Histoire des sondages
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Histoire des sondages

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Histoire des sondages

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Qu'est-ce que vous mangez, qu'est-ce que vous portez, comment choisissez-vous vos amis, que pensez-vous de vos collĂšgues, de vos chefs ou de vos patrons, pour qui allez-vous voter, quel programme allez-vous voir ou Ă©couter: tout ce que vous faites, souhaitez ou pensez est dĂ©sormais sondĂ©. Jacques Antoine, le premier dirigeant de la SOFRES, raconte dans ce livre l'histoire des sondages. Depuis leur origine aux États-Unis entre les deux guerres mondiales, puis en France depuis la LibĂ©ration jusqu'Ă  nos jours. Il montre comment les sondages sont rĂ©alisĂ©s et pourquoi il leur arrive de se tromper, il dĂ©crit la maniĂšre de les interprĂ©ter. Parce qu'ils contribuent Ă  la formation de l'opinion publique, les sondages sont un Ă©lĂ©ment clĂ© de la dĂ©mocratie. Comprendre leur histoire, c'est comprendre la genĂšse de nos sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques modernes. Jacques Antoine, professeur honoraire au Conservatoire national des arts et mĂ©tiers, a dirigĂ© la SOFRES puis le Centre d'Ă©tudes des supports de publicitĂ©.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2004
ISBN
9782738167996

Chapitre 1

La préhistoire et la genÚse des sondages

Les succĂšs de 1936

Nous sommes dans les annĂ©es 1930, aux États-Unis. Les mĂ©dias s’intĂ©ressent depuis longtemps aux pronostics Ă©lectoraux, notamment Ă  propos des Ă©lections prĂ©sidentielles qui ont lieu tous les quatre ans. Depuis 1824, pour nourrir cet intĂ©rĂȘt, ils ont mis au point une mĂ©thode d’enquĂȘte, dite des « votes de paille » (straw polls). Elle consiste Ă  faire des simulations de vote par correspondance Ă  partir de fichiers nominatifs disponibles : abonnĂ©s Ă  tel ou tel magazine, propriĂ©taires d’automobiles, abonnĂ©s au tĂ©lĂ©phone, enfin Ă©lecteurs inscrits dans telle ou telle circonscription. Certains autres votes de paille – au total 85, recensĂ©s notamment par Claude Robinson dans sa thĂšse de 1932 – la plupart du temps limitĂ©s Ă  des opĂ©rations rĂ©gionales ou locales, procĂ©daient en installant des urnes dans des lieux publics trĂšs frĂ©quentĂ©s : thĂ©Ăątres, stations de chemin de fer, magasins, coins de rues animĂ©es
 L’hypothĂšse Ă©tant qu’en rĂ©unissant un trĂšs grand nombre de suffrages fictifs, on approcherait du vote probable. Ce procĂ©dĂ© avait notamment rĂ©ussi plusieurs fois Ă  la revue Literary Digest.
L’idĂ©e de base, simple, Ă©tait qu’en accumulant les rĂ©ponses du plus grand nombre possible d’électeurs, autrement dit en se rapprochant le plus possible de l’exhaustivitĂ© de l’électorat, on avait toutes chances de se rapprocher du rĂ©sultat rĂ©el. Au fond, une sorte de loi des grands nombres selon laquelle, du seul fait de la disposition d’un Ă©chantillon trĂšs important, pouvaient se produire des effets bĂ©nĂ©fiques de compensation entre des alĂ©as de diverses natures.
CrĂ©Ă© en 1890, le Digest Ă©tait dans les annĂ©es 1920 le plus important magazine, avec une diffusion avoisinant les 2 millions. Jean Converse1 rappelle tout d’abord que les votes de paille avaient contribuĂ© Ă  l’augmentation de la diffusion : les bulletins de vote de paille, envoyĂ©s par la poste, Ă©taient en effet toujours complĂ©tĂ©s par une proposition d’abonnement et un bulletin de souscription. Vers 1930, le Literary Digest envoyait plus de 20 millions de bulletins de vote de paille, et les retours sont allĂ©s jusqu’à 5 millions. 400 personnes Ă©taient employĂ©es pour compter les bulletins reçus. Les rĂ©sultats des votes de paille, quoique d’initiative mĂ©diatique, avaient un statut d’information publique quasi officielle. Et contribuaient aussi Ă  la notoriĂ©tĂ© et Ă  la promotion des supports. Ils sont intervenus par exemple sur les projets de loi concernant la prohibition en 1922, 1930 et 1932. Ayant rĂ©ussi Ă  anticiper la victoire des rĂ©publicains Coolidge (1924) et Hoover (1928), puis celle du dĂ©mocrate Roosevelt en 1932, le Digest Ă©tait auprĂšs des hommes politiques et des mĂ©dias une rĂ©fĂ©rence politique incontournable.
Face Ă  cette espĂšce de pouvoir Ă©tabli, George Gallup, Archibald Crossley et Elmo Roper, trois mousquetaires, indĂ©pendants les uns des autres, dĂ©jĂ  forts chacun d’une expĂ©rience professionnelle des enquĂȘtes selon d’autres mĂ©thodes, lancent, un peu comme un pari qu’ils entendent bien gagner, la contestation de la mĂ©thode du vote de paille du Literary Digest.
Mais qui sont ces trois mousquetaires et d’oĂč provient leur confiance en eux-mĂȘmes ?
‱ George Gallup (1901-1984) est d’abord un universitaire, qui obtient un PhD de psychologie appliquĂ©e en 1928. À l’occasion d’un stage et de la prĂ©paration de sa thĂšse, il invente une mĂ©thode pour dĂ©terminer l’intĂ©rĂȘt du lecteur de presse. À l’universitĂ© Drake des Moines, il obtient une chaire de journalisme et continue Ă  faire des Ă©tudes appliquĂ©es, notamment sur le lectorat de la presse. Il s’orientera vers les Ă©tudes d’opinion publique Ă  partir de trois sources de motivation : d’abord, son intĂ©rĂȘt pour le journalisme et l’opinion publique, puis les travaux pour sa thĂšse, enfin l’activitĂ© politique de la famille de sa femme. Jean Converse ajoute : son sens des affaires. Ayant un pied dans l’universitĂ© et l’autre dans les mĂ©dias, il joue sur l’image « non profit » du premier univers – son institut va s’appeler American Institute of Public Opinion (AIPO) – pour faire des affaires dans le second.
En 1931, il devient consultant des Lever Brothers, en 1932 directeur de recherche Ă  l’Agence Young and Rubicam, oĂč il commence Ă  prĂ©parer ce que sera le Gallup Poll. Lequel apparaĂźtra en 1935 avec America Speaks, Ă©tude collective par souscription dont les rĂ©sultats sont publiĂ©s.
En 1936, George Gallup a 35 ans et dĂ©jĂ  huit ans d’expĂ©rience professionnelle. Il distingue ses Ă©tudes de marchĂ© des sondages d’opinion. C’est dans ce deuxiĂšme domaine qu’il va devenir leader.
‱ Archibald Crossley (1896-1985) est aussi d’abord un universitaire. DiplĂŽmĂ© de Princeton, il entre en 1918 Ă  la direction d’un dĂ©partement de recherche sociale Ă  Princeton, puis va diriger un dĂ©partement de recherche sur les marchĂ©s au Literary Digest. En 1926, il crĂ©e son propre cabinet. En 1930, il met sur pied, avec les professionnels de la radio, le premier systĂšme d’enquĂȘtes d’audience de la radio rĂ©alisĂ©es par tĂ©lĂ©phone. Toujours en 1930, il publie un livre sur les Ă©tudes de marchĂ©, intitulĂ© Watch Your Selling Dollar.
En 1936, l’élection prĂ©sidentielle est pour lui l’occasion de monter un systĂšme d’enquĂȘtes prĂ©Ă©lectorales pour un groupe de presse avec 30 000 entretiens toutes les deux semaines, uniquement par tĂ©lĂ©phone.
Leader incontestĂ© des Ă©tudes de marchĂ©, il ne pense pas que les Ă©tudes Ă©lectorales puissent suffire Ă  alimenter une activitĂ© permanente. En 1936, il a 40 ans et dix-huit ans d’expĂ©rience.
‱ Elmo Roper (1900-1971) est au dĂ©part un peu moins universitaire que ses deux illustres collĂšgues, mais il est Ă©galement attirĂ© par les affaires que l’on peut rĂ©aliser avec des Ă©tudes. AprĂšs un Ă©chec en 1920 dans la bijouterie, il se livre Ă  une sorte d’étude de marchĂ© du secteur et fait de nombreux entretiens, pour mieux comprendre les raisons de son Ă©chec et conseiller des professionnels. Des rencontres, notamment avec l’Agence J. Walter Thomson, le conduisent Ă  crĂ©er un cabinet conseil avec Richardson Wood et Cherington ; ce dernier enseigne le marketing Ă  la Harvard Business School. Wood a l’idĂ©e de crĂ©er, pour le magazine Fortune, un sondage pĂ©riodique Ă  publier sur les intentions d’achat et les prĂ©fĂ©rences des consommateurs, ainsi que sur les attitudes Ă  l’égard de diverses questions d’opinion. La premiĂšre vague trimestrielle est publiĂ©e en 1935. Le dispositif, y compris le support de publication, en l’occurrence le magazine Fortune, se trouve prĂȘt pour la campagne Ă©lectorale de 1936. À cette date, Roper a 36 ans et seize ans d’expĂ©rience dans les Ă©tudes de marchĂ©.
Pour des raisons diverses, Wood puis Cherington le quittent assez rapidement. Elmo Roper continue Ă  la fois les Ă©tudes de marchĂ© et les sondages d’opinion. En 1938, son enquĂȘte devient mensuelle. Et il continue de publier des articles et des analyses dans la tradition et la forme universitaire, mais il est souvent critiquĂ© par les vrais universitaires, notamment Ă  l’occasion de l’échec des sondages sur la rĂ©Ă©lection de Truman contre Dewey en 1948.
Ce rapide survol de la carriĂšre de nos trois sondeurs montre que l’expĂ©rience des sondages de 1936 Ă  propos de l’élection prĂ©sidentielle est effectivement une innovation : le Gallup Poll n’a qu’un an ou deux d’existence, le dispositif de Roper a Ă©tĂ© montĂ© en 1935, et celui de Crossley est inĂ©dit avant 1936.
Pour lancer le dĂ©fi de la prĂ©vision Ă©lectorale, George Gallup imagina une mise en scĂšne Ă  la fois hardie et risquĂ©e. Dans un Ă©ditorial de juillet 1936 – le vote a toujours lieu dĂ©but novembre – Gallup annonçait que le Literary Digest pronostiquerait la victoire, avec 56 % des voix, du rĂ©publicain Landon, et un Ă©chec du prĂ©sident sortant, dĂ©mocrate, Franklin D. Roosevelt. Bien entendu, le Digest rĂ©pliqua dans une lettre au New York Times que jamais personne n’avait eu l’effronterie de dire ce qu’allait montrer le vote de paille alors qu’il n’était mĂȘme pas encore commencĂ©. Mais Gallup avait expliquĂ© qu’il pouvait prĂ©dire les rĂ©sultats du Digest parce que son association AIPO (American Institute of Public Opinion) collectait une partie de ses donnĂ©es Ă  partir des mĂȘmes sources et des mĂȘmes mĂ©thodes. Et parce que ces sources comportaient des citoyens plus fortunĂ©s et plus Ă©duquĂ©s que l’AmĂ©ricain moyen ; dans des opĂ©rations par correspondance auprĂšs de listes d’électeurs tout-venant, les rĂ©pondants sont plus familiers de l’écriture et de la correspondance. Et l’on sait que les riches et les diplĂŽmĂ©s sont plutĂŽt des Ă©lecteurs du parti rĂ©publicain que des partisans des dĂ©mocrates. En 1936, les AmĂ©ricains de faible niveau de vie, qui manquaient dans les statistiques du Digest, Ă©taient nettement pour Roosevelt. Pour les rencontrer, il fallait aller au-delĂ  des listes du Digest et de ses mailings ; il fallait aller les rencontrer en face-Ă -face sur le terrain.
Pendant la campagne Ă©lectorale de 1936, la prĂ©diction Ă©lectorale devint un jeu trĂšs populaire, et mĂȘme un marchĂ©. À cĂŽtĂ© des mĂ©dias, et bientĂŽt des instituts de sondage commerciaux, le parti dĂ©mocrate et le parti rĂ©publicain eurent chacun leur dispositif producteur d’estimations, fondĂ©s, selon LoĂŻc Blondiaux2, sur « des donnĂ©es trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšnes et jamais accordĂ©es ».
Certains journaux, tel le New York Times, envoyaient des journalistes politiques chevronnĂ©s en mission de reconnaissance dans l’AmĂ©rique profonde ; et les informations qualitatives qu’ils recueillaient auprĂšs des leaders d’opinion et des observateurs locaux Ă©taient transformĂ©es en chiffres par les meilleurs Ă©ditorialistes politiques.
En dĂ©finitive, les derniers chiffres publiĂ©s par le Literary Digest, considĂ©rĂ©s comme des pronostics, ont Ă©tĂ© de 42,6 % pour Roosevelt et de 57,4 % pour Landon. Au contraire, la derniĂšre estimation de Gallup annoncĂ©e par son American Institute of Public Opinion (AIPO) a Ă©tĂ© de 54 % pour Roosevelt et 46 % pour Landon. Celle de Crossley, publiĂ©e dans la chaĂźne de journaux de Randolph Hearst fut Ă©galement de 54 Ă  55 % pour Roosevelt. C’est finalement le score annoncĂ© par Roper qui sera le plus proche du rĂ©sultat rĂ©el. Roosevelt obtiendra en rĂ©alitĂ© 61 % contre 39 % pour Landon. Mais Roper procĂ©dait selon une mĂ©thode diffĂ©rente, qui ne pose pas directement la question d’intention de vote mais quatre questions indirectes sur l’opinion Ă  l’égard de Roosevelt constituant une sorte d’échelle d’attitude. Roper, qui travaillait avec le magazine Fortune, avait en effet abouti Ă  une estimation de 61,7 % pour Roosevelt, en excluant les rĂ©ponses « non dĂ©cidĂ© ». Mais ce score n’a Ă©tĂ© publiĂ© qu’aprĂšs l’élection.
Du point de vue des mĂ©thodes, la victoire des sondages de 1936 fut celle de l’échantillon de quelques milliers sur l’échantillon de centaines de milliers ou de millions de personnes ; et en mĂȘme temps la victoire de l’échantillon reprĂ©sentatif sur l’échantillon dont la structure n’est pas contrĂŽlĂ©e. Le simple bon sens suggĂšre en effet que, pour tirer des conclusions sur l’ensemble de l’électorat Ă  partir d’un Ă©chantillon d’effectif limitĂ©, il faut que celui-ci soit rĂ©ellement une trĂšs bonne miniature de la population Ă©tudiĂ©e. Inversement, l’expĂ©rience de 1936 montre que la fameuse « loi des grands nombres » donne lieu Ă  des applications erronĂ©es si on la comprend mal. En matiĂšre de sondage, il faut dire et rĂ©pĂ©ter que la quantitĂ© ne peut pas remplacer la qualitĂ© de l’échantillon.
Dans l’histoire de 1936, il est donc clairement apparu que les Ă©chantillons des trois sondeurs ont Ă©tĂ© meilleurs que ceux du Literary Digest. Mais quels Ă©taient les effectifs de ces Ă©chantillons ? Curieusement, on doit dire qu’à cette question simple, il est difficile de fournir une rĂ©ponse simple.
S’agissant du Literary Digest, Jean Converse rappelle tout d’abord que les effectifs des invitations Ă  rĂ©pondre, envoyĂ©es par correspondance, rĂ©pondaient Ă  des objectifs de dĂ©veloppement du lectorat du magazine et non Ă  des objectifs scientifiques. Les mailings du magazine Ă©taient en premier lieu des campagnes de recrutement d’abonnĂ©s.
C’est ainsi qu’elle explique la rĂ©duction de 20 millions Ă  10 millions, du nombre de bulletins envoyĂ©s en 1934-1935, du fait d’impĂ©ratifs budgĂ©taires, le magazine ayant des difficultĂ©s financiĂšres. Pour sa part, LoĂŻc Blondiaux indique que 20 millions de bulletins furent envoyĂ©s en 1936. Combien y a-t-il eu de retours ? Les envois Ă©taient-ils organisĂ©s par Ă©chantillons successifs et totalisĂ©s par vagues, par exemple mensuelles, pour mieux voir les Ă©volutions, ou bien Ă©taient-ils cumulĂ©s sans considĂ©ration de la date de rĂ©ponse ? On sait qu’en juillet 1936, Charles Michelson, l’un des principaux organisateurs de la campagne dĂ©mocrate, avait rĂ©cusĂ© les chiffres du Literary Digest parce qu’ils ne portaient « que » sur 105 000 Ă©lecteurs consultĂ©s. Les premiĂšres tabulations publiĂ©es par le magazine le 4 septembre faisaient Ă©tat de 16 056 bulletins reçus pour Landon contre 7 645 pour Roosevelt, soit au total 23 701 rĂ©ponses comptabilisĂ©es. Il est vraisemblable que le score publiĂ© en dernier lieu tenait compte des rĂ©ponses reçues pendant toute la campagne ; c’est en effet sur l’argument du nombre des rĂ©ponses que se fondait la crĂ©dibilitĂ© habituelle des rĂ©sultats annoncĂ©s.
Qu’en est-il des Ă©chantillons des instituts de sondage ? Selon les informations rĂ©unies par LoĂŻc Blondiaux, l’AIPO de George Gallup « a distribuĂ© 312 551 bulletins de rĂ©ponse et vraisemblablement interrogĂ© 100 000 personnes, dont les deux tiers par courrier et un tiers en face-Ă -face ». On se souvient en effet que les entretiens face Ă  face de Gallup Ă©taient effectuĂ©s selon des quotas destinĂ©s Ă  corriger les dĂ©fauts de reprĂ©sentativitĂ© des rĂ©ponses aux questionnaires postaux. On est certes loin des millions de rĂ©ponses attribuĂ©es aux enquĂȘtes du Literary Digest ; mais on est aussi assez loin des 3 Ă  4 000 entretiens souvent avancĂ©s Ă  l’appui du succĂšs de George Gallup. Ce chantier de 1936, assorti du dĂ©fi rappelĂ© plus haut qu’il avait lancĂ© au Literary Digest, avait certainement fait l’objet d’une attention toute spĂ©ciale de George Gallup ; celui-ci Ă©crivait en effet, qu’en matiĂšre de recherche commerciale, un Ă©chantillon national de 3 Ă  4 000 Ă©tait en gĂ©nĂ©ral tout Ă  fait adĂ©quat.
Quant Ă  Archibald Crossley, il aurait interrogĂ© 30 000 personnes, toutes en face-Ă -face, et dans le cadre d’un dispositif pĂ©riodique qui comprenait effectivement 30 000 entretiens par vague ; les rĂ©sultats publiĂ©s Ă©taient ceux de la derniĂšre vague.
S’agissant enfin d’Elmo Roper, il serait le seul Ă  n’avoir interrogĂ© « que » 3 000 personnes. Mais, comme on l’a indiquĂ© plus haut, sans poser directement la question d’intention de vote mais seulement quatre questions d’opinion sur Roosevelt ; le score possible au scrutin Ă©tant estimĂ© selon ce que nous appellerions maintenant un « modĂšle » combinant les rĂ©sultats des quatre questions.
On voit donc, par cet aperçu, que les mĂ©thodes des trois sondeurs de 1936 Ă©taient en dĂ©finitive assez diffĂ©rentes. Mais dans les trois cas, le nĂ©cessaire a Ă©tĂ© fait pour joindre mieux que par correspondance les Ă©lecteurs des classes populaires. Pour LoĂŻc Blondiaux, « les scrutins antĂ©rieurs n’avaient pas Ă©tĂ© dominĂ©s par des enjeux (issues) socioĂ©conomiques. En 1935, dans un contexte de forte polarisation autour de l’expĂ©rience du New Deal, l’incapacitĂ© du Digest Ă  aller au contact des plus dĂ©favorisĂ©s s’est avĂ©rĂ©e dĂ©sastreuse ».
Dans les jugements de l’époque, l’évĂ©nement de novembre 1936 n’a pas Ă©tĂ© tellement l’exactitude des scores publiĂ©s en fin de campagne par les instituts, mais surtout le fait d’avoir annoncĂ© le succĂšs de Roosevelt. Le dĂ©fi Ă©tait celui d’une compĂ©tition entre la nouvelle technique des sondages d’opinion et la mĂ©thode des votes de paille, qui apparaissait comme une institution Ă©tablie depuis un siĂšcle.
Du fait de...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. Chapitre 1 - La préhistoire et la genÚse des sondages
  6. Chapitre 2 - La naissance des sondages en France
  7. Chapitre 3 - La naissance d’une profession
  8. Chapitre 4 - Les sondages politiques
  9. Chapitre 5 - Les sondages marketing
  10. Annexe - L’origine des idĂ©es de produits innovants : le cas de l’Espace
  11. Chapitre 6 - L’audience des mĂ©dias
  12. Chapitre 7 - Les sondages pour la recherche économique et sociale
  13. Conclusion - Les sondages en 2050
  14. Index
  15. Remerciements
  16. Table
  17. QuatriĂšme de couverture