Les psychanalystes savent-ils débattre ?
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Les psychanalystes savent-ils débattre ?

  1. 224 pages
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Les psychanalystes savent-ils débattre ?

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Non, la psychanalyse n'est pas un dogme figé! Non, les psychanalystes ne sont pas fermés à toute discussion! Depuis les textes fondateurs de Freud, c'est même l'inverse qu'on constate: la psychanalyse a toujours été l'objet de débats souvent féconds, parfois houleux. Quatre exemples sont racontés et scrutés ici par d'éminents spécialistes: les grandes controverses autour de l'enfant entre Anna Freud et Melanie Klein en 1943; les dialogues du Rio de la Plata en 1972 autour du lacanisme et du kleinisme; la discussion de 2000 entre Daniel Widlöcher, Jean Laplanche et Peter Fornagy sur l'attachement et la sexualité infantile; le débat de 2004 sur l'avenir de la psychanalyse entre Daniel Widlöcher et Jacques-Alain Miller. La connaissance n'appartient ni à un individu ni à une communauté; elle progresse par échanges, discussions, recherches. Cette culture du débat n'est pas étrangère à la psychanalyse; c'est même son avenir. Daniel Widlöcher est psychiatre, psychanalyste, ancien chef de département à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière et ancien président de l'IPA. Il a notamment publié Les Nouvelles Cartes de la psychanalyse et La Psychanalyse en dialogue. Avec la collaboration de Frédéric Advenier, Alain Braconnier, Dominique Cohou, Nicole Delattre, Bertrand Hanin, Luis Maria Moix, Michel Musiol

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2008
ISBN
9782738194862
1
Le débat en psychanalyse
par Daniel Widlöcher
L’intense activité scientifique dont font preuve les institutions psychanalytiques, l’intense activité de conférences et de publications de nombreux psychanalystes obéissent à d’autres raisons que la pure communication du savoir scientifique et la transmission des connaissances. Sinon, que ne saurait-on pas de l’inconscient et de la vie de l’esprit ? La cause principale de cette activité doit être cherchée ailleurs, dans le besoin que les psychanalystes ressentent légitimement de partager avec d’autres non ce qu’ils savent, mais tout le champ de conjectures dans lequel s’inscrivent leur théorie et leur pratique. Ainsi s’explique l’importance des échanges oraux (conférences, panels, tables rondes et congrès de toutes sortes). Les publications sont très souvent la trace écrite de ces échanges. L’œuvre de Freud abonde en textes qui revêtent une forme adoptant le style d’un débat oral, d’une conférence, d’un dialogue imaginaire ou d’une correspondance avec un tiers. Bref, c’est le débat entre praticiens qui est au cœur de la vie scientifique en psychanalyse, et ce d’autant plus si nous prenons en compte le pluralisme des écoles.
Les psychanalystes sont-ils, mieux que d’autres, préparés à cette pratique du débat ? C’est peut-être ce que les premiers d’entre eux pensaient. En 1912, Sandor Ferenczi, dans une allocution qu’il prononçait pour favoriser la création de l’Association psychanalytique internationale, bien que sans illusion sur la qualité du débat entre les hommes, énonçait l’hypothèse que les psychanalystes, une fois « guéris » de leurs névroses par leur propre psychanalyse, pourraient dépasser les rivalités, les ambitions et la mauvaise foi habituelles. Certains peuvent encore le croire, mais beaucoup, dont nous sommes, en doutent. C’est pour mieux cerner cette question que nous avons formé le projet d’étudier, à partir de certains documents, quelques exemples de ces échanges entre psychanalystes.
Reconnaissons d’emblée que dans le domaine de la psychanalyse, le débat est difficile. C’est peut-être paradoxalement ce qui justifie en partie l’intense activité scientifique que nous évoquions au départ. Mentionnons quelques-unes de ces difficultés.
La difficulté de débattre
Évoquons tout d’abord les dérives qui transforment le débat en lecture du dogme. La fidélité à Freud ou l’appartenance militante à une école ont tôt fait de transformer le débat en affrontement polémique. Le souci très légitime de montrer que l’on a raison face à la position prise par l’interlocuteur se transforme alors en manipulation ou en attitude sectaire. La raison invoquée n’est plus celle de l’argumentaire que l’on utilise, mais l’autorité de ceux à l’école de qui on se range. Ce qui fonde l’autorité n’est plus la matière du débat, mais la filiation et la soumission. Le pluralisme des écoles de psychanalyse a beaucoup souffert d’un tel conservatisme. Conserver les acquis de la « révolution freudienne », avec toutes les connotations politiques ou religieuses que l’on peut y mettre, devient alors une idéologie qui fige le débat.
Autres dérives, celles, scientistes, de ceux qui, sentant bien les faiblesses de la démarche, tendent à faire évoluer l’argumentaire et les principes mêmes du débat vers une logique de l’évidence et de la preuve. Des références quantitatives, des démonstrations analogiques sont utilisées dans l’argumentaire du débat. Certes, des études de type naturaliste peuvent être valablement appliquées en psychanalyse. L’évaluation des effets thérapeutiques représente l’exemple le plus parlant. Mais s’en tenir à ce qui est ainsi « scientifiquement » validé pour fonder la méthode et définir son usage, à la manière d’une médecine limitée à l’evidence based medicine, serait comparable à un éducateur qui ne ferait qu’accomplir ce qui a été quantitativement démontré ou au politique qui devrait chercher en vain la preuve scientifique de l’action qu’il doit entreprendre. Les actions humaines échappent pour la plupart à la logique de la preuve. Elles nécessitent des choix, des paris, des modèles hypothétiques, bref, des pratiques et des théories qui anticipent nécessairement sur les démonstrations scientifiques. Durant des millénaires, les agriculteurs ont produit des richesses naturelles sans connaître les lois de Mendel !
Certes, comme nous le verrons, maintenir l’esprit et la qualité du débat n’est pas tâche facile. Au risque de partager l’excès d’optimisme de Ferenczi, il convient néanmoins de rappeler que le débat en psychanalyse se nourrit de la pratique clinique. Il y a un débat clinique lié à la pratique individuelle dont il ne sera pas question ici, mais qui implicitement guidera notre réflexion. Les règles d’association libre et d’attention librement flottante qui définissent le cadre de l’écoute psychanalytique donnent déjà matière à un débat interne. Des choix conscients et inconscients nous guident, que nous en rendions compte à un tiers ou non. Les conditions du débat public ne sont pas les mêmes que celles du débat clinique privé. Mais on peut retourner l’argument de Ferenczi et se demander pourquoi les psychanalystes, qui sont si familiers avec la conflictualité interne de la pensée, sont si mal préparés au débat scientifique. C’est la question qu’on pose ici.
Principes du débat et principes de la psychanalyse
Tout débat nécessite un fond commun, une base de connaissances et de pratiques. C’est vrai dans d’autres disciplines : les échanges de liens sont le terrain commun de la science économique, l’acquisition d’un savoir et d’un savoir-faire, celui de la pédagogie. La communication intersubjective et l’écoute fondée sur la libre association d’une activité psychique inconsciente constituent l’expérience commune que partagent tous les psychanalystes. Le doute sur l’existence de cette communauté de pratiques rend caduque le principe, ou plutôt la légitimité du débat. Encore s’agirait-il de savoir où commence cette communauté d’expérience, question dont nous verrons toute la difficulté puisqu’elle nourrit un doute fondamental ou du moins nous oblige à l’évoquer : sommes-nous assurés de partir d’une expérience clinique commune pour engager le débat ? Pensons ici à la remarque que Freud adresse dans sa correspondance au pasteur Pfister à propos de Jung, en 1912 : « Je me demande vraiment quelle technique il peut bien utiliser, qui l’amène à de telles conceptions. »
Ayant posé le principe que l’on part de la même expérience clinique, il nous faut expliciter l’enjeu, le point de pratique ou de théorie sur lequel nous allons nous interroger et à propos duquel nous allons confronter des points de vue différents ou constater une identité d’opinion, une conviction commune. Une lecture attentive des écrits de Freud nous montre que, pour lui déjà, de nombreuses questions restaient matière à débat. Parfois, il en fait lui-même le constat, mais souvent c’est par la reprise d’une question tenue pour résolue ou laissée en jachère que notre lecture nous permet de le soulever à nouveau. « Chacun son Freud », entend-on dire parfois. La remarque n’est pas si négative qu’il y paraît. Car si l’on veut bien écarter les arguties textuelles, les divergences font voir la complexité de la question. C’est encore plus évident quand il s’agit de confronter des textes d’auteurs différents. Le pluralisme des écoles et, au sein de chaque école, les différences individuelles sont une source d’approfondissement des questions que nous nous posons et d’orientation pour de nouvelles voies de recherche. « Je vois bien ce que nous savons sur le surmoi, mais j’aimerais tant vous entendre sur ce que nous ne savons pas », disait un jour Anna Freud à un petit groupe de psychanalystes auquel je participais. S’entendre sur ce dont nous ne sommes pas assurés serait sans doute un thème idéal d’ouverture à débat, mais nous devons nous contenter le plus souvent de nous demander plus modestement quelle conjecture nous proposons face à telle incertitude quant à notre pratique ou à notre théorie.
Le point essentiel du débat sera de confronter les indices que nous retenons pour répondre à cette question et formuler une hypothèse de travail adéquate. C’est à partir des données cliniques que ces indices sont construits la plupart du temps. Les psychanalystes ont longtemps nourri l’illusion que l’étude de cas permettrait de prouver telle ou telle hypothèse. D’où souvent des descriptions de cas détaillées, regorgeant de données de fait pour valider le choix des indices. Les psychanalystes sont de plus en plus convaincus que l’usage qu’ils peuvent faire des données de la clinique montre non la validité d’une hypothèse, mais la manière dont celle-ci trouve des arguments qui permettent de la juger plausible. La clinique illustre la démarche, elle ne la justifie pas. « Voilà comment je pratique, voilà le modèle que je construis » n’est pas la preuve du bien-fondé de cette pratique et de cette théorie.
Cette relativité des indices laisse donc entièrement ouverte la question de la validation. Rares sont les cas où la démonstration a pris valeur de preuve, non réfutable, en psychanalyse. C’est la valeur heuristique de l’hypothèse qui permet de la juger. Il est rare, très rare, que le débat en psychanalyse conduise à l’accord des participants ; il permet du moins que l’on puisse apprécier la valeur heuristique des modèles proposés. Certains débats qui ont amplement marqué la vie scientifique des institutions psychanalytiques ont aujourd’hui disparu. Les uns parce qu’ils ont finalement donné lieu à un consensus qui les a rendus caduques, les autres parce qu’une thèse proposée n’est plus retenue ou est fondue dans d’autres. La controverse si célèbre autour de la psychanalyse des enfants a disparu, du moins dans la forme qui lui avait été donnée au cours des années 1920 et 1930 par Anna Freud et Melanie Klein. Autre exemple, les thèses de Margaret Mahler autour des expériences précoces de symbiose et de séparation-individuation n’occupent plus guère les débats en cours. D’autres controverses ont conclu à des divergences intrinsèques au sujet même et reconnues de tous, comme la question de l’« instinct de mort ». Il y a une actualité des thèmes dont l’histoire serait à reprendre et dont les études qui vont suivre donneront une illustration exemplaire.
Une évolution des pratiques, voire des théories, n’est pas une question de mode, mais d’emploi. Ce que proposent les débats, ce sont en définitive des outils techniques et conceptuels dont il s’agit de voir quel usage il en sera fait. Plus simples ou plus complexes, s’adressant à des situations et à des pathologies particulières, divers quant à leurs fins thérapeutiques ou à leurs conditions d’emploi dans le cadre social du lieu ou du moment : le répertoire s’enrichit avec le temps.
Il ne s’agit pas, d’ailleurs, de jauger l’utilité du débat à l’aune de la force de conviction qu’entraîne une thèse ou une autre. L’effet négatif est tout aussi digne d’intérêt que le positif. N’oublions pas que le débat résulte d’une interrogation partagée et tenue pour justifiée. Que des interprétations différentes, voire divergentes, se fassent jour témoigne de la complexité de l’objet traité. C’est la complexité même du champ qui est illustrée par les divergences de point de vue. C’est en ce sens d’ailleurs que le pluralisme des écoles, loin d’être un témoin du vague épistémologique de la démarche, est au contraire l’expression de cette complexité du champ. Pensons d’ailleurs à ce qui existe dans d’autres domaines des sciences de l’action humaine. Le débat politique, au meilleur sens du terme, ne reflète-t-il pas la difficulté de l’action politique à gérer le monde social dont elle a la charge ?
La psychanalyse est une pratique avant d’être une science. C’est une pratique d’écoute d’autrui destinée à découvrir l’emprise d’une activité inconsciente de l’esprit. Elle introduit une nouvelle dimension dans les pratiques de communication intersubjectives. De ce point de vue, elle s’inscrit dans le cadre des pratiques sociales. Elle participe ainsi d’une question très générale qui s’applique à l’ensemble des sciences qu’entendent décrire, expliquer et guider ces pratiques.
La psychanalyse, une science de l’action humaine
Or sur quoi se fonde la validité des sciences de l’action humaine ? Telle est la question qui se pose en général aux sciences dites humaines ou sociales. Telle est aussi celle que pose la psychanalyse, comme l’a fort justement noté Lacan dans l’un de ses premiers travaux : « Comme toute pratique de l’action humaine, la psychanalyse est fondamentalement une méthode de connaissance, non de l’action humaine en général mais d’un mode de communication intersubjectif permettant d’explorer un aspect du fonctionnement de l’esprit, c’est-à-dire précisément une forme de l’action humaine3. » Pratique d’entendement de l’inconscient, dira-t-on, à la condition de préciser ces trois termes. Elle est une pratique intersubjective, c’est-à-dire une écoute de la pensée de l’autre, de cette partie de la pensée qui échappe à la conscience de l’autre.
Après Freud et avec lui, de nombreux psychanalystes ont cru qu’il s’agissait d’une forme d’observation naturaliste, à l’instar d’un modèle médical ; l’observation des différences, la méthode « pathologique » permettant de relever des liens et des différences susceptibles d’expliquer la nature et l’origine de ces différences, et par là la nature même de certains mécanismes de fonctionnement de l’organisme humain. Cette analogie avec le modèle médical trouvait ses explications dans l’état de la science médicale à l’époque des Études sur l’hystérie et dans le fait que la méthode psychanalytique a été dès l’origine une technique thérapeutique de la névrose trouvant sa validité dans son efficacité.
Aujourd’hui, il ne doit plus faire de doute que la pratique de la psychanalyse n’est pas une technique d’observation, mais une modalité de communication intersubjective, source de connaissances descriptives, alimentant hypothèses et modèles. D’autres formes de validité sont à chercher ailleurs que dans la démonstration de la preuve et le constat objectif de l’évidence.
Devant renoncer à des valeurs d’adéquation au réel (valeurs de vérité), il nous faut recourir à des valeurs de consensus, c’est-à-dire au fait que les praticiens, collectivement, se reconnaissent dans l’emploi de méthodes et de modèles communs.
Ce que nous appelons communication d’un cas clinique en psychiatrie, comme dans tout le champ de la médecine, se présente sous la forme d’une observation qui prétend au maximum d’objectivité, en ce sens que tout autre observateur du cas noterait les mêmes faits que ceux qui sont rapportés. Relater des événements observés au cours d’un traitement psychanalytique obéit à une logique toute différente. Le clinicien rapporte ce qu’il a entendu et ce qu’il a implicitement ou explicitement inféré de ce qui a été dit. Rien n’est plus subjectif que le récit d’une séance ou d’un fragment de séance de psychothérapie. L’objet qui est soumis à l’attention d’un tiers n’est pas le patient lui-même mais ce que le thérapeute entend de la situation. Ce qui est objectif, c’est le texte de la communication, et à travers lui l’acte par lequel les deux protagonistes ont produit du sens, sens dont seule la version du thérapeute nous est donnée.
Comment parler d’une science quand les données qui la constitueraient seraient des modes de relations interpersonnelles ? C’est la question posée par l’ensemble des sciences humaines. Leurs pratiques ne sont pas l’application d’un ensemble de connaissances scientifiques mais, au contraire, la source de ces connaissances.
La démarche scientifique en psychanalyse commence quand, à partir des données issues de la communication intersubjective, on peut proposer un élément nouveau de théorie, de technique ou de clinique. À titre d’exemple, mentionnons le concept d’attachement comme théorie nouvelle, l’interprétation symbolique du rêve comme débat technique ou la description du narcissisme pathologique comme nouvelle clinique. Bien sûr, dans la plupart des cas, les éléments proposés sont beaucoup plus modestes, voire déjà présents dans la littérature spécialisée. Il ne s’agit donc pas d’établir une relation de causalité mais de construire des modèles qui aident à saisir une certaine cohérence entre les faits observés.
Le modèle initial dans l’œuvre de Freud est illustré dans L’Interprétation du rêve par le message implicite suivant : si vous traitez le récit des rêves par la méthode de la libre association des pensées, vous en découvrirez le sens latent. En décrivant la manière dont on peut ainsi donner sens à un rêve, Freud propose une méthode et un modèle. Ce dernier est proposé à l’attention des tiers pour que, pratiquant la même méthode, ils retrouvent des illustrations du modèle. Leur opinion peut être négative si l’innovation clinique leur paraît nulle, parce que la méthode n’est pas praticable ou bien parce que le modèle est inconciliable avec les autres éléments de connaissance. La réponse est favorable si on voit dans l’ensemble un modèle acceptable qu’il s’agira de vérifier dans la pratique de chacun.
L’acceptation d’un modèle n’est en rien la réfutation d’un autre. Elle constitue un jugement d’existence : il y a au moins un cas dans lequel ce modèle est valide, même s’il est possible de décrire ce cas sous un ou d’autres modèles4. Le pluralisme des modèles qui est matérialisé par ce qu’il est convenu d’appeler des querelles d’école est un facteur de progrès. Ce dernier résulte de la confrontation entre plusieurs modèles.
Ainsi se constitue un dictionnaire conceptuel commun qui se réfère à une pratique commune. Cette dernière ne résulte pas d’un rapport à un réel absolu. Personne n’a jamais testé l’existence de l’angoisse de castration ni celle de l’identification projective, mais une certaine communauté de cliniciens fait l’expérience d’un champ de la pratique où ces concepts se réfèrent à des événements identifiés par tous.
Ce qui est objectif, c’est l’accord des cliniciens pour reconnaître la pertinence d’un certain modèle en référence à une certaine clinique. Cette objectivité reflète à la fois un consensus et des divergences. Si le consensus était total, le risque serait de voir la communauté de jugement tourner à vide, comme un dogme, une fermeture sectaire. Le débat clinique prouve ainsi l’inanité du consensus total. La reconnaissance des différences valide, certes, l’utilité d’un consensus de base mais aussi fait travailler ce qu’ont d’inévitables les insuffisances des assertions avancées.
Ce jeu entre consensus et diversité des modèles n’est pas spécifique à la psychanalyse. Les autres sciences humaines se fondent en partie sur la même démarche. Les pratiques en matière de politique économique ou en matière de pédagogie relèvent de choix et de stratégies qui se fondent sur des conjectures et, au niveau de l’action, sur des prises de risque qui donnent matière à des débats de même nature. Elles méritent donc la critique que leur a adressée Karl Popper, mais cela ne signifie pas qu’elles soient privées de toute rationalité. Celle-ci, toujours contestable, repose sur le jeu entre le consensus et les différences q...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Avant-propos
  5. 1 - Le débat en psychanalyse - par Daniel Widlöcher
  6. 2 - Qu’est-ce qu’argumenter ? - par Bertrand Hanin et Michel Musiol
  7. 3 - Phantasme ou fantasme : les controverses entre Anna Freud et Melanie Klein - par Dominique Cohou
  8. 4 - Les dialogues du Rio de la Plata : technique ou pratique psychanalytique ? - par Luis Maria Moix
  9. 5 - La controverse entre Daniel Widlöcher, Jean Laplanche et Peter Fonagy : Avez-vous lu Freud ? Avez-vous lu Bowlby ? - par Alain Braconnier, Michel Musiol et Frédéric Advenier
  10. 6 - Le débat entre Daniel Widlöcher et Jacques-Alain Miller : quel Lacan connaissons-nous ? - par Bertrand Hanin
  11. Postface critique La psychanalyse requiert-elle des principes d’exception ? - par Nicole Delattre
  12. Notes
  13. Présentation des auteurs
  14. Ouvrages de Daniel Widlöcher chez le même éditeur