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- 320 pages
- French
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eBook - ePub
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Ă propos de ce livre
Jean-Louis Flandrin esquisse ici une vĂ©ritable histoire du goĂ»t et de la fantaisie culinaire qui permet d'Ă©clairer la gastronomie d'aujourd'hui. Recettes et tours de mains, pratiques et usages du passĂ©, maniĂšres anciennes de cuisine et de table revivent sous sa plume curieuse et gourmande pour suivre les traces des habitudes d'hier et dessiner la gĂ©nĂ©alogie de nos plaisirs. Jean-Louis Flandrin, spĂ©cialiste de l'histoire des mentalitĂ©s, est professeur Ă l'universitĂ© de Paris VIII et directeur de recherche Ă l'Ăcole des hautes Ă©tudes en sciences sociales. Il est l'auteur notamment du Sexe et l'Occident.
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Sujet
ArtSous-sujet
Arts culinairesCHAPITRE 1
Cuisiner comme autrefois
Cuisine médiévale
Venant du QuĂ©bec, Pain, vin et venaison1 a Ă©tĂ© publiĂ© en 1977. Aux maĂźtresses â ou aux maĂźtres â de maison qui manquent dâimagination, il propose dâabord quelques formules de menus adaptĂ©es aux Ă©ventualitĂ©s dâaujourdâhui : « dĂźner simple mais Ă©lĂ©gant pour 4 Ă 6 personnes », « repas de gourmet », « dĂźner pour 8 Ă 12 personnes », « banquet pour 20 personnes » ou « pour 30 personnes environ ». Tous ces menus sont exclusivement composĂ©s de plats dont on trouvera la recette dans le corps de lâouvrage, parfois mĂȘme avec plusieurs variantes. La seule diffĂ©rence avec les livres de cuisine dont vous avez lâhabitude, câest que ces recettes sont mĂ©diĂ©vales.
Une cuisine fade
Dans lâintroduction quâelles ont donnĂ©e Ă leur recueil, Constance Hieatt et Sharon Butler avancent en une quinzaine de pages quelques thĂšses historiques originales sur la cuisine mĂ©diĂ©vale. La plupart des historiens ont affirmĂ© « quâau Moyen Age on prĂ©fĂ©rait les mets riches et Ă©picĂ©s, prĂ©parĂ©s avec des sauces exotiques, et que les aliments simples, surtout les lĂ©gumes et les salades, Ă©taient rĂ©servĂ©s aux pauvres ». « Ces affirmations, Ă©crivent-elles, se rĂ©vĂšlent tout Ă fait inexactes. »
Elles observent en effet que, selon les livres de comptes de lâĂ©poque, les quantitĂ©s annuelles dâĂ©pices achetĂ©es Ă©taient minimes ; que les banquets les plus fastueux... comptaient plus de rĂŽtis et de viandes bouillies au naturel « que de ragoĂ»ts Ă©picĂ©s » ; que, certes, les menus aristocratiques « ne nous donnent que peu de rĂ©fĂ©rences prĂ©cises quant aux lĂ©gumes et ne font jamais mention des salades », mais que « bon nombre de lĂ©gumes devaient cependant entrer dans la composition des potages et autres mets ». Elles fondent cette impression sur le fait que « les traitĂ©s de jardinage mentionnent des douzaines de variĂ©tĂ©s de lĂ©gumes et prĂ©cisent souvent lesquels doivent ĂȘtre cuits et lesquels peuvent entrer dans la composition des salades » ; que dâailleurs les nombreuses « mises en garde contre la consommation de salades et de fruits frais » prouvent que lâon en consommait ; et « les traitĂ©s culinaires qui prĂ©tendent tirer leur origine des cuisines royales ou de celles de la haute noblesse contiennent beaucoup de recettes de lĂ©gumes simples ». Elles concluent que « les prĂ©tendus changements rĂ©volutionnaires en ce qui concerne la saveur des mets et la façon de les prĂ©parer, qui auraient pris naissance aprĂšs lâĂ©poque mĂ©diĂ©vale », sont imaginaires ou se rĂ©duisent à « la disponibilitĂ© de nouveaux produits alimentaires ».
Il faut distinguer
Ces thĂšses, qui sâappuient sur nombre de faits exacts, me paraissent nĂ©anmoins contestables. On pourrait soutenir, pour pousser encore plus loin le paradoxe, que la cuisine mĂ©diĂ©vale Ă©tait beaucoup moins Ă©picĂ©e que la nĂŽtre, puisque les paysans constituaient lâimmense majoritĂ© de la population et quâils ne consommaient vraisemblablement pas dâĂ©pices exotiques du tout. Mais est-ce bien Ă eux quâil faut se rĂ©fĂ©rer lorsquâon parle de la cuisine mĂ©diĂ©vale en tĂȘte dâun livre de recettes ? Nâest-ce pas plutĂŽt aux bourgeois et, mieux encore, aux princes et autres grands personnages dont quelques festins nous sont connus et dont les cuisiniers nous ont laissĂ© leurs carnets de recettes ? Sur lâalimentation de chacun de ces groupes sociaux, nous ne possĂ©dons, Ă vrai dire, que des renseignements partiels, incomplets. Mais rien ne nous permet de supposer quâils participaient Ă la mĂȘme culture, mangeaient les mĂȘmes aliments, les cuisinaient de la mĂȘme façon, et avaient les mĂȘmes goĂ»ts. Bien au contraire : tout nous porte Ă croire que, dâun groupe social Ă un autre, il existait des diffĂ©rences et mĂȘme des oppositions caractĂ©ristiques du systĂšme socio-alimentaire de lâĂ©poque.
Si les Ă©lites sociales, au Moyen Age, ont fait grand cas des Ă©pices â comme on le dit gĂ©nĂ©ralement et comme je continue de le croire â, câest entre autres raisons pour distinguer leur alimentation de celle du peuple. Aujourdâhui, le vrai luxe câest de manger des produits naturels, cuisinĂ©s intelligemment â câest-Ă -dire de maniĂšre Ă utiliser au maximum leur goĂ»t propre â parce que la plupart des gens, dans nos pays industrialisĂ©s, sont condamnĂ©s aux poulets de batterie, aux cochons ou aux veaux bourrĂ©s dâantibiotiques et dâaliments artificiels, aux fruits traitĂ©s, gonflĂ©s, mĂ»ris dans la chambre Ă gaz, et aux lĂ©gumes cultivĂ©s aux engrais chimiques. Je laisse aujourdâhui la caille, la pintade, la truite, la dinde chantĂ©es par les gourmands du XIXe siĂšcle, aux gougnafiers : je leur prĂ©fĂšre lâhonnĂȘte saucisse quâun charcutier du Gers mâexpĂ©die par la poste, je rĂȘve de poulets kabyles et je mâempiffre des oies Ă chair noire quâon mâapporte parfois de Pologne. Câest cette recherche du naturel, du « comme autrefois », qui caractĂ©rise, selon moi, la gastronomie nouvelle, parce que le naturel est aujourdâhui exceptionnel. De mĂȘme, je croirais volontiers que la gastronomie mĂ©diĂ©vale mettait les Ă©pices au-dessus de tout, parce quâelles provenaient dâun Orient mythique et Ă©taient hors de portĂ©e du commun.
Une révolution culinaire
Nâen restons pas aux raisonnements : examinons les faits. Des 131 recettes et variantes quâont recueillies Constance Hieatt et Sharon Butler, 92 utilisaient des Ă©pices exotiques, soit plus de 70 %. Ces Ă©pices sont au nombre de 15 : le poivre et le poivre long, le cubĂšbe, le garingal, la graine de paradis2, le clou de girofle, le gingembre, la muscade et le macis, la cannelle, la coriandre, le cumin, le safran, le cĂšdre vermeil et le mystĂ©rieux pygurlac. On mentionne en outre des mĂ©langes : « menues Ă©pices » qui, en France, comprenaient gĂ©nĂ©ralement le clou de girofle et la graine de paradis ; une vague « poudre » dont je ne sais pas la composition ; la « poudre forte », qui contenait sans doute du poivre, et la « poudre douce », qui contenait sĂ»rement de la cannelle. Compte tenu de ces mĂ©langes, la cannelle apparaĂźt dans 27 % des recettes, le poivre rond ou long dans 21 %, le clou de girofle dans 18 %, la graine de paradis dans 11 %. Les Ă©pices les plus employĂ©es, Ă cette Ă©poque, sont le gingembre et le safran, quâon utilise respectivement dans 31 % et 37 % des plats. Donc quinze Ă©pices dont six interviennent chacune dans plus de 10 % des formules.
Comparons ces rĂ©sultats Ă ceux dâune enquĂȘte semblable menĂ©e dans Le Cuisinier royal et bourgeois de Massialot Ă la fin du rĂšgne de Louis XIV : du safran, il nâest plus question, non plus que du macis, de la graine de paradis, du garingal, du cumin, du pygurlac. Le gingembre nâintervient plus que dans 1 % des recettes, la coriandre dans 4,5 %, la cannelle dans 8 %. Il nây a plus que six Ă©pices mentionnĂ©es au lieu de quinze, et trois seulement sont citĂ©es dans plus de 10 % des recettes : le clou de girofle (22 %), la muscade (27 %) et le poivre (49 %). MalgrĂ© les progrĂšs de ces trois aromates et ceux de la coriandre qui reste cependant mineure, il est clair que la gamme des Ă©pices exotiques sâest considĂ©rablement restreinte et transformĂ©e : ce nâest plus elles qui font la splendeur dâun plat, dâautant que la Compagnie des Indes orientales en a inondĂ© le marchĂ©. Entre la fin de la guerre de Cent Ans et le rĂšgne de Louis XIV, une rĂ©volution sâest accomplie dans la gastronomie française, que nous examinerons plus complĂštement une prochaine fois.
Plaisirs de table
Plus quâun ouvrage dâhistoire, je lâai dit, Pain, vin et venaison est un livre de cuisine. Il peut intĂ©resser le cuisinier avide dâexotisme aussi bien que lâhistorien ayant ou nâayant pas de pratique culinaire. En haut de chaque page, on prĂ©sente une recette mĂ©diĂ©vale authentique, extraite du Viandier de Taillevent, du MĂ©nagier de Paris, ou de divers manuscrits anglais des XIVe et XVe siĂšcles, dont lâun, publiĂ© en 1780 sous le titre The Forme of Cury, serait dĂ» au maĂźtre queux de Richard II. AprĂšs chaque recette, un bref commentaire aplanit les difficultĂ©s dâinterprĂ©tation de la formulation mĂ©diĂ©vale, ou tente de dĂ©gager lâesprit du plat compte tenu de ses variantes dâun traitĂ© Ă un autre et de son Ă©ventuelle postĂ©ritĂ©. « La sauce verte, remarque-t-on par exemple, est la sauce qui accompagne le plus souvent le poisson tant Ă lâĂ©poque mĂ©diĂ©vale que par la suite. Il y a un grand choix de recettes allant du plus simple (persillade Ă base de vinaigre, sel et pain) au plus compliquĂ©. IndĂ©pendamment des ingrĂ©dients mentionnĂ©s ci-dessus dans une recette du XIVe siĂšcle, on trouve dâautres herbes telles que la sauge, lâoseille, la dictame, le pyrĂšthre, la balsamine et dâautres Ă©pices telles que le girofle. On peut modifier au goĂ»t de chacun la recette qui suit, selon les herbes dont on dispose et les Ă©pices que lâon dĂ©sire essayer. » AprĂšs le commentaire vient lâadaptation moderne : dâabord la liste des ingrĂ©dients tels quâon peut les trouver aujourdâhui chez les commerçants, la quantitĂ© de chacun dâeux, puis les procĂ©dĂ©s et les temps de cuisson, enfin la prĂ©sentation sur table.
« Ăvoquer [...] le plaisir de la table est moins difficile que ne le croient la plupart des spĂ©cialistes et moins dĂ©sagrĂ©able aux palais modernes quâon ne peut le supposer. » De fait, toutes les questions que pour...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Du mĂȘme auteur
- Copyright
- DâhonnĂȘte voluptĂ©
- Platine lâancien
- Chapitre 1 - Cuisiner comme autrefois
- Chapitre 2 - ConvivialitĂ©, gastronomie, fĂȘtes
- Chapitre 3 - Gourmandise et diététique
- Chapitre 4 - Le statut des aliments
- Chapitre 5 - Assaisonnements
- Chapitre 6 - Le vin
- Chapitre 7 - Le service de table
- Postface
- Table