Les Mondes de la drogue
eBook - ePub

Les Mondes de la drogue

Usages et trafics dans les quartiers

  1. 400 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Les Mondes de la drogue

Usages et trafics dans les quartiers

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

La drogue est-elle un marchĂ© comme les autres? Qui consomme quoi? Dans quel contexte? Avec quels effets? Quelles en sont les retombĂ©es Ă©conomiques et sociales, en particulier dans les quartiers pauvres? Lieux et rĂ©seaux de sociabilitĂ©s, rĂšgles d'organisation et de fonctionnement du marchĂ©, positions des diffĂ©rents acteurs du processus pĂ©nal: en Ă©vitant toute gĂ©nĂ©ralisation hĂątive sur les "banlieues", deux sociologues ont menĂ© une enquĂȘte de terrain et une rĂ©flexion approfondie sur l'usage et le trafic de drogues dans les citĂ©s populaires. Ils mettent en relief la diversitĂ© des carriĂšres dans ce monde social. L'analyse des pratiques observĂ©es de la police, des douanes et de la Justice aide Ă  comprendre les impasses de la criminalisation.Dominique Duprez est chargĂ© de recherche au CNRS. Michel Kokoreff est maĂźtre de confĂ©rences Ă  l'universitĂ© de Lille I.Sociologues, tous deux sont membres du ClersĂ©-Ifresi et appartiennent au groupement de recherche "Psychotropes, politique et sociĂ©tĂ©" du CNRS.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  Les Mondes de la drogue par Dominique Duprez, Michel Kokoreff en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Sciences sociales et Criminologie. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2000
ISBN
9782738142511

DEUXIÈME PARTIE

Des produits aux carriĂšres



CHAPITRE 4

Les carriĂšres de consommation


L’usage de drogues illicites est moins un comportement qu’un processus dont la signification varie selon les divers moments qui le constituent. Tel est le postulat de dĂ©part de l’analyse de ce que nous appellerons des « carriĂšres de consommation ». Par lĂ  il s’agit de prendre pour objet des cheminements dans le monde de l’illicite plutĂŽt que d’analyser cet ensemble de gestes et de sensations, de normes et de valeurs, plus ou moins dĂ©finis socialement selon les groupes, qui sont constitutifs des usages1.
Ce point de dĂ©part implique de marquer une double rupture avec les reprĂ©sentations dominantes de la « toxicomanie » : d’une part, celles qui tendent Ă  rĂ©duire l’usage de drogues Ă  une pathologie du comportement sans prendre en compte sa construction sociologique dans des contextes sociaux spĂ©cifiques ; d’autre part, celles qui font de la dĂ©chĂ©ance le destin obligĂ© des usagers en mĂ©connaissant la multiplicitĂ© des positions et des carriĂšres. Ces deux aspects s’articulent pour faire de la notion de dĂ©pendance la cause efficiente d’un « parcours » qui conduirait de façon inĂ©luctable du cannabis Ă  l’hĂ©roĂŻne ou Ă  la cocaĂŻne, de la dĂ©linquance Ă  la prison, jusqu’à la mort. La thĂ©orie de l’escalade tient gĂ©nĂ©ralement lieu d’explication pour rendre compte du franchissement de ces paliers. Mais obnubilĂ©e par une vision dĂ©terministe des produits, elle est inapte Ă  saisir les dynamiques internes et externes des carriĂšres dĂ©viantes. Il en va de mĂȘme du discours qui s’est rĂ©pandu parmi les acteurs sociaux Ă  propos du dĂ©veloppement d’une « toxicomanie de la misĂšre ». Au fatalisme social, qui conduit au transfert des reprĂ©sentations pathogĂšnes du « milieu », au sens du XIXe siĂšcle, vers les « banlieues », vient s’opposer le psychologisme, lequel conduit Ă  ne voir dans l’histoire des usagers que l’expression d’itinĂ©raires diffĂ©rents puisque individuels.
Au-delĂ  de l’idĂ©e de parcours type, notre enquĂȘte conduit Ă  mettre en relief des familles de carriĂšres prĂ©sentant un caractĂšre typique et d’évoquer les traits plus singuliers de certaines biographies, pour paraphraser une formule d’Olivier Schwartz (Schwartz, 1990, 56-57). Autrement dit, si une partie des matĂ©riaux recueillis atteste de l’identitĂ© des carriĂšres, elle ne doit pas gommer les singularitĂ©s biographiques. C’est cette tension qu’il nous paraĂźt fondamental de restituer, et qui constituera le fil directeur des analyses qui suivent. On le verra plus avant, les carriĂšres de consommation se dĂ©roulent moins telle une suite continue d’évĂ©nements ou un cycle qu’elles ne dessinent des spirales, ponctuĂ©es par des commencements successifs, une alternance de « chutes » (« tomber dedans ») et de rĂ©tablissements (« dĂ©crocher »), d’échecs et d’avancĂ©es. C’est bien cette temporalitĂ© singuliĂšre qui caractĂ©rise en partie l’expĂ©rience des usagers de drogues dures qui, de ce fait, sera privilĂ©giĂ©e.
Dans cette perspective, nous commençons par mettre l’accent sur les effets d’ñge qui influent sur le dĂ©ploiement des carriĂšres et prĂ©senter quelques biographies exemplaires afin de donner un premier aperçu de la complexitĂ© des itinĂ©raires. Puis, c’est la diversitĂ© des modes d’entrĂ©e dans la consommation qui est soulignĂ©e en distinguant trois formes : les ruptures biographiques, l’engrenage et les socialisations. Nous insistons par la suite sur les « effets de seuil », ou ce que l’on peut appeler aussi les « effets cliquets », c’est-Ă -dire les moments qui symbolisent un saut qualitatif dans les carriĂšres dans le rapport Ă  soi et aux autres, ce qui nous conduira Ă  prĂ©ciser les mĂ©canismes qui favorisent l’installation dans les carriĂšres de consommation. Enfin, on abordera la question des sorties du monde des drogues en distinguant diffĂ©rentes modalitĂ©s.

Identités de carriÚre et singularités biographiques

La construction sociale de l’usage de drogues conduit Ă  considĂ©rer comme une Ă©vidence la relation entre « drogue » et « jeunesse ». Le discours rĂ©current depuis une trentaine d’annĂ©es qui dĂ©nonce la juvĂ©nilisation de la consommation, comme celui stigmatisant la dĂ©linquance des mineurs, sont Ă  cet Ă©gard particuliĂšrement rĂ©vĂ©lateurs. Mais dĂ©construire les reprĂ©sentations collectives de la « jeunesse en danger » ne doit pas masquer la question sociologique posĂ©e par la variation des pratiques sociales selon les Ăąges de la vie. Dans quelle mesure les effets d’ñge et les effets de gĂ©nĂ©ration jouent-ils sur la constitution des carriĂšres ? Plusieurs types de donnĂ©es permettent d’apporter quelques Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse : donnĂ©es Ă©pidĂ©miologiques, statistiques policiĂšres, enquĂȘtes sur les dĂ©tenus rĂ©cidivistes.

Les effets d’ñge

Des enquĂȘtes Ă©pidĂ©miologiques rĂ©alisĂ©es sur les adolescents en population gĂ©nĂ©rale (Choquet, Ledoux, 1994), on peut retenir plusieurs constats : la place plus grande, parmi les 11-19 ans, des produits licites (tabac, alcool) par rapport aux produits illicites2 ; l’augmentation sensible des consommations de drogues avec l’ñge, particuliĂšrement entre 14-15 ans (12 %) et 16-17 ans (31 %) ; les conduites diffĂ©rentielles des garçons, pour qui alcool et tabac prĂ©dominent, comparĂ©es aux filles, pour qui tabac et drogues illicites arrivent en tĂȘte. Si le haschich ou la marijuana sont les drogues illicites les plus consommĂ©es, alors que la cocaĂŻne et l’hĂ©roĂŻne restent exceptionnelles, il ressort qu’il n’existe pas de diffĂ©rence entre le niveau de consommation des jeunes urbains, des ruraux ou des jeunes de banlieue. De plus, l’usage de drogues n’est pas liĂ© Ă  la nationalitĂ© ou Ă  l’origine ethnique, contrairement Ă  ce qui est observĂ© pour le tabac et l’alcool. Une enquĂȘte du CADIS sur un Ă©chantillon de 9 919 lycĂ©ens en 1997, rĂ©vĂ©lait que prĂšs du tiers de la population enquĂȘtĂ©e avait consommĂ© au moins une fois du cannabis au cours de l’annĂ©e, 1,7 % de l’hĂ©roĂŻne, 3,4 % de l’ecstasy (Baillon, 1998). Une analyse secondaire de l’enquĂȘte CADIS permet de distinguer les zones d’éducation prioritaires (ZEP). Elle montre que la consommation de cannabis, d’alcool et de tabac est nettement moins forte dans les lycĂ©es situĂ©s en ZEP que dans les autres lycĂ©es ; ainsi le taux de consommation de cannabis est-il de 19 % contre 31 % dans les autres. Toutefois, pour les autres produits illicites, c’est parmi les Ă©lĂšves des ZEP qu’on trouve le pourcentage le plus Ă©levĂ© d’usagers frĂ©quents (au moins dix fois au cours de l’annĂ©e).
Les statistiques policiĂšres permettent de prĂ©ciser la distribution des catĂ©gories d’ñge parmi les personnes interpellĂ©es pour infractions Ă  la lĂ©gislation sur les stupĂ©fiants (OCRTIS, 1998). Si le nombre d’usagers interpellĂ©s de moins de 15 ans est nĂ©gligeable, il croĂźt fortement entre 18 et 25 ans, avant de retomber aprĂšs 26 ans, pour devenir minime aprĂšs 30 ans3. Notons au passage que l’on retrouve des Ă©carts plus accentuĂ©s encore en ce qui concerne les autres catĂ©gories d’infractions (usage-revente, revente, trafic local). En revanche, en termes de produits, et notamment si on s’en tient au cannabis et Ă  l’hĂ©roĂŻne qui reprĂ©sentaient 80 % et 14 % des interpellations effectuĂ©es par les services de police en 1997, on constate le phĂ©nomĂšne suivant : plus on avance dans les classes d’ñge jusqu’à 35 ans et moins sont prĂ©sents les usagers de cannabis, alors qu’entre 26 et 40 ans augmente le nombre d’hĂ©roĂŻnomanes interpellĂ©s (autour de 30 %). Le vieillissement de cette sous-population est un fait largement confirmĂ© par ailleurs au travers de donnĂ©es sanitaires et sociales pour qu’on n’y insiste pas ici. Ces donnĂ©es sont susceptibles de nuancer les rumeurs alarmistes sur la juvĂ©nilisation des usages. Mais si on considĂšre les activitĂ©s par catĂ©gories d’ñge, on constate que 78 % des 16-20 ans sont classĂ©s simples usagers contre 70 % des 21-25 ans et 65 % des 26-30 ans. LĂ  encore, la trentaine semble ĂȘtre un cap puisque 48 % des plus de 31 ans sont usagers. Quant aux activitĂ©s de revente, il apparaĂźt que le taux d’usagers-revendeurs des 21-25 ans et des 26-30 ans oscille entre 12 et 16 %, alors que celui des revendeurs augmente de façon plus constante selon l’ñge (de 11 % pour les 21-25 ans Ă  20 % pour les plus de 31 ans).
Une troisiĂšme source est constituĂ©e par les donnĂ©es d’une enquĂȘte menĂ©e par questionnaire Ă  la maison d’arrĂȘt de Loos-lez-Lille (Duprez et al., 1995b), auprĂšs d’un Ă©chantillon de 179 personnes reprĂ©sentant la totalitĂ© des rĂ©cidivistes incarcĂ©rĂ©s sur la pĂ©riode (mai-juillet 1995). Parmi cette population, la rĂ©partition entre usagers dĂ©clarĂ©s et non-usagers est quasi identique (47 contre 53 %). La consommation de drogue baisse de façon Ă©vidente avec l’ñge : il existe un pic, correspondant aux 18-21 ans (70 %), puis la tendance est Ă  la baisse (49 % des 22-25 ans, 43 % des 26-30 ans, et encore 22 % des 41-50 ans). Avant leur incarcĂ©ration, le principal produit consommĂ© Ă©tait l’hĂ©roĂŻne, mais la plupart consommaient aussi du cannabis. Il est intĂ©ressant de souligner que si une grande majoritĂ© d’entre eux dĂ©clare avoir consommĂ© avant 21 ans, l’« entrĂ©e » avant 21 ans se fait significativement plus jeune aujourd’hui : 85 % des 22-25 ans ont commencĂ© le haschich Ă©tant mineurs contre 43 % des 26-30 ans, la mĂȘme proportion ayant dĂ©butĂ© entre 18 et 21 ans et plus de 15 % entre 22 et 30 ans. Mais on notera que ce phĂ©nomĂšne n’est pas linĂ©aire : la classe d’ñge situĂ©e entre 31 et 40 ans, qui correspond aux personnes ayant eu 18 ans dans les annĂ©es 1970 (1973-1982), marque une remontĂ©e significative (66 %). Les mĂȘmes questions ont Ă©tĂ© posĂ©es Ă  propos des « drogues dures ». On retrouve un fait Ă©tabli par ailleurs selon lequel l’« entrĂ©e » se fait de façon plus Ă©chelonnĂ©e dans le temps : un tiers commence mineur, un autre tiers entre 18 et 21 ans, et un dernier entre 21 et 30 ans. Le phĂ©nomĂšne de rajeunissement de l’entrĂ©e est plus manifeste encore que prĂ©cĂ©demment (voir tableaux ci-aprĂšs).
Quand avez-vous commencĂ© l’hĂ©roĂŻne ? (en %)
Mineur
18-21
22-25
26-30
31-40
41-50
Total
Mineur
100
66,6
46,4
8
11,1
34,9
18-21
33,3
32,1
44
22,2
50
34,9
22-25
21,4
28
50
16,8
26-30
20
44,4
10,8
31-40
22,2
2,4
Total
100
100
100
100
100
100
100
Source : Duprez, Kokoreff, Verbeke, 1995.
Le commencement de la consommation d’hĂ©roĂŻne selon les classes d’ñge et les modalitĂ©s (en %)
Mineur
18-21
22-25
26-30
31-40
Total
Injection
51,6
31,4
35,7
40
39,1
Sniff
3,2
22,8
28,5
20
50
17,3
Fumette
45,1
45,7
35,7
40
50
43,4
Total
100
100
100
100
100
100
Source : Duprez, Kokoreff, Verbeke, 1995.
Bien que ces donnĂ©es ne soient pas homogĂšnes, elles montrent bien que les consommations de drogues varient selon l’ñge. Si elles permettent de donner consistance Ă  l’hypothĂšse d’une diversitĂ© des modes d’entrĂ©e dans la consommation selon l’ñge et les produits, elles ne disent rien des processus sociaux qui les rendent possibles et permettent d’en rendre compte. C’est en cela que les entretiens constituent un Ă©lĂ©ment essentiel de l’analyse.

La complexité des itinéraires

Afin d’aborder ces processus, nous avons choisi de prĂ©senter trois carriĂšres considĂ©rĂ©es comme exemplaires. Elles illustrent bien, tout d’abord, les interactions qui rĂ©sident entre l’inscription forte des sociabilitĂ©s juvĂ©niles dans des logiques territoriales, le poids des logiques institutionnelles dans le repĂ©rage de ces territoires et des groupes considĂ©rĂ©s comme « dĂ©viants », les situations individuelles et familiales rencontrĂ©es. Elles donnent aussi un premier aperçu des seuils qui ponctuent les carriĂšres en ce qui concerne tant les produits consommĂ©s et leurs modalitĂ©s d’usage que les effets induits par les sĂ©jours en prison ou la frĂ©quentation de structures d’aides et de soins4. Retraçant, pour deux d’entre elles, des destins parallĂšles qui se sont rejoints dans la formation d’un couple, elles permettent d’interroger la question de l’identitĂ© et/ou de la spĂ©cificitĂ© des carriĂšres en terme de genre.
Les transformations « vĂ©cues » de la dĂ©linquance : le cas d’Hubert. – Nous avons rencontrĂ© Hubert au hasard des rencontres dans un quartier d’AsniĂšres. RĂ©putĂ© ĂȘtre un dĂ©linquant de la « vieille Ă©cole », toxicomane notoire, il est aussi un personnage dont les interventions en public ne passent pas inaperçues. NĂ© au Congo, arrivĂ© en France Ă  l’ñge de 13 ans, il avait 35 ans au moment de l’entretien que nous fĂźmes dans son studio dĂ©vastĂ©, suite Ă  un cambriolage.
Hubert a commencĂ© Ă  prendre de l’hĂ©roĂŻne Ă  16 ans. « La drogue pour moi, c’était un suicide », dira-t-il d’entrĂ©e. Elle ne commence pas quelque chose, elle rĂ©sulte d’une ligne biographique faite de dĂ©ceptions et de vides : « J’étais complĂštement déçu de la vie surtout de mon pĂšre qui m’a ramenĂ© ici » ; « ma grand-mĂšre Ă©tait morte » ; « je savais qu’en Afrique j’avais plus rien et qu’ici j’étais pris dans une machine qu’on appelle la DDASS ». Loin du monde des citĂ©s, Hubert commence Ă  prendre de l’hĂ©roĂŻne dans des centres d’éducation surveillĂ©e. AprĂšs avoir essuyĂ© quelques refus de la part de ses copains qui en consomment, il « essaie » ; il prend une petite quantitĂ© mais directement par injection ; il se sent bien, et « c’est lĂ  le piĂšge ».
Et le lendemain, j’ai remis ça. AprĂšs moi-mĂȘme j’ai commencĂ© Ă  aller chercher ma propre dose. VoilĂ . Et lĂ  c’était l’enfer. Mais il Ă©tait trop tard dĂ©jĂ  pour faire machine arriĂšre. C’est cette sensation de bien-ĂȘtre
 c’est le piĂšge. Parce que bon, quand les mecs sont
, j’sais pas moi un artiste, un musicien, il est adulte, il a envie de prendre du cannabis ou de la schnouf pour avoir de l’inspiration, voilĂ . Ça c’est autre chose. Qu’un type qui est complĂštement paumĂ© dans sa tĂȘte qui prend ça et qui se sent bien, tu vois ? Moi, c’était ça la rencontre avec la drogue. J’étais complĂštement paumĂ© dans la tĂȘte.
On voit ce qui sĂ©pare les premiers contacts avec l’hĂ©roĂŻne de « paumĂ©s » de la recherche de l’inspiration ou de sensations nouvelles qui anime des « artistes ». La variation des usages sociaux de la drogue se concrĂ©tise, ici, par la confrontation entre le monde de la galĂšre et le modĂšle de la contre-culture, Ă  une Ă©poque – la fin des annĂ©es 1970 – oĂč l’un n’est pas encore ce qu’il va devenir, et l’autre n’est dĂ©jĂ  plus ce qu’il Ă©tait.
LĂ  oĂč le cannabis renvoie Ă  tout un dĂ©lire (c’est « quelque chose d’enfantin »), l’hĂ©roĂŻne introduit une autre dimension (« C’est un peu comme si tu rentrais dans la cour des grands »). Elle implique un rituel (« un truc Ă©tranger dans son corps, l’injection, l’aiguille, le sang
 »), une violence par rapport Ă  soi et Ă  l’autre (« je voulais me faire du mal Ă  moi et en mĂȘme temps faire du mal Ă  mon pĂšre »). D’une consommation ludique, on passe ainsi Ă  une consommation tragique avec la dĂ©couverte du manque. « L’hĂ©roĂŻne est une menteuse ! », nous rĂ©pĂ©tera Hubert. AccrochĂ© aux plaisirs qu’elle procure, l’usager prend le produit pour ne plus ĂȘtre malade. En mĂȘme temps, cette carriĂšre de consommation en devenir est insĂ©parable d’une trajectoire dĂ©linquante.
C’est quand je suis entrĂ© dans la dĂ©linquance qu’o...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. DĂ©dicace
  5. Introduction - Politiques et usages de drogues
  6. PremiÚre partie - Des bidonvilles aux cités HLM : genÚse et structure des quartiers
  7. DeuxiÚme partie - Des produits aux carriÚres
  8. TroisiĂšme partie - Logiques d’ordre public et processus pĂ©nal
  9. Conclusion - Une société sans drogues ?
  10. Annexes
  11. Table