Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe
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Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe

Instants de lecture choisis et présentés par André Miquel

  1. 216 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe

Instants de lecture choisis et présentés par André Miquel

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À propos de ce livre

André Miquel nous invite à lire ou à redécouvrir, dans une inoubliable promenade littéraire, les plus beaux extraits des Mémoires d'outre-tombe. André Miquel est écrivain. Il a été professeur au Collège de France et également son administrateur. De plus, il a été administrateur général de la Bibliothèque nationale. Il a publié aux éditions Odile Jacob L'Événement, D'Arabie et d'Islam, Deux histoires d'amour. De Majnûn à Tristan, Tristan et Iseult d'après Joseph Bédier et Le temps se signe à quelques repères.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2018
ISBN
9782738146359

II

Voyager



Sur la carte, le voyage commence par des promenades aux lisières de Paris. Dans la vie, il porte d’emblée un jeune homme de l’autre côté de l’Atlantique, vers l’Amérique du Nord : une escapade en vérité, pour quelques mois à peine. Suivront l’exil d’Angleterre, quelques excursions en province et surtout, pour le plaisir et plus souvent à l’occasion de missions politiques ou diplomatiques, des visites ou séjours en Espagne, Suisse, Angleterre encore, Autriche, Allemagne, Bohême, Italie. À part, l’Orient : Grèce, Turquie, Terre Sainte, Égypte, Tunisie et retour par l’Espagne : quelques pages à peine, prises, avec retouches éventuelles, à l’Itinéraire de Paris à Jérusalem.
Que va-t-on chercher en voyage ? Des pays, des paysages sans doute, propices à la rêverie, mais le plus souvent imprégnés d’une histoire, sûre ou accommodée, celle d’hier, d’aujourd’hui et, pourquoi pas, à naître. Le tout accompagné, sur ces trois registres, tout à tour de jugements éclairés, de presciences fulgurantes ou, à l’inverse, de mises en garde, de préventions ressassées et règlements de comptes.
On l’aura deviné : cet homme-là n’est jamais seul, quoi qu’il en dise à l’occasion : quelqu’un, toujours, l’accompagne, et c’est lui-même.
Quand je suis las de mon jardin, la plaine de Montrouge le remplace. J’ai vu changer cette plaine : que n’ai-je pas vu changer ! Il y a vingt-cinq ans qu’en allant à Méréville, au Marais, à la Vallée-aux-Loups, je passais par la barrière du Maine ; on n’apercevait à droite et à gauche de la chaussée, que des moulins, les roues des grues aux trouées des carrières, et la pépinière de Cels, ancien ami de Rousseau. Desnoyer bâtit les salons de cent couverts pour les soldats de la garde impériale, qui venaient trinquer entre chaque bataille gagnée, entre chaque royaume abattu. Quelques guinguettes s’élevèrent autour des moulins depuis la barrière du Maine jusqu’à la barrière du Montparnasse ; plus haut était le Moulin Janséniste et la petite maison de Lauzun, pour contraste. Auprès des guinguettes furent plantés des acacias, ombrage des pauvres, comme l’eau de Seltz est le vin de Champagne des gueux. Un théâtre forain fixa la population nomade des bastringues ; un village se forma avec une rue pavée, des chansonniers et des gendarmes, Amphions et Cécrops de la police.
Pendant que les vivants s’établissaient, les morts réclamaient leur place. On enferma, non sans opposition des ivrognes, un cimetière dans une enceinte où fut enclos un moulin ruiné, comme la tour des abois : c’est là que la mort porte chaque jour le grain qu’elle a recueilli. Un simple mur sépare les danses, la musique, les tapages nocturnes, les bruits d’un moment, les mariages d’une heure, du silence sans terme, de la nuit sans fin et des zones éternelles.
Je parcours souvent ce cimetière, moins vieux que moi, où les vers qui rongent les morts ne sont pas encore morts ; je lis les épitaphes : que de femmes de seize à trente ans sont devenues la proie de la tombe ! heureuses de n’avoir vécu que leur jeunesse ! La duchesse de Gèvres, dernière goutte du sang de Du Guesclin, fait son somme au milieu des dormeurs plébéiens ; squelette d’un autre âge. IV, 3, 1.
Mes boulevards solitaires ne m’offrent pas beaucoup d’aventures. Quelquefois j’y rencontre un jeune homme et une jeune femme qui se tiennent enchaînés par le bras. Que n’aurais-je pas donné autrefois pour une heure de cette folie, pour être serré contre le sein d’une femme avec cette plénitude d’abandon, ces doubles nœuds, cette ardeur de passion, cet oubli de l’univers qui nous font souhaiter de fuir de ces délices dans l’éternité ou le néant. Un jour le jeune homme appuyé avec la jeune femme contre le tronc d’un orme au pendant d’une ondée, semblait respirer la vie de sa maîtresse : s’ils étaient morts à l’instant, ces deux êtres, sans doute très communs et jouissant d’un bonheur que Dieu a départi à la foule, seraient retournés enchantés à la terre : les atomes de leur ivresse, de leur beauté et de leur jeunesse, se seraient changés en lumière, en rosée, en fleurs. Et peut-être qu’un admirable génie sans compagne, sans félicité, sans caresses pendant son passage ici-bas, a vu sa dépouille transformée dans un brin d’herbe méprisé : on n’est rien que par le bonheur. IV, 3, 1.
Le pavé de la rue1 se terminait alors devant ma porte ; plus haut, la rue ou le chemin, montait à travers un terrain vague que l’on appelait la Butte-aux-Lapins. La Butte-aux-Lapins, semée de quelques maisons isolées, joignait à droite le jardin de Tivoli, d’où j’étais parti avec mon frère pour l’émigration, à gauche le parc de Monceaux. Je me promenais assez souvent dans ce parc abandonné ; la Révolution y commença parmi les orgies du duc d’Orléans : cette retraite avait été embellie de nudités de marbre et de ruines factices, symbole de la politique légère et débauchée qui allait couvrir la France de prostituées et de débris. II, 5, 1.
Dans la vallée du Rhône, je rencontrai une garçonnette presque nue qui dansait avec sa chèvre : elle demandait la charité à un riche jeune homme bien vêtu qui passait en poste, courrier galonné en avant, deux laquais assis derrière le brillant carrosse. Et vous vous figurez qu’une telle distribution de la propriété, peut exister ? Vous pensez qu’elle ne justifie pas les soulèvements populaires ? IV, 6, 4.
À Montpellier, je revis la mer, à qui j’aurais volontiers écrit comme le Roi très-chrétien à la Confédération suisse : « Ma fidèle alliée et ma grande amie. » Scaliger aurait voulu faire de Montpellier le nid de sa vieillesse. Elle a reçu son nom de deux vierges saintes, Mons puellarum : de là la beauté de ses femmes. Montpellier, en tombant devant le cardinal de Richelieu, vit mourir la constitution aristocratique de la France.
De Montpellier à Narbonne, j’eus, chemin faisant, un retour à mon naturel, une attaque de mes songeries. J’aurais oublié cette attaque si, comme certains malades imaginaires, je n’avais enregistré le jour de ma crise sur un tout petit bulletin, seule note de ce temps retrouvée pour aide à ma mémoire. Ce fut cette fois un espace aride, couvert de digitales, qui me fit oublier le monde : mon regard glissait sur cette mer de tiges empourprées, et n’était arrêté au loin que par la chaîne bleuâtre du Cantal2. Dans la nature, hormis le ciel, l’océan et le soleil, ce ne sont pas les immenses objets dont je suis inspiré ; ils me donnent seulement une sensation de grandeur, qui jette ma petitesse éperdue et non consolée aux pieds de Dieu. Mais une fleur que je cueille, un courant d’eau qui se dérobe parmi les joncs, un oiseau qui va s’envolant et se reposant devant moi, m’entraînent à toutes sortes de rêves. Ne vaut-il pas mieux s’attendrir sans savoir pourquoi, que de chercher dans la vie des intérêts émoussés, refroidis par leur répétition et leur multitude ? Tout est usé aujourd’hui, même le malheur. II, 2, 2.
Descendu d’abord à l’auberge, je pris ensuite un appartement dans une pension où logeaient des colons de Saint-Domingue, et des Français émigrés avec d’autres idées que les miennes. Une terre de liberté offrait un asile à ceux qui fuyaient la liberté : rien ne prouve mieux le haut prix des institutions généreuses que cet exil volontaire des partisans du pouvoir absolu dans une pure démocratie.
Un homme, débarqué comme moi aux États-Unis, plein d’enthousiasme pour les peuples classiques, un Caton qui cherchait partout la rigidité des premières mœurs romaines, dut être fort scandalisé de trouver partout le luxe des équipages, la frivolité des conversations, l’inégalité des fortunes, l’immoralité des maisons de banque et de jeu, le bruit des salles de bal et de spectacle. À Philadelphie j’aurais pu me croire à Liverpool ou à Bristol. L’apparence du peuple était agréable : les quakeresses avec leurs robes grises, leurs petits chapeaux uniformes et leurs visages pâles, paraissaient belles.
À cette heure de ma vie, j’admirais beaucoup les républiques, bien que je ne les crusse pas possibles à l’époque du monde où nous étions parvenus : je connaissais la liberté à la manière des anciens, la liberté fille des mœurs dans une société naissante ; mais j’ignorais la liberté fille des lumières et d’une vieille civilisation, liberté dont la république représentative a prouvé la réalité : Dieu veuille qu’elle soit durable ! On n’est plus obligé de labourer soi-même son petit champ, de maugréer les arts et les sciences, d’avoir des ongles crochus et la barbe sale pour être libre. I, 6, 7.
J’ai vu l’Angleterre dans ses anciennes mœurs et dans son ancienne prospérité : partout la petite église solitaire avec sa tour, le cimetière de campagne de Gray, partout des chemins étroits et sablés, des vallons remplis de vaches, des bruyères marbrées de moutons, des parcs, des châteaux, des villes : peu de grands bois, peu d’oiseaux, le vent de la mer. Ce n’étaient pas ces champs de l’Andalousie où je trouvais les vieux chrétiens et les jeunes amours parmi les débris voluptueux du palais des Mores au milieu des aloès et des palmiers. III, 2, 3, 12.
Après le repas nous causâmes à une fenêtre qui s’ouvrait sur la Tamise ; on apercevait en aval de la rivière une partie de la cité dont le brouillard et la fumée élargissaient la masse. Je faisais à mon hôte l’éloge de la solidité de cette monarchie anglaise pondérée par le balancement égal de la liberté et du pouvoir. Le vénérable lord, levant et allongeant le bras, me montra de la main la cité et me dit : « Qu’y a-t-il de solide avec ces villes énormes ? Une insurrection sérieuse à Londres et tout est perdu. » III, 2, 3, 12.
Aujourd’hui les vallées sont obscurcies par les fumées des forges et des usines, ses chemins changés en ornières de fer ; et sur ces chemins, au lieu de Milton et de Shakespeare, se meuvent des chaudières errantes. Déjà les pépinières de la science, Oxford et Cambridge, prennent un air désert : leurs collèges et leurs chapelles gothiques, demi-abandonnés, affligent les regards ; dans leurs cloîtres auprès des pierres sépulcrales du Moyen Âge, reposent oubliées les annales de marbre des anciens peuples de la Grèce ; ruines qui gardent des ruines. III, 2, 3.
Je nourrissais toujours au fond de mon cœur les regrets et les souvenirs de l’Angleterre ; j’avais vécu si longtemps dans ce pays que j’en avais pris les habitudes : je ne pouvais me faire à la saleté de nos maisons, de nos escaliers, de nos tables, à notre malpropreté, à notre bruit, à notre familiarité, à l’indiscrétion de notre bavardage : j’étais Anglais de manière, de goûts et, jusqu’à un certain point, de pensées ; car si, comme on le prétend, Lord Byron s’est inspiré quelquefois de René dans son Childe-Harold, il est vrai de dire aussi que huit années de résidence dans la Grande-Bretagne, précédées d’un voyage en Amérique, qu’une longue habitude de parler, d’écrire et même de penser en anglais, avaient nécessairement influé sur le tour et l’expression de mes idées. Mais peu à peu je goûtai la sociabilité qui nous distingue, ce commerce charmant, facile et rapide des intelligences, cette inattention à la fortune et aux noms, ce nivellement naturel de tous les rangs, cette égalité des esprits qui rend la société française incomparable et qui rachète nos défauts ; après quelques mois d’établissement au milieu de nous, on sent qu’on ne peut plus vivre qu’à Paris. II, 1, 3.
Le 18 juin 1815, vers midi, je sortis de Gand par la porte de Bruxelles ; j’allai seul achever ma promenade sur la grande route. J’avais emporté les Commentaires de César et je cheminais lentement, plongé dans ma lecture. J’étais déjà à plus d’une lieue de la ville, lorsque je crus ouïr un roulement sourd : je m’arrêtai, regardai le ciel assez chargé de nuées, délibérant en moi-même si je continuerais d’aller de l’avant, ou si je me rappro...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Introduction
  6. I - Un itinéraire
  7. II - Voyager
  8. III - Avant, pendant et après la Révolution
  9. IV - Personnages et sociétés
  10. V - La politique et son monde
  11. VI - Croire
  12. VII - Vivre et mourir
  13. Table
  14. Du même auteur chez Odile Jacob