que de dire « bonjour ». Dâailleurs, jâai pu noter au fil du temps que celles et ceux qui font lâeffort de saluer leurs collĂšgues, le font gĂ©nĂ©ralement en adressant un bonjour « Ă lâamĂ©ricaine », sorte dâĂ©quivalent du « Hi ! », auquel on ajoute parfois un « ça va ? » de circonstance. Ce phĂ©nomĂšne, en grande partie Ă©ducationnel, est le tĂ©moin du peu dâattention que lâon porte Ă enseigner la manifestation la plus Ă©lĂ©mentaire de la reconnaissance de lâautre. Le « bonjour » qui nâest pas suivi du prĂ©nom ou du nom de la personne croisĂ©e devient un bonjour « gĂ©nĂ©rique » que lâon peut copier indĂ©finiment tout au long de la journĂ©e pour quâil puisse sâadresser Ă tout le monde et en rĂ©alitĂ© Ă personne. La question « ça va ? » nâappelle en gĂ©nĂ©ral pas de rĂ©ponse. Dâabord, parce que la moitiĂ© du temps les gens sâen moquent et, pour lâautre moitiĂ©, ils craignent une rĂ©ponse qui les entraĂźnerait dans une conversation qui ne soit pas de mise. On peut nĂ©anmoins accepter que dans un monde moderne qui vit Ă cent Ă lâheure, nous nâayons guĂšre le loisir de faire plus. En ce cas, lâexpression du visage de celui qui salue doit pouvoir ĂȘtre de nature Ă manifester un peu de sincĂ©ritĂ© Ă cet automatisme de politesse. Dans le processus de reconnaissance de lâautre, le regard est un Ă©lĂ©ment essentiel du non-verbal. Sur ce point, nous nous sommes tous fait piĂ©ger. Sans tomber dans lâexcĂšs qui consiste Ă soutenir intensivement le regard de lâautre (ce qui peut mettre mal Ă lâaise !), lâĂ©change avec autrui passe fatalement par celui des regards. Or nous nous sommes tous pris en dĂ©faut dans une conversation oĂč, rĂ©flĂ©chissant Ă ce que nous allions dire, nous interrogions notre cerveau gauche en Ă©chappant au « visuel ». Ce nâest pas grave en soi, mais lâempressement que lâon peut mettre Ă sâinscrire dans le dĂ©bat et lâanticipation de ce qui va se dire peut conduire Ă ne pas prendre le soin dâarrĂȘter de penser pour Ă©couter. Ainsi nous trouvons-nous dans cette situation paradoxale oĂč nous sommes pleinement dans la matĂ©rialitĂ© dâun rendez-vous, sans pour autant reconnaĂźtre lâexistence de celle ou celui qui est en face de nous. Beaucoup de managers ont du mal Ă corriger ce travers que nous avons tous plus ou moins. Il faut pour cela un peu dâentraĂźnement, et commencer par apprendre Ă ralentir son rythme de pensĂ©e pour dĂ©dier entiĂšrement son corps et son esprit à « lâadresse de lâautre ». Cela vaut pour le simple « bonjour » qui reprend tout son sens quand il est soutenu par le regard et un sourire, comme pour une conversation plus longue oĂč il nâest nĂ©anmoins pas interdit dâĂ©chapper de temps Ă autre Ă ce contact visuel.
Par consĂ©quent, le premier travail quâil convient de faire, câest de reconnaĂźtre lâautre comme lâindispensable tĂ©moin de sa propre identitĂ©. Câest en ce sens que le statut de manager invite Ă un Ă©tat permanent dâinterdĂ©pendance avec le monde qui nous entoure. En rĂ©alitĂ©, pour diriger il faut exister « par lâautre » et non « par soi-mĂȘme ». Câest ce que nous dĂ©finirons comme « lâimpossible Ă©goĂŻsme ». En considĂ©rant ce principe comme fondamental Ă lâexercice de la fonction managĂ©riale, on comprend mieux pourquoi lâĂ©gocentrisme met en danger celui qui est en responsabilitĂ© dâautrui. Si je pense Ă moi, je ne pense pas Ă lâautre, je ne peux donc pas le reconnaĂźtre, et par consĂ©quent je ne puis ĂȘtre Ă©galement reconnu puisque jâignore lâexistence de celui dont je suis responsable. Le management est en quelque sorte lâart dâexister par lâautre. Or la nature profonde de lâhomme, pour des raisons Ă©videntes qui le poussent dâabord Ă se « prĂ©server », ne tend pas spontanĂ©ment Ă cette mĂ©canique relationnelle. Nous allons voir comment tĂ©moigner trĂšs simplement de cette philosophie.
Accuser réception de ce qui nous est adressé
La composante principale de la reconnaissance de lâautre rĂ©side dans la rĂ©ception de sa pensĂ©e, et de lâintĂ©gration de ce quâelle signifie dans le contexte dâune rĂ©union ou dâune conversation, câest-Ă -dire une fois de plus au moment prĂ©sent oĂč elle sâexprime. De ce point de vue, la technique de la « reformulation des idĂ©es » est vieille comme le monde, puisquâelle sâinspire ni plus ni moins de la maĂŻeutique chĂšre Ă Socrate. Socrate proposait, par lâinterrogation, dâamener son interlocuteur Ă prendre conscience de ce quâil sait implicitement, Ă lâexprimer et Ă le juger. Or la reformulation, qui comprend intrinsĂšquement la question prĂ©liminaire « si je vous ai bien compris », est une forme dâexercice de cet art qui vise Ă faire Ă©clore la pensĂ©e de lâautre, et la reconnaĂźtre comme telle. IndĂ©niablement, il mâest arrivĂ© dâuser souvent de cette mĂ©thode pour mâinviter Ă mieux considĂ©rer la controverse. NĂ©anmoins, elle a ses limites et peut, utilisĂ©e Ă lâexcĂšs, donner un air faussement naĂŻf, ou bien au contraire un ton professoral Ă celui qui y a recours. La reconnaissance de la pensĂ©e extĂ©rieure peut aussi passer par le silence pour peu quâil marque lâattention dans ce que le non-verbal exprime. Pour ma part, je trouve que la reformulation est plutĂŽt bien adaptĂ©e au dĂ©bat collectif dans la mesure oĂč elle en facilite la synthĂšse, alors que lâĂ©coute silencieuse me paraĂźt plus puissante en dialogue singulier. Lâun et lâautre accusent rĂ©ception de lâidĂ©e exprimĂ©e, pour autant signifie-t-elle quâon la partage ?
Câest lĂ un autre piĂšge dans lequel il est aisĂ© de tomber. Il arrive assez frĂ©quemment dans le monde de lâentreprise que le fait dâavoir Ă©tĂ© entendu signifie que lâon a obtenu lâassentiment de celui qui vous a Ă©coutĂ©. Par ailleurs, beaucoup de managers pensent que lâĂ©coute de lâautre signifie intrinsĂšquement quâon en accepte les idĂ©es. Cela est tellement vrai que dans les entretiens de recrutement, il mâest arrivĂ© dâinterviewer des candidats qui, par exemple, prĂŽnaient parmi leurs qualitĂ©s la tolĂ©rance, en illustrant leur propos par le fait quâils avaient une Ă©coute attentive des idĂ©es exprimĂ©es par les autres. Cependant, la reconnaissance de lâĂȘtre en tant que tel et lâacceptation de ce quâil exprime sont deux notions diffĂ©rentes. On peut mĂȘme dire que, dâun certain point de vue, la tolĂ©rance universelle aux idĂ©es exogĂšnes est une notion dangereuse en management. Ă lâexcĂšs, la tolĂ©rance apparaĂźt vite comme un signe de faiblesse, ce qui nâest jamais bon pour celle ou celui qui entend assumer son rĂŽle de leader. Je me souviens ainsi dâun entretien que jâ...