Pour une écologie du sensible
eBook - ePub

Pour une écologie du sensible

  1. 208 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Pour une écologie du sensible

Détails du livre
Aperçu du livre
Table des matières
Citations

À propos de ce livre

Alors que la biodiversité s'étiole sous l'effet du réchauffement climatique et des pratiques agricoles intensives, la science offre comme remède une écologie impuissante à rétablir le contact entre l'Homme et la Nature. Héritée des Lumières et d'une vision pleinement rationaliste des choses, aurait-elle oublié en chemin que la Nature n'est pas un objet de science, mais un prolongement de nous-mêmes qui ne se laisse pas mettre en équations? Empreinte de cette vision mécaniste du vivant, l'écologie scientifique ignore trop souvent la dimension humaine et sensible de notre rapport à la Nature. C'est à fonder une écologie différente qu'incite ce livre. Plutôt que des grands concepts, des calculs et des simulations complexes, il faut désormais penser comme un tout indissoluble le vivant et son environnement, afin de retrouver le plaisir tout simple du contact direct avec la plante et l'animal, cette proximité essentielle dont tout le reste découlera. Cette écologie du sensible, et non de la seule raison, est peut-être la clé de notre survie. Jacques Tassin est chercheur en écologie végétale au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). Il est l'auteur de À quoi pensent les plantes? et Penser comme un arbre.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramètres et de cliquer sur « Résilier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez résilié votre abonnement, il restera actif pour le reste de la période pour laquelle vous avez payé. Découvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l’application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accès complet à la bibliothèque et à toutes les fonctionnalités de Perlego. Les seules différences sont les tarifs ainsi que la période d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous économiserez environ 30 % par rapport à 12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accéder à Pour une écologie du sensible par Jacques Tassin en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Physical Sciences et Geology & Earth Sciences. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2020
ISBN
9782738148971

CHAPITRE 1

Malentendu


« […] la raison, ses prudences et ses tabous ! »
Maurice GENEVOIX, Orléanais.
La science tient à ses principes, et c’est peut-être là sa force première. Mais ce postulat selon lequel la connaissance de la réalité ne saurait venir du corps, trop imparfait dans ses capacités d’investigation, trop partie prenante avec le monde, en prise avec la chair des êtres, étrécit notre regard. Il semblerait y avoir quelque chose de déplacé, voire d’obscène en toute célébration des mondes sensibles, un peu comme si une limite recevable est alors transgressée. La sensibilité manquerait de retenue, d’autant qu’elle est présumée impuissante à révéler le monde, ce qui tient d’un terrible malentendu.
Nous semblons avoir perdu le contact avec nos propres fondations. Nous ne sommes plus enracinés. D’où cette sensation de flottement qui paraît culminer dans notre monde contemporain. Carl Gustav Jung, le fondateur de la psychologie analytique, risquait une hypothèse : « À mesure que la connaissance scientifique progressait, le monde s’est déshumanisé. L’homme se sent isolé dans le cosmos, car il n’est plus engagé dans la nature et a perdu sa participation affective inconsciente avec ses phénomènes1. » Par ce propos, Jung n’incriminait pas la science, mais ce mouvement occidental qui, progressivement, a discrédité le sensible au bénéfice d’une raison portée au pinacle des puissances cognitives. Le culte voué à cette raison n’y est pas étranger. Tandis que le sensible, considéré comme faible, volontiers rattaché au « sexe faible », est minoré dans la pensée occidentale, le rationnel ouvre les voies de la maîtrise et d’une domination qui, immanquablement, lutte pour se maintenir à son rang.
Toutes les forces de l’esprit tiendraient, pensait-on jusqu’à aujourd’hui, dans notre cerveau, repensé de manière très fonctionnaliste, à l’image d’un ordinateur de 1 300 grammes brassant des algorithmes, comme le défendait dans les années 1970 le cognitiviste Jerry Fodor. Pourtant, cette opposition entre le sensible et la raison, tels le pôle faible et le pôle fort d’un même axe imaginaire2, est fictive.

L’opposition fictive entre la raison et le sensible

L’adage selon lequel la réalité ne saurait s’offrir nue à nos sens est coutumière des ouvrages de science3. Mais de quelle réalité parle-t-on ? S’il s’agit de comparer les puissances de la sensibilité et de la raison en se plaçant sur le plan de la raison, alors celle-ci l’emporte et fait même valoir combien nos sens peuvent nous tromper. Mais procéder de la sorte, remarquait déjà Lucrèce, tient du double sophisme, d’une part en « nous faisant voir ce qu’en réalité n’ont pas vu nos sens4 », d’autre part parce que si les sens « nous trompent, est-ce la raison qui pourra déposer contre eux, elle qui tout entière en est issue5 ? » Quant aux puissances de la raison, Platon considérait que, faute de point de vue externe à ce monde, nous ne pouvons, au plan strictement logique, rien en dire6.
L’anthropologue britannique Tim Ingold reformule ce propos en des termes plus contemporains : « […] La perspective souveraine de la raison abstraite, sur laquelle la science occidentale a fondé sa prétention à faire autorité, est pratiquement inaccessible : une intelligence complètement détachée des conditions de la vie dans le monde ne pourrait pas penser les pensées qu’elle produit7. » La seule réalité ne peut être une réalité dont on ne sait rien du projecteur qui l’éclaire.
Nous ne pouvons admettre le principe d’une réalité donnée une fois pour toutes, qu’une intelligence supérieure parviendrait à dégager et révélerait indépendamment de notre perception du monde. En outre, nos sens ne sont pas si fantaisistes que cela et ne nous méprennent pas tant sur le monde. Le biologiste et prix Nobel François Jacob faisait une humble constatation : « Si l’image que l’oiseau se fait des insectes dont il nourrit sa progéniture ne correspondait pas à une part au moins de la réalité, il n’y aurait pas de progéniture. Si l’image d’une branche pour un singe n’avait pas quelque chose à voir avec la réalité, il n’y aurait pas davantage de singe. Et si cela ne s’appliquait pas également à nous-mêmes, nous ne serions pas là pour en discuter8. »
La seule réalité, écrit le géographe et philosophe orientaliste Augustin Berque, ne relève ni de l’objet, ni du sujet qui l’envisage, mais d’un va-et-vient entre ces deux pôles, qu’il nomme trajection9. Comment admettre que la réalité jaillisse d’une distanciation d’avec notre corps, d’un détachement si total que nous n’évoluions plus que dans le monde abstrait des Idées ? Ingold nous rappelle que la science est nécessairement participative, par l’engagement de notre corps et, a minima, des processus neurologiques prolongeant notre perception immédiate : « Toute science repose sur l’observation et toute observation est indissociable d’une participation du scientifique aux phénomènes qui sont l’objet de son attention10. »
C’est toujours avec nos sens que nous prospectons le monde.
Cette réalité que dégagerait la seule raison disconviendrait au monde vivant parce qu’elle serait inanimée, mais aussi sans saveur. C’est pourtant la raison, célébrée par la physique, mère de toute technique, qui a infiltré les sciences du vivant. En leur sein, l’idéel a évacué le sensible. Ouvrant ainsi la voie aux expérimentations et à la technologie, la raison a certes permis les conquêtes de l’infiniment grand ou petit, nous a offert les vaccinations, la chimiothérapie ou les greffes d’organes. Mais paradoxalement, en s’efforçant de réduire la vie à une réalité objective, elle en a fait un objet lointain, une abstraction, un épiphénomène des corps qu’elle anime. Elle n’a pas suivi le sens de la vie, mais l’a prise à rebours. Lorsqu’elle se penche sur la flamme même de la vie qui lui a pourtant donné naissance, la science semble vouée à s’y brûler les ailes.
Démocrite, philosophe ionien du Ve siècle av. J.-C., disciple de l’atomiste Leucippe, invitait à se méfier du sensible. Deux siècles plus tard, le Timée de Platon décomposait l’univers en triangles et forgeait un monde des Idées, selon lequel l’intelligibilité du monde échappe à l’expérience sensible. Plus près de nous, Galilée considérait à son tour que l’univers s’écrivait dans une langue mathématique agençant des figures géométriques élémentaires. Son agencement n’était accessible qu’aux praticiens d’un langage mathématique fondateur11. La géométrie, la physique et l’optique insufflaient dans la modernité un « décentrement cosmologique12 ». Le pli était pris, la pente était indiquée. « La science moderne est fille de l’astronomie ; elle est descendue du ciel sur la terre le long du plan incliné de Galilée13 », observait Henri Bergson. Les mondes sensibles devenaient des illusions relevant d’un labyrinthe obscur dont il fallait se prémunir. Ainsi émerge toute science nouvelle « dont l’autonomie s’acquiert au prix d’une amnésie des conditions de leur objectivation14 », observe l’anthropologue Philippe Descola.
Ce ne fut toutefois qu’avec Descartes, son Discours de la méthode publié en 1637, puis ses Méditations en 1641, alors que l’Europe se passionna pour les premiers automates, et que les horlogers et polisseurs de lentilles s’affairèrent dans leurs ateliers, que la réalité fut assimilée au monde de la mécanique, avec l’ordre géométrique pour idéal. Ainsi Descartes déterminait-il le chemin de l’objectivité absolue, fondée sur une raison présumée détachable du corps : « Puis, examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait aucun monde, ni aucun lieu où je fusse […], je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle15. » Mais tournant le dos au corps, il en faisait de même avec ce que l’esprit, aussi rationnel soit-il, ne peut manquer de lui devoir.
Le grand partage fut ainsi constitué. La modernité se plut à reconnaître un dualisme entre l’individu charnel revêtu de sa culture, promis aux perceptions illusoires, et le monde réel, immense figure mathématique à laquelle seule la raison accédait. Il n’y avait plus de continuité possible entre le sensible et le rationnel. Les sens ne faisaient plus sens. Pourtant, observe le philosophe américain David Abram : « Notre expérience spontanée du monde, chargée de contenus subjectifs, émotionnels et intuitifs, demeure l’obscur et vital fondement de notre objectivité16. »

Les anges ne font pas de l’écologie

La crise de la biodiversité est une crise de notre rapport au monde, écrit avec justesse la philosophe de l’environnement Virginie Maris17. Mais c’est aussi, complète l’historienne de l’art Estelle Zhong, une crise de la sensibilité18. Elle s’enracine dans une « désanimation » de l’univers amorcée par le platonisme, exacerbée par la modernité de Galilée et de Descartes, achevée par nos modes de vie contemporains. De la vie, les sciences positives ne scrutent que la trame physique en laquelle elle se meut. Elles l’envisagent du dehors, d’un point de vue de nulle part, n’en observant que les traces matérielles, les mécanismes physiques sous-jacents et, au mieux, les mouvements et les interactions qui lui sont spécifiques. Elles prennent leurs distances avec notre expérience ordinaire, notre familiarité au monde, la manière dont nous engageons notre corps pour investir l’en dehors de soi.
Telles qu’elles ont été conçues, les sciences ne sauraient procéder autrement. Elles ne sont à l’aise que lorsque la réflexion porte sur la matière19, et c’est donc sur ce plan de la matière qu’elles sont contraintes à projeter préalablement le monde avant d’envisager de le comprendre. Projectives, elles sont donc aussi réductrices. Pourtant, ces sillons que la vie creuse dans la matière, cette trame qu’elle dessine, ces formes qu’elle sculpte, ces innombrables manières dont elle se manifeste, ce ne sont pas la vie même. La vie, c’est ce qui reste quand les sciences de la vie ont épuisé leurs ressources dans la compréhension du vivant.
Il reste alors cette vie vivante, cette vie en train de se faire, dont rien d’autre ne permet de rendre compte d’elle-même : « Il n’est d’accès à la vie qu’à l’intérieur de la vie et par elle20 », résume le philosophe Michel Henry.
En tournant prétendument le dos aux connaissances directes produites par nos sens, et donc par notre corps, notre chair, la science s’est symboliquement bandé les yeux. Elle a choisi de désincarner et d’immobiliser le vivant dans la gangue matérielle où elle se tient. Elle fait des prouesses en nous préservant de l’adversité, rallongeant notre vie tout en la rendant plus confortable. Elle est assurément extraordinaire. Il n’empêche qu’elle néglige cette manière qu’a la vie d’être vivante. François Jacob s’en était alerté : « On n’interroge plus aujourd’hui la vie dans les laboratoires. On ne cherche plus à en cerner les contours. On s’efforce seulement d’analyser les systèmes vivants, leur structure, leur fonctionnement, leur histoire21. » Et il ajoutait, observant une discipline qui a cédé aux tentations de la quantification et, dans son sillage immédiat, de la modélisation numérique : « C’est aux algorithmes du monde vivant que s’intéresse aujourd’hui la biologie22. »
Les sciences de la vie restent prisonnières de modèles mécanistes ou probabilistes, auxquels elles reviennent toujours, observait à son tour le primatologue japonais Kinji Imanishi : « Les phénomènes psychologiques sont expliqués par les lois de la physiologie, les phénomènes physiologiques par celles de la chimie, les phénomènes chimiques par celles de la physique, et les phénomènes physiques par les lois de la mécanique23. » C’est ce qu’exprimait aussi Bergson à propos du réductionnisme des neurologues : « […] Le système nerveux peut-il se concevoir sans l’organisme qui le nourrit, sans l’atmosphère ou l’organisme qui respire, sans la terre que cette atmosphère baigne, sans le Soleil autour duquel la Terre gravite24 ? » Les sciences actuelles ne disposent toujours pas de modèles de représentation de la vie vivante.
L’écologie, tout particulièrement, s’est paradoxalement restreinte à une rationalité qu’il s’a...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Introduction
  6. Chapitre 1 - Malentendu
  7. Chapitre 2 - Primat
  8. Chapitre 3 - Entrelacs
  9. Chapitre 4 - Humanité
  10. Chapitre 5 - Bien-être
  11. Chapitre 6 - Retrouvailles
  12. Conclusion
  13. Notes bibliographiques
  14. Du même auteur chez odile jacob
  15. Table