Amour et Violence
eBook - ePub

Amour et Violence

Le défi de l'intimité

  1. 256 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Amour et Violence

Le défi de l'intimité

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

Pourquoi l'amour et le couple sĂ©crĂštent-ils de la violence? Comment expliquer que certains hommes passent Ă  l'acte lĂ  oĂč d'autres, la majoritĂ© heureusement, s'arrĂȘtent? Comment la violence peut-elle surgir au cƓur mĂȘme d'une lune de miel? Quels sont les ressorts du crime passionnel? Peut-on soigner un homme violent? Comment aider une femme Ă  se confier? Existe-t-il des hommes battus? Passion exacerbĂ©e, dĂ©sir fusionnel, jalousie, possessivitĂ©, tentation d'emprise, peur de la perte: Roland Coutanceau aide Ă  mieux comprendre les conditions et les mĂ©canismes de la violence dans la vie du couple. Il explique comment mieux vivre dans le respect et l'Ă©galitĂ© ou accepter de se sĂ©parer sans harceler l'autre. Surtout, il nous invite Ă  rĂ©flĂ©chir aux rĂ©ponses les plus adĂ©quates pour traiter, mais aussi prĂ©venir ce problĂšme de sociĂ©tĂ©. Vivre ensemble est un bonheur, mais aussi un dĂ©fi, le dĂ©fi de l'intimitĂ©. Psychiatre des hĂŽpitaux, psychanalyste, psycho-criminologue, expert prĂšs la cour d'appel de Versailles et prĂšs la Cour de cassation, Roland Coutanceau est aussi prĂ©sident de la Ligue française de santĂ© mentale.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  Amour et Violence par Roland Coutanceau en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Psychologie et Relations interpersonnelles en psychologie. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2006
ISBN
9782738189912
PremiĂšre partie
Figures
de la violence passionnelle
Chapitre 1
L’amour-passion
Dans l’amour, le merveilleux rĂ©side dans l’intimitĂ©, le plaisir d’ĂȘtre Ă  deux et de se suffire ainsi, dans le privilĂšge d’aimer et d’ĂȘtre aimĂ© et, au-delĂ , dans la restauration narcissique que procure cet Ă©tat. De cette mystĂ©rieuse alchimie faite d’attraction physique, mentale et de complicitĂ©, qui marque le temps de la rencontre, peut naĂźtre soit une relation amoureuse, soit une vĂ©ritable passion. La plupart des amoureux dĂ©passent la phase initiale de l’émerveillement et construisent une relation mature : Ă  l’« amour-passion » (ou amour naissant) succĂšde naturellement l’« amour-relation » (ou amour mature). Les vocables « amour », « Je t’aime », utilisĂ©s dans les deux cas, recouvrent en fait des sentiments diffĂ©rents : alors que, dans la passion, l’amour renvoie Ă  l’image de la complĂ©tude, les deux amants, repliĂ©s sur eux-mĂȘmes, fondus l’un dans l’autre, ne faisant plus qu’un et semblant exaltĂ©s, insatiables, l’amour-relation est fait de dĂ©sir, d’estime et de respect rĂ©ciproques, il est ouvert sur l’extĂ©rieur, avec des moments intenses lors de « retrouvailles » amoureuses ou sexuelles, et des moments moins forts, oĂč l’on oublie parfois que la sĂ©duction est un ferment du couple : ce qui prĂ©vaut alors, c’est une complicitĂ©, de l’amitiĂ©, de la tendresse. Pour le dire autrement, la passion met en valeur l’intensitĂ© et l’exaltation, et peut constituer un enchaĂźnement – certes dĂ©licieux –, alors que l’amour-relation valorise la force et la profondeur, mais demande du temps et une certaine tĂ©nacitĂ© pour parvenir Ă  l’épanouissement.
Si beaucoup s’accommodent de cette Ă©volution, d’autres supportent mal la descente, le decrescendo que signifie le passage en phase de croisiĂšre de l’amour. Parmi eux, il y a ceux que la dĂ©ception, une certaine angoisse Ă  voir s’évanouir l’ivresse fusionnelle et son mystĂšre poussent Ă  partir, Ă  vivre autre chose : parce qu’ils en sont dĂ©pendants, ils rechercheront Ă  nouveau l’exaltation passionnelle, plus tard, ailleurs ou avec le mĂȘme partenaire ; sur le plan psychologique, on relĂšve parfois chez ces personnes un sentiment d’insatisfaction, une instabilitĂ© affective, voire la quĂȘte d’un objet d’amour introuvable. D’autres, dans un rapport Ă  la vie qui se plaĂźt Ă  prendre des risques, Ă  rechercher la nouveautĂ©, renonceront Ă  une certaine sĂ©curitĂ© en mĂȘme temps qu’ils fuiront l’ennui. D’autres encore, de tempĂ©rament passionnĂ©, dĂ©velopperont un rapport plus enflammĂ©, plus entier Ă  l’objet aimĂ©, avec un besoin toujours renouvelĂ© d’intensitĂ© dans le jeu amoureux.
Ces visages de la passion, qui ne constituent pas un panorama exhaustif, ne doivent pas ĂȘtre dissociĂ©s de la façon dont Ă©volue la situation passionnelle. Le destin de la passion n’est gĂ©nĂ©ralement pas de durer, la confrontation avec le monde ambiant se faisant rarement sans heurts. Il arrive que la fin de la passion soit vĂ©cue avec une relative tranquillitĂ©, mais le dĂ©nouement brutal est plus frĂ©quent, gĂ©nĂ©ralement parce qu’il est le fait d’un seul des deux protagonistes. Il laisse parfois chez l’autre un goĂ»t amer et des cicatrices agissant comme un vaccin prĂ©munissant contre la rĂ©pĂ©tition d’une expĂ©rience douloureuse. Enfin, il n’est pas exceptionnel que l’épilogue soit dramatique, un des deux amants ne supportant pas le dĂ©part de l’autre.
On le voit, la passion est une expĂ©rience humaine riche, souvent structurante, mais Ă  risque : le risque, disons-le d’emblĂ©e, n’est pas liĂ© Ă  l’état passionnel lui-mĂȘme, mais Ă  la difficultĂ© Ă  le faire mĂ»rir sans lui ĂŽter de son intensitĂ© et Ă  l’inscrire dans la durĂ©e. Pourquoi ne pas imaginer en effet que le sentiment amoureux puisse atteindre des sommets et y rester, s’alimenter de ce que chacun apporte, se rendre compatible avec les contraintes et les tentations du monde extĂ©rieur, et ne pas sombrer dans des travers comme la volontĂ© de s’approprier l’autre, la jalousie, la dĂ©pendance ? Si la littĂ©rature ou la lecture des mĂ©dias donnent Ă  penser que la passion offre le plus souvent un visage destructeur, des exemples sont lĂ  pour montrer que l’on peut garder l’équilibre Ă  deux et esquiver les dangers, lĂ -haut, au sommet.
La passion dévoyée
La passion amoureuse, dans ses excĂšs, a une tonalitĂ© adolescente, synonyme de premiĂšres expĂ©riences. Adolescents ou jeunes adultes, et parfois sujets plus ĂągĂ©s, nombreux sont ceux qui ne parviennent pas Ă  faire mĂ»rir leur passion et se complaisent dans l’amour naissant, celui qui, sans ĂȘtre toujours le premier, ne grandit pas, reste inachevĂ©. L’observation montre que le plaisir dans la fusion se caractĂ©rise par une jouissance contrastĂ©e, qui brĂ»le le plus souvent ceux qui s’y frottent : un certain malaise coexiste avec des moments de bonheur fort. Le malaise s’exprime surtout quand l’autre est absent, illustrant le besoin exacerbĂ©, presque morbide, de sa prĂ©sence, et peut-ĂȘtre la crainte qu’il puisse se dĂ©tacher, connaĂźtre d’autres bonheurs ailleurs. Curieusement, ce malaise est parfois ressenti quand l’autre est lĂ , preuve qu’au-delĂ  de sa prĂ©sence physique, autre chose est revendiquĂ© : sa possession, la possession intĂ©grale de son ĂȘtre. L’autre devient ainsi un objet, traduisant un manque affectif profond et une faible confiance en soi de l’amoureux. Bien sĂ»r, et heureusement pour ce dernier, son partenaire a les mĂȘmes sentiments en miroir, ce qui Ă©quilibre le lien et lui permet de durer
 un certain temps !
La relation passionnelle se caractĂ©rise par sa fragilitĂ© : possessivitĂ©, exigence d’exclusivitĂ©, peur de perdre et d’ĂȘtre abandonnĂ©, jalousie. Une inquiĂ©tude sourde, une sorte de « douleur d’aimer » finit par parasiter le bonheur Ă  deux. L’imagination n’a plus d’horizon, tout devient menace : dĂšs lors, il s’agit de prĂ©server ce que l’on croit possĂ©der de droit, ce sur quoi l’on prĂ©tend Ă©tendre son emprise, oubliant que l’« aimĂ©(e) » est un ĂȘtre vivant, libre. Il en faut peu pour qu’alors la passion psychique prenne un tour physique et que la tension vire au tragique. Le sentiment amoureux qui constitue un vĂ©ritable dĂ©fi, dĂšs lors qu’il s’agit de constituer un couple et de lui donner du temps, expose Ă  toutes les douleurs et Ă  tous les excĂšs, quand il s’enferme dans l’exclusivitĂ© et la possession.
Concernant la violence dans la passion, deux faits mĂ©ritent tout particuliĂšrement d’ĂȘtre relevĂ©s : la violence passionnelle peut survenir trĂšs tĂŽt dans une relation, dĂšs la phase de l’amour naissant ; d’autre part, elle peut concerner des amoureux sans trouble marquĂ© de la personnalitĂ©. Il suffit d’une sensibilitĂ© quelque peu exacerbĂ©e, fragile, passionnĂ©e, d’un amour-propre trĂšs lĂ©gĂšrement hors norme, pour que fleurissent les ingrĂ©dients qui mĂšnent aux excĂšs de la violence. Ce constat conduit logiquement Ă  fixer son attention plutĂŽt sur les situations et les modes relationnels que sur les personnes : puisque la personnalitĂ©, de l’homme en particulier, est normale dans la majoritĂ© des cas, c’est la passion amoureuse elle-mĂȘme qui doit ĂȘtre dĂ©cortiquĂ©e. De fait, c’est bien dans le cƓur mĂȘme de l’investissement amoureux, dans son intensitĂ© exceptionnelle et dans la jalousie qui l’accompagne presque toujours, que se situe, dans une sorte de dĂ©rive pathologique, le noyau d’une violence explosive.
L’affaire Cantat-Trintignant
Pour illustrer notre propos, nous tenterons d’éclaircir une actualitĂ© malheureuse, l’affaire Marie Trintignant-Bertrand Cantat. Je rappelle que je n’ai aucune connaissance personnelle des protagonistes de cette affaire, qui a dĂ©frayĂ© la chronique et qui est ainsi devenue publique. Ce qui retient l’attention dans ce drame, c’est qu’il contient tous les ingrĂ©dients de cette curieuse et fatale combinaison que rĂ©alisent parfois la passion amoureuse et la violence physique. Pour exceptionnel qu’il ait pu paraĂźtre, il tĂ©moigne de ce que peut produire une relation passionnelle qui dĂ©rive.
Un avertissement est Ă©galement nĂ©cessaire ici : le drame qu’ont connu ces amants devenus cĂ©lĂšbres n’est pas le thĂšme central du livre. Il sert d’illustration Ă  un propos plus gĂ©nĂ©ral sur la violence passionnelle. Le rĂ©cit ici Ă©laborĂ© contient des faits connus de tous et un certain nombre d’hypothĂšses, notamment dans le domaine psychologique. Il ne constitue pas Ă  proprement parler une fiction, mais doit ĂȘtre considĂ©rĂ© avec le dĂ©tachement nĂ©cessaire Ă  la comprĂ©hension du thĂšme central.
L’affaire eut lieu en plein Ă©tĂ© 2003, cette saison qui vit aussi mourir des milliers de personnes ĂągĂ©es des consĂ©quences d’une canicule exceptionnelle. Il y eut l’altercation dont on connut vite les principaux dĂ©tails, les coups, l’hospitalisation de l’actrice et l’incarcĂ©ration du musicien. Puis, la lente agonie de la victime, son enterrement, la rage froide et les accusations directes de la mĂšre, cinĂ©aste, l’émotion contenue du pĂšre, acteur cĂ©lĂšbre. Au-delĂ  de la « starisation » de l’affaire sur laquelle nous reviendrons, il y eut une prise de conscience des enjeux sociĂ©taux qu’elle mettait en lumiĂšre, et l’on assista Ă  des prises de position, engagĂ©es ou non, Ă  des partis pris, enflammĂ©s ou non, en faveur de l’un ou l’autre des protagonistes. Marie Trintignant et Bertrand Cantat, amants de fraĂźche date, baignant dans leur microcosme en Lituanie sur les lieux du tournage d’un film dirigĂ© par Nadine, la mĂšre de l’actrice, ont peut-ĂȘtre aperçu les sommets de l’amour et de la passion, mais n’ont pas su en tirer les fruits : la terrible logique de la violence, avec un aboutissement cataclysmique, a mis fin, de façon relativement prĂ©coce Ă  leur belle aventure.
La violence semble ĂȘtre survenue alors que les amants paraissaient filer le parfait amour, que les sentiments qu’ils affichaient et dont ils se gratifiaient semblaient rĂ©ciproques et intenses. La plupart de ceux qui ont commentĂ© leur liaison, aprĂšs le drame, ont tĂ©moignĂ© de cette intensitĂ©, de cette quĂȘte d’absolu, parlant de deux amoureux qui se cherchaient en permanence et s’isolaient autant que possible. Mais cet amour semblait aussi fortement colorĂ© d’exclusivitĂ©, marquĂ©, Ă  mon sens, par un certain dĂ©sĂ©quilibre dans les attentions que les protagonistes se portaient l’un Ă  l’autre. Mais n’allons pas trop vite


 Et gardons-nous de laisser croire que tous les amoureux qui s’adonnent Ă  la passion et Ă  des sentiments exclusifs seront un jour ou l’autre violents. Heureusement, ils sont gĂ©nĂ©ralement bien structurĂ©s ; ils savent le plus souvent se contrĂŽler et Ă©vitent d’en venir aux mains ; ils intĂ©riorisent leurs sentiments ou accusent l’autre dans les limites de la dĂ©cence. Ils Ă©vitent les excĂšs de l’agressivitĂ©, psychologique ou physique. Et nombre d’entre eux suivront, aprĂšs la (possible) rupture, un cheminement plus ou moins long, marquĂ© par diverses aventures, cherchant Ă  rĂ©pĂ©ter ou, au contraire, fuyant ce que fut cette expĂ©rience unique, inoubliable mais souvent douloureuse, pour arriver Ă  un Ă©quilibre leur permettant de s’engager dans une relation durable.
Dira-t-on alors que l’issue terrible de la relation entre Marie et Bertrand, qui auraient pu, eux aussi, cheminer vers un « amour-relation », Ă©tait liĂ©e Ă  l’exceptionnelle intensitĂ© de leur amour, Ă  la nature violente ou simplement hypersensible, explosive de l’un ou l’autre protagoniste, Ă  la fatalitĂ© ? LĂ  encore, n’allons pas trop vite

Au dĂ©but est l’ivresse amoureuse
L’amour, nous l’avons dit, est un dĂ©fi, et le dĂ©sir intense d’investir l’autre et de partager ses sensations et son intimitĂ©, s’il est partie prenante de toute relation humaine, peut prendre un caractĂšre extrĂȘme : au-delĂ  de l’attrait qui unit deux ĂȘtres qui se rencontrent, se profile une interrogation quand s’immiscent dans leurs liens une surenchĂšre permanente dans l’expression de l’exclusivitĂ©, un dĂ©sir d’absolu, le rĂȘve dĂ©ment de n’avoir l’autre que pour soi, de le vouloir en permanence Ă  son cĂŽtĂ©, de le possĂ©der, de souffrir en son absence, de vivre douloureusement qu’il puisse vaquer Ă  des occupations, professionnelles ou familiales, qu’il puisse prodiguer de l’attention Ă  d’autres ou avoir d’autres liens affectifs. Il est possible de comparer le lieu oĂč Ă©voluent de tels sentiments Ă  une bulle aĂ©rienne, de plus en plus Ă©thĂ©rĂ©e, mais oĂč l’air finit par se rarĂ©fier. L’amoureux qui se nourrit de l’autre pompe en lui l’oxygĂšne dont il a besoin. Dans ce monde – rĂ©el ou irrĂ©el ? –, rien d’autre n’existe que cet amour – humain ou inhumain ?
L’amour fou se caractĂ©rise par une forte dĂ©pendance au sentiment amoureux lui-mĂȘme. Au point qu’il est lĂ©gitime de se demander si l’amoureux aime d’abord un ĂȘtre de chair et d’esprit ou bien l’état d’exaltation rĂ©ciproque et la jouissance de la fusion. On peut suggĂ©rer aussi, dans la mĂȘme veine, que la passion dĂ©personnalise, qu’elle existe en mĂ©connaissant l’autre, en le voyant davantage comme un objet, une image, un reflet de soi, que comme un sujet. Au final, le passionnĂ© pourrait se chercher lui-mĂȘme et, dans l’amour qu’il voudrait porter Ă  l’autre, mais qu’il se destine d’abord Ă  lui-mĂȘme, il cherche Ă  combler un manque en soi. « Je n’existe que par toi, que par ton regard », disent les amants possĂ©dĂ©s. Ils s’adressent Ă  eux-mĂȘmes d’abord.
Aimer Ă  un tel point s’apparente Ă  une drogue : la drogue se caractĂ©rise par la coupure d’avec la rĂ©alitĂ©, y compris la rĂ©alitĂ© de l’ĂȘtre aimĂ©, et le droguĂ© se dĂ©finit comme quelqu’un qui cherche toujours Ă  majorer l’effet produit par son toxique. LĂ , l’addiction, dont le moteur, comme dans toutes les addictions, est l’imagination, se situe dans l’appĂ©tit d’aimer, dans la communion Ă  deux et dans l’exclusivitĂ© qu’on offre Ă  l’autre et qu’on exige de lui. Ces ingrĂ©dients psychologiques, d’autant qu’ils sont le produit de deux imaginations fusionnĂ©es, de deux ĂȘtres rĂ©unis en un seul, sont la drogue dont abusent les amoureux.
À Vilnius, les amants vont vivre dans le comblement mutuel : ils se remplissent l’un l’autre de leur passion, se gratifient mutuellement, et – lĂ  est le regard particulier que je porte sur cette affaire – ils vont vouloir magnifier leur ivresse au-delĂ  de sa rĂ©alitĂ©, l’exalter, la « doper » et la prolonger autant que possible, peut-ĂȘtre mĂȘme quand elle aura perdu de son intensitĂ©. « On subit le fait d’aimer, mais il faut le faire vivre », aurait dit Cantat lui-mĂȘme.
Paul ValĂ©ry rapporte en substance que tout ce qui n’est pas la passion est pour celle-ci un poison insupportable. L’amoureux ne comprend pas que le poison n’est pas le monde rĂ©el qui fait parfois obstacle Ă  ce qu’il vit, mais sa passion elle-mĂȘme, cette orgie narcissique, ce besoin d’amour et cette quĂȘte de l’autre qui ne sont jamais totalement ni durablement assouvis. Dans sa bulle, dans son « ivresse des hauteurs », dans l’abandon de tout investissement dans la vie terrestre, dans l’impossibilitĂ© qu’il a de saisir l’immensitĂ© de son besoin de l’autre, l’amoureux ne voit pas que tout dĂ©sĂ©quilibre, tout grain de sable aura des rĂ©percussions dĂ©mesurĂ©es. Aucun signal « Danger » ne lui est perceptible.
La rupture avec le passĂ© – Le choix de la passion
Il fut un temps oĂč laisser naĂźtre et vivre une passion amoureuse ne pouvait se faire qu’en rupture avec son milieu familial ou social. La littĂ©rature nous en donne de multiples exemples. Si les temps ont changĂ©, s’engager dans une relation nouvelle nĂ©cessite tout de mĂȘme un certain nombre de ruptures, notamment avec ce que l’on a dĂ©jĂ  construit soi-mĂȘme, ses « vies antĂ©rieures », comme on dit aujourd’hui.
Pouvons-nous imaginer comment nos deux protagonistes en sont venus Ă  cette Ă©vidence de la passion ? Avant leur rencontre, un an auparavant, chacun d’eux semblait avoir un lien qui Ă©tait loin d’ĂȘtre insatisfaisant. Marie Trintignant avait pour compagnon un jeune metteur en scĂšne de thĂ©Ăątre et de cinĂ©ma, un homme crĂ©atif avec qui elle s’était mariĂ©e, qui Ă©tait le pĂšre de son dernier enfant : avec lui s’était Ă©tablie une complicitĂ© professionnelle productive, tandis que perdurait un lien affectif apparemment fort. Bertrand Cantat vivait depuis de longues annĂ©es avec la femme qui lui avait donnĂ© deux enfants. Rompre ces relations pourrait suffire Ă  souligner la force de l’attirance rĂ©ciproque qu’ils ont Ă©prouvĂ©e, Ă  traduire le choix des deux amoureux de privilĂ©gier ce qui s’était abattu sur eux, cette attraction trĂšs forte, la jouissance et les promesses que procurent les sentiments absolus et partagĂ©s. À ce stade, eux seuls pouvaient mettre en balance ce qui s’annonçait et ce qu’ils quittaient. L’observateur extĂ©rieur constate, lui, que la passion fut capable de rompre des trajectoires fondĂ©es sur des liens antĂ©rieurs qui semblaient durables et de qualitĂ©. Quand on sait Ă  quel point ces ruptures sont difficiles pour beaucoup d’ĂȘtres humains, on peut mesurer la force de l’appel extĂ©rieur qui a pu s’exercer ici.
L’état amoureux passionnel fait partie des initiations communes du jeune Ăąge, quasi obligatoires et structurantes pour l’individu et son affectivitĂ©. Il est plus rare qu’il s’éprouve dans la maturitĂ©. Faut-il pour autant en conclure que l’expression renouvelĂ©e d’un emportement adolescent Ă  l’ñge adulte est le symptĂŽme d’une immaturitĂ© psychologique, d’une fragilitĂ© susceptible d’expliquer qu’un sujet se satisfasse de dĂ©pendre d’autrui Ă  ce point ? Pour ma part, je rejette le diagnostic de trouble avĂ©rĂ© de la personnalitĂ© dans une majoritĂ© de cas de passion amoureuse, et pose comme premier postulat que celle-ci est une potentialitĂ© du psychisme en soi, qui correspond Ă  un besoin. Et comme second postulat que l’expression de l’amour total, qui a quelque chose d’universel et d’intemporel, vibre tout de mĂȘme avec l’air du temps : ne s’inscrivent-ils pas dans une certaine modernitĂ©, ces ĂȘtres qui font profession de foi de vivre intensĂ©ment, de « vivre tout » et de rompre quand la routine menace ? À moins qu’ils ne soient totalement dĂ©sarmĂ©s dĂšs qu’il s’agit de redonner un peu de « punch » Ă  un amour dĂ©clinant, ou encore incapables de vivre avec l’autre et non pas dans l’autre ? Je penche pour le choix plutĂŽt que pour l’incapacitĂ©.
On peut penser que les amants ont prĂ©fĂ©rĂ© se jeter dans l’ivresse renouvelĂ©e de la passion et prendre le risque d’une aventure nouvelle. Leurs liens avec leurs prĂ©cĂ©dents compagnons n’étaient pas morts, mais ils avaient peut-ĂȘtre perdu leur Ă©lan naturel, cette force dont tout amoureux maintient en lui la nostalgie. Bertrand et Marie sont des amants modernes. Ils font leur, et de façon exclusive, cette partie de leur vie privĂ©e, qui ne les oblige pas, comme des RomĂ©o et Juliette d’une autre Ă©poque, Ă  renoncer Ă  leurs mondes respectifs : ils fonctionnent normalement, travaillent et gardent avec leur entourage des liens structurĂ©s. Ils parviennent mĂȘme Ă  garder, pour les personnes qu’ils ont aimĂ©es puis quittĂ©es, estime et affection, ce qui tĂ©moigne de leur maturitĂ© sur un plan psychologique.
Si le diagnostic de trouble de la personnalitĂ© des protagonistes de l’amour fou doit ĂȘtre exclu Ă  mon sens, il convient, en revanche, de qualifier le mode relationnel qui les unit. On peut, Ă  ce sujet, invoquer quelque chose qui est de l’ordre d’un trouble de la relation et uniquement de la relation ; un dĂ©sordre affectif une pathologie amoureuse peut en effet se concevoir sans qu’existe de personnalitĂ© pathologique Ă  proprement parler. Il suffit d’une sensibilitĂ© explosive, d’une propension Ă  tout envisager de maniĂšre passionnĂ©e.
Concernant le drame de Vilnius, c’est l’hypothùse que je formule : l’existence d’un trouble relationnel qui se situe dans la maniù...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. PremiĂšre partie - Figures de la violence passionnelle
  6. DeuxiĂšme partie - Le couple au risque de la violence
  7. TroisiÚme partie - Se dégager de la violence
  8. Conclusion
  9. Annexes