Guérir de la Shoah
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Guérir de la Shoah

  1. 304 pages
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Guérir de la Shoah

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Qui sont ces juifs d'Europe marqués par la Shoah? De quoi souffrent-ils? Comment soigner les survivants, les enfants cachés et les descendants de victimes? Peut-on guérir de la Shoah? Comment être juif après la Shoah? Comment être en vie et transmettre la vie après une telle déflagration? Nathalie Zajde a créé au Centre Georges-Devereux un dispositif d'accueil des survivants et de leurs descendants sur trois générations: les enfants cachés nés avant la guerre de parents libres ou traqués qui ne savent toujours pas pourquoi ils ont échappé à la mort; les enfants nés après la guerre de parents revenus des camps; les petits-enfants de victimes submergés par le passé et inquiets de l'avenir. Ce livre est un témoignage de vie et d'espoir: guérir de la Shoah pour que la malédiction ne perpétue pas le maléfice de la destruction. Nathalie Zajde est maître de conférences en psychologie clinique à l'université Paris-VIII-Saint-Denis. Elle a publié Enfants de survivants.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2005
ISBN
9782738187796
Deuxième partie
Soigner les survivants et leurs enfants
CHAPITRE II
Les groupes de parole de survivants et de descendants de victimes de la Shoah
J’ai initié des groupes de parole d’enfants de survivants afin de découvrir si les terribles événements vécus par le peuple juif au cours de la Seconde Guerre mondiale avaient eu une quelconque incidence psychologique et psychopathologique sur ses descendants ; et si c’était le cas, de proposer aux survivants et aux descendants de victimes de participer à l’élaboration de dispositifs psychothérapiques adaptés. Pour ce faire, je me suis penchée sur les événements de la manière la plus précise possible ainsi que sur la population qui les avait subis – les Juifs d’Europe. Bien sûr, je savais qu’ils n’étaient pas les seuls à avoir vécu la persécution nazie, mais l’originalité de ma démarche consistait à étudier l’événement non pas de manière générale mais en tant qu’il avait atteint une population précise ; en d’autres termes, à appréhender la persécution nazie à partir de ce qu’elle avait induit dans un collectif donné. Au fond, cette approche, du point de vue du sens commun, pouvait paraître banale, puisque la persécution des Juifs par les nazis était largement connue et reconnue, et qu’elle avait même été spécifiquement nommée : « le Génocide », « l’Holocauste » ou encore « la Shoah ». Cela peut paraître absurde, mais aborder cette spécificité dans le champ des sciences humaines, et particulièrement en psychologie s’est révélé une innovation. En effet, la plupart des études dans ce domaine cherchent à comprendre la persécution en soi et d’une manière universelle ; elles cherchent à saisir la nature et le fonctionnement du système totalitaire meurtrier mis en place par le régime nazi mais ne considèrent pas l’identité des groupes impliqués dans les processus comme la pierre angulaire.
Bien que des auteurs tels que L. Poliakov – un des plus grands historiens de l’antisémitisme – aient toujours maintenu que la barbarie nazie était unique en son genre et qu’on ne pouvait la comparer à aucune autre forme de barbarie étatique, en raison justement de l’ethnocide contre le peuple juif, l’argument n’a pas empêché les comparaisons. Ce faisant, la recherche de l’intelligibilité des phénomènes a tendu vers une généralisation au détriment des analyses spécifiques.
Généralement, les études et réflexions sur la Shoah cherchent à rendre compte des motifs qui ont animé des « humains » ayant commis une telle horreur, de même qu’elles cherchent à comprendre quelles conséquences les persécutions nazies ont eues sur les « humains » qui les ont subies1. Comme si les sciences humaines, après le nazisme, après la Shoah ne pouvaient plus, au risque de se voir taxer de racisme, penser les hommes avec leurs groupes, leurs collectifs, leurs frontières, qu’elles soient territoriales, culturelles, religieuses, linguistiques ou politiques2. Or ce que les sciences humaines n’acceptent plus de se donner à penser – les collectifs : les Allemands, les nazis, les communistes, les Tsiganes, les Juifs, les Russes, les homosexuels, les Témoins de Jéhovah – les sujets impliqués directement dans l’événement, quant à eux, n’ont cessé d’y faire référence3. L’approche, qu’elle soit historique, sociologique ou psychologique a toujours tendu vers une définition généraliste alors que les événements ont précisément toujours été portés par des individus appartenant à des groupes distincts, aux motifs spécifiques, parfois antagonistes, pouvant même aller jusqu’à s’ignorer mutuellement – ces groupes disposant chacun d’une théorie explicative qui lui est propre4. Étant donné qu’il ne peut exister de théorie ni de professionnel jouissant d’un statut d’extraterritorialité, vouloir comprendre la Shoah d’une manière générale, c’est forcément la comprendre à partir d’un point de vue, tout en en excluant tous les autres. Quand, en sciences humaines, on parle de « l’homme », il semble que ce ne soit jamais d’un Juif hassid de Pologne ou d’un Manouche d’Alsace… En d’autres termes, la plupart des approches en sciences humaines s’interdisent de rencontrer sur un mode égalitaire et non pas forcément symétrique les savoirs existants et diversifiés. En outre, imposer une compréhension universelle ne laisse pas sans poser un véritable problème éthique puisque c’est nier les intérêts et les pensées spécifiques des groupes dont on prétend parler. S’empêcher de penser l’horreur nazie à partir des pensées et des intérêts des groupes et des minorités, les nier en tant qu’éléments réels, ne pas leur donner la parole dans le champ des sciences humaines reviennent, en quelque sorte, à poursuivre l’entreprise nazie qui déniait au groupe juif le droit à l’opinion. Pour ce qui me concerne, j’ai choisi d’explorer et de mettre en regard les vécus, les devenirs et les interprétations de chacun des collectifs impliqués même si ce fut à leur corps défendant, dans l’entreprise nazie.
Réunir des descendants de victimes de la Shoah
Aujourd’hui, depuis qu’ont été instituées les commémorations des déportations, depuis les reconnaissances publiques, depuis les discours officiels, depuis l’existence des associations, l’entité « enfants de survivants » n’est plus une inconnue – elle peut même être une revendication – mais à l’époque où j’ai débuté la recherche (1988), il s’agissait, en France, d’un énoncé totalement nouveau. Proposer à des sujets de témoigner parce qu’ils étaient « enfants de survivants » fut une expérience singulière car peu d’entre eux s’étaient jusqu’alors « pensés » ainsi. Je devrais plutôt dire que peu avaient été « pensés » ainsi. Ma proposition fut pour certains l’occasion d’une véritable prise de conscience ; comme si l’on mettait des mots sur ce qu’ils avaient toujours pressenti sans jamais l’avoir partagé avec quiconque. Certains m’avouèrent qu’en lisant l’annonce que j’avais placée dans la presse5, ils s’écrièrent : « Mais oui, c’est moi ça ! je suis un enfant de survivant ! »
Dans le cadre de mes premières recherches sur les conséquences psychologiques de la Shoah sur la seconde génération, j’avais interviewé plus d’une quarantaine de personnes6. Ces interviews, ces longs entretiens psychohistoriques7, enregistrés au magnétophone, avaient pour but de recueillir les informations les plus précises sur la vie de l’interviewé, son parcours personnel, ainsi que sur l’histoire de sa famille pendant et après la Shoah. Au cours de l’entretien ou parfois à la fin, nombreux sont ceux, comme Marc Jarowsky8, qui me dirent :
Marc Jarowsky : Vous connaissez d’autres gens comme moi, qui font les mêmes cauchemars, qui ont les mêmes angoisses ?
Psychologue : Oui.
Marc Jarowsky : J’aimerais bien les rencontrer.
J’ai donc voulu approfondir les connaissances recueillies lors des entretiens psychohistoriques et soumettre à un groupe, placé en position de me contredire9, des hypothèses sur la psychologie des descendants de victimes de la Shoah. J’ai également souhaité répondre à l’attente que j’avais fait naître chez ceux qui avaient accepté de participer aux entretiens de recherche : rencontrer d’autres personnes potentiellement semblables. Car de toutes les souffrances, de toutes les pathologies dont sont victimes les enfants de survivants, je dois avouer que je n’ai pu identifier à ce jour qu’un seul invariant : se penser unique, seul au monde – un singleton. Certes, on pourrait dire que c’est ce qui caractérise bon nombre de personnes qui souffrent et qui n’ont pas rencontré l’apaisement dans leurs diverses tentatives thérapeutiques. Pour les enfants de victimes de la Shoah, comme c’est le cas, me semble-t-il pour tout autre individu, se penser seul au monde signifie qu’ils n’ont pas encore rencontré un univers capable de les penser, de leur répondre, un univers qui leur corresponde. Face à des personnes qui se disent à ce point isolées psychologiquement, les cliniciens sont mis en demeure de chercher avec les sujets des nouveaux dispositifs, des nouveaux concepts capables de les accueillir. Quand les enfants de victimes de la Shoah, au cours des entretiens, ont émis le désir de rencontrer « les autres », ils ont implicitement signifié qu’il pouvait exister une pensée partagée par d’autres, capable de les inclure et de les comprendre – lors des entretiens ils ont tous exprimé leur tristesse devant l’absence criante d’un monde commun.
La recherche d’un monde commun
Marc Jarowsky est l’un des premiers participants des groupes de parole d’enfants de survivants10.
Marc Jarowsky est le fils unique de deux survivants de la Shoah. Son père, juif polonais, adolescent au moment de la guerre, a pu s’échapper du ghetto de Varsovie tandis que toute sa famille était déportée et finalement exterminée à Treblinka. Une fois hors du ghetto, Karol Jarowsky, le père de Marc, est entré dans l’armée de résistance polonaise avec laquelle il a combattu jusqu’à la fin de la guerre. La mère de Marc, d’origine lituanienne, a survécu à plus de dix camps de concentration différents, a vu ses sœurs et sa mère mourir devant elle ; elle est aussi la seule survivante. Karol et Anna Jarowsky font partie de la minorité des Juifs survivants qui sont restés vivre en Pologne après la guerre. Ils ont émigré en France en 1957 et Marc est né en 1962 à Paris. Pendant l’entretien, alors que Marc me parle de son père qui est un homme célèbre dans son milieu professionnel, qu’il évoque longuement sa mère, à laquelle il est très attaché mais qui, de par ses troubles psychiques liés à son terrible vécu de persécution, est sans doute, d’après Marc et son psychanalyste, à l’origine de ses propres angoisses, je lui dis :
Psychologue : « Dites-moi, Karol Jarowsky, c’est un faux nom, n’est-ce pas ? Votre père ne s’appelle pas comme ça ? Comment s’appelle-t-il en vérité ?
Marc montre un signe d’étonnement mêlé de satisfaction.
Marc Jarowsky : Effectivement, mon père s’appelle de son vrai nom Moïshé Zylbersztein, mais il a changé de nom et s’est fait appeler Karol Jarowsky quand il s’est enfui du ghetto et a rejoint l’armée de résistance polonaise où l’antisémitisme était très fort. Il m’a raconté qu’un jour, un des résistants l’a regardé et lui a demandé : « Dis donc toi, tu ne serais pas juif par hasard ? » Il a répondu en traitant l’autre de fou, mais en vérité, il a eu très peur ! Par la suite, il a gardé ce nom d’emprunt. Mais comment avez-vous pu le deviner alors que moi je ne l’ai appris que quelques années auparavant ? Je sentais bien qu’il y avait quelque chose, mais je ne savais pas dire ce que c’était, et puis, en voulant aller inscrire les noms des parents morts pendant la Shoah à Yad Vashem11, c’est là que j’ai fini par connaître le vrai nom de ma famille paternelle, mon vrai nom au fond. Mais dites-moi, vous, comment avez-vous su, comme ça, sans qu’on se connaisse ?
Je l’ai su parce que je m’intéresse aux noms et prénoms juifs polonais. J’ai appris quelle importance primordiale ont les prénoms chez les Juifs. Comment ils sont hérités et quelle force ils possèdent. Comment les prénoms sont fondamentaux dans certains moments de l’existence comme la naissance, le mariage, la maladie et l’enterrement. J’ai appris que chez les Juifs, le nom c’est la personne12. Je m’intéresse également aux noms et prénoms chrétiens polonais ; je cherche leur signification, leur étymologie. Je cherche aussi à comprendre selon quelles logiques les noms sont transformés dans les changements d’identité ; grâce au travail clinique avec les populations immigrées, j’ai appris qu’il n’était pas rare qu’au cours du voyage, pour de sérieuses raisons, on change de nom, on change de date de naissance, on change d’identité et que parfois, les enfants nés dans le pays d’accueil ne sont pas au courant de la véritable identité des parents. Il n’y a que les compatriotes adultes, les personnes qui appartiennent au même monde, qui savent et qui souvent se taisent. Je considère que cela fait partie de mon travail de psychologue, de m’intéresser de près au monde des patients, à leur parcours, aux processus de changement et de transformation qu’ils ont connus. Moïshé Zylbersztein est un nom typiquement juif polonais ; Karol Jarowksy est un nom typiquement chrétien polonais. N’importe quel Polonais ou Juif de Pologne le sait ! Dans le monde commun des Juifs polonais, tout le monde sait qu’un Juif qui dit s’appeler Karol Jarowsky a forcément changé son nom ; tout le monde sait qu’il possède un nom juif caché. Mais, à la fin des années 1980 à Paris, le monde des Juifs polonais n’existe plus depuis la guerre et c’est pour cette raison que Marc a pu vivre une vingtaine d’années sans jamais rencontrer personne susceptible de s’étonner de son identité. Marc se montre heureux que nous ayons, l’espace d’un instant, partagé ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. Table
  5. Dédicace
  6. Avant-propos
  7. Présentation et remerciements
  8. Première partie. La Shoah : un événement public
  9. Deuxième partie. Soigner les survivants et leurs enfants
  10. Troisième partie. Revue critique des théories psy du traumatisme de la Shoah
  11. Petit glossaire
  12. Notes
  13. Bibliographie
  14. Quatrième de couverture